Mange tes méduses !
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Mange tes méduses !

Réconcilier les cycles de la vie et la flèche du temps

  1. 224 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Mange tes méduses !

Réconcilier les cycles de la vie et la flèche du temps

À propos de ce livre

« Ce livre raconte une histoire simple dont le dernier acte se joue peut-être sous nos yeux : celle de la transformation de la nature. Pour les animaux et les plantes, la vie sur Terre et dans les océans est une question de reproduction suivant des cycles annuels qui ont émergé il y a des millions d'années. Or, depuis que l'homme moderne a émergé, nous sommes en expansion permanente, et nous exploitons, de manière effrénée, les ressources naturelles de la planète. Cette incompatibilité pourrait conduire à la destruction de la nature si nous ne mettons pas en place des modes d'action respectant les cycles naturels et rompant avec notre expansion aveugle. Si nous le faisons, nous aurons inventé la durabilité. Si nous ne le faisons pas, il nous faudra nous contenter de manger des méduses ! » P. C. et D. P. Deux des meilleurs spécialistes au monde des ressources naturelles démontent la mécanique infernale de la pression sur la nature exercée par l'homme, tout en proposant des solutions viables pour un futur désirable. Philippe Cury est directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et dirige le Centre de recherche méditerranéenne et tropicale à Sète. Professeur d'halieutique au Fisheries Centre de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver, Daniel Pauly est l'un des plus grands spécialistes mondiaux des ressources marines. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
Imprimer l'ISBN
9782738129123
Chapitre 1
Les cycles du vivant

« Est-ce que, par hasard, on m’aurait changée au cours de la nuit ? Réfléchissons :
étais-je identique à moi-même lorsque je me suis levée ce matin ? Je crois bien me rappeler m’être sentie un peu différente de l’Alice d’hier. Mais, si je ne suis pas la même, il faut se demander alors qui je peux bien être ? Ah, c’est là le grand problème ! »
Lewis CARROLL, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles.


Une énergie considérable est dépensée par les animaux dans l’unique but de boucler leur cycle de vie. Tortues marines, saumons, morues, requins ou oiseaux parcourent des milliers de kilomètres afin de retrouver leur lieu de naissance et de s’y reproduire. D’autres animaux, comme les méduses, entreprennent des modifications de forme et diverses transformations pour atteindre le même objectif. Des naturalistes ont dévoilé la réalité de ces comportements complexes et l’existence d’une nature aux cycles lents qui se révèle fragile malgré les apparences. Notre perception de la nature est pourtant tout autre. Nous reléguons les animaux au rang de machines destinées à satisfaire nos besoins. Entre Homo sapiens et les autres êtres vivants, l’incompréhension est grande et ce manque d’empathie est fatal à bien des espèces.
Les millions de sardines qui se regroupent en bancs dans les océans, les milliers de saumons qui remontent une rivière ou encore les centaines de tortues marines qui gravissent péniblement une plage pour se reproduire paraissent tous identiques à un observateur, si attentif soit-il. Pourtant, à l’instar des humains, chaque individu est différent. Leur vie n’est pas tout à fait identique à celle de leurs voisins ou de leurs proches, elle diffère de manière subtile ; chaque individu ne fera pas exactement la même chose que son congénère. Cependant, cette diversité nous échappe. Pour nous, un saumon est un saumon, une tortue marine est une tortue marine et un oiseau est un oiseau. Voilà la façon dont nous percevons le monde vivant, à l’aune des ressemblances. Pourtant, dans la nature, tous les saumons, toutes les tortues marines et tous les oiseaux sont différents, même s’ils appartiennent à la même espèce.
