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Le Choc des capitalismes
Comment nous avons été dépossédés de notre génie entrepreneurial et comment le réinventer
- 288 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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Le Choc des capitalismes
Comment nous avons été dépossédés de notre génie entrepreneurial et comment le réinventer
Ă propos de ce livre
Ce livre part d'un constat simple : nĂ© en Occident, le capitalisme entrepreneurial a changĂ© de camp. Aujourd'hui, les crĂ©ateurs d'entreprises et les capitaines d'industrie visionnaires ne se trouvent plus aux Ătats-Unis ni en Europe, mais en Inde, en Chine ou au BrĂ©sil. Les patrons occidentaux se sont transformĂ©s en producteurs de rĂ©sultats trimestriels asservis Ă un actionnariat financier Ă©vanescent. En perdant le lien Ă©motionnel entre l'actionnaire et l'entreprise, notre capitalisme se suicide Ă grande vitesse. L'Occident est-il donc condamnĂ© Ă perdre la partie face aux puissances Ă©mergentes ? Pourquoi ne serions-nous pas capables de retrouver le « mode d'emploi » de la croissance ?  Dressant un rĂ©quisitoire sans concession des mondes de la finance et de l'entreprise qu'il connaĂźt intimement, Ă l'Ouest comme Ă l'Est, Daniel Pinto propose des solutions originales pour redynamiser le capitalisme et retrouver l'Ă©quation magique Ătat-entrepreneurs-marchĂ© qui en avait fait le succĂšs. Daniel Pinto est cofondateur et P-DG de Stanhope Capital, l'un des principaux groupes indĂ©pendants de gestion d'actifs et de conseil en Europe. Il a Ă©galement fondĂ© New City Initiative, un think tank visant Ă remettre la finance au service de l'Ă©conomie. DiplĂŽmĂ© de Sciences-Po et de la Harvard Business School, il siĂšge aux conseils d'administration et comitĂ©s d'investissements de plusieurs sociĂ©tĂ©s Ă travers le monde.Â
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Informations
DeuxiĂšme partie
Leurs conquĂȘtes, nos recettes :
comment les puissances
émergentes se sont approprié
notre capitalisme
comment les puissances
émergentes se sont approprié
notre capitalisme
Chapitre 1
Puissances émergentes :
la mĂ©canique de la conquĂȘte
la mĂ©canique de la conquĂȘte
Deux modĂšles de conquĂȘte, un seul horizon
Pendant que nos politiques promettent tardivement de la sueur et des larmes Ă des populations qui prĂ©fĂšrent entendre parler de lendemains qui chantent, que les dirigeants de nos grands groupes agissent en gardiens du statu quo alors quâil y a pĂ©ril en la demeure et que nos financiers continuent de sâagiter, les puissances Ă©mergentes poursuivent leur marche inexorable. Ă notre capitalisme spontanĂ© basĂ© sur lâespoir que la main invisible nous amĂšnera toujours in fine la prospĂ©ritĂ© collective, ces puissances Ă©mergentes opposent un capitalisme prĂ©mĂ©ditĂ© ne laissant rien ou pas grand-chose au hasard. Tandis que le capitalisme spontanĂ© agit dans lâinstant, le capitalisme prĂ©mĂ©ditĂ© planifie et reste entre les mains dâacteurs Ă©conomiques capables de prendre des risques financiers considĂ©rables pour aboutir Ă leurs fins.
Deux modĂšles sont au cĆur du succĂšs des puissances Ă©mergentes aujourdâhui : le capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial et le capitalisme familial. Le premier, basĂ© sur une coopĂ©ration Ă©troite entre lâĂtat, pierre angulaire du systĂšme, et les entreprises publiques ou privĂ©es, a permis Ă la Chine et Ă la Russie de devenir des moteurs de la croissance mondiale et des puissances incontournables sur lâĂ©chiquier gĂ©opolitique. Ces deux pays ont chacun adoptĂ© leur propre version de ce capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial, mettant plus ou moins dâemphase sur le rĂŽle de lâĂtat. La Chine a optĂ© pour une ouverture graduelle et planifiĂ©e au capitalisme, le Parti communiste gardant la haute main sur les entreprises dâĂtat dans pratiquement tous les secteurs, mais cautionnant Ă©galement lâĂ©mergence de champions nationaux Ă capitaux privĂ©s. Le processus fut beaucoup plus chaotique en Russie. AprĂšs avoir plongĂ© dans le capitalisme sauvage sous Eltsine, le pays opĂ©ra un virage Ă 180 degrĂ©s. Le Kremlin de Poutine reprit directement ou indirectement le contrĂŽle des plus grandes entreprises dans les secteurs clĂ©s de lâĂ©nergie, des mines, de la dĂ©fense et de la banque. MalgrĂ© des diffĂ©rences notables aussi bien dans lâhistoire de leur capitalisme que dans leurs modes opĂ©ratoires, la Chine et la Russie ont en commun dâavoir pariĂ© que câest cette forme dâorganisation hybride de leur Ă©conomie qui leur permettrait dâaccĂ©lĂ©rer aussi bien leur dĂ©veloppement que la conquĂȘte des marchĂ©s extĂ©rieurs. Lâhistoire semble pour le moment leur donner raison.
Le second modĂšle, organisĂ© autour de grandes familles entrepreneuriales Ă la fois propriĂ©taires et managers de leurs groupes, a propulsĂ© lâInde et le BrĂ©sil aux toutes premiĂšres places mondiales dans de nombreux secteurs de lâindustrie et des services. Dans ces pays aussi les entreprises privĂ©es coopĂšrent avec des pouvoirs publics restĂ©s puissants sur le plan Ă©conomique, mais â Ă la diffĂ©rence du premier modĂšle â lâinitiative reste malgrĂ© tout largement entre les mains du secteur privĂ©. En Inde, les groupes familiaux tendent Ă ĂȘtre des conglomĂ©rats existant souvent depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations. Au BrĂ©sil en revanche, les sociĂ©tĂ©s familiales sont gĂ©nĂ©ralement un peu moins diversifiĂ©es et cohabitent avec un grand nombre de concurrents cotĂ©s dont lâactionnaire minoritaire est souvent lâĂtat brĂ©silien Ă travers sa banque de dĂ©veloppement, la BNDES. Ce capitalisme familial, de nature plus entrepreneuriale que dynastique, est Ă©galement au cĆur de la croissance remarquable dâĂ©conomies comme le Mexique ou la Turquie. Ces deux pays reprĂ©senteront une part du PIB mondial plus importante que la plupart des pays europĂ©ens au cours des deux prochaines dĂ©cennies.
Pour ceux dâentre nous qui avons vĂ©cu la plus grande partie de notre vie dans un systĂšme capitaliste libĂ©ral ancrĂ© dans une philosophie dâinspiration reagano-thatchĂ©rienne, lâascension fulgurante de ces deux modĂšles est une surprise qui nous a pris de court aussi bien pratiquement quâidĂ©ologiquement. Nous percevons lâexistence mĂȘme de ce capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial aujourdâhui comme un vĂ©ritable anachronisme. AprĂšs la chute du mur de Berlin, il semblait en effet Ă©vident que lâĂtat et lâentreprise ne feraient jamais bon mĂ©nage et quâil Ă©tait important de laisser les forces du marchĂ© jouer leur rĂŽle sans obstruction des pouvoirs publics. MĂȘme en France, aprĂšs les expĂ©rimentations Ă©conomiques des premiĂšres annĂ©es de Mitterrand, le rĂ©alisme avait pris le dessus. Les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, nâont jamais plus remis en cause la nĂ©cessitĂ© de privatiser les entreprises publiques et de laisser le secteur privĂ© vivre sa vie. Certes, la tentation de lâinterventionnisme politique en matiĂšre Ă©conomique nâa jamais totalement disparu, mais il a semblĂ© prĂ©fĂ©rable Ă tous quâelle sâexprime de façon informelle plutĂŽt quâofficielle.
Notre surprise devant la percĂ©e de la Chine en particulier est double. Tout dâabord, le fait que des entreprises en majoritĂ© dĂ©tenues par lâĂtat puissent ĂȘtre compĂ©titives Ă lâĂ©chelle internationale bouleverse nos a priori. Aujourdâhui, la liste des cinq cents plus grandes entreprises mondiales (Fortune 500) compte soixante et une entreprises chinoises, le troisiĂšme plus gros contingent derriĂšre les Ătats-Unis et le Japon. Les deux tiers de ces entreprises sont des entreprises dâĂtat. Trois des dix plus grands groupes mondiaux en termes de chiffres dâaffaires sont des entreprises dâĂtat chinoises : Sinopec, gĂ©ant de la pĂ©trochimie, China National Petroleum Corporation (CNOOC), « major » du pĂ©trole, et State Grid Corporation of China, la compagnie dâĂ©lectricitĂ©. Ces sociĂ©tĂ©s rĂ©alisent des chiffres dâaffaires de plusieurs centaines de milliards de dollars et rivalisent en termes de taille avec des gĂ©ants occidentaux comme Walmart, BP ou NestlĂ©. Leurs marges nâont Ă©galement rien Ă envier avec celles des principaux concurrents de leur secteur.
Lâautre surprise est quâun secteur public fort puisse cohabiter, voire coopĂ©rer Ă©troitement, avec le secteur privĂ©. Si lâon compte les entreprises dâĂtat et les entreprises dans lesquelles lâĂtat est lâactionnaire de rĂ©fĂ©rence sans ĂȘtre pour autant majoritaire, le secteur public reprĂ©sente de 40 Ă 50 % du PIB chinois contre plus de 70 % Ă la fin des annĂ©es 1990. Les progrĂšs du secteur privĂ© ont donc Ă©tĂ© considĂ©rables, mais contrairement Ă ce que lâon imagine en Occident, ces progrĂšs ont eu lieu non pas malgrĂ© lâĂtat mais en partie grĂące Ă lui.
Le succĂšs du capitalisme familial Ă travers le monde a Ă©galement remis en cause nos prĂ©jugĂ©s. Depuis prĂšs de vingt ans, nous sommes habituĂ©s en Occident Ă voir reculer les grands actionnaires familiaux au profit des institutionnels, un mouvement que nous avons appris Ă considĂ©rer comme naturel et inĂ©luctable. Lâimage mĂȘme du capitalisme familial sâest ringardisĂ©e au fil des annĂ©es. Les experts en management qui enseignent dans nos plus prestigieuses universitĂ©s expliquent gĂ©nĂ©ralement que lâactionnariat familial ne peut par dĂ©finition ĂȘtre quâune phase transitoire dans la vie dâune entreprise car Ă mesure que lâentreprise grandit, elle ne peut financer sa croissance quâen ayant recours Ă des sources externes de capitaux la poussant in fine Ă sâintroduire en Bourse. Le problĂšme de la succession est aussi gĂ©nĂ©ralement mentionnĂ© comme un obstacle insurmontable, car il serait impossible de reproduire le gĂ©nie du fondateur de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Les nouvelles gĂ©nĂ©rations sont censĂ©es avoir perdu leur faim de rĂ©ussite et ĂȘtre plus intĂ©ressĂ©es par leurs collections dâart ou leurs Ćuvres caritatives que par le compte de rĂ©sultat de lâentreprise dont ils ont hĂ©ritĂ©.
Nous sommes Ă©galement habituĂ©s Ă considĂ©rer que les conglomĂ©rats sont des reliques du passĂ©, par dĂ©finition destructeurs de valeurs. Ă lâexception du groupe amĂ©ricain GE qui inspire toujours le respect, le dogme managĂ©rial occidental voudrait quâune entreprise ne puisse maintenir son excellence et dĂ©velopper des synergies entre des activitĂ©s trop disparates.
LâexpĂ©rience des grandes sociĂ©tĂ©s indiennes, brĂ©siliennes, mexicaines ou turques â non seulement chez elles mais aussi sur les marchĂ©s internationaux â infirme ces analyses. Des groupes indiens comme Tata ou Reliance Industries de la famille Ambani nâont pas manquĂ© de capitaux pour se dĂ©velopper aussi bien sur leurs activitĂ©s traditionnelles que sur de nouveaux mĂ©tiers. Câest mĂȘme lâinverse qui sâest produit. Souvent, ces groupes nâont pas hĂ©sitĂ© Ă investir plusieurs milliards de dollars pour lancer avec succĂšs de nouvelles activitĂ©s lĂ oĂč les managers professionnels de sociĂ©tĂ©s amĂ©ricaines ou europĂ©ennes cotĂ©es auraient trouvĂ© une diversification inappropriĂ©e ou beaucoup trop risquĂ©e. Par ailleurs, mĂȘme si le souci de la succession est toujours prĂ©sent dans ces groupes, nombreux sont ceux qui ont rĂ©ussi Ă combiner leur souhait de prĂ©server leurs racines familiales avec la nĂ©cessitĂ© de promouvoir une culture managĂ©riale basĂ©e sur lâexcellence et le mĂ©rite.
La question clĂ© pour nous aujourdâhui est de comprendre ce que ces deux formes de capitalisme ont en commun et qui puisse expliquer leurs avancĂ©es par rapport Ă notre capitalisme occidental. La plus grande force aussi bien du capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial que du capitalisme familial est de pouvoir compter sur un actionnariat stable qui donne aux entreprises le loisir de construire. Les dirigeants occidentaux ont le sentiment quâon leur demande, implicitement ou explicitement, de dĂ©cider pour demain, pas pour aprĂšs-demain. Lâactionnaire Ă©tatique ou familial rĂ©flĂ©chit bien entendu diffĂ©remment.
La seconde diffĂ©rence tient Ă la perception du couple rentabilitĂ©/risques. Dans la mentalitĂ© occidentale, lâobjectif du dirigeant est avant tout de se focaliser sur des projets susceptibles dâoffrir la rentabilitĂ© la plus Ă©levĂ©e pour le risque le plus faible. On exclura donc sans trop dâhĂ©sitation des projets offrant une rentabilitĂ© tout Ă fait honorable mais jugĂ©e insuffisante au regard des risques associĂ©s. LâhypothĂšse sous-jacente est que le capital est rare et que sâil est allouĂ© Ă un projet « non optimal », lâentreprise ne sera pas en mesure de lâutiliser pour financer des investissements qui en vaudraient rĂ©ellement la peine. Lâargument semble a priori logique sauf quâil nâest absolument pas vĂ©rifiĂ© dans les faits. Les entreprises occidentales ont certes mis un frein Ă leurs investissements, mais elles ont dans le mĂȘme temps accumulĂ© ces derniĂšres annĂ©es des montagnes de liquiditĂ©s offrant une rentabilitĂ© quasi nulle. Elles prĂ©fĂšrent racheter leurs actions ou payer un dividende exceptionnel plutĂŽt que dâengager leurs capitaux dans des projets qui, en apparence, ne gĂ©nĂ©reraient pas assez rapidement une rentabilitĂ© sur capitaux investis dâau moins 15 %, seuil magique qui sâest mystĂ©rieusement imposĂ© dans la plupart des salles de conseils. Le problĂšme, avec cette approche, est que ces groupes occidentaux laissent filer de nombreux projets qui nâont pas franchi cette barre auto-imposĂ©e de rentabilitĂ©, par ailleurs tout Ă fait discutable, et qui pourtant auraient pu sâavĂ©rer rĂ©munĂ©rateurs sur le long terme.
Cela nâa Ă©videmment pas Ă©chappĂ© aux concurrents des pays Ă©mergents qui sâengouffrent dans la brĂšche. Leur attitude est en effet complĂštement diffĂ©rente, tant pour ce qui est de la perception du risque que des attentes de rentabilitĂ©. HabituĂ©es Ă vivre dans un environnement Ă©conomique et politique oĂč les alĂ©as sont nombreux, ces entreprises sont gĂ©nĂ©ralement prĂȘtes Ă prendre des risques bien plus Ă©levĂ©s que leurs concurrents occidentaux. Ils ne les vivent pas comme tels, mais câest nĂ©anmoins une rĂ©alitĂ© objective. Pour ce qui est des attentes de rentabilitĂ©, ces entreprises et leurs actionnaires, quâils soient publics ou privĂ©s, rĂ©flĂ©chissent beaucoup moins en termes de coĂ»t dâopportunitĂ©s que leurs concurrents occidentaux. LâexpĂ©rience a montrĂ© en Chine et en Russie que lâĂtat actionnaire qui poursuit des objectifs stratĂ©giques est prĂȘt Ă sacrifier la rentabilitĂ© pendant quelques annĂ©es pour arriver Ă ses fins. Quant aux grandes familles actionnaires en Inde, au BrĂ©sil et ailleurs, elles ont tendance Ă laisser la plus grande partie de leurs capitaux dans lâentreprise. La question dâun usage alternatif du capital ou dâun rachat dâactions ne se pose donc pas, mĂȘme quand lâentreprise est cotĂ©e. Si le taux dâintĂ©rĂȘt offert par les banques sur les dĂ©pĂŽts est de 5 % et que lâentrepreneur a le sentiment quâun nouveau projet est susceptible de gĂ©nĂ©rer plus, la probabilitĂ© est quâil ira de lâavant sur le nouveau projet. Pas de seuils arbitraires, pas de calculs pseudo-scientifiques pour assigner des probabilitĂ©s de succĂšs, lâentrepreneur fera ce quâil fait de mieux depuis la nuit des temps : utiliser son savoir-faire, mais aussi ses rĂ©seaux et son instinct pour maximiser les chances de succĂšs de son projet.
Ce sont ces attributs diffĂ©rents, mais convergents sur lâessentiel â lâhorizon temps â, qui ont permis aussi bien au capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial quâau capitalisme familial de gagner du terrain ces derniĂšres annĂ©es. Il est Ă la mode depuis quelque temps de douter de la pĂ©rennitĂ© des modĂšles de croissance des nouvelles puissances Ă©mergentes. Lâaffaissement des taux de croissance en Chine mais aussi dans des pays comme lâInde ou le BrĂ©sil est souvent interprĂ©tĂ© par les commentateurs occidentaux comme la preuve tant attendue de leur fragilitĂ© intrinsĂšque et dâun possible renversement de tendance. Que lâon se dĂ©trompe. Les trous dâair conjoncturels ne vont pas fondamentalement changer la trajectoire ascendante de ces grandes nations. La piĂštre consolation que nous pouvons en tirer est que leurs succĂšs incontestables dans la compĂ©tition internationale au cours des derniĂšres dĂ©cennies semblent dâabord avoir Ă©tĂ© le reflet de nos propres faiblesses. Il nous est donc encore possible dâĂ©viter la marginalisation et de changer le cours des choses.
Les secrets du capitalisme étatico-entrepreneurial
Le nouvel empire du milieu
Depuis les annĂ©es 1990, le rĂ©gime communiste a mis en place un systĂšme Ă©conomique complĂštement inĂ©dit qui a brisĂ© les schĂ©mas que nous avions en tĂȘte. Partisan dâune migration graduelle plutĂŽt que brutale vers lâĂ©conomie de marchĂ©, lâĂtat communiste est restĂ© au cĆur du systĂšme, mais a permis lâĂ©mergence dâentreprises dâĂtat trĂšs efficaces, souvent cotĂ©es en Bourse, et qui sont devenues leaders dans leurs secteurs. Le rĂ©gime a en mĂȘme temps encouragĂ© et soutenu la crĂ©ation de milliers dâentreprises privĂ©es dans lesquelles il ne joue pas un rĂŽle direct mais qui Ă©voluent nĂ©anmoins en symbiose avec le secteur public. Alors quâen 1978 lâentrepreneur capitaliste Ă©tait dĂ©signĂ© comme lâ« ennemi de classe », en 2001 les entrepreneurs ont obtenu officiellement lâautorisation de devenir membres Ă part entiĂšre du Parti communiste. Certains y sont mĂȘme devenus des cadres importants.
On ne peut pas comprendre le succĂšs de la Chine aujourdâhui sans analyser dâabord le mode opĂ©ratoire trĂšs complexe, mais extrĂȘmement efficace, de son immense secteur public. Câest ce secteur public qui lui permet de gouverner de façon Ă©tonnamment ordonnĂ©e une nation de 1,3 milliard dâhabitants dont lâĂ©conomie a crĂ» Ă un rythme de 10 % par an.
Le secteur public chinois, qui reprĂ©sente encore aujourdâhui Ă peu prĂšs la moitiĂ© du PIB du pays, est organisĂ© autour de dizaines de milliers dâentreprises dâĂtat1 rĂ©parties sur lâensemble du territoire et qui dĂ©pendent dâautoritĂ©s centrales, rĂ©gionales ou locales. En 2003, le Conseil des affaires de lâĂtat de la RĂ©publique populaire2 â organe exĂ©cutif suprĂȘme du pays â entĂ©rina la crĂ©ation des SASAC (State-owned Assets Aupervision and Administration Commission of the State Council), qui jouent le rĂŽle de holdings dĂ©tenant les actions des entreprises autrefois directement dĂ©tenues par lâĂtat.
Les cent vingt et une plus grandes entreprises dâĂtat sont sous la tutelle directe de la SASAC centrale tandis que les autres sont sous la tutelle de SASAC rĂ©gionales ou locales. La SASAC centrale et le Parti communiste gardent la haute main sur lâensemble du systĂšme Ă travers leur pouvoir de nomination, de promotion ou de mutation aux postes de dirigeants et cadres des principales entreprises dâĂtat. Aux cĂŽtĂ©s des SASAC, le DĂ©partement dâorganisation centrale du Parti communiste3 joue le rĂŽle dâun gigantesque dĂ©partement des ressources humaines qui dĂ©termine la trajectoire professionnelle des principaux dirigeants, tant au sein de la galaxie des entreprises dâĂtat que du Parti. Mais ce qui Ă©tonne dans le contexte dâun systĂšme dominĂ© par le Parti communiste, câest que ces dirigeants sont maintenant promus et rĂ©compensĂ©s financiĂšrement en fonction de la profitabilitĂ© des entreprises dont ils ont la charge. Avec un salaire moyen de 88 0004 dollars, ces patrons de sociĂ©tĂ©s rĂ©alisant des chiffres dâaffaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars gagnent toujours moins quâun analyste dĂ©butant dans une banque dâaffaires anglo-saxonne, mais ils nâen sont pas moins devenus au fil des annĂ©es de redoutables managers. Sâils rĂ©ussissent, ils ont la perspective de poursuivre leur progression au sein de la sphĂšre publique, mais ils ont aussi la possibilitĂ© dâemprunter les multiples passerelles qui existent avec les entreprises privĂ©es. Ceux qui choisissent la seconde voie peuvent Ă©videmment espĂ©rer bĂątir de vĂ©ritables fortunes.
LâefficacitĂ© de lâĂ©conomie publique chinoise tient Ă son exceptionnelle capillaritĂ©. Les entreprises dâĂtat centrales ont toutes créé des « groupes dâaffaires5 » enregistrĂ©s officiellement comme tels auprĂšs des autoritĂ©s et incluant quelques composantes clĂ©s. Au cĆur du groupe se trouve bien sĂ»r lâentreprise dâĂtat elle-mĂȘme, contrĂŽlĂ©e directement par la SASAC. Elle dĂ©tient souvent des participations majoritaires dans une ou plusieurs sociĂ©tĂ©s cotĂ©es en Chine ou Ă lâĂ©tranger. Ces sociĂ©tĂ©s cotĂ©es constituent le visage public du groupe, mais on oublie souvent quâelles nâen sont que ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Sommaire
- Introduction
- PremiÚre partie - Du capitalisme des créateurs au capitalisme des apparatchiks
- DeuxiĂšme partie - Leurs conquĂȘtes, nos recettes : comment les puissances Ă©mergentes se sont appropriĂ© notre capitalisme
- TroisiÚme partie - Pour régénérer le capitalisme occidental
- Remerciements