
- 288 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Quand l’histoire nous prend par les sentiments
À propos de ce livre
Il ne faut pas avoir peur des émotions collectives, ces formidables moteurs de l'histoire. Avec un véritable talent de conteurs, Anthony Rowley et Fabrice d'Almeida font revivre les grands événements à travers le vécu des contemporains, les puissants et les dirigeants, mais aussi les humbles et les anonymes. De la panique à Pompéi à l'hébétude du 11 septembre 2001, de la fièvre de la ruée vers l'or à l'angoisse des Londoniens secoués par les crimes de Jack l'Éventreur, de l'enthousiasme au moment de la chute du mur de Berlin à l'espoir suscité par l'élection de Barack Obama en 2008, voici vingt histoires de l'histoire qui rendent aux sentiments leur juste place. Grâce à cette approche inédite, une image réaliste et savoureuse du passé surgit. Elle révèle la fabrique des sentiments collectifs, ce mécanisme par lequel les sociétés traversent les grandes mutations, les crises et les guerres, les révolutions scientifiques et les changements dans les mœurs. Longtemps historien à Sciences Po Paris, Anthony Rowley a publié de nombreux ouvrages, notamment sur la gastronomie, comme Une histoire mondiale de la table. Fabrice d'Almeida, professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris-II), est spécialiste de la propagande et du nazisme. Son dernier ouvrage paru est Ressources inhumaines. Les gardiens des camps de concentration et leurs loisirs. Ensemble, ils ont précédemment signé Et si on refaisait l'histoire ?.
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Informations
Chapitre 1
Le chagrin
Les premiers morts de la guerre du Péloponnèse. Hiver 431 av. J.-C.
À l’hiver 431, la guerre entre Athènes et Sparte se poursuivait. Elle durait maintenant depuis un an et le bilan des opérations militaires était mitigé. Sur terre, l’armée athénienne s’était organisée. Le corps des hoplites, ces fantassins dotés d’une lourde armure et d’un bouclier, avait été mobilisé dans son entier. S’y ajoutaient des contingents à l’arme plus légère et une cavalerie susceptible d’être déplacée par une puissante flotte rayonnant dans toute la Méditerranée orientale. Les Spartiates et leurs alliés du Péloponnèse étaient plus puissants encore et mieux aguerris dans les combats au sol. Ils avaient traversé la Grèce et envahi l’Attique, contraignant la population d’Athènes à trouver refuge au sein des longs murs d’une vaste enceinte qui protégeait la ville. Les Athéniens avaient cependant rendu coup pour coup grâce à des opérations maritimes. Leur corps expéditionnaire avait parfaitement rempli ses fonctions et permis d’accroître encore le rayonnement de l’empire colonial athénien. L’ennemi s’était retiré, mais tout cela avait eu un prix. Et, comme le voulait la coutume, la cité devait un hommage aux guerriers tombés lors de cette première année de combats. Si les morts de la bataille de Marathon en 490 avaient exceptionnellement été enterrés sur place au lendemain de la formidable victoire contre les Perses, les restes des guerriers seraient rapatriés et enterrés sous le monument consacrant leur dévouement.
L’adieu aux morts
Chaque famille a perdu des enfants, des maris et des pères. Toutes subissent cette douleur particulière de la séparation d’avec un être cher et ressentent la confusion entre la fierté de voir leur nom honoré par un brave et le sentiment irrémédiable de la perte d’un membre du lignage. Dans chaque maison endeuillée, les proches accomplissent une première série de rituels, malgré le chagrin. Traditionnellement, il revient aux parents de préparer les dépouilles. Les femmes lavent le corps et l’enduisent parfois d’huile parfumée. Puis, elles le placent sur un lit, la tête droite et le menton calé. Il faut l’habiller, souvent d’une tunique blanche ou bleue. Aucun mort n’est revêtu d’habits trop luxueux, car la loi interdit de mettre plus de trois vêtements sur un défunt. Il est possible qu’à l’occasion de la cérémonie de 431, les femmes n’aient pas eu cette tâche à effectuer et que, les dépouilles ayant été incinérées, les familles n’aient reçu que les os des disparus, pour les pleurer. Dans de telles circonstances, le chagrin individuel est partagé par un si grand nombre de lignages qu’il devient sentiment collectif. Pour paraphraser le tragédien contemporain Sophocle, le deuil, ce « malheur domestique », engage aussi la vie publique quand des citoyens sont morts pour la défense.
Après les soins aux restes, le rite funéraire déploie sa dimension publique. Les premiers morts de la guerre du Péloponnèse sont placés dans une tente, au centre de la ville, sur l’agora. Là, pendant trois jours, veillées vingt-quatre heures sur vingt-quatre, leurs dépouilles sont présentées au regard de tous les citoyens et alliés de la cité. Les proches apportent des offrandes et entament souvent un jeûne. Emportés par leur tristesse, ils ne mangent rien avant les funérailles proprement dites. Ils doivent manifester leur douleur, mais avec une certaine réserve. Ainsi, depuis le législateur Solon, un siècle et demi auparavant, il est interdit de s’infliger des blessures corporelles pour afficher sa tristesse. Quelques femmes s’arrachent les cheveux, mais la plupart les coupent simplement.
Cette cérémonie de présentation du défunt s’achève par l’organisation du cortège funèbre. Avant de partir, les restes sont placés par la famille dans des cercueils collectifs. Il en existe dix – chacun correspondant à une des tribus mythiques ayant fondé la cité –, spécialement fabriqués en cyprès, symbole d’immortalité, car ce bois est réputé imputrescible. Une fois qu’ils sont posés sur des chars, la procession ne s’organise pas au hasard. Outre les familles, c’est pratiquement toute l’armée athénienne qui accompagne les morts, selon un ordre régi par l’appartenance à une tribu, le grade et le quartier. Un char couvert de blanc a même été prévu pour représenter les combattants disparus, ceux dont les dépouilles n’ont pas été retrouvées ou parfois mal identifiées sur les champs de bataille, plus souvent perdues en mer lors des combats de la puissante flotte athénienne.
En quittant l’agora, le cortège se dirige vers la porte Dipylon. Il sort de la cité proprement dite et emprunte la route de l’Académie. Il passe bientôt au milieu du cimetière appelé le Céramique, dans le quartier des potiers. Les tombes familiales et les monuments privés de quelques riches personnages sont les premières à retenir le regard. Puis, au centre, les marcheurs parviennent devant un grand monument sous lequel chaque année, lors d’une célébration comparable à notre 11 Novembre, sont enfouis les nouveaux morts pour la patrie. Près de la sépulture, les femmes entament la litanie des pleurs et laissent libre cours à leur peine. Au terme de la loi, elles ne doivent se lamenter que pour le défunt justifiant leur présence, afin d’éviter tout scandale ou excès. Puis, après un moment, dans un silence qui s’épaissit, le chef de la cité, Périclès, monte sur une tribune dressée pour l’occasion.
Le premier des derniers hommages
Périclès à ce moment est âgé de 64 ans. Il porte une barbe noble. Son crâne allongé qui lui a valu le surnom de « tête d’oignon » est casqué, car il parle en tant que stratège. Depuis trente ans, il préside aux destinées de la cité. Sa vie privée est pratiquement sur la place publique. Il a eu une première femme, Dinomaque, mère de ses deux fils Xanthippe et Paralos. Puis, il s’est séparé d’elle et s’est installé dans une relation amoureuse avec Aspasia, une étrangère, originaire de Milet, tantôt accusée d’être tenancière de bordel et courtisane, tantôt louée, y compris par Socrate, pour ses qualités intellectuelles. Avec elle, Périclès a eu un fils qui porte son nom. Comme dirigeant politique, Périclès a conduit des expéditions et tracé les grandes lignes de la politique extérieure en même temps qu’il a pris des décisions déterminantes pour le fonctionnement de la démocratie. Il a systématiquement privilégié le parti populaire, même s’il lui est parfois arrivé de faire alliance avec le parti aristocratique.
En ce jour de deuil, sa parole ne saurait être partisane. Elle doit résonner dans l’esprit de tous les citoyens et les aider à dépasser leur tristesse personnelle. Dans le public, outre les combattants accompagnant leurs frères d’armes, les familles et les amis des défunts, se trouvent des soldats étrangers alliés des Athéniens. Ils composent les troupes aux armes légères, les archers, dont le rôle est essentiel avant l’assaut. Ses quelques milliers d’auditeurs comptent aussi des commerçants étrangers protégés par la cité et vivant depuis parfois plusieurs générations sur le territoire. Ils porteront au loin les paroles de propagande, presque les mots d’ordre de l’orateur.
Périclès a l’habitude des prises de parole et son éloquence est célèbre. Tout jeune, il a eu l’occasion de briller en présentant Les Perses, la pièce d’Eschyle, aux Grandes Dionysies de 472, l’un des plus importants festivals de théâtre du monde grec. Et durant sa carrière, tant pour ses élections que lors de procès, il s’est exprimé devant de très grandes assemblées. Il sait parler, il sait séduire.
Son epitaphios, l’oraison funèbre, de 431 est la plus ancienne qui nous soit parvenue. Périclès a ainsi affirmé durablement un genre à travers lequel la consolation est sublimée dans l’exaltation des vertus civiques et la défense d’un régime politique. Le deuil public prend avec ce discours tout son sens : non seulement hommage aux morts, mais réaffirmation et actualisation de ce qu’est la citoyenneté. L’oraison commence par revendiquer l’inscription dans la tradition. « La plupart de ceux, dit Périclès, qui ont pris la parole ici avant moi ont loué le législateur d’avoir ajouté aux funérailles prévues par la loi l’oraison funèbre en l’honneur des guerriers morts à la guerre. Pour moi, j’eusse volontiers pensé qu’à des hommes dont la vaillance s’est manifestée par des faits, il suffisait que fussent rendus, par des faits également, des honneurs tels que ceux que la république leur a accordés sous vos yeux ; et que les vertus de tant de guerriers ne dussent pas être exposées, par l’habileté plus ou moins grande d’un orateur, à trouver plus ou moins de créance. »
Bien sûr, son propos fait plus loin un long éloge d’Athènes, mais le stratège s’en sert pour souligner la valeur des disparus, prêts à tout sacrifier pour leur patrie. Car, dans cette cité, les riches ont fait leur devoir et les pauvres ont préféré servir plutôt que de chercher la fortune. Les institutions et les vertus d’Athènes expliquent le zèle de ses citoyens. Périclès se fait consolateur quand il souligne la gloire de ces morts auxquels les guerriers actuels, frères et fils, devront se confronter pour tenter d’arriver « non pas à leur hauteur, mais juste en dessous ». Il mélange ainsi différents registres affectifs, en titillant la fierté de son auditoire, son esprit de responsabilité, son désir de vengeance, car la guerre n’est pas vraiment achevée, et même son sens de la gratitude. Au passage, il a exalté sa ville comme la plus enviable de toute la Grèce, par la pensée, l’action, l’opulence, la générosité et la puissance. Il rappelle aux veuves et aux enfants des disparus que la cité les soutiendra matériellement jusqu’à l’adolescence, avant d’achever : « Maintenant, après avoir versé des pleurs sur ceux que vous avez perdus, retirez-vous. » Sur le monument dont il s’éloigne, le nom de tous les morts a été gravé. Ils connaîtront ainsi une gloire éternelle.
Les familles ont lentement quitté le cimetière, les femmes les premières, suivant la loi. La cité veut éviter que le débordement des affects ne se prolonge trop longtemps, or, pour les anciens, la féminité incarne la sentimentalité. Certains parents ont apporté des libations qu’ils partagent avec leur entourage : eau, lait, miel et même vin. Ensuite, ils ont regagné leurs demeures pour offrir un banquet au disparu, accompagné du sacrifice d’animaux. À cette occasion, les proches qui ont respecté un jeûne le rompent. Plusieurs banquets seront donnés dans le mois qui suit. Progressivement, la parole s’y libère et les conversations reprennent un caractère moins troublé, à mesure que l’absence du défunt se fait moins douloureuse.
La durée du deuil personnel est d’ailleurs officiellement réglementée, car elle suppose un éloignement des activités civiques et du temple. Pour les hommes, elle était fixée à un mois. Ensuite, ils reprenaient leur place dans la vie publique. Selon la proximité avec les morts, la durée pouvait être prolongée. La précision des lois prouve le souci des cités de contrôler les comportements et, au-delà, de maîtriser l’expression des sentiments, à la fois pour simplifier la vie ensemble et pour respecter les cultes. C’est le magistrat responsable des femmes, élu par le peuple, le gynéconome, qui est chargé de surveiller que les cérémonies et le deuil sont conformes au droit. Cela peut surprendre, mais, dans la conception athénienne, le sanctuaire de la Mère, le Métrôon, est celui où sont conservées les archives de la cité. La féminité entretient donc une relation étroite avec la mémoire. Le féminin porte la vie et exorcise la mort autant que les discours sur la gloire des combattants. La portée religieuse du gynéconome est réelle. Il peut attirer la malédiction sur ceux qui ne respectent pas les prescriptions vestimentaires ou les rites funéraires. Tous les deuils, civils comme militaires, possèdent ainsi une dimension sociale.
La démarche du deuil
La cité au début de l’année 430 poursuit la guerre contre Sparte et les premières victimes sont tout juste enterrées que les opérations se précipitent. Les Spartiates et leurs alliés acculent Athènes en envahissant la campagne alentour et en tenant toute l’Attique, comme ils l’avaient fait l’année précédente. Pour Périclès, cette situation n’est que provisoire. Reprenant le plan exécuté avec succès un an plus tôt, il ordonne le repli des campagnards à l’abri des longs murs. L’ennemi ne pourra tenir longtemps, car il est loin de ses bases et, en se retirant, les Athéniens ont laissé un pays vide de nourriture. Techniquement, le siège ne durera pas. Or une terrible épidémie survient. Les symptômes de ce que l’on a appelé la peste d’Athènes, sans que la nature de la maladie soit certaine, sont visibles sur tout le corps et la mort est généralement rapide. Curieusement, elle épargne le Péloponnèse.
Malgré la situation, Périclès a fait armer une flotte de cent vaisseaux. Avec ses alliés, il a rassemblé une armée et l’a lancée sur l’arrière de ses ennemis. L’objectif est de ravager et de piller les bases arrière adverses. Ainsi, les Spartiates regretteront de s’être éloignés et les Athéniens compenseront les pertes occasionnées par l’invasion de leur territoire. La marine revient victorieuse, au mois de juin, non sans avoir rencontré la résistance de quelques cités. Malheureusement, durant l’été, une nouvelle poussée de l’épidémie fait de très nombreuses victimes à Athènes. Le drame est renforcé par l’échec de l’envoi d’un corps expéditionnaire en Thrace. Les troupes contaminées ont diffusé sur place la maladie et, des quatre mille hoplites partis, plus de mille meurent sans combattre.
Dans la ville même, la densité de la population a sans doute favorisé la diffusion des miasmes. Entre un tiers et un quart de la population périt dans cette catastrophe. À bout de résistance, les survivants accusent Périclès d’être à l’origine de tous les maux. N’a-t-il pas voulu la guerre ? N’est-il pas responsable de la concentration derrière les longs murs de tant de personnes démunies et, donc, de la dégradation des conditions de vie ? Acculé par les critiques, le stratège convoque l’assemblée des citoyens, pour se défendre. Ses auditeurs sont en colère et bouleversés par la succession des deuils. Son propos consiste donc à les appeler à dépasser leurs situations individuelles pour repenser l’action collective. Il les exhorte à défendre la cité, d’autant plus que le péril est grand. Provisoirement, il triomphe. Pourtant, il est bientôt écarté du pouvoir, victime d’une accusation fausse de détournement de fonds.
Lui-même n’a plus guère l’énergie de se défendre car il a perdu dans l’épidémie ses deux fils légitimes, Xanthippe et Paralos. Il endosse un deuil et n’en sort qu’avec réticence quand les citoyens le rappellent en demandant son pardon. Quelques mois, il gouverne et demande la légitimation du fils qu’il a eu avec Aspasia, Périclès le jeune. Ce faisant, il va à l’encontre d’une loi qu’il a lui-même fait adopter en 451 pour exclure du vote dans les assemblées les enfants d’un seul parent athénien.
À l’automne 429, Périclès tombe malade à son tour. Dans son cas, les symptômes progressent lentement et lui laissent le temps de recevoir quelques amis. Comme beaucoup de Grecs, il a ainsi le temps de penser à sa mort. Croit-il vraiment finir sous terre, dans les enfers, au royaume d’Hadès ? Pense-t-il son âme immortelle ? Si l’histoire ne dit pas vraiment comment sa maîtresse Aspasia l’accompagna au dernier moment de son agonie, elle éclaire mieux l’attitude dévote des hommes qui l’entourent.
Devant ses proches qui discutent de ses mérites, le mourant feint de dormir. Fiers de lui, ils énumèrent les neuf monuments érigés pour ses victoires. Périclès, sortant de son songe, les dément : « Je suis surpris de vous entendre louer et rappeler ces actions auxquelles la fortune a sa part et que beaucoup de généraux ont accomplies avant moi, tandis que vous ne mentionnez pas ce qu’il y a de plus beau et de plus grand dans ma vie, c’est qu’aucun des Athéniens, autant qu’ils sont, n’a pris le deuil par ma faute. » Ainsi, sa fierté était de n’avoir condamné à mort aucun de ses adversaires politiques, signe de la vitalité de la démocratie athénienne.
Porté en terre par ses amis et sa compagne, Périclès survit dans les mémoires. Son souvenir irrigue le parti démocratique. Aspasia devient même la femme de Lysicles, son nouveau responsable, qu’elle soutient dans sa marche au pouvoir l’année suivante. Pourtant, le deuil collectif en l’honneur de Périclès ne s’est pas éteint en un jour. L’écho de ses qualités s’est transmis dans la longue durée. Préservée au fil des âges, son oraison funèbre nous montre comment un orateur peut faire d’un moment de désespoir personnel la source d’une démarche collective. Elle fait partie de ces discours qui prennent les citoyens par les sentiments pour les amener à la grandeur de la raison.
Chapitre 2
La panique
À Pompéi, 79 ap. J.-C.
Pan, décidément, n’était pas mort. À la fin du Ier siècle de notre ère, ses temples et ses montagnes sacrées continuaient d’être des lieux de pèlerinage. Sa figure et ses statues ornaient les cités romaines et son mythe était connu de chacun, toujours raconté aux enfants. À Pompéi, une remarquable statue de marbre le représente, l’air coquin, en train d’apprendre les secrets de sa séduction au berger Daphnis. Pan, le dieu aux pieds de bouc, sait faire plaisir et combler ses protégés, car il est le maître de la nature. Et il sait aussi, parfois, quand ses sabots frappent violemment le sol et que résonne le terrible sifflement de sa flûte, semer le désordre, la peur, une frayeur si forte que les hommes éperdus fuient devant lui, perdant la tête et bientôt la vie : la panique.
Or, en l’an 79, près du Vésuve, ce n’est pas le tambour de guerre de Pan qui s’anime. C’est le bruit sourd du sol, la rumeur du magma qui s’agite, de la terre qui craque. Son pas fait trembler les constructions, réveillant l’inquiétude des habitants des cités de Pompéi, d’Herculanum, de Stabia et de Boscoreale. Tout a commencé imperceptiblement mais, depuis quelques semaines, les secousses se multiplient. Elles endommagent les instruments de travail des artisans ; le boulanger d’Herculanum doit réparer ses meules et son pétrin ; en attendant que le mortier sèche, il travaille au ralenti. Il semble que la distribution d’eau soit défectueuse dans plusieurs villes, car l’aqueduc impérial serait fissuré. Les toitures et les murs ont souffert ; des maisons se sont même effondrées. Les bâtiments officiels, les temples et le forum ont pu être réparés, mais les traces sont encore sensibles dans plusieurs secteurs de la ville. Voilà qui rappelle le séisme de 62 alors que, déjà, de nouvelles lézardes apparaissent, prélude à un choc inédit.
Du jamais vu sur la baie de Naples
Pline le Jeune, le seul témoin direct qui ait laissé un témoignage de l’éruption, se trouve de l’autre côté de la baie de Naples, à Misène. Le 24 août 79, à 10 heures du matin, écrit-il, une gigantesque colonne de fumée commence à s’élever dans le ciel. Le cratère du Vésuve explose, projetant vers le ciel son dôme et libérant le magma sous pression. Bientôt, la nuée prend la forme d’un pin, immense tronc, surmonté d’un parasol de fumées incliné vers le sud. Les volca...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Sommaire
- Avertissement
- Introduction
- Chapitre 1 - Le chagrin - Les premiers morts de la guerre du Péloponnèse. Hiver 431 av. J.-C.
- Chapitre 2 - La panique - À Pompéi, 79 ap. J.-C.
- Chapitre 3 - L’amour - Le choix de sainte Agnès 303 ap. J.-C
- Chapitre 4 - La hantise - La peste noire 1348
- Chapitre 5 - La béatitude - Le banquet du pape Léon X 13 septembre 1513
- Chapitre 6 - La compassion - La ratification de l’édit de Nemours 18 juillet 1585
- Chapitre 7 - L’effroi - La terre tremble à Lisbonne 1er novembre 1755
- Chapitre 8 - La (grande) peur - L’été 1789 en France
- Chapitre 9 - L’excitation - La bataille d’Hernani 25 février 1830
- Chapitre 10 - La fièvre - La ruée vers l’or 1848
- Chapitre 11 - L’angoisse - Jack l’Éventreur terrorise Londres 1888
- Chapitre 12 - La joie - L’été 1914
- Chapitre 13 - La honte - Le traité de Versailles 28 juin 1919
- Chapitre 14 - Le dégoût - Les scandales financiers des années 1930
- Chapitre 15 - La nostalgie - L’Algérie au cœur 1962-2012
- Chapitre 16 - La tristesse - L’assassinat de John F. Kennedy 22 novembre 1963
- Chapitre 17 - L’émerveillement - Le premier homme sur la Lune 21 juillet 1969
- Chapitre 18 - L’enthousiasme - La chute du mur de Berlin 9 novembre 1989
- Chapitre 19 - L’hébétude - Les attentats du 11 septembre 2001
- Chapitre 20 - L’espoir - L’élection de Barack Obama 4 novembre 2008
- Conclusion
- Notice bibliographique
- Remerciements
- Des mêmes auteurs chez Odile Jacob