
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
« Lorsqu'en 2007 le monde entra dans la crise qui nous tient depuis enserrés, il m'apparut que la narration et l'analyse des péripéties financières et économiques ne suffisaient pas à nous faire comprendre les temps qui sont les nôtres. Disséquer l'actualité ne pouvait à soi seul faire l'affaire et devait être complété de considérations inactuelles déconnectées du tohu-bohu des événements bruts. La nature est faite d'une certaine façon, la culture des hommes, bien que sertie dans la nature, d'une autre. Toutes deux sont emportées par le flux du devenir, lequel accélère son mouvement dans les époques de "grands tournants", comme celui-ci. Des frottements et des chocs entre nature et culture jaillit le surréel : l'esprit, l'amour, l'analogie... Pour répertorier ces billets, compacts comme l'aphorisme ou nonchalants comme le "propos", j'ai créé deux catégories : l'une pour les graves "Questions essentielles", l'autre pour la très légère "Vie de tous les jours". Il m'arriva, une fois terminé l'un des billets que l'on s'apprête à lire, d'hésiter, parce que, pour hommes, femmes et enfants, le grave est parfois léger, et le léger, plus souvent qu'à son tour, grave. Du coup, à la lecture de ces textes innocents, l'on sourit, l'on rit, ou l'on pleure, parce que la vie est à rire et à pleurer, et da-vantage qu'hier sans doute aujourd'hui. » P. J. Paul Jorion est anthropologue et sociologue. Il s'est fait connaître du grand public par La crise du capitalisme américain (2007), livre où il annonçait la crise des subprimes. Chroniqueur au journal Le Monde, il dirige la chaire Stewardship of Finance à Bruxelles et tient également un blog où il défend des positions souvent iconoclastes.
Foire aux questions
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Informations
Le philosophe H.
25 MARS 2007
Le philosophe H. est un cas difficile parce qu’il nous confronte, non pas à nos contradictions mais à nos insécurités : serions-nous prêts à refuser de serrer la main de quelqu’un que nous qualifierions pourtant de « grand » homme ou femme ? Le philosophe H. nous oblige à faire ce choix parce qu’il fut un grand philosophe et un être détestable.
J’aimerais bien qu’il n’y ait pas de grande littérature d’extrême droite : j’aimerais bien que Céline ait mal écrit, ou, plus précisément, j’aimerais bien qu’il y ait quelque chose dans le style de Céline que je puisse répudier. Hélas non, il y a de la grande littérature d’extrême droite et je suis obligé d’admirer Céline comme auteur, et cracher mentalement sur la personne que fut ce même auteur. C’est inconfortable, je le sais.
Le philosophe H. nous force à la même chose, parce qu’il existe effectivement un courant de la philosophie moderne surgi de l’extrême droite de la scolastique, celle où l’on aime Dieu parce qu’on le craint. On aimerait bien encore qu’aucune partie de la philosophie ne doive être rejetée, et pourtant la voici.
H. met le doigt sur les failles de la philosophie et l’attaque en utilisant les meilleurs outils que celle-ci a affûtés au fil des siècles. La plupart des philosophes ont maintenu un silence complice à propos de ces failles. Il reprend l’argument sceptique que de toutes prémisses on peut déduire une conclusion comme son contraire. Kojève, qui fut élève de Heidegger avant de devenir le grand hégélien que l’on sait, souligne que l’argument est imparable. Mais H. reprend l’argument sceptique sous sa forme scolastique, c’est-à-dire herméneutique, que tous les commentaires se valent : tout discours n’est que bruit devant l’omniscience de Dieu.
Par ailleurs, H. comprend que l’acceptation par les philosophes que l’on parle de « philosophes présocratiques » est le cheval de Troie dont il a besoin (à mon sens, il faudrait dénoncer « philosophes présocratiques » comme un mauvais jeu de mots), et répète après eux que le monde est essentiellement inconnaissable. De Thalès à Parménide, il ne s’agit en réalité que de cosmogonies simplistes et dogmatiques car fondées sur la sentence (fermée sur elle-même) et non sur le syllogisme (à l’enchaînement potentiellement infini).
Le philosophe H. est né dans une pauvreté abjecte, où il a aussi grandi. Il ne serait pas allé à l’école sans la générosité des curés qui ont perçu son intellect d’exception. C’est la philosophie de ces curés qu’il a érigée en système : celle où penser est dangereux. Relisez-le, il écrit à chaque page : « Je vais maintenant vous demander de penser, mais d’abord, tremblez. » C’est sa manière à lui de remercier les curés.
Rendons grâce à Dieu qu’il existe des curés généreux et critiquons le philosophe H., non pas l’homme mais son système. Ce n’est pas facile : il fut un grand philosophe.
Apprendre en se lisant
26 MARS 2007
J’ignore si d’autres qui écrivent ont partagé cette expérience qui fut souvent la mienne : avoir le sentiment d’apprendre quelque chose alors qu’on lit un texte que l’on a soi-même rédigé.
Il y a plusieurs explications possibles, l’une, banale, serait qu’on en a oublié le contenu. Fervent de la psychanalyse, je ne pense pas personnellement que l’on oublie ce que l’on a su un jour. Il me paraît plus probable que l’on change, que l’on évolue, et qu’ayant cessé d’être la même exacte personne, on puisse apprendre en se lisant soi-même.
J’ai eu l’occasion hier de raffiner cette explication. Je cherchais la réponse à une question. De fil en aiguille je me suis retrouvé sur Wikipédia, où j’ai découvert la référence à l’un de mes propres textes écrit il y a huit ans. Je suis allé le relire, et j’y ai découvert la réponse à ma question.
Et c’est là que j’ai pu raffiner mon hypothèse initiale : la question que je me posais hier n’était pas celle à laquelle je m’efforçais de répondre au moment où je rédigeais mon texte. Cependant, oui, bien que ce n’ait pas été alors mon but, je répondais bien à ma seconde question.
J’ignore si cette autre expérience est elle aussi partagée : je me demande quelle heure il est et au moment où je regarde ma montre et constate l’heure, je me souviens aussitôt que j’ai déjà consulté ma montre il y a moins d’une minute. L’explication de cet étonnant oubli est que les deux motifs qui m’ont conduit à m’interroger sur l’heure étaient entièrement indépendants : par exemple, minuter le temps qu’il me faut pour rédiger une tâche et ne pas rater un rendez-vous important. Comme si les deux tâches étant distinctes requéraient chacune, en parallèle, de savoir l’heure qu’il est, sans qu’il existe de communication entre les deux informations, et sans que ma mémoire enregistre le fait en soi : « Il est telle heure. »
Ah oui, la référence ! La voici : « À chaque instant l’évolution emprunte simultanément toutes les possibilités prévues par la mécanique quantique, et on peut alors légitimement se poser la question de savoir ce qu’il advient de la conscience individuelle. Notre conscience se divise-t-elle aussi pour coexister simultanément dans des mondes parallèles ? Paul Jorion répond négativement à cette question. Selon lui, la conscience emprunterait le chemin d’évolution qui est le plus favorable pour elle1. »
Le rôle de l’individu et des masses dans la régulation du trafic en Chine populaire
2 AVRIL 2007
Lorsque les feux sont rouges mais que les piétons en attente constituent une masse suffisante, ils entreprennent soudain de traverser, jugeant que l’amoncellement des cadavres finira bien par stopper l’automobile ou le bus qui s’aviserait d’exercer son bon droit.
Inversement, le piéton isolé qui traverse lorsque le signal est vert pour lui et refuserait de laisser passer le véhicule qui annonce sa détermination inébranlable en klaxonnant abondamment serait immédiatement massacré.
Alors que je menaçais du poing le taxi qui venait ainsi de tenter de me renverser, une bonne dame s’adressa à moi en mauvais anglais et me dit : « Si vous voulez un taxi, ce n’est pas la bonne manière : il faut vous rendre à la station ! » Je lui répondis : « Non, non, vous ne m’avez pas compris : je me contentais de le maudire ! »
La grande muraille de Chine
5 AVRIL 2007
Armel m’avait dit à propos de la Grande Muraille de Chine, « C’est raide ! » et j’avais répondu : « Oui. » Il avait ajouté, suspectant que je ne l’avais pas réellement entendu : « C’est très raide ! » et j’avais dit : « Oui, oui ! » Mais il avait raison : je n’avais pas enregistré. Sans quoi je n’aurais pas été sidéré en découvrant ce mur d’enceinte long de six mille kilomètres, suivant avec une détermination inébranlable la ligne de crête d’un massif montagneux. Quand la roche devient falaise, la muraille plonge à sa suite sans tergiverser.
Il existe deux versions de la genèse de la Grande Muraille de Chine. Selon l’une, Qin Shi Huang réunifia les Sept Royaumes combattants et connecta entre elles, sur la frontière septentrionale, plusieurs enceintes préexistantes. Dans la seconde version, il y a bien plus longtemps, Xuandi avait été un jour averti par le devin impérial qu’un enfant était né à l’extérieur de l’Empire, qui l’évincerait ; Xuandi avait aussitôt ordonné la construction de la muraille.

La seconde version me semble bien plus vraisemblable : les peurs fantasmatiques des hommes ont joué un rôle plus décisif dans leur histoire que leur évaluation objective des dangers qui les menaçaient réellement.
Un cheval blanc (chinois) n’est pas un cheval
5 AVRIL 2007
Notre pensée occidentale est fondée sur le principe que l’identité est ancrée à une substance. Bien que la forme ait changé au fil des années, la continuité de la substance garantit que ce bébé sur la photo, c’est déjà moi ! Héraclite a dénoncé notre manque de rigueur sur ce plan : nous croyons nous attacher à la substance, alors que nous n’avons d’yeux que pour la forme : on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, nous lui conservons son nom en fonction de sa forme alors que sa substance n’en finit pas de se précipiter vers la mer.
Dans la pensée traditionnelle chinoise, la chose – dont le caractère qui la représente dans la langue est l’un des attributs – est un principe qui existe indépendamment des substances et des formes sous lesquelles il se manifeste. Ainsi le même principe apparaît comme rat des champs en hiver et comme alouette dès que revient le printemps. Nous, Occidentaux, lisons dans le changement de forme d’un même principe2, une métamorphose cyclique : Van der Meersch observe à propos de la divination chinoise :
Cependant, alors que le sept était considéré comme le principe mâle jeune, ne pouvant que se développer jusqu’à neuf, neuf était considéré comme le principe mâle vieilli, prêt à se muer dans le principe femelle huit. De même, huit était considéré comme le principe femelle jeune, ne pouvant que se concentrer jusqu’à six, alors que six était considéré comme le principe femelle vieilli, prêt à se muer dans le principe mâle sept3.

Su Tung-po (dynastie Sung, correspondant à notre haut Moyen Âge) écrivait :
Montagne, rocher, bambou, arbre, rides sur l’eau, brumes et nuages, toutes ces choses de la nature n’ont pas de forme fixe ; en revanche, elles ont chacune une ligne interne constante. C’est cela qui doit guider l’esprit du peintre4.
Quand nous voulons exprimer les choses selon la conception chinoise, nous devons recourir au partitif5 : « Il y a du printemps dans l’air », disons-nous, alors que le calendrier n’affiche encore que le 12 mars mais que le principe de la « printanéité » s’est manifesté prématurément.
Les principes peuvent se combiner : quand « du cheval » rencontre « du blanc », nous avons « du cheval blanc ». Quand « du cheval » rencontre « du bœuf », nous avons « de l’animal de trait ». Le fameux philosophe Koung-soun Loung (il naît quelques années avant la mort d’Aristote) avait proposé le paradoxe : « Un cheval blanc n’est pas un cheval » – plus évident sous la forme du chinois archaïque : « Du cheval du blanc n’est pas du cheval. » Ce qui va de soi puisque deux principes sont nécessairement davantage qu’un seul.
Ses adversaires faisaient prévaloir une distinction que Koung-soun Loung ignorait : celle qui sépare les principes pénétrables et impénétrables : quand un « pénétrable » comme la blancheur rencontre un « impénétrable » comme l’équinité, affirmaient-ils, on n’obtient pas davantage, contrairement à ce qui s’observe lorsque les deux principes sont impénétrables, comme avec cheval-bœuf. Ils se trompaient bien entendu : le principe de l’animal de trait ne combine pas l’équinité et la bovinité selon leur union comme s’exprime la théorie des ensembles, additionnant l’ensemble des chevaux à celui des bœufs, mais selon leur intersection : là où la blancheur intersecte l’équinité, nous avons « du cheval blanc », là où l’équinité rencontre la bovinité, nous trouvons le principe de l’animal de trait.
Koung-soun Loung avait raison : « Le cheval blanc (chinois) n’est pas un cheval », il combine effectivement deux principes et est donc davantage que le simple cheval – le fait que les chevaux blancs soient moins nombreux que les chevaux est une considération d’un autre ordre : une question d’extension, ce n’est pas une considération de principes.
L’escapade
1ER MAI 2007
J’ai deux ou trois ans, la scène se passe dans la maison de ‘sGravenweg à Rotterdam, où il est désormais possible de se rendre à nouveau en train, les ponts détruits à la Libération ayant été reconstruits. C’est l’âge où l’on ne peut se soustraire à la vue des adultes que quelques minutes à la fois, parce qu’aussitôt une voix se fait entendre qui dit : « Paul (Pa-ol, en hollandais), wat ben je aan ‘t doen ? » – « Paul, qu...
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