Le Choc des capitalismes
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Le Choc des capitalismes

Comment nous avons été dépossédés de notre génie entrepreneurial et comment le réinventer

  1. 288 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Choc des capitalismes

Comment nous avons été dépossédés de notre génie entrepreneurial et comment le réinventer

À propos de ce livre

Ce livre part d'un constat simple : nĂ© en Occident, le capitalisme entrepreneurial a changĂ© de camp. Aujourd'hui, les crĂ©ateurs d'entreprises et les capitaines d'industrie visionnaires ne se trouvent plus aux États-Unis ni en Europe, mais en Inde, en Chine ou au BrĂ©sil. Les patrons occidentaux se sont transformĂ©s en producteurs de rĂ©sultats trimestriels asservis Ă  un actionnariat financier Ă©vanescent. En perdant le lien Ă©motionnel entre l'actionnaire et l'entreprise, notre capitalisme se suicide Ă  grande vitesse. L'Occident est-il donc condamnĂ© Ă  perdre la partie face aux puissances Ă©mergentes ? Pourquoi ne serions-nous pas capables de retrouver le « mode d'emploi » de la croissance ?   Dressant un rĂ©quisitoire sans concession des mondes de la finance et de l'entreprise qu'il connaĂźt intimement, Ă  l'Ouest comme Ă  l'Est, Daniel Pinto propose des solutions originales pour redynamiser le capitalisme et retrouver l'Ă©quation magique État-entrepreneurs-marchĂ© qui en avait fait le succĂšs. Daniel Pinto est cofondateur et P-DG de Stanhope Capital, l'un des principaux groupes indĂ©pendants de gestion d'actifs et de conseil en Europe. Il a Ă©galement fondĂ© New City Initiative, un think tank visant Ă  remettre la finance au service de l'Ă©conomie. DiplĂŽmĂ© de Sciences-Po et de la Harvard Business School, il siĂšge aux conseils d'administration et comitĂ©s d'investissements de plusieurs sociĂ©tĂ©s Ă  travers le monde. 

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
Imprimer l'ISBN
9782738129130
ISBN de l'eBook
9782738177452
DeuxiĂšme partie
Leurs conquĂȘtes, nos recettes :
comment les puissances
émergentes se sont approprié
notre capitalisme


Chapitre 1
Puissances émergentes :
la mĂ©canique de la conquĂȘte

Deux modĂšles de conquĂȘte, un seul horizon
Pendant que nos politiques promettent tardivement de la sueur et des larmes Ă  des populations qui prĂ©fĂšrent entendre parler de lendemains qui chantent, que les dirigeants de nos grands groupes agissent en gardiens du statu quo alors qu’il y a pĂ©ril en la demeure et que nos financiers continuent de s’agiter, les puissances Ă©mergentes poursuivent leur marche inexorable. À notre capitalisme spontanĂ© basĂ© sur l’espoir que la main invisible nous amĂšnera toujours in fine la prospĂ©ritĂ© collective, ces puissances Ă©mergentes opposent un capitalisme prĂ©mĂ©ditĂ© ne laissant rien ou pas grand-chose au hasard. Tandis que le capitalisme spontanĂ© agit dans l’instant, le capitalisme prĂ©mĂ©ditĂ© planifie et reste entre les mains d’acteurs Ă©conomiques capables de prendre des risques financiers considĂ©rables pour aboutir Ă  leurs fins.
Deux modĂšles sont au cƓur du succĂšs des puissances Ă©mergentes aujourd’hui : le capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial et le capitalisme familial. Le premier, basĂ© sur une coopĂ©ration Ă©troite entre l’État, pierre angulaire du systĂšme, et les entreprises publiques ou privĂ©es, a permis Ă  la Chine et Ă  la Russie de devenir des moteurs de la croissance mondiale et des puissances incontournables sur l’échiquier gĂ©opolitique. Ces deux pays ont chacun adoptĂ© leur propre version de ce capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial, mettant plus ou moins d’emphase sur le rĂŽle de l’État. La Chine a optĂ© pour une ouverture graduelle et planifiĂ©e au capitalisme, le Parti communiste gardant la haute main sur les entreprises d’État dans pratiquement tous les secteurs, mais cautionnant Ă©galement l’émergence de champions nationaux Ă  capitaux privĂ©s. Le processus fut beaucoup plus chaotique en Russie. AprĂšs avoir plongĂ© dans le capitalisme sauvage sous Eltsine, le pays opĂ©ra un virage Ă  180 degrĂ©s. Le Kremlin de Poutine reprit directement ou indirectement le contrĂŽle des plus grandes entreprises dans les secteurs clĂ©s de l’énergie, des mines, de la dĂ©fense et de la banque. MalgrĂ© des diffĂ©rences notables aussi bien dans l’histoire de leur capitalisme que dans leurs modes opĂ©ratoires, la Chine et la Russie ont en commun d’avoir pariĂ© que c’est cette forme d’organisation hybride de leur Ă©conomie qui leur permettrait d’accĂ©lĂ©rer aussi bien leur dĂ©veloppement que la conquĂȘte des marchĂ©s extĂ©rieurs. L’histoire semble pour le moment leur donner raison.
