Crypte cassée
eBook - ePub

Crypte cassée

suivi de Une grappe de lilas

  1. 180 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Crypte cassée

suivi de Une grappe de lilas

À propos de ce livre

«Il y a plusieurs années, un médecin m'a fait entrer d'urgence à l'hôpital. À l'annonce du diagnostic, des émotions fortes et contra­dictoires m'ont envahie. D'une part, j'ai éprouvé du soulagement parce qu'un traitement allait être mis en place — j'allais pouvoir continuer à vivre. D'autre part, la peur me submergeait. Je ne savais pas comment envisager l'avenir, comment composer avec une maladie de type chronique à l'évolution imprévisible. Il s'agissait pour moi d'un moment charnière. Quelque chose, dans mon existence, venait de basculer de manière définitive.» «Quand j'écris et quand mes textes sont lus, je me sens de nouveau vivante, je me sens redevenir entière. L'écriture est pour moi une terre d'accueil. Un espace de recomposition dans lequel la frontière entre mes fissures et mes forces s'estompe, où les pôles de ma personnalité s'allient, où mes fragilités et mes capacités travaillent de concert. L'écriture recueille les parties blessées en moi, leur insuffle une vie nouvelle, leur accorde un nouveau dynamisme. "Et nous allions écrire dans l'impasse et dans l'échec, et cette écriture serait percée et réussite. L'épreuve douloureuse allait nous faire avancer. C'était le face à face avec l'obstacle qui allait nous per­mettre de le franchir, de le contourner, de le déplacer."»

