Henri III. 1574-1589
Aussitôt que Henri III apprit le décès de son frère, il s’évade de la Pologne comme d’une prison, se dérobe à la couronne des Jagellons, qu’il trouvait trop légère, et vient se faire écraser sous celle de Saint Louis.
Quand on lui mit la couronne sur la tête (à son sacre, à Reims, le 15 février 1574), il dit assez haut qu'elle le blessait, et lui coula pour deux fois, comme si elle eût voulu tomber. (L'Estolle)
On avait conseillé à Henri III, à Vienne et à Venise, de conclure la paix avec les huguenots ; il n’écouta point ce conseil ; il détestait, à l’égal les uns des autres, les protestants et les Guise ; le règne des mignons commença (1574).
La première génération des Guise finit cette année même avec le cardinal de Lorraine (26 décembre 1574).
Le jour de sa mort, et la nuit suivante, s’éleva en Avignon, à Paris et quasi par toute la France, un vent si impétueux que de mémoire d'homme il n'en avoit été ouy un tel. Les catholiques lorrains disoient que la véhémence de cet orage port oit indice du courroux de Dieu sur la France, d'un si bon, si grand et si sage prélat ; et les huguenots, au contraire, que c’estoit le sabbat des diables qui s'assemblaient pour le venir querir ; qu’il faisoit bon mourir ce jour-là pour ce qu’ils étaient bien empêchés, Ils disoient encore que pendant sa maladie quand on pensoit lui parler de Dieu, il n'avoit en la bouche que des vilainies (...) dont l’archevêque de Reims, son neveu, le voyant tenir tel langage, avoit dit, en se riant : Je ne vois rien en mon oncle pour en désespérer, et qu'il avoit encore toutes ses paroles et actions naturelles, (L'Estoile) Catherine le crut voir après sa mort.
Le duc d’Alençon se met à la tête des mécontents, et Élisabeth lui envoie des secours. Lesdiguières conduit les protestants du Dauphiné, en place de Montbrun, pris et décapité. Ce partisan avait coutume de dire que le jeu et les armes rendent les hommes égaux (1575).
Henri, roi de Navarre, s’échappe de la cour et devient le chef des huguenots ; il abjure la religion catholique, qu’il avait embrassée de force. Cinquième paix ou cinquième édit de pacification, qui accorde aux protestants l’exercice public de leur religion. Il leur donnait dans les huit parlements du royaume des chambres mi-parties ; il légitimait les enfants des prêtres et des moines mariés, et réhabilitait, par une confusion injurieuse, la mémoire de l’amiral, de La Mole et de Coconnas. C’était une grande conquête des opinions nouvelles sur les anciennes opinions, et un étrange mais naturel résultat de la Saint-Barthélemy ; ce résultat ne fut pas durable, parce que la révolution n’était pas descendue dans les classes populaires. Le cinquième édit de pacification amena une réaction qui fut la Ligue.
L’idée de la Ligue avait été conçue par le génie des Guise ; elle était venue au cardinal de Lorraine au concile de Trente ; la mort de François de Guise l’avait fait abandonner ; elle fut reprise par le Balafré. Les gentilshommes de Picardie et les magistrats de Péronne signèrent, en 1576, une confédération ; c’est la première pièce officielle de la Ligue.
Les gentilshommes du Béarn, de la Guyenne, du Poitou, du Dauphiné, de la Bourgogne, étant devenus les capitaines et l’armée des protestants, les gentilshommes de la Picardie et des autres provinces devinrent les capitaines et l’armée des catholiques Henri III, inspiré par sa mère, qui prenait des révolutions pour des intrigues, crut déjouer les projets des Guise, en se déclarant le chef de la Ligue ; il s’associait à une faction qui le détestait, et dont son nom légalisa les fureurs.
Sous la Ligue, le peuple ne marchait point à la tête de ses affaires, il était à la suite des grands ; il n’avait point formé un gouvernement à part, il avait pris ce qui était ; seulement il se faisait servir par le parlement, et avait transformé ses curés en tribuns. Quand Mayenne le jugeait à propos, il ordonnait de pendre qui de droit, parmi le peuple et les Seize, comité du salut public de ce temps.
Au surplus, la Ligue, quels que furent ses crimes, sauva la religion catholique en France, dans ce sens qu’elle donna des soldats et un chef à de vieux principes et de vieilles idées qu’attaquaient des principes nouveaux et des idées nouvelles. La royauté se trouvait combattue et par la Ligue, qui voulait changer la dynastie, et par les protestants, qui tendaient à dénaturer la constitution de l’État. Ce double assaut, qui devait emporter la couronne, la sauva, lorsque Henri IV, abandonnant les protestants, dont il protégea le culte, se réunit aux catholiques, auxquels il donna un roi.
Sixième édit de pacification, moins favorable que le cinquième (1577).
A cette année se rapporte l’expédition de dom Sébastien en Afrique. Ce prince, que quelques montagnards du Portugal attendent peut-être encore, périt dans un combat contre le roi de Maroc. Camoëns, étendu sur son lit de mort, à peine nourri des aumônes qu’un fidèle esclave javanais allait mendier pour lui dans les rues de Lisbonne, s’écria en apprenant le sort de son roi : La patrie est perdue
mais du moins je meurs avec elle ! Et le Tasse, presque aussi infortuné que le Camoëns, félicitait dans de beaux vers Vasco de Gama d’avoir été chanté par le noble génie dont le vol glorieux avoit dépassé celui des vaisseaux qui retrouvèrent les régions de l’aurore.
Combien auprès du grand navigateur, du grand roi portugais et des deux grands poètes, semblent ignobles et petits ces mignons de la fortune et ces princes si peu dignes de leur haut rang ! C’était alors que les duellistes Caylus, Maugiron et Livarot, se battaient contre d’Entragues, Ribérac et Schomberg ; qu’Henri III faisait élever à Caylus, Maugiron et Saint-Mégrin, des statues et des tombeaux que n’avaient pas dom Sébastien dans les déserts de l’Afrique, Gama sur les rives de l’Inde, les chantres de la Jérusalem et des Lusiades au bord du Tage et du Tibre.
Or, pour célébrer la mémoire de Caylus et Maugiron, à cause des rares et détestables paillardises et blasphèmes estant en eux, Henry de Valois les feit superbement eslever en marbre blanc, posez sur une base, à l’entour de laquelle estoient plusieurs descriptions comme de personnages généreux, dont ceux du siècle sçavoient bien le contraire, et les catholiques estoient fort faschez qu’il souillast un lieu sainct (qui estoit l'église de Sainct-Paul à Paris) des effigies de tels libertins et renieurs de Dieu. (Vie et mort de Henry de Valois)
Le duc d’Alençon, devenu duc d’Anjou, appelé par les catholiques des Pays-Bas, s’y montre indigne de la souveraineté qu’on lui voulait déférer : Prince, disait le roi de Navarre, depuis Henri IV, qui a si peu de courage, le cœur si double et si malin, le corps si mal basti. Marguerite de Valois, qui l’avait beaucoup aimé, déclarait que si l’infidélité étoit bannie de la terre, il la pourroit repeupler (1578). L’ordre du Saint-Esprit, créé en 1579, ou plutôt renouvelé de l’ordre du Saint-Esprit ou du Droit-Désir, de Louis d’Anjou, fut d’abord assez mal accueilli. Henri III, élu roi de Pologne le jour de la Pentecôte, et parvenu à la couronne de France l’anniversaire du même jour, institua son ordre en mémoire de ce double avènement. On a dit que cet ordre avait une origine plus mystérieuse, indiquée dans l’entrelacement des chiffres. Ces chiffres, prétendait-on, désignaient les mignons du roi et sa maîtresse, Marguerite sa sœur. Selon Brantôme, l’ordre ne se devait pas soutenir, parce qu’il était allé en cuisine, ayant été donné à Combaut, premier maître d’hôtel du roi. Les réflexions que nous avons faites à propos de la chevalerie de la Jarretière s’appliquent également à la chevalerie du Saint-Esprit. Les traces du sang de Louis XVI sont effacées sur le pavé de Paris, les cendres de Napoléon sont cachées sous le roc d’une île déserte, et le ruban de Henri III a reparu dans ce palais de Catherine de Médicis, devant lequel tomba la tête du roi martyr et où reposa celle du vainqueur de l’Europe ; enfin, il couvre encore dans le château des Stuart le sein de l’exilé, qui, en abdiquant la couronne (comme je l’ai déjà dit dans l’avant-propos de ces Etudes), a vraisemblablement fait abdiquer avec lui tous ces rois, grands vassaux du passé sous la suzeraineté des Capet.
Une ordonnance rétrograde, rendue en conséquence des cahiers présentés par les états de Blois de 1576, porte que les ’’ roturiers et non nobles achetant fiefs nobles ne seront pour ce anoblis ni mis au degré des nobles La noblesse s’apercevait que ses rangs étaient envahis. Comme il arrive toujours à la veille des grandes révolutions, on voulait ressaisir par les actes du pouvoir ce que le temps avait enlevé.
Le Portugal tombe aux mains de Philippe II, après la mort du cardinal Henri, qui avait succédé à dom Sébastien. Élisabeth, reine d’Angleterre, flatte le duc d’Anjou de l’espoir de l’épouser. Les états de Hollande ôtent la souveraineté des Pays-Bas à Philippe II et la confèrent au duc d’Anjou. La comté de Joyeuse et la baronnie d’Esperon sont érigées en duchés-pairies pour les deux favoris de Henri III, qui dépensa 1.200.000 écus aux noces du duc de Joyeuse, en lui en promettant 400 000 autres. Les tailles, élevées à 32 millions, dépassaient de 23 millions celles du dernier règne (1580, 1581).
Le calendrier grégorien est réformé (1582).
Le duc d’Anjou, jaloux du prince d’Orange, se veut emparer d’Anvers : les Français sont repoussés par les bourgeois ; quatre cents gentilshommes et douze cents soldats périrent dans cette échauffourée.
Méprisé et abandonné, le prince français retira à Termonde. Deux jours après ce désastre, comme on discourait de la mort du comte de Saint-Aignan, brave officier et fort fidèle à son service, lequel s'était noyé en cette occasion : Je crois, dit-il, que qui aurait pu prendre le loisir de contempler à cette heure Saint-Aignan, on lui aurait vu faire une plaisante grimace. Ce disait-il parce que le comte avait coutume d'en faire. Ainsi étaient payés le sang et les services. Le duc d’Anjou mourut l’année suivante, à l’âge de trente ans. Par cette mort, le roi de Navarre devenait héritier de la couronne, Henri III n’ayant point d’enfants.
Le duc de Guise saisit cette occasion pour mettre en mouvement la Ligue, dont il est déclaré le chef ; il s’agissait, selon lui, d’éloigner du trône un prince hérétique : Guise convoitait cette couronne, et ne l’osa prendre. Le prince d’Orange est assassiné à Delft, par Balthasar Gérard ; les Pays-Bas se veulent donner à Henri III qui les refuse ; la France, par une destinée constante, manque encore l’occasion de porter ses frontières aux rives du Rhin (1584).
Le cardinal de Bourbon, dans un manifeste, prend le titre de premier prince du sang et demande que la couronne soit maintenue dans la branche catholique : le pape et presque tous les princes de l’Europe appuient cette déclaration, qui venait à la suite d’un traité fait avec le roi d’Espagne pour le soutien de la Ligue. Le roi reste passif au milieu de ces désordres ; la Ligue commence la guerre pour son propre compte contre les huguenots.
Sixte Quint, qui rappelait les grands pontifes des temps passés, avait succédé à Grégoire XIII : il désapprouve la Ligue, et excommunie néanmoins le roi de Navarre, qu’il déclare indigne de succéder à la couronne. Henri IV en appelle au parlement et au concile général, et fait afficher cet appel jusqu’aux portes du Vatican. Les Seize commencent à gouverner Paris. Guerre des trois Henri, Henri III, Henri roi de Navarre, Henri de Guise (1585-1586).
Marie Stuart, après dix-neuf ans de captivité, a la tête tranchée au château de Fotheringuay, le 18 février 1587. Les couronnes n’étaient pas inviolables.
La veille de sa mort, elle beut, sur la fin du souper, à tous ses gens, leur commandant de la piéger. À quoy obéissants, ils se mirent à genouil, et meslant leurs larmes avecques leur vin, beurent à leur maistresse. Le jour de la mort, elle commanda à l'une de ses filles de lui bander les yeux du mouchoir qu'elle avoit expressément dédié pour cet effet. Bandée, elle s’agenouille, s’accoudoyant sur un billot, estimant devoir être exécutée avecques une épée à la française ; mais le bourreau, assisté de ses satellites, luy fit mettre la tête sur ce billot, et la luy coupa avec une doloire. (Pasquier)
Quelles que fussent les années d’Élisabeth et de Marie, il est probable qu’une rivalité de femme et une supériorité de talent et de beauté coûtèrent la vie à la dernière.
Les Seize songent à s’emparer de la personne du roi et à le faire descendre du trône. La Sorbonne rend un arrêt dans lequel il était dit que l’on pouvait ôter le gouvernement au prince que l’on ne trouvait pas tel qu’il fallait, comme on ôte l’administration au tuteur qu’on avait pour suspect. Les doctrines des temps de l’ancienne monarchie respectaient-elles davantage la majesté des rois et le droit divin que les doctrines de la monarchie constitutionnelle ? Henri III se consolait en recevant l’ordre de la Jarretière et en établissant les Feuillants à Paris.
Henri de Navarre gagne la bataille de Contras, où le duc de Joyeuse est tué de sang-froid, comme François de Guise devant Orléans, le prince de Condé à Jarnac, le maréchal de Saint-André à Dreux, le connétable de Montmorency à Saint-Denis Le Béarnais, au lieu de profiter de sa victoire, retourne auprès de Corisandre. Maintes fois ce prince joua sa couronne contre ses amours, et ce sont peut-être ses faiblesses unies à sa vaillance et à ses malheurs qui l’ont rendu si populaire.
Henri 1er, prince de Condé, meurt empoisonné à Saint-Jean-d’Angély ; Charlotte de La Trémouille, sa femme, accusée de l’empoisonnement, fut déclarée innocente huit ans après, par arrêt du parlement, sur l’ordre exprès de Henri IV. La veuve de Condé, demeurée grosse, accoucha d’un fils, qui fut Henri II du nom et aïeul du grand Condé. Cette race héroïque était comme une flamme toujours prête à s’éteindre : elle s’est enfin évanouie.
An 1588 : Journée des barricades.
Les Seize s’étant concertés avec le duc de Mayenne, en l’absence du duc de Guise, qui se tenait éloigné de Paris dans la crainte d’être surpris par le roi, avaient résolu de s’emparer de la Bastille après avoir tué, s’ils le pouvaient, le chevalier du guet, le premier président, le chancelier, le procureur général, MM. de Guesle et d’Espesses et quelques autres. Ils comptaient se saisir de l’Arsenal au moyen d’un fondeur gagné par leur parti, et qui leur en ouvrirait les portes. Des comm...