Et puis, la nature semble parfois baroque en ce qu’elle emprunte des chemins bien tortueux pour atteindre son but ultime : la reproduction. Les solutions que nous percevons comme optimales ne sont pas toujours celles qui sont privilégiées. C’est certainement la raison pour laquelle il a fallu du temps pour s’apercevoir que chaque individu possédait ses habitudes et ses préférences. Cela s’explique par la difficulté à mener des observations et à comprendre la finalité visée : il fallait donner un sens à cette diversité entre individus1. À quoi sert-elle ? Est-elle vraiment utile ? Pourquoi la nature a-t-elle créé des millions, souvent des milliards d’individus qui ne diffèrent que par d’infimes variations individuelles ? Autant de questions qui sont fondamentales, mais difficiles, tant sur le plan de l’observation que sur le plan théorique, voire philosophique. Les naturalistes ont été troublés par la multitude parfois déroutante des animaux. Étudier la diversité existant entre les individus n’a jamais vraiment été au cœur des études écologiques2 et seuls quelques naturalistes passionnés ont étudié ce mystère.
Terres et mers natales
« La migration des jeunes oiseaux au travers de larges étendues de mer et la migration du jeune saumon d’eau douce en eau salée, le retour des uns et des autres à leur lieu de naissance, ont souvent été, à juste titre, cités comme des instincts surprenants. » C’est par ces mots que commence le Carnet B de Charles Darwin. Sous ce nom de code, sont rassemblées les observations du grand naturaliste, rédigées de façon systématique afin d’alimenter ses réflexions. Lors de son voyage sur le Beagle entre 1831 et 1836, Darwin a en effet pris l’habitude de noter l’ensemble de ses observations de terrain et ses réflexions théoriques sur des carnets, quand il ne griffonne pas des pensées décousues concernant ses projets sur des petits morceaux de papier – une habitude qu’il gardera toute sa vie.
Darwin aimait le vivant sous toutes ses formes et dans toute sa complexité, toute observation ou réflexion était alors bonne à capitaliser. En tant que naturaliste attentif et méthodique, il savait que pour atteindre les sommets où demeurent les théories universelles, il faut patiemment et méthodiquement résoudre les difficultés, les unes après les autres, et ainsi accumuler les faits pour bâtir une véritable démonstration. Élaborés depuis l’année 1837, ces carnets renferment ses observations sur le comportement animal, qui auraient logiquement dû trouver leur place dans son œuvre majeure L’Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie, publiée en 18593, mais, s’apercevant que les sujets qu’il traitait étaient au cœur de questionnements essentiels, Darwin se sentit pris par le temps. Voyant qu’il ne pourrait pas valoriser l’ensemble de ses découvertes sur les comportements des animaux, il contacte alors en 1874 son collègue George John Romanes, naturaliste et psychologue britannique, pour l’encourager à développer ses recherches sur l’évolution des capacités mentales chez les animaux.
Donner une place aux animaux, comparer leurs facultés d’apprentissage et leurs instincts est un sujet qu’il vaut mieux maîtriser avant de lancer des controverses4. C’est un nouveau type de naturaliste qui voit le jour avec Darwin, non plus un homme de muséum qui n’étudierait que des animaux morts, mais un voyageur, un observateur de la nature à la découverte de connaissances permettant de comprendre son véritable fonctionnement. Pour Pascal Picq, fin connaisseur des questions darwiniennes, « parler de solidarité, d’amour, d’affection, de coopération chez les poissons, les oiseaux et les mammifères permet des comparaisons entre la nature de l’homme et des animaux qui apparaissent insupportables aux esprits de l’époque ». Il en découle inéluctablement « le risque d’enchaîner l’homme à ses instincts », ce qui semble « intolérable et outrancier, si ce n’est injurieux ».
Darwin voit dans les variations des instincts ni plus ni moins que des variations naturelles à partir desquelles la sélection va pouvoir entreprendre son œuvre, mais il compte sur son collègue Romanes qui travaille désormais sur l’intelligence animale pour explorer les variations des instincts chez les animaux. Romanes n’est cependant pas apte à relever ce défi intellectuel et, s’il publie bien après la mort de Darwin deux essais intitulés L’Évolution mentale chez les animaux, les notes de Darwin sur « l’instinct » ne forment guère plus que des annexes. Romanes n’est pas à même d’élaborer une théorie sur la notion d’instinct5.
« Comment un oiseau (migrateur) délicat et de petite taille, venant d’Afrique et d’Espagne après avoir traversé la mer, retrouve-t-il la même haie au milieu de l’Angleterre, où il a fait son nid à la saison précédente ? Voilà qui est réellement merveilleux », note Darwin, qui ne cesse de s’éblouir des habitudes des animaux. Cet « instinct naturel » pousse non seulement les oiseaux migrateurs au retour, mais également des poissons tels que les saumons. Darwin observe à leur propos que « le saumon migrateur échoue souvent aussi dans la recherche de sa propre rivière d’origine ».
Les quelques faits relatés dans le Carnet B et le programme darwinien de recherche qui en découle sur nos comportements ont réellement débuté il y a un demi-siècle à peine avec l’éthologie, ou étude du comportement animal. L’instinct prend alors un sens profond, celui d’un legs ancestral, un programme génétique, comportemental et cognitif, fruit de notre histoire évolutive. La nature ne parlant pas, il faut en réalité suivre des individus sur l’ensemble de leur cycle de vie pour s’apercevoir que chacun d’eux possède ses propres solutions de survie. Rien d’optimal à cela, seulement la valorisation d’une expérience individuelle héritée des générations précédentes. La réalité de ce cycle de vie, qui intriguait tant Darwin, a depuis été dévoilée pour des espèces comme les tortues marines, les saumons, les oiseaux (voir figure 1), les requins ou encore les morues, par des naturalistes amoureux de la nature, qui ont pris le temps de l’observer.
Les tortues marines d’Archie Carr
La Fontaine nous avait mis en garde, il ne faut en aucun cas sous-estimer la lenteur. Dans sa célèbre fable « Le lièvre et la tortue », il nous prévient : la persévérance, associée à la lenteur, peut être une très grande qualité qui en surpasse bien d’autres. La lenteur est perçue comme péjorative ; on peut lire dans divers dictionnaires les connotations négatives suivantes : « manque de rapidité dans le mouvement et dans l’action » ou bien caractéristique de ce qui se fait « difficilement et avec peine ». Les tortues, qu’elles soient marines ou terrestres, partagent ce grand défaut, ou cette grande qualité : la lenteur6. Alors que la physionomie des tortues marines est restée inchangée pendant quelque 200 millions d’années, la vie se développait sur Terre et les dinosaures disparaissaient. Une telle longévité vaut la peine de s’y arrêter. Cependant, comprendre ce modèle de persistance n’a pas toujours été un sujet d’émerveillement. Avant d’être un sujet d’étude, notamment auprès des conservationnistes, les tortues ont été un sujet de surprise, voire de frayeur.
« La tortue poussait d’horribles cris quand on lui cassa la tête à coups de crochets de fer ; ses hurlements auraient pu être entendus à un quart de lieue ; et sa gueule, écumant de rage, exhalait une vapeur très puante. » Ainsi témoigne M. de la Font, ingénieur en chef à Nantes, à propos d’une prise peu ordinaire en ce 4 août 1729 au nord de l’estuaire de la Loire : un « poisson » long de 2,3 mètres que les érudits identifièrent comme étant une tortue luth7. Un peu plus tard, le 25 octobre 1752, les pêcheurs de Dieppe, à la recherche de hareng, prennent dans leur filet une « beste monstrueuse », un « poisson extraordinaire. » Saisis de frayeur, ils parviennent à attacher l’animal pour le ramener vivant au port. Long de 2,15 mètres et pesant 416 kg, l’animal attire une foule de curieux. Vingt-quatre heures après sa capture, la tortue est achetée 50 écus par le pourvoyeur de la Reine qui la fait envoyer sur-le-champ à la Cour alors à Fontainebleau, afin d’être servie à la table royale8.
Les tortues ont toujours attiré l’attention. La carapace qui les recouvre est tellement caractéristique de ces animaux que ceux-ci ne passent pas inaperçus. Pline l’Ancien, naturaliste romain et auteur d’une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle, connaissait la différence entre les tortues terrestres, marines, et les tortues d’eau douce. Il fut le premier à décrire la biologie des tortues marines9 : « La tortue n’a pas de dents ; mais les bords de la bouche sont tranchants, la mâchoire supérieure se fermant sur l’inférieure comme le couvercle d’une boîte. Dans la mer, elle vit de coquillages et a les mâchoires d’une telle dureté, qu’elle brise des pierres ; à terre, elle vit d’herbes. Elle pond des œufs semblables à ceux des oiseaux, au nombre de cent ; elle les enfouit hors de l’eau, les recouvre de terre, foule et aplanit la place avec la poitrine, et les couve pendant la nuit. Les œufs éclosent au bout d’un an. Quelques-uns pensent que les tortues couvent leurs œufs des yeux, et en les regardant. » Il a fallu attendre plusieurs siècles avant de comprendre la biologie et l’écologie de ces animaux énigmatiques qui disparaissent en mer pendant des dizaines d’années avant de revenir pondre sur les plages.
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Figure 1. Pour chaque espèce d’animaux de grande taille étudiés, les biologistes ont constaté une tendance des adultes à entreprendre des migrations de reproduction de grande ampleur pour revenir à l’endroit où ils étaient nés, bouclant ainsi leur cycle de vie. Cette « obstination » a un sens : l’endroit en question est sans aucun doute favorable à la reproduction de certains membres de leur espèce (= eux-mêmes) et, par conséquent, ils n’ont pas besoin de courir le risque de supporter le coût de la recherche d’un endroit alternatif pour se reproduire, endroit qui se révélerait la plupart du temps défavorable, voire catastrophique pour leur survie. La nature n’a de cesse de conserver ces solutions de vie, chèrement acquises, au prix d’efforts considérables en terme énergétique (voir texte et aussi Cury, 1994).
Dans un livre publié en 1878 et intitulé Les Grandes Pêcheries du monde, son auteur mentionne des captures de tortues marines venant se reproduire à la pleine lune ; elles sont prélevées par les autochtones qui en mangent les œufs et la chair, puis récupèrent leurs écailles pour les ornements. Sir Emerson Tennent, voyageur irlandais, indique que, d’après les populations locales, les tortues marines retournent d’une année sur l’autre au même endroit pour pondre, ce qui facilite leur capture. En 1826, il mentionne qu’une de ces tortues à écailles ou carette (dénomination locale propre à l’île de la Réunion et aux Antilles) a été récupérée sur une plage (« Hambungtotte ») et qu’il a trouvé sur une de ses pattes une marque faite trente ans auparavant par un officier danois afin de prouver que les tortues retournaient sur les mêmes plages pour pondre. Il a fallu attendre de nombreuses années pour que les chercheurs puissent démontrer la validité de cette observation établissant le « retour au bercail » des tortues marines10.
Aux États-Unis, l’herpétologie, l’étude des reptiles et des amphibiens, a un riche passé. Les grands explorateurs des XVIIIe et XIXe siècles, comme John James Audubon ou encore William Bertram, collectaient des reptiles lors de leurs longues explorations naturalistes en Amérique du Nord. Les dessins de l’époque représentent les alligators comme des monstres sortant des eaux avec des poissons dans leurs puissantes mâchoires. Il faut attendre le travail de Louis Agassiz (1807-1873), un émigré suisse, qui enseigna la zoologie à Harvard, pour que se développent les connaissances sur les reptiles américains. Plus tard, au début du XXe siècle, le professeur Theodore Hubbell comprit que les travaux réalisés jusqu’à présent sur la faune de Floride étaient incomplets et que le développement économique passait par une meilleure connaissance des ressources naturelles. Il recruta plusieurs jeunes étudiants qui « aimaient la Floride et qui étaient passionnés par les études de terrain ». Armé de bras et de motivation, le nouveau département de zoologie du professeur Hubbell prit tout son essor et cette armée d’esprits passionnés, pas toujours disciplinés, entreprit la collecte des reptiles présents en Floride.
Avec un acharnement digne des tortues, Archie Carr, l’un des premiers étudiants de ce groupe à obtenir sa thèse de doctorat en 1937, étudia tout au long de sa vie les tortues marines11. Les raisons de cette passion remontent à son enfance. Archie Carr avait hérité de son père, chasseur et pêcheur avisé, l’amour de la nature12. Quand il était jeune, il passait déjà ses journées entières dans une maison de vacances dans l’État de Géorgie pour capturer les tortues qui remontaient le fleuve à la recherche d’huîtres et d’autres nourritures. Il se souvenait particulièrement d’une tortue géante, qui pesait plus de 500 livres et qu’il avait vue durant six années consécutives. Il avait pu l’identifier, car, outre sa taille, elle avait comme signe distinctif des balanes au-dessus de l’œil droit, qui avaient élu domicile sur sa carapace.
En fait, Carr avait une fascination pour tous les animaux qui semblaient se jouer du temps. Devenu adulte, lors de ses missions de terrain en Amérique centrale, il s’asseyait et passait de très longues heures à l’abri du soleil à contempler les caméléons et les paresseux. Il étudiait les implications culturelles et évolutives de leurs comportements et de la lenteur animale. Selon une anecdote, après cinq journées d’attention soutenue durant lesquelles il scruta les faibles déplacements de ces animaux, il s’apprêtait enfin à suivre un événement majeur, celui d’un accouplement entre deux paresseux, lorsqu’un enfant vint lui signifier qu’il fallait reprendre le voyage : l’avion était réparé et l’équipage l’attendait. Ce fut là une grande frustration. Cinq jours d’attente et moins d’un demi-mètre séparaient les deux paresseux qui s’apprêtaient à s’accoupler, mais il fallait repartir étudier les migrations des tortues marines.
Archie Carr avait une fierté scientifique avouée, celle d’avoir été le premier à marquer les tortues marines et à avoir proposé cinq dollars pour chaque marque récupérée. Les premières méthodes pour suivre les migrations des tortues marines relevaient d’une technologie rudimentaire. Dans les années 1960, Carr et ses collègues avaient mené leurs premières expérimentations de marquage en gonflant à l’hélium de gros ballons aux couleurs vives, pour faciliter leur repérage, et en les attachant sur les carapaces des tortues marines. Une photo prise par son épouse Mimi nous remémore cette période pionnière où l’on voit Carr sur la plage entouré de ballons multicolores tirés péniblement par des tortues marines essayant de se dégager de cette emprise. Les résultats se révélèrent catastrophiques et sans intérêt, aux dires mêmes de Carr, qui se tourna vite vers d’autres techniques plus efficaces. Les méthodes évoluèrent rapidement et les ballons furent remplacés par de petites marques qu’il pouvait suivre par radio. L’application de la télémétrie, qui utilise des éléments optiques, acoustiques ou radioélectriques, permit de suivre les déplacements individuels des tortues à distance. Carr fut alors convaincu qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour l’étude des migrations des tortues et pour déterminer la façon dont elles trouvaient leur chemin depuis les zones d’alimentation vers les zones de reproduction.
Archie Carr aimait les tortues. Il consacra sa vie à les étudier, mais il aimait également les peuples qui les exploitaient, aux Caraïbes notamment. Il aimait la vie sous toutes ses formes, sans jugement de valeur. Ses livres renferment de multiples descriptions de lieux et de coutumes nous plongeant dans l’atmosphère des Caraïbes. Il s’intéressait aux mythes sur la nature et à toutes sortes d’histoires que racontent les gens sur les animaux. Il passait des heures entières à discuter et à mener ses enquêtes auprès des pêcheurs de tortues, des braconniers, mai...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Sommaire
  6. Avant-propos
  7. Chapitre 1 - Les cycles du vivant
  8. Chapitre 2 - L’homme et sa flèche du temps
  9. Chapitre 3 - Réconciliation darwinienne
  10. Notes
  11. Références bibliographiques
  12. Remerciements