1. La question des origines
De quand date ce plaisir fou qui nous rĂ©cure les veines ? De lâĂgypte ancienne ? Du nĂ©olithique ? Du plĂ©istocĂšne ? Quelle est la premiĂšre femelle, animale ou humaine qui, alors quâelle copulait en rĂȘvassant sâest soudain crue atomisĂ©e aux quatre coins de la savane/forĂȘt/plaine/taĂŻga/vallĂ©e ? A-t-elle laissĂ© un signe, une larme, une entaille dans un caillou ?
Il faut, pour exulter, disposer dâun systĂšme nerveux, câest le b.a.ba. De mĂȘme quâil nây a pas de feu sans combustible, il nây a pas de plaisir sans cerveau. Le cerveau est une invention colossale, qui a commencĂ© par un bouquet de cellules et qui sâest considĂ©rablement raffinĂ©e au fil du temps, du simple systĂšme rĂ©flexe jusquâĂ la conscience, en passant par mille stades de gestion plus ou moins automatisĂ©e des comportements. Dans la plupart des espĂšces, la copulation est un comportement instinctif, dĂ©clenchĂ© Ă date fixe. La femelle panda se sent coquine un jour par an. Le papillon mĂąle se mobilise pour une trace de phĂ©romones. Le crapaud commun, aux premiers jours de fĂ©vrier, monte hardiment sur tout ce qui bouge : femelle, poisson, ou pied de promeneur. Chez les rats et la plupart des mammifĂšres, on sâaccouple seulement lorsque les ovules sont prĂȘts. Câest bien lâhormone qui mĂšne la danse.
Mais dans quelques espĂšces privilĂ©giĂ©es la copulation a cours tout le temps, quel que soit lâĂ©tat des ovules. LubricitĂ© pure, ou bien recyclage de lâactivitĂ© sexuelle Ă dâautres fins : liens sociaux, rĂ©conciliations, monnaie dâĂ©change ? Dans ces espĂšces seules (humains, grands singes, dauphins) le plaisir sexuel pourrait ĂȘtre devenu un enjeu pour lui-mĂȘme, une activitĂ© Ă part entiĂšre, une motivation incurable Ă se faire plaisir, bref, un but en soi et non plus une machine Ă faire des photocopies. Les comportements homosexuels et masturbatoires y sont bien plus rĂ©pandus que dans les autres espĂšces, prouvant que le plaisir est au rendez-vous. Mais quâen est-il de lâorgasme ?
Il nâest pas tout Ă fait sĂ»r que les animaux mĂąles en ont. Ils rugissent, glapissent ou braient, dâaccord⊠et tout ce quâon peut dire câest quâils Ă©jaculent gaiement. Alors pour les femelles, comment savoir ? Par quel critĂšre ? Rythme cardiaque, contractions gĂ©nitales, diamĂštre pupillaire ? Voyez-vous dâici les expĂ©riences nĂ©cessaires pour le tester ? De courageux scientifiques se sont lancĂ©s, pourtant, cherchant par tous les moyens Ă Ă©tablir quand et comment les femelles exultent â nâhĂ©sitant pas Ă titiller eux-mĂȘmes lesdites femelles en laboratoire, au risque de dĂ©clencher des attachements intempestifs⊠Certains ont trouvĂ© des contractions vaginales couplĂ©es Ă des grimaces qui semblent Ă©loquentes, chez certaines femelles singes (bonobos, macaques). Il est Ă noter que, dans la nature, les grimaces en question se produisent surtout quand les femelles se masturbent entre elles, le coĂŻt avec les mĂąles Ă©tant beaucoup trop bref pour provoquer la mĂȘme stimulation. Mais des contractions, quâest-ce que cela veut dire ? Les vaches et les truies en prĂ©sentent aussi, alors quâelles ne produisent nulle grimace ni aucune autre manifestation de bonheur. Seule une analyse de lâactivitĂ© cĂ©rĂ©brale pourrait peut-ĂȘtre trancher. Mais est-on sĂ»r de vouloir consacrer Ă lâĂ©tude dâune guenon masturbĂ©e la fine fleur de nos scanners ?
Dans lâattente, le doute reste entier. Une moitiĂ© des experts penchent pour lâidĂ©e que certaines femelles animales connaissent lâorgasme, et lâautre moitiĂ© prĂ©fĂšre lâidĂ©e quâil sâagit dâune potentialitĂ© du systĂšme nerveux que seule lâespĂšce humaine a dĂ©veloppĂ©e (et encore, pas toujours). Quant Ă vous, vous avez le droit de penser que la question est complĂštement oiseuse.
2. Un air de famille
Il nous est serinĂ© que les hommes viennent de Mars et les femmes de VĂ©nus, ce qui fait un long trajet, alors que le clitoris et le pĂ©nis, en pratique, viennent du mĂȘme endroit exactement. Pendant les premiers mois de gestation, les organes gĂ©nitaux internes et externes sont identiques pour les deux sexes. La structure interne prĂ©sente deux glandes et deux jeux de canaux (ceux de Wolff et ceux de MĂŒller). La structure externe prĂ©sente un tubercule, une fente, deux bourrelets et des plis.
Cette maquette de base est donc bivalente, un peu comme la structure qui prĂ©figure un canapĂ©-lit â les mĂȘmes Ă©lĂ©ments dĂ©ployĂ©s autrement formeront soit lâun soit lâautre. Sauf quâici un choix sera fait (si tout va bien) Ă partir de la dixiĂšme semaine : certains auront le canapĂ© et dâautres le lit. Sous lâeffet dâun signal hormonal qui secoue lâembryon mĂąle, le tubercule gĂ©nital sâallonge en pĂ©nis, la fente gĂ©nitale se soude, les bourrelets forment le scrotum (dans lequel migrent plus tard les glandes gĂ©nitales) et les plis tapissent la hampe du pĂ©nis. Chez lâautre embryon non arrosĂ© de testostĂ©rone, le tubercule sâinstalle en clitoris, la fente reste fente, les bourrelets sâĂ©paississent en grandes lĂšvres et les plis forment la dentelle des petites lĂšvres.
Une diffĂ©rence anatomique importante sâinstalle durant ce processus : chez le garçon lâurĂštre est inclus dans la transformation du tubercule en pĂ©nis, de mĂȘme que le canal spermatique, issu des canaux de Wolff. Chez la fille, le clitoris reste Ă lâĂ©cart de cette plomberie â les canaux de MĂŒller sâĂ©vasent en hauteur, vers les ovaires, et lâurĂštre trouve son embouchure entre le clitoris et la fente vaginale. Si bien que le pĂ©nis vĂ©hicule une foule de choses (urine, sperme, messages nerveux logistiques), lĂ oĂč le clitoris peut se la couler douce. Il nâa strictement aucune fonction utilitaire. En revanche, il possĂšde un trĂšs grand nombre de terminaisons nerveuses â environ 8 000 au total, soit plus que nâimporte quelle autre partie du corps, mĂȘme les doigts, les lĂšvres ou la langue. Et plus aussi que le gland du pĂ©nis, qui a dĂ» consacrer une partie de ses connexions aux impĂ©ratifs pratiques. Au final, le clitoris est lâorgane le plus sensible de toute la crĂ©ation connue Ă ce jour.
Et puisquâil est forgĂ© du mĂȘme matĂ©riau que le pĂ©nis, il possĂšde Ă©galement les caractĂ©ristiques Ă©patantes qui en ont fait la renommĂ©e, je veux parler de lâĂ©lasticitĂ©. ConstituĂ© lui aussi de corps spongieux et de corps caverneux, il est parfaitement Ă©rectile, et dans des proportions qui nâont jamais Ă©tĂ© soupçonnĂ©es jusquâici, tout simplement parce que la plus grande partie de son volume est interne et invisible Ă lâĆil nu.
Oui, le clitoris entre en Ă©rection lors de lâexcitation sexuelle. Oui, cela se produit aussi de maniĂšre rĂ©flexe plusieurs fois par nuit et au rĂ©veil. Oui, il atteint plusieurs fois son volume de base, avec des variations dâune personne Ă lâautre, comme pour lâĂ©rection masculine. Pourquoi les femmes auraient-elles envie dâun pĂ©nis ? Elles en ont un. Certains chercheurs, dans leurs publications, ont franchi le pas et nâhĂ©sitent pas Ă parler du pĂ©nis fĂ©minin (female penis) lorsquâils dĂ©signent la structure complĂšte du clitoris. VoilĂ un progrĂšs qui a Ă©tĂ© long Ă venir !
3. Un équipement standard
Si le clitoris est lâalter ego du pĂ©nis, il doit en fleurir chez toutes les femelles dont le mĂąle possĂšde un pĂ©nis, câest mathĂ©matique. Et en effet on en trouve chez tous les mammifĂšres et quelques autres espĂšces. Il faut prĂ©ciser que le bourgeon initial, le tubercule gĂ©nital, est dĂ©jĂ prĂ©sent chez les oiseaux et les reptiles, mais ne se dĂ©veloppe pas au-delĂ , ce qui laisse ces animaux dotĂ©s dâun orifice unique â le cloaque â pour satisfaire tous les besoins. Apparemment, ils se dĂ©brouillent comme ça â pas de jouissive pĂ©nĂ©tration, juste un « baiser cloacal » baveux â mais dâautres espĂšces plus ambitieuses ont dĂ©veloppĂ© le pĂ©nis, ce qui apporte un perfectionnement Ă©vident pour les Ă©bats, et donc le clitoris, son homologue a Ă©voluĂ© de concert. Toutes les femelles mammifĂšres en sont Ă©quipĂ©es, dont certaines avec un os dedans ! Surprise. Car dans ces espĂšces (la plupart des rongeurs, des carnivores et des primates par exemple), les pĂ©nis mĂąles sont pourvus dâun os â parfois tout petit (moins de 1 centimĂštre chez les grands singes) mais un os quand mĂȘme. Pour les autres, la pression sanguine remplace lâos, avec les vicissitudes que lâon sait.
Le clitoris des animaux nâa reçu que peu dâintĂ©rĂȘt scientifique jusquâici. On dispose tout de mĂȘme de quelques Ă©tudes sur des cas Ă©tonnants. La femelle du singe araignĂ©e, sympathique primate dâAmĂ©rique centrale, possĂšde un long clitoris intĂ©grant lâurĂštre, exactement comme le pĂ©nis, auquel il ressemble fortement â raison pour laquelle les chercheurs sont incapables de reconnaĂźtre un mĂąle dâune femelle Ă moins dâapercevoir ses bourses.
LâhyĂšne tachetĂ©e, pour sa part, bat tous les records de bizarrerie. Chez elle, lâurĂštre sâest aussi enveloppĂ© dans le clitoris, mais le conduit gĂ©nital Ă©galement, car la fente gĂ©nitale sâest refermĂ©e en cours de gestation, comme chez les mĂąles â il nây a donc pas dâouverture vaginale. Câest la seule femelle au monde qui urine et qui accouche par le clitoris, dont la taille est imposante, jusquâĂ 20 centimĂštres. Ces caractĂ©ristiques semblent dues Ă un taux exceptionnel dâandrogĂšnes qui rend les femelles hyĂšnes particuliĂšrement agressives. Les mĂąles sont largement dominĂ©s, font allĂ©geance en lĂ©chant le clitoris de la chef de meute, et ne sauraient imposer un coĂŻt Ă quiconque. Vu lâemboĂźtement rendu trĂšs compliquĂ© par la saillie externe du conduit, le problĂšme du viol est rĂ©glĂ©.
Sâil est trĂšs difficile dâaffirmer quoi que ce soit sur lâorgasme chez les animaux, on constate que le plaisir est trĂšs clairement le moteur de mille interactions non fĂ©condes. Les femelles bonobos ont pour coutume de se frotter vigoureusement clitoris contre clitoris pendant dix Ă vingt secondes, plusieurs fois dâaffilĂ©e, avec grognements dâaise et vocalisations puissantes. Et quand je dis coutume⊠elles remettent le couvert en moyenne toutes les deux heures. Ce ne doit pas ĂȘtre par hasard.
4. Ă quoi bon ?
Tout le monde le sait, lâorgasme fĂ©minin est indĂ©pendant de la fĂ©condation, alors que lâorgasme masculin lui est indispensable. Lâorgasme masculin est lâarc qui tire les flĂšches dans la cible. La cible â lâovule â se trouve lĂ Ă date fixe, selon un cycle qui ne dĂ©pend en rien du fait de jouir ou pas. AsymĂ©trie Ă©tonnante ou injustice suprĂȘme⊠à quoi peut bien servir alors lâorgasme fĂ©minin ? Si on est strictement darwinien, un organe ou un comportement existe parce quâil est favorable Ă la reproduction. VoilĂ donc un siĂšcle que les hypothĂšses vont bon train. En voici quelques-unes :
Lâorgasme fĂ©minin est un incitant qui motive les femmes Ă avoir des rapports sexuels.
Lâorgasme fĂ©minin intensifie la compĂ©tition spermatique en poussant la femme Ă poursuivre le rapport sexuel avec un ou dâautres partenaires tant quâelle nâest pas satisfaite.
Lâorgasme fĂ©minin conduit les femmes Ă sĂ©lectionner lâhomme le plus attentionnĂ© (celui qui parviendra Ă les envoyer au septiĂšme ciel, et qui sera aussi le meilleur pĂšre).
Lâorgasme fĂ©minin sert Ă retenir le partenaire (Ă©mu dâĂȘtre lâauteur dâun tel plaisir) dans un lien Ă long terme.
Lâorgasme fĂ©minin favorise lâaspiration du sperme, via les ...