Le second modĂšle, organisĂ© autour de grandes familles entrepreneuriales Ă  la fois propriĂ©taires et managers de leurs groupes, a propulsĂ© l’Inde et le BrĂ©sil aux toutes premiĂšres places mondiales dans de nombreux secteurs de l’industrie et des services. Dans ces pays aussi les entreprises privĂ©es coopĂšrent avec des pouvoirs publics restĂ©s puissants sur le plan Ă©conomique, mais – Ă  la diffĂ©rence du premier modĂšle – l’initiative reste malgrĂ© tout largement entre les mains du secteur privĂ©. En Inde, les groupes familiaux tendent Ă  ĂȘtre des conglomĂ©rats existant souvent depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations. Au BrĂ©sil en revanche, les sociĂ©tĂ©s familiales sont gĂ©nĂ©ralement un peu moins diversifiĂ©es et cohabitent avec un grand nombre de concurrents cotĂ©s dont l’actionnaire minoritaire est souvent l’État brĂ©silien Ă  travers sa banque de dĂ©veloppement, la BNDES. Ce capitalisme familial, de nature plus entrepreneuriale que dynastique, est Ă©galement au cƓur de la croissance remarquable d’économies comme le Mexique ou la Turquie. Ces deux pays reprĂ©senteront une part du PIB mondial plus importante que la plupart des pays europĂ©ens au cours des deux prochaines dĂ©cennies.
Pour ceux d’entre nous qui avons vĂ©cu la plus grande partie de notre vie dans un systĂšme capitaliste libĂ©ral ancrĂ© dans une philosophie d’inspiration reagano-thatchĂ©rienne, l’ascension fulgurante de ces deux modĂšles est une surprise qui nous a pris de court aussi bien pratiquement qu’idĂ©ologiquement. Nous percevons l’existence mĂȘme de ce capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial aujourd’hui comme un vĂ©ritable anachronisme. AprĂšs la chute du mur de Berlin, il semblait en effet Ă©vident que l’État et l’entreprise ne feraient jamais bon mĂ©nage et qu’il Ă©tait important de laisser les forces du marchĂ© jouer leur rĂŽle sans obstruction des pouvoirs publics. MĂȘme en France, aprĂšs les expĂ©rimentations Ă©conomiques des premiĂšres annĂ©es de Mitterrand, le rĂ©alisme avait pris le dessus. Les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’ont jamais plus remis en cause la nĂ©cessitĂ© de privatiser les entreprises publiques et de laisser le secteur privĂ© vivre sa vie. Certes, la tentation de l’interventionnisme politique en matiĂšre Ă©conomique n’a jamais totalement disparu, mais il a semblĂ© prĂ©fĂ©rable Ă  tous qu’elle s’exprime de façon informelle plutĂŽt qu’officielle.
Notre surprise devant la percĂ©e de la Chine en particulier est double. Tout d’abord, le fait que des entreprises en majoritĂ© dĂ©tenues par l’État puissent ĂȘtre compĂ©titives Ă  l’échelle internationale bouleverse nos a priori. Aujourd’hui, la liste des cinq cents plus grandes entreprises mondiales (Fortune 500) compte soixante et une entreprises chinoises, le troisiĂšme plus gros contingent derriĂšre les États-Unis et le Japon. Les deux tiers de ces entreprises sont des entreprises d’État. Trois des dix plus grands groupes mondiaux en termes de chiffres d’affaires sont des entreprises d’État chinoises : Sinopec, gĂ©ant de la pĂ©trochimie, China National Petroleum Corporation (CNOOC), « major » du pĂ©trole, et State Grid Corporation of China, la compagnie d’électricitĂ©. Ces sociĂ©tĂ©s rĂ©alisent des chiffres d’affaires de plusieurs centaines de milliards de dollars et rivalisent en termes de taille avec des gĂ©ants occidentaux comme Walmart, BP ou NestlĂ©. Leurs marges n’ont Ă©galement rien Ă  envier avec celles des principaux concurrents de leur secteur.
