Aux sources de la parole
eBook - ePub

Aux sources de la parole

Auto-organisation et évolution

  1. 240 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Aux sources de la parole

Auto-organisation et évolution

À propos de ce livre

La silhouette des montagnes, les dunes, les cristaux de glace : la nature regorge de motifs organisĂ©s. Beaucoup sont le rĂ©sultat d'interactions entre les nombreux composants du systĂšme dans lequel ils prennent forme. On parle alors d'auto-organisation, prĂ©sente aussi dans le vivant. Qu'en est-il de la parole ? Aux cĂŽtĂ©s de la sĂ©lection naturelle, l'auto-organisation ne joue-t-elle pas aussi un rĂŽle essentiel pour expliquer ses structures, son Ă©mergence ? C'est l'hypothĂšse qu'explore cet ouvrage, qui fait se rejoindre les acquis de la linguistique, les apports de la biologie et les Ă©claircissements fournis par la modĂ©lisation informatique et robotique. Quand les sciences informatiques permettent d'Ă©clairer d'un jour nouveau la nature et l'Ă©volution du langage. Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche Ă  Inria, Ă©tudie les mĂ©canismes du dĂ©veloppement sensori-moteur, cognitif et social chez l'humain et chez les robots. Suivant une approche multidisciplinaire, oĂč les sciences du numĂ©rique participent Ă  notre comprĂ©hension du vivant et de l'homme, il s'intĂ©resse au rĂŽle de l'auto-organisation et de l'apprentissage au cours des interactions entre cerveau, corps et environnement physique et social. LaurĂ©at du programme europĂ©en ERC et du prix Le Monde de la recherche universitaire, il dirige l'Ă©quipe Flowers Ă  Inria et Ă  l'Ensta ParisTech, et a Ă©tĂ© chercheur au Sony Computer Science Laboratory Ă  Paris. 

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă  la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin d’un accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă  tout moment, n’importe oĂč — mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Aux sources de la parole par Pierre-Yves Oudeyer en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Biological Sciences et Neuroscience. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
Imprimer l'ISBN
9782738129482

Chapitre 1

La rĂ©volution scientifique de l’auto-organisation


L’auto-organisation : un Ă©clairage nouveau sur la nature

La nature regorge de formes et de motifs fascinants d’organisation, et en particulier dans sa partie inorganique. La silhouette des montagnes est la mĂȘme que l’on regarde Ă  l’échelle du rocher, du pic ou de la chaĂźne. Les dunes s’alignent souvent en longues bandes parallĂšles. L’eau se cristallise en flocons symĂ©triques et dentelĂ©s quand la tempĂ©rature s’y prĂȘte. Et, quand elle coule dans les riviĂšres et tombe des cascades, apparaissent des tourbillons en forme de trompettes et les bulles se rassemblent en structures parfois polyhĂ©drales. Les Ă©clairs dessinent dans le ciel des ramifications Ă  l’allure vĂ©gĂ©tale. L’alternance de gel et de dĂ©gel sur les sols pierreux de la toundra laisse des empreintes polygonales sur le sol. La liste de ces formes rivalise de complexitĂ© avec bien des artefacts humains, comme on peut l’apprĂ©cier sur la figure 1.1. Et pourtant rien ni personne ne les a dessinĂ©es ou conçues. Pas mĂȘme la sĂ©lection naturelle, le concepteur aveugle de Dawkins (Dawkins, 1982). Quel est donc le mystĂšre qui explique leur existence ?
images
Figure 1.1. La nature regorge de formes et de motifs organisĂ©s sans qu’il existe quelque part des plans qui auraient servi Ă  les construire : on dit qu’ils sont auto-organisĂ©s. Ici, des bandes parallĂšles qui courent sur les dunes, des bulles d’eau Ă  la surface du liquide qu’on a agitĂ©, et les structures polyhĂ©drales qui restent quand elles sĂšchent, un cristal de glace, des montagnes dont les formes sont les mĂȘmes qu’on les regarde Ă  l’échelle du rocher ou Ă  l’échelle du pic. (Photos : Nick Lancaster, Desert Research Institute, Nevada ; Burkhard Prause, University of Notre Dame, Indiana ; Bill Krantz, University of Colorado.)
Toutes ces structures organisĂ©es ont un point commun : elles sont le rĂ©sultat macroscopique des interactions locales entre les nombreux composants du systĂšme dans lequel elles prennent forme. Leurs propriĂ©tĂ©s organisationnelles globales ne sont cependant pas prĂ©sentes au niveau local. En effet, la forme d’une molĂ©cule d’eau, ainsi que ses propriĂ©tĂ©s physico-chimiques individuelles sont trĂšs diffĂ©rentes de celles des cristaux de glace (voir figure 1.2.), des tourbillons, ou encore des polyĂšdres de bulles. Les empreintes polygonales de la toundra ne correspondent pas Ă  la forme des pierres qui les composent, et ont une organisation spatiale trĂšs diffĂ©rente de l’organisation temporelle du gel et du dĂ©gel. VoilĂ  la marque d’un phĂ©nomĂšne qui rĂ©volutionne notre comprĂ©hension de la nature : l’auto-organisation.
images
Figure 1.2. L’auto-organisation des cristaux de glace. La structure macroscopique du cristal s’auto-organise Ă  partir des interactions entre les molĂ©cules d’eau dont la structure microscopique est qualitativement diffĂ©rente.
Ce concept fondamental constitue la pierre de touche du changement paradigmatique que les sciences de la complexitĂ© ont opĂ©rĂ© au XXe siĂšcle. AprĂšs le travail prĂ©curseur et visionnaire de D’Arcy Thompson (Thompson, 1917) qui Ă©tudia au dĂ©but du XXe siĂšcle des phĂ©nomĂšnes auto-organisĂ©s sans les nommer, le concept est rĂ©ellement apparu et s’est dĂ©veloppĂ© Ă  partir des annĂ©es 1950 sous l’impulsion de chercheurs comme Alan Turing, William Ross Ashby, Heinz von Foerster, Ilya Prigogine, Francesco Varela et RenĂ© Thom (Turing, 1952 ; Ashby, 1952 ; Nicolis et Prigogine, 1977 ; Kauffman, 1996 ; Ball, 2001). Depuis Newton, la bonne science se devait d’ĂȘtre rĂ©ductionniste, et consistait Ă  Ă©tudier les systĂšmes naturels en les dĂ©composant en sous-systĂšmes plus simples. Par exemple, pour comprendre comment le corps humain fonctionnait, on se devait d’étudier d’un cĂŽtĂ© le cƓur, de l’autre le systĂšme nerveux, et d’un autre cĂŽtĂ© encore par exemple le systĂšme limbique. D’ailleurs, on ne s’arrĂȘtait pas lĂ , et l’étude du systĂšme nerveux par exemple Ă©tait divisĂ©e en l’étude du cortex, du thalamus ou des innervations motrices pĂ©riphĂ©riques. Cette mĂ©thode nous a Ă©videmment permis d’apprendre une somme impressionnante de connaissances. Mais les chantres de la complexitĂ© l’ont battue en brĂšche. Leur credo : « La somme des parties est plus que les parties prises indĂ©pendamment. » Or les systĂšmes complexes, c’est-Ă -dire les systĂšmes composĂ©s de nombreux sous-systĂšmes en interaction, abondent dans la nature et ont la trĂšs forte tendance Ă  s’auto-organiser. MĂȘme ceux du monde biologique, sur lesquels l’emprise de la sĂ©lection naturelle n’est pas totale mais doit jouer avec l’auto-organisation.
Il apparaĂźt donc aujourd’hui que de nombreux systĂšmes naturels ne peuvent tout simplement pas ĂȘtre expliquĂ©s par l’étude rĂ©ductionniste de leurs parties. L’exemple des artefacts construits collectivement dans les sociĂ©tĂ©s de termites illustre parfaitement ce point (Camazine et al., 2003). Les termites construisent en effet des nids immenses, qui s’élĂšvent Ă  plusieurs mĂštres du sol et peuvent former des arches qui ne sont pas sans rappeler les constructions humaines, comme la figure 1.3 le montre. Si l’on veut expliquer la formation de ces structures, alors l’étude des termites prise indĂ©pendamment, par exemple l’étude prĂ©cise de tout le cĂąblage nerveux, ne suffit pas. On pourrait tout connaĂźtre de l’anatomie et du comportement d’un termite, sans pour autant comprendre comment leurs nids sont bĂątis. Car en effet, aucun termite ne possĂšde l’équivalent d’un plan, mĂȘme partiel, de la superstructure. Les savoir-faire dont ils disposent ont une nature infiniment plus basique : ils sont du type « si je tombe sur une boule de terre, la prendre et la dĂ©poser lĂ  oĂč la quantitĂ© de phĂ©romone est grande ». La superstructure rĂ©sulte plutĂŽt de l’interaction dynamique de milliers de termites dans leur environnement, de la mĂȘme maniĂšre que la structure symĂ©trique des cristaux de glace rĂ©sulte de l’interaction des molĂ©cules d’eau dans certaines conditions de pression et de tempĂ©rature, et non d’une transposition au niveau macroscopique des structures dĂ©jĂ  prĂ©sentes au niveau microscopique.
Les exemples de l’utilisation du concept d’auto-organisation et d’explications systĂ©miques des formes de la nature, abondent maintenant et forment le cƓur des recherches les plus avancĂ©es de plus en plus de physiciens et de biologistes. On peut citer les formations qu’adoptent les fourmis et les abeilles pour la chasse ou la rĂ©colte, les formes dynamiques des bancs de poissons ou des nuĂ©es d’oiseaux, les patterns symĂ©triques sur les ailes des papillons, les taches rĂ©guliĂšres sur la peau des lĂ©opards, ou les rayures des poissons et des coquillages, la magnĂ©tisation des aimants, la formation des tourbillons dans les riviĂšres, la genĂšse des galaxies, les oscillations de la dĂ©mographie des Ă©cologies proie-prĂ©dateur, la formation de patterns dans les cultures de bactĂ©ries et dans les systĂšmes chimiques avec rĂ©action-diffusion, la cristallisation, les lasers, la supraconductivitĂ©, la rĂ©partition des tailles des avalanches, les systĂšmes chimiques autocatalytiques, la formation de membranes lipidiques ou encore la dynamique des bouchons sur les autoroutes.
images
Figure 1.3. L’architecture des nids de termites est le rĂ©sultat auto-organisĂ© de l’interaction entre des milliers d’individus dont aucun ne connaĂźt le plan global.
Les sciences de la complexitĂ© ont ainsi dĂ©sormais prouvĂ© l’utilitĂ© fondamentale du concept de l’auto-organisation et de la mĂ©thode systĂ©mique pour expliquer des phĂ©nomĂšnes naturels qui concernent autant les structures physiques que certaines structures biologiques qui caractĂ©risent la forme ou le comportement d’animaux simples comme les insectes. Nous sommes maintenant Ă  l’aube d’un nouveau pas dĂ©cisif dans cette rĂ©volution scientifique : les chercheurs de la complexitĂ© commencent Ă  s’attaquer Ă  la comprĂ©hension de l’homme lui-mĂȘme au moyen de ces nouveaux outils. La comprĂ©hension des fonctions vitales de l’organisme humain est bouleversĂ©e par le courant Ă©mergent de ce qu’on appelle la biologie « intĂ©grative » ou « systĂ©mique » (Chauvet, 1995 ; Kitano, 2002 ; Noble, 2006 ; Wilkinson, 2011). PlutĂŽt que de se concentrer sur chaque organe isolĂ©ment, on essaie maintenant de comprendre leurs interactions complexes dans un organisme considĂ©rĂ© comme un tout, oĂč les propriĂ©tĂ©s de chaque Ă©lĂ©ment ne peuvent ĂȘtre comprises que dans le contexte de leurs interactions avec les autres Ă©lĂ©ments, et Ă  plusieurs Ă©chelles de temps et d’espace. Cela a permis d’ouvrir de nouvelles voies thĂ©oriques, inaugurĂ©es par Alan Turing avec ses modĂšles mathĂ©matiques de la morphogenĂšse (Turing, 1952), puis plus rĂ©cemment pour la comprĂ©hension des cancers (Kitano, 2004) ou celle du fonctionnement du cƓur, comme l’a montrĂ© Denis Noble, l’un des pionniers de la biologie des systĂšmes (Noble, 2006).
Les chantres de l’auto-organisation ne s’arrĂȘtent pas lĂ  : le cerveau de l’homme ainsi que les sensations et la pensĂ©e sont aussi sous la forte influence des propriĂ©tĂ©s d’organisation spontanĂ©e de leur structure physique. En effet, le cerveau, composĂ© de milliards de neurones en interaction dynamique, entre eux et avec le monde extĂ©rieur, est le stĂ©rĂ©otype du systĂšme complexe. Par exemple, comme nous le montrerons dans ce livre, l’auto-organisation peut ĂȘtre au cƓur de la capacitĂ© de notre cerveau Ă  catĂ©goriser le monde qu’il perçoit et Ă  organiser les flux continus de perceptions en objets psychologiques atomiques.
Cependant, le sujet principal de ce livre va au-delĂ  de la rĂ©flexion sur le cerveau comme un systĂšme auto-organisĂ© : nous sommes aujourd’hui Ă  l’orĂ©e d’une avancĂ©e majeure dans les sciences, celle de la comprĂ©hension naturalisĂ©e de ce qui fait de l’homme une crĂ©ature unique : sa culture et son langage. En effet, si la culture et le langage sont les sujets d’investigation des sciences humaines depuis des siĂšcles, on n’a jamais encore rĂ©ussi Ă  en ancrer leur comprĂ©hension dans leur substrat matĂ©riel biologique, c’est-Ă -dire l’ensemble des cerveaux de tous les humains en interactions complexes et dynamiques permanentes dans le monde physique. Or les outils de la complexitĂ© commencent Ă  nous le permettre. Nous allons l’illustrer dans ce livre, en nous concentrant sur un exemple particulier, celui de l’origine et de la formation d’un des piliers du langage : la parole, forme et vĂ©hicule du langage, comprise comme les systĂšmes combinatoriaux de sons partagĂ©s dans chaque communautĂ© linguistique. Pour comprendre la rĂ©volution en marche sur cette question, nous allons d’abord retracer quelques grandes lignes de son histoire.

Les origines du langage : un champ de recherche florissant

Il est une Ă©vidence qui n’a d’égal que le mystĂšre qui s’en dĂ©gage : les humains parlent. C’est leur principale activitĂ©, qui les distingue de tout le reste du rĂšgne animal. Le langage humain est un outil de communication d’une complexitĂ© inĂ©galĂ©e. Code conventionnalisĂ©, il permet Ă  un individu de faire partager aux autres ses idĂ©es, ses Ă©motions, de parler des couleurs du ciel mais aussi des paysages lointains, des Ă©vĂ©nements passĂ©s, et mĂȘme de la maniĂšre dont il imagine le futur, de thĂ©orĂšmes mathĂ©matiques, des propriĂ©tĂ©s invisibles de la matiĂšre et du langage lui-mĂȘme. En outre, chaque langue dĂ©finit un code propre Ă  ses locuteurs, c’est-Ă -dire une maniĂšre originale d’organiser les sons, les syllabes, les mots, les phrases, et d’articuler les rapports entre ces phrases et le sens qu’elles vĂ©hiculent. Environ six mille langues sont aujourd’hui parlĂ©es dans le monde, marquĂ©es par une grande diversitĂ© (HagĂšge, 2006 ; Hombert, 2009 ; Fitch, 2011). En permanence ces langues Ă©voluent (Labov, 1994 ; Hombert, 2005), certaines meurent et d’autres naissent. On Ă©value Ă  plus d’un demi-million le nombre de langues qui ont existĂ©. On a du mal Ă  imaginer une humanitĂ© sans langage. Et pourtant, il y a longtemps, les humains ne parlaient pas.
Cela pose l’une des questions les plus difficiles que la science ait Ă  rĂ©soudre : comment les humains en sont-ils venus Ă  parler ? Une seconde question la prolonge naturellement : comment les langues Ă©voluent-elles ?
Ces deux questions, celle de l’origine du langage et celle de l’évolution des langues, ont Ă©tĂ© au centre des recherches de nombreux penseurs dans les siĂšcles passĂ©s, et en particulier au XIXe siĂšcle. Elles figurent en bonne place d’ailleurs dans les rĂ©flexions de Darwin (Darwin, 1859). De nombreuses thĂ©ories furent dĂ©veloppĂ©es sans ĂȘtre contraintes ni par l’observation ni par l’expĂ©rimentation. Elles s’éloignĂšrent assez vite des raisonnements et des mĂ©thodes scientifiques, Ă  tel point que la SociĂ©tĂ© de linguistique de Paris dĂ©clara en 1866 que ces questions ne devaient plus ĂȘtre abordĂ©es dans le cadre de la science. Cela inaugura un siĂšcle d’arrĂȘt quasi total des recherches dans ce domaine.
Les avancĂ©es en neurosciences, en sciences de la cognition et en gĂ©nĂ©tique, vers la fin du XXe siĂšcle, ont remis ces questions au centre de la scĂšne scientifique. D’une part, les neurosciences modernes, en particulier grĂące aux outils d’imagerie cĂ©rĂ©brale, ainsi que les sciences de la cognition ont fait des progrĂšs immenses dans la comprĂ©hension gĂ©nĂ©rale du fonctionnement du cerveau, et en particulier sur la maniĂšre dont on acquiert le langage et comment le cerveau le traite. Cela a permis d’initier une naturalisation de l’étude du langage, c’est-Ă -dire un ancrage du systĂšme abstrait que les linguistes dĂ©crivent dans le substrat physique et biologique qui compose les ĂȘtres humains et leur environnement. En bref, les sciences naturelles se sont appropriĂ© des questions qui Ă©taient auparavant dans le domaine des sciences humaines. Ces nouveaux Ă©clairages sur le fonctionnement du langage ont ainsi fourni Ă  la recherche de ses origines des contraintes dont l’absence avait minĂ© les recherches du XIXe siĂšcle.
D’autre part, les progrĂšs de la gĂ©nĂ©tique ont braquĂ© les projecteurs sur la thĂ©orie nĂ©odarwinienne de l’évolution, en confirmant d’une part certains de ses piliers (avec par exemple la dĂ©couverte des gĂšnes, puis de certains des mĂ©canismes de variation), et d’autre part en lui permettant de tester ses prĂ©dictions, souvent avec succĂšs, grĂące au sĂ©quençage des gĂ©nomes d’animaux de diffĂ©rentes espĂšces permettant de reconstruire leurs arbres phylogĂ©nĂ©tiques (c’est-Ă -dire leur histoire Ă©volutionnaire). En particulier, le sĂ©quençage du gĂ©nome humain, ainsi que celui d’autres animaux comme les chimpanzĂ©s ou les singes, a permis de prĂ©ciser les liens entre l’homme et ses ancĂȘtres. Ainsi, sous l’impulsion d’une biologie Ă©volutionnaire vigoureuse, fournissant en mĂȘme temps un corpus impressionnant d’observations et un cadre explicatif thĂ©orique solide, la question de l’origine de l’homme s’est vue devenir une prĂ©occupation centrale de la communautĂ© scientifique. Et, tout naturellement, l’origine du langage, celui-ci Ă©tant un des traits marquants de l’homme moderne, a retrouvĂ©, comme au XIXe siĂšcle, son statut de sujet phare de la recherche.

Interdisciplinarité

Un consensus se dĂ©gage de la communautĂ© des chercheurs qui aujourd’hui s’attellent aux questions de l’origine du langage et de l’évolution des langues : la recherche doit ĂȘtre interdisciplinaire. En effet, nous avons affaire Ă  un puzzle aux ramifications immenses qui dĂ©passent les compĂ©tences de chaque domaine de recherche pris indĂ©pendamment. C’est d’abo...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Sommaire
  6. Préface
  7. Chapitre 1 - La rĂ©volution scientifique de l’auto-organisation
  8. Chapitre 2 - Structures de la parole
  9. Chapitre 3 - Auto-organisation et évolution des formes du vivant
  10. Chapitre 4 - Théories sur les origines de la parole
  11. Chapitre 5 - ÉpistĂ©mologie de la mĂ©thode de l’artificiel
  12. Chapitre 6 - Un modùle de l’auto-organisation de systùmes de vocalisations
  13. Chapitre 7 - Apprentissage des correspondances perceptuo-motrices
  14. Chapitre 8 - Origine des rĂšgles de syntaxe des sons
  15. Chapitre 9 - Des scĂ©narios nouveaux pour l’origine de la parole
  16. Chapitre 10 - Construire pour comprendre
  17. Références
  18. Index