L'Arbre du savoir-apprendre. Vers un référentiel cognitif

Hélène Trocmé-Fabre

• Éditeur: Éditions Le Manuscrit
• Année: 2022
• Imprimer l'ISBN: 9782304052329
• ISBN de l'eBook: 9782304052336
• Sujet: Éducation
• Sujet: Gestion de la salle de classe

Je suis, pour ma part, convaincue que le rôle essentiel du monde éducatif dans son ensemble est de permettre, par une véritable présence, l'émergence chez tous les partenaires de la situation d'apprentissage, de leur propre questionnement qui ouvre l'espace intérieur sur notre capacité matricielle, celui qui met en mouvement les co-acteurs, la personne en formation et ceux qui l'accompagnent, vers un lieu où il leur est possible d'actualiser leur potentiel.… Si le questionnement est la véritable sève de l'arbre du savoir-apprendre, les différents acteurs de la situation de formation ne peuvent plus en faire l'économie pour leur propre parcours.

Apprendre, un métier tout au long de la vie

Les mots clés de la vie cognitive

Les grandes leçons de l’évolution du vivant, des sciences de la nature et de la systémique permettent de repérer dix mots clés représentant le fonctionnement de base de notre cerveau en tant que structure apprenante.

Ces mots clés marquent les dix étapes que nous franchissons lorsque nous apprenons. Ce sont des actes de vie que notre organisme effectue dans son interaction avec l’environnement, en obéissant à la triple loi de fonctionnement des systèmes : régulation, adaptation, évolution17. Rappelons sans relâche que le parcours de l’apprenant doit être accompagné vers et jusqu’à l’espace-temps où il agit seul. Nos erreurs d’éducateurs viennent sans doute de notre désir d’être présent à chaque instant et tout au long du parcours.

Les dix actes fondamentaux de la vie cognitive sont des verbes : contextualiser, respecter les lois du vivant, organiser, créer du sens, choisir, innover, échanger, comprendre, intégrer et communiquer.

À ces dix actes correspondent des aptitudes de base, des savoir-faire biographiques, des « comment être », des « comment s’y prendre » qui s’inscrivent dans notre histoire individuelle, dans l’ordre logique de l’évolution de l’être vivant que nous sommes. Chacun de ces verbes est une étape qui demanderait tout un développement et des exemples d’application, des évaluations et des prolongements. Nous ne pouvons que les esquisser ici.

Priorité aux étapes du parcours

La première étape du savoir-apprendre est l’aptitude à utiliser notre sensorialité, nos yeux, nos oreilles, notre corps tout entier (notre « corpsesprit ») pour nous relier au monde qui nous entoure et être en mesure de contextualiser (repérer le contexte où l’on se trouve). L’aptitude correspondante est le « savoir-découvrir »18. Le terrain d’apprentissage est immense et recouvre tout ce qui nous permet d’entrer en relation avec le monde physique : les formes (et leur histoire), les couleurs (et leur perception culturelle), les dimensions, textures, distances, sons, odeurs, goûts…, et les associations, relations, nuances, combinaisons de toutes sortes que nos histoires et nos cultures ont établies pour forger notre vision du monde.

À ce niveau, deux pièges sont à éviter : l’enferment dans une observation réduite, uniforme donc réductrice, correspondant à une contextualisation pauvre, et, à l’opposé, un excès de contextualisation, une incapacité à prendre du recul ou de la distance par rapport au contexte immédiat.

La deuxième étape est tout aussi incontournable que la première, constituant avec elle la base d’un savoir-apprendre qui se met en place.

Il s’agit de savoir reconnaître les lois de la nature, c’est-à-dire reconnaître les normes, les régularités du monde dans lequel nous vivons19. En d’autres termes, il s’agit de :

- Savoir lire la complexité, la nôtre, celle des autres, et celle de la matière.

- Savoir reconnaître qu’il existe différentes échelles, différents niveaux de réalité (microcosme, macroscome, infini…), donc savoir éviter d’appliquer le même code, la même norme, le même outil à des situations ou des contextes différents.

- Savoir reconnaître la biodiversité, dans l’espace et dans la durée.

Les erreurs, souvent commises à ce niveau, consistent à refuser l’hétérogénéité, la complexité, la constante recherche d’équilibre du vivant, et à ignorer notre alternance entre potentialisation (mise en potentiel) et actualisation (manifestation dans l’ici et maintenant).

La troisième étape est une étape d’organisation : c’est le savoir-organiser qui est fait de savoir-comparer, classer, sélectionner, généraliser, coder, abstraire.

Notre cerveau est une structure anatomiquement et biologiquement sélective : il est construit pour choisir, « stabiliser le monde »20. C’est folie de le priver de cette aptitude fondamentale, de ne pas l’accueillir et de ne pas la développer dans une action éducative.

Le dysfonctionnement, à ce niveau, consiste souvent dans une insuffisance d’organisation de la complexité. La conséquence est une conception linéaire, causaliste, uniquement symétrique de la réalité, ou encore… une argumentation en « ou bien… ou bien… » (ce cher « de deux choses l’une » des Français !) où nous nous enfermons, dans une opposition obstinée des contraires, au lieu de les concevoir dans leur complémentarité, mieux, dans leur réciprocité. À l’opposé, une hypertrophie du savoir-organiser résulte dans une organisation à outrance, une généralisation – elle aussi réductrice puisqu’elle nie la diversité du vivant et sa caractéristique d’être en devenir. C’est ce que dénonçait Flaubert lorsqu’il reprochait aux Français leur « rage de conclure ».

À ce stade, l’apprenant a besoin d’ancrer dans sa propre expérience les connaissances qu’il a recueillies. Personne ne peut apprendre à sa place, comprendre à sa pla...

Table des matières

• Préambule
• Préface à la première édition
• Préface à la deuxième édition
• Préface à la troisième édition(édition bilangue)
• Introduction
• Histoire d’un schéma de modélisation
• Apprendre, une interaction
• Apprendre, un métier tout au long de la vie
• Émergence de l’acte d’apprendre
• Aménager le temps d’apprendre
• Aménager l’accompagnement
• Vers l’émergence d’un questionnement
• Les ouvrages d’Hélène Trocmé-Fabre