L’autre surprise est qu’un secteur public fort puisse cohabiter, voire coopĂ©rer Ă©troitement, avec le secteur privĂ©. Si l’on compte les entreprises d’État et les entreprises dans lesquelles l’État est l’actionnaire de rĂ©fĂ©rence sans ĂȘtre pour autant majoritaire, le secteur public reprĂ©sente de 40 Ă  50 % du PIB chinois contre plus de 70 % Ă  la fin des annĂ©es 1990. Les progrĂšs du secteur privĂ© ont donc Ă©tĂ© considĂ©rables, mais contrairement Ă  ce que l’on imagine en Occident, ces progrĂšs ont eu lieu non pas malgrĂ© l’État mais en partie grĂące Ă  lui.
Le succĂšs du capitalisme familial Ă  travers le monde a Ă©galement remis en cause nos prĂ©jugĂ©s. Depuis prĂšs de vingt ans, nous sommes habituĂ©s en Occident Ă  voir reculer les grands actionnaires familiaux au profit des institutionnels, un mouvement que nous avons appris Ă  considĂ©rer comme naturel et inĂ©luctable. L’image mĂȘme du capitalisme familial s’est ringardisĂ©e au fil des annĂ©es. Les experts en management qui enseignent dans nos plus prestigieuses universitĂ©s expliquent gĂ©nĂ©ralement que l’actionnariat familial ne peut par dĂ©finition ĂȘtre qu’une phase transitoire dans la vie d’une entreprise car Ă  mesure que l’entreprise grandit, elle ne peut financer sa croissance qu’en ayant recours Ă  des sources externes de capitaux la poussant in fine Ă  s’introduire en Bourse. Le problĂšme de la succession est aussi gĂ©nĂ©ralement mentionnĂ© comme un obstacle insurmontable, car il serait impossible de reproduire le gĂ©nie du fondateur de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Les nouvelles gĂ©nĂ©rations sont censĂ©es avoir perdu leur faim de rĂ©ussite et ĂȘtre plus intĂ©ressĂ©es par leurs collections d’art ou leurs Ɠuvres caritatives que par le compte de rĂ©sultat de l’entreprise dont ils ont hĂ©ritĂ©.
Nous sommes Ă©galement habituĂ©s Ă  considĂ©rer que les conglomĂ©rats sont des reliques du passĂ©, par dĂ©finition destructeurs de valeurs. À l’exception du groupe amĂ©ricain GE qui inspire toujours le respect, le dogme managĂ©rial occidental voudrait qu’une entreprise ne puisse maintenir son excellence et dĂ©velopper des synergies entre des activitĂ©s trop disparates.
L’expĂ©rience des grandes sociĂ©tĂ©s indiennes, brĂ©siliennes, mexicaines ou turques – non seulement chez elles mais aussi sur les marchĂ©s internationaux – infirme ces analyses. Des groupes indiens comme Tata ou Reliance Industries de la famille Ambani n’ont pas manquĂ© de capitaux pour se dĂ©velopper aussi bien sur leurs activitĂ©s traditionnelles que sur de nouveaux mĂ©tiers. C’est mĂȘme l’inverse qui s’est produit. Souvent, ces groupes n’ont pas hĂ©sitĂ© Ă  investir plusieurs milliards de dollars pour lancer avec succĂšs de nouvelles activitĂ©s lĂ  oĂč les managers professionnels de sociĂ©tĂ©s amĂ©ricaines ou europĂ©ennes cotĂ©es auraient trouvĂ© une diversification inappropriĂ©e ou beaucoup trop risquĂ©e. Par ailleurs, mĂȘme si le souci de la succession est toujours prĂ©sent dans ces groupes, nombreux sont ceux qui ont rĂ©ussi Ă  combiner leur souhait de prĂ©server leurs racines familiales avec la nĂ©cessitĂ© de promouvoir une culture managĂ©riale basĂ©e sur l’excellence et le mĂ©rite.