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Informations

Chapitre un

Le chaos

Écriture et maladie: les origines d’une pratique

L’air est froid et sec dehors, en ce mois de février 2001. De la fumée blanche s’élève des bâtiments environnants. Au neuvième étage de l’hôpital Saint-Luc il fait chaud, mais tu grelottes. Tu essaies de réchauffer ton corps amaigri. Tu marches dans le couloir, prenant appui au bras de ton amour. Tu as un but: atteindre la fenêtre au bout du corridor, t’y appuyer, plonger ton regard dans l’ouverture. Derrière la vitre, la vie continue de bouger. Les grands édifices, groupés serrés, tiennent debout solides. Ils s’épaulent malgré l’air glacial. Les piétons se déplacent, les voitures circulent. Cette baie vitrée te plaît, te réconforte. De l’autre côté de la rue, tu aperçois les familières briques brunes de l’université. Cette fenêtre représente ton espoir de rejoindre à nouveau le monde.
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Il y a plusieurs années, un médecin m’a fait entrer d’urgence dans un grand centre hospitalier de Montréal. La gastroentérite qui se prolongeait et dégénérait depuis près d’un mois était en fait un grave épisode de la maladie de Crohn1. À l’annonce du diagnostic, des émotions fortes et contradictoires m’ont envahie de façon simultanée. D’une part, j’ai éprouvé du soulagement parce qu’un traitement allait être mis en place; des médicaments allaient m’aider à contenir et à calmer la crise — j’allais donc pouvoir continuer à vivre. D’autre part, la peur me submergeait. J’ignorais quelle incidence cette maladie aurait sur ma vie et je me souciais de ses répercussions éventuelles pour mes proches. Je ne savais pas comment envisager l’avenir, comment composer avec une maladie de type chronique dont l’évolution est imprévisible. Il s’agissait pour moi d’un moment charnière. Quelque chose, dans mon existence, venait de basculer de manière définitive. Je laissais derrière un monde connu: ce que j’avais construit jusqu’ici, mon métier, mes repères, mes habitudes — peut-être même une partie de moi pour entrer dans une zone trouble.
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À l’apogée de la crise, il n’y avait que l’embrasement du corps: la douleur aiguë, les diarrhées massives, les vomissements, l’absence de sommeil, l’épuisement, la fièvre, la dénutrition, la déshydratation et une perte de poids rapide, considérable, étourdissante. Ma vie se trouvait en danger. L’énergie2 qui normalement habitait mon organisme glissait hors de moi, s’échappait sans que je puisse la retenir. Mon esprit entrait progressivement dans un état d’hyper-vigilance. L’ordre connu se trouvait renversé: l’intensité de la poussée déplaçait mes balises, altérait mes perceptions, modifiait mon rapport au monde. Je me sentais comme dans un tunnel. Il y avait désormais une paroi, une vitre givrée entre moi et le monde. Le temps se déroulait au ralenti malgré l’agitation et l’urgence du moment. L’intensité du désordre provoquait des hachures, des variations dans ma conscience. Mon écran mental devenait sur-saturé, sur-sollicité, envahi d’images anarchiques qui se succédaient à grande vitesse.
La partie de moi en détresse, celle qui subissait le processus de l’intérieur, cherchait à survivre, s’agrippait. Tandis qu’une autre, analytique, plus rationnelle, observait le phénomène, comme un tiers extérieur, en s’étonnant.
Les deux étaient en fait complètement dépassées.
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Certains événements du corps3 peuvent paraître tellement crus ou indécents qu’il m’est difficile d’en parler de manière simple et directe. C’est peut-être dû au fait que ces derniers se sont produits de façon massive, répétitive, et qu’ils se sont déroulés sur une longue période. Je me souviens avoir entendu Boris Cyrulnik, dans une entrevue, déclarer à Stéphan Bureau: « On ne peut pas dire le réel parce que le réel est obscène. On ne peut pas dire [l]es choses telles qu’elles se sont passées. Vous ne le supporteriez pas; ça vous mettrait tellement mal à l’aise que vous trouveriez une occasion de vous taire, de me faire taire ou de partir4. » Cela m’a paru profondément juste. L’évocation ou le récit d’événements anormaux reçoivent parfois un accueil difficile de la part d’autrui. Pourtant, le besoin de dire, de témoigner de ces expériences qui ont marqué mon corps, ma psyché et ma mémoire est, par moments, si fort qu’il m’est indispensable de trouver une voie qui le permette. Dans la même entrevue, Cyrulnik a ajouté une phrase qui m’apparaît capitale: «Ainsi, on ne peut dire ces choses que par la métamorphose de l’art, du style.» Pour surmonter cette difficulté et pour répondre à mon besoin, faire appel à la création m’est d’un grand secours; une construction textuelle concentre suffisamment de force et de résistance pour porter la charge de ce que j’ai à dire, et qui ne peut être exprimé autrement.
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Dans Lignes de faille, de Nancy Huston, j’ai relevé un passage qui entre en résonance avec l’expérience que j’ai faite de la maladie: «C’est atroce de vomir, c’est le contraire de ce qui doit arriver à la nourriture quand elle entre dans l’estomac. Le vomissement c’est le chaos, c’est comme l’univers avant que Dieu ne s’y intéresse5. » Un accès de vomissement est toujours pénible et douloureux — mais il a une fin. Il est possible de se consoler en pensant qu’après quelques heures la crise va s’atténuer, voire s’arrêter et que, dans quelques jours au plus tard, nous serons de nouveau sur pied. Personne ne s’attend à ce qu’un processus semblable s’emballe et s’étire sur une longue période. Or la crise inflammatoire initiale, dont j’ai parlé, a été l’équivalent d’une gastroentérite s’échelonnant sur neuf ou dix mois. Les douleurs que j’ai éprouvées en début de maladie atteignaient la même intensité que celles d’un accouchement. Dans un tel contexte, l’activité à laquelle participent les déjections et les vomissements est comparable à une éruption volcanique. Ce qui se jouait dans mon organisme, à ce moment-là, était de l’ordre d’une désorganisation colossale, bien plus grande que toute volonté — indomptable.
Denise Desautels formule autrement — et avec justesse — le chaos évoqué par Nancy Huston, tel que j’ai pu le voir à l’œuvre dans cette tranche de ma vie passée: « Ici, le désordre, et rien n’est repérable. Que de l’ébauche, de l’improvisation, où s’entassent pêle-mêle les événements du corps6
De la survie pure, à travers un vacarme monstre.
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À ceux qui se demandent s’il faut souffrir pour écrire, je réponds non. La création n’est pas un acte de masochisme. Écrire la souffrance, ce n’est pas entretenir la souffrance. La souffrance «est», point. L’être humain confronté à de graves difficultés a le choix: ou bien il fait quelque chose de sa souffrance ou bien il n’en fait rien. Or, comme le dit Boris Cyrulnik, «faire quelque chose de sa souffrance […] constitue un tremplin de résilience». «Sans souffrance transformée en beauté […] il y aurait de la souffrance, c’est tout7
Pour ma part, j’ai fait le choix de l’écriture et de la création, parce que, quand j’écris et quand mes textes sont lus, je me sens de nouveau vivante, je me sens redevenir entière. L’écriture est pour moi une terre d’accueil. Un espace de reconstruction ou de recomposition dans lequel la frontière entre mes fissures et mes forces s’estompe, où les pôles divergents de ma personnalité s’allient, où mes fragilités et mes capacités travaillent de concert dans un rapport intime. Ce choix me semble légitime et sain. L’écriture recueille les parties blessées en moi, leur insuffle une vie nouvelle, leur accorde un nouveau dynamisme. Un tel projet d’écriture — et de vie — s’approche de ce dont parle Pierre Bertrand dans Éloge de la fragilité: «Et nous allions écrire dans l’impasse et dans l’échec, et cette écriture serait percée et réussite. […] Ce qui nous tuait allait nous faire vivre. Ce qui nous stérilisait allait nous faire créer. Ce qui nous emprisonnait allait nous libérer. L’épreuve douloureuse allait nous faire avancer. C’était le face à face avec l’obstacle qui allait nous permettre de le franchir, de le contourner, de le déplacer. Ce qui nous arrêtait allait nous faire rebondir de plus belle8
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Octobre 2007. Le temps est clément à Paris pour cette époque de l’année; lors de ton premier voyage, en 2001, tout juste après les attentats des tours jumelles, l’humidité pénétrait tes vêtements, te glaçait jusqu’aux os. Aujourd’hui, l’ambiance est différente. Il fait sec, il fait doux, tu es en bonne compagnie — le présent est frort — c’est un bon temps pour chasser les fantômes. Tu marches sur de vieux pavés, ou sur des sentiers; tu visites de vieilles églises, des lieux artistiques et historiques. Ton regard se pose sur tout et partout. Tu fais le plein de beauté. En plus de prendre des photographies de tout cela, tu prends de nombreux portraits de fissures. Depuis que tu as été malade, c’est plus fort que toi. Tu remarques les fissures partout où tu vas: sur les murs, le sol, le plancher et les autres surfaces. Elles te fascinent, t’attirent — t’ensorcèlent! Avec la même intensité qu’une lumière hypnotise les papillons de nuit.
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Au moment où j’ai entrepris d’écrire, une image s’est imposée: celle d’une fissure. La fissure est au centre de mon projet. Elle agit et se manifeste tantôt de façon bruyante, tantôt en silence ou comme un chuchotement. Un psychiatre me disait que ce que nous remarquons de notre environnement c’est bien souvent des traits qui entrent en résonance avec quelque chose de profond en nous. Je n’ai jamais douté que la fissure représente et manifeste quelque chose d’actif en moi. Cependant, je dirais que ce qui me préoccupe et m’intéresse, avant tout, ce n’est pas de savoir de quoi ça parle sur un plan conscient et rationnel, mais plutôt de trouver de quelle(s) façon(s) je peux le mieux laisser parler ces zones de brisures intimes, relever ce qu’elles ont de spécifique, la richesse de leur grain et de leur texture, afin de les rendre partageables.
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Par le passé, je continuais à vivre et à grandir, même si je portais en moi une fissure. J’étais peut-être, par moments, coupée d’une partie de moi; mais lorsqu’elle demeure stable, une fissure ne met pas les processus vitaux en danger. Le chaos commence à se produire lorsqu’une seconde secousse atteint la zone déjà ébranlée par une précédente tempête. Alors la blessure se rouvre, s’agrandit, et se met à générer tout un réseau de fissures additionnelles.
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En portant atteinte à mon existence, la maladie a en fait rompu les fils qui maintenaient une relative cohésion en moi. J’évoluais désormais dans un univers délié9 où la division, la fragmentation et la pulvérisation prenaient le pas sur les activités associatives. Ces mouvements affectaient ma capacité d’organiser mes disparités internes en un tout cohérent. Cela me fait penser à la pulsion de mort, en psychanalyse, cette pulsion qui œuvre à «briser les rapports» et participe à «détruire les choses»10. Dans l’expérience que j’ai vécue, c’est comme si ce qui brisait, ce qui blessait, était plus rapide que ce qui se tissait et donc rendait toute tentative de réparation ou de cicatrisation difficile. Cette expérience du chaos, de la désorganisation — de l’informe — était absolument terrifiante.
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Il semble que la crise que j’ai connue ait été déclenchée par ce que Rosine Debray appelle « une conjonction explosive»: « Celle-ci apparaît comme la rencontre en un même moment de toute une série d’éléments à valence négative affectant des niveaux de fonctionnement hétérogènes tant internes qu’externes au sujet qui en est le siège. […] Cette conjonction malheureuse marquée par des décrochages successifs en chaîne, non suivis [de] rattrapages […] est habituellement rare mais elle paraît responsable de la survenue de désorganisation somatique brusque et grave […] 11
Malgré l’aspect sombre du tableau, l’auteur ajoute un élément important: elle dit que peu importe la gravité de la somatisation « les possibilités de réorganisations existent tant que la vie est là12». Dans mon histoire, le premier rattrapage s’est fait tardivement, mais il s’est fait. Le filet de la médecine a été le premier à amortir ma chute. Le soluté de réhydratation, les médicaments, les techniques médicales ont été les premiers composants qui ont permis une lente remontée vers le monde des vivants.
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Je me rappelle qu’au cœur de la tourmente mon absence de maîtrise sur les phénomènes en cours produisait en moi des sensations vertigineuses. Lors de cette poussée inflammatoire, j’ai perdu du poids — beaucoup. Mon corps s’est considérablement modifié en très peu de temps. À tel point que, quelques semaines après mon congé, lorsque j’ai enfin pu sortir de chez moi, les amis que je croisais avaient du mal à me reconnaître. Or, moi aussi, j’avais du mal à me reconnaître. Cet amaigrissement involontaire déclenchait à l’intérieur de moi des sensations opposées et extrêmes. D’une part, je ressentais une forme d’effroi, parce que ma perte de poids était affolante — je fondais littéralement, et j’avais peur de disparaître. D’autre part, cet émaciement déclenchait des états euphorisants, et cela me déroutait. Avec le recul, je crois que ces états transitoires, de brève durée mais d’une intensité exceptionnelle, cherchaient à contrebalancer le désastre.
Cette presque mort traduisait en fait une ardente recherche de vie.
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Dans le champ psychosomatique, « la clinique des maladies à crises montre que la souffrance dans le corps a une valeur de protection contre la douleur psychique13». Et en effet, chez moi, la maladie s’est présentée en termes de réponse à des points de rupture, des fracas et des événements de vie difficiles. Dans les trois années qui ont précédé ma décompensation somatique, j’ai vécu des pertes et des chocs importants. En septembre 2000, quatre mois avant le déclenchement de la maladie de Crohn, est survenu un événement particulier qui a rouv...

Table des matières

  1. Page de couverture
  2. Demi-page titre
  3. Page de titre
  4. Page de copyright
  5. Dédicace
  6. La crypte cassée
  7. Chapitre 1: Le chaos
  8. Chapitre 2: La fissure
  9. Chapitre 3: L’unité plurielle
  10. Chapitre 4: Les mains
  11. Une grappe de lilas
  12. Table des matières