La question clĂ© pour nous aujourd’hui est de comprendre ce que ces deux formes de capitalisme ont en commun et qui puisse expliquer leurs avancĂ©es par rapport Ă  notre capitalisme occidental. La plus grande force aussi bien du capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial que du capitalisme familial est de pouvoir compter sur un actionnariat stable qui donne aux entreprises le loisir de construire. Les dirigeants occidentaux ont le sentiment qu’on leur demande, implicitement ou explicitement, de dĂ©cider pour demain, pas pour aprĂšs-demain. L’actionnaire Ă©tatique ou familial rĂ©flĂ©chit bien entendu diffĂ©remment.
La seconde diffĂ©rence tient Ă  la perception du couple rentabilitĂ©/risques. Dans la mentalitĂ© occidentale, l’objectif du dirigeant est avant tout de se focaliser sur des projets susceptibles d’offrir la rentabilitĂ© la plus Ă©levĂ©e pour le risque le plus faible. On exclura donc sans trop d’hĂ©sitation des projets offrant une rentabilitĂ© tout Ă  fait honorable mais jugĂ©e insuffisante au regard des risques associĂ©s. L’hypothĂšse sous-jacente est que le capital est rare et que s’il est allouĂ© Ă  un projet « non optimal », l’entreprise ne sera pas en mesure de l’utiliser pour financer des investissements qui en vaudraient rĂ©ellement la peine. L’argument semble a priori logique sauf qu’il n’est absolument pas vĂ©rifiĂ© dans les faits. Les entreprises occidentales ont certes mis un frein Ă  leurs investissements, mais elles ont dans le mĂȘme temps accumulĂ© ces derniĂšres annĂ©es des montagnes de liquiditĂ©s offrant une rentabilitĂ© quasi nulle. Elles prĂ©fĂšrent racheter leurs actions ou payer un dividende exceptionnel plutĂŽt que d’engager leurs capitaux dans des projets qui, en apparence, ne gĂ©nĂ©reraient pas assez rapidement une rentabilitĂ© sur capitaux investis d’au moins 15 %, seuil magique qui s’est mystĂ©rieusement imposĂ© dans la plupart des salles de conseils. Le problĂšme, avec cette approche, est que ces groupes occidentaux laissent filer de nombreux projets qui n’ont pas franchi cette barre auto-imposĂ©e de rentabilitĂ©, par ailleurs tout Ă  fait discutable, et qui pourtant auraient pu s’avĂ©rer rĂ©munĂ©rateurs sur le long terme.
Cela n’a Ă©videmment pas Ă©chappĂ© aux concurrents des pays Ă©mergents qui s’engouffrent dans la brĂšche. Leur attitude est en effet complĂštement diffĂ©rente, tant pour ce qui est de la perception du risque que des attentes de rentabilitĂ©. HabituĂ©es Ă  vivre dans un environnement Ă©conomique et politique oĂč les alĂ©as sont nombreux, ces entreprises sont gĂ©nĂ©ralement prĂȘtes Ă  prendre des risques bien plus Ă©levĂ©s que leurs concurrents occidentaux. Ils ne les vivent pas comme tels, mais c’est nĂ©anmoins une rĂ©alitĂ© objective. Pour ce qui est des attentes de rentabilitĂ©, ces entreprises et leurs actionnaires, qu’ils soient publics ou privĂ©s, rĂ©flĂ©chissent beaucoup moins en termes de coĂ»t d’opportunitĂ©s que leurs concurrents occidentaux. L’expĂ©rience a montrĂ© en Chine et en Russie que l’État actionnaire qui poursuit des objectifs stratĂ©giques est prĂȘt Ă  sacrifier la rentabilitĂ© pendant quelques annĂ©es pour arriver Ă  ses fins. Quant aux grandes familles actionnaires en Inde, au BrĂ©sil et ailleurs, elles ont tendance Ă  laisser la plus grande partie de leurs capitaux dans l’entreprise. La question d’un usage alternatif du capital ou d’un rachat d’actions ne se pose donc pas, mĂȘme quand l’entreprise est cotĂ©e. Si le taux d’intĂ©rĂȘt offert par les banques sur les dĂ©pĂŽts est de 5 % et que l’entrepreneur a le sentiment qu’un nouveau projet est susceptible de gĂ©nĂ©rer plus, la probabilitĂ© est qu’il ira de l’avant sur le nouveau projet. Pas de seuils arbitraires, pas de calculs pseudo-scientifiques pour assigner des probabilitĂ©s de succĂšs, l’entrepreneur fera ce qu’il fait de mieux depuis la nuit des temps : utiliser son savoir-faire, mais aussi ses rĂ©seaux et son instinct pour maximiser les chances de succĂšs de son projet.
Ce sont ces attributs diffĂ©rents, mais convergents sur l’essentiel – l’horizon temps –, qui ont permis aussi bien au capitalisme Ă©tatico-entrepreneurial qu’au capitalisme familial de gagner du terrain ces derniĂšres annĂ©es. Il est Ă  la mode depuis quelque temps de douter de la pĂ©rennitĂ© des modĂšles de croissance des nouvelles puissances Ă©mergentes. L’affaissement des taux de croissance en Chine mais aussi dans des pays comme l’Inde ou le BrĂ©sil est souvent interprĂ©tĂ© par les commentateurs occidentaux comme la preuve tant attendue de leur fragilitĂ© intrinsĂšque et d’un possible renversement de tendance. Que l’on se dĂ©trompe. Les trous d’air conjoncturels ne vont pas fondamentalement changer la trajectoire ascendante de ces grandes nations. La piĂštre consolation que nous pouvons en tirer est que leurs succĂšs incontestables dans la compĂ©tition internationale au cours des derniĂšres dĂ©cennies semblent d’abord avoir Ă©tĂ© le reflet de nos propres faiblesses. Il nous est donc encore possible d’éviter la marginalisation et de changer le cours des choses.
Les secrets du capitalisme étatico-entrepreneurial
Le nouvel empire du milieu
Depuis les annĂ©es 1990, le rĂ©gime communiste a mis en place un systĂšme Ă©conomique complĂštement inĂ©dit qui a brisĂ© les schĂ©mas que nous avions en tĂȘte. Partisan d’une migration graduelle plutĂŽt que brutale vers l’économie de marchĂ©, l’État communiste est restĂ© au cƓur du systĂšme, mais a permis l’émergence d’entreprises d’État trĂšs efficaces, souvent cotĂ©es en Bourse, et qui sont devenues leaders dans leurs secteurs. Le rĂ©gime a en mĂȘme temps encouragĂ© et soutenu la crĂ©ation de milliers d’entreprises privĂ©es dans lesquelles il ne joue pas un rĂŽle direct mais qui Ă©voluent nĂ©anmoins en symbiose avec le secteur public. Alors qu’en 1978 l’entrepreneur capitaliste Ă©tait dĂ©signĂ© comme l’« ennemi de classe », en 2001 les entrepreneurs ont obtenu officiellement l’autorisation de devenir membres Ă  part entiĂšre du Parti communiste. Certains y sont mĂȘme devenus des cadres importants.
On ne peut pas comprendre le succĂšs de la Chine aujourd’hui sans analyser d’abord le mode opĂ©ratoire trĂšs complexe, mais extrĂȘmement efficace, de son immense secteur public. C’est ce secteur public qui lui permet de gouverner de façon Ă©tonnamment ordonnĂ©e une nation de 1,3 milliard d’habitants dont l’économie a crĂ» Ă  un rythme de 10 % par an.
Le secteur public chinois, qui reprĂ©sente encore aujourd’hui Ă  peu prĂšs la moitiĂ© du PIB du pays, est organisĂ© autour de dizaines de milliers d’entreprises d’État1 rĂ©parties sur l’ensemble du territoire et qui dĂ©pendent d’autoritĂ©s centrales, rĂ©gionales ou locales. En 2003, le Conseil des affaires de l’État de la RĂ©publique populaire2 – organe exĂ©cutif suprĂȘme du pays – entĂ©rina la crĂ©ation des SASAC (State-owned Assets Aupervision and Administration Commission of the State Council), qui jouent le rĂŽle de holdings dĂ©tenant les actions des entreprises autrefois directement dĂ©tenues par l’État.
Les cent vingt et une plus grandes entreprises d’État sont sous la tutelle directe de la SASAC centrale tandis que les autres sont sous la tutelle de SASAC rĂ©gionales ou locales. La SASAC centrale et le Parti communiste gardent la haute main sur l’ensemble du systĂšme Ă  travers leur pouvoir de nomination, de promotion ou de mutation aux postes de dirigeants et cadres des principales entreprises d’État. Aux cĂŽtĂ©s des SASAC, le DĂ©partement d’organisation centrale du Parti communiste3 joue le rĂŽle d’un gigantesque dĂ©partement des ressources humaines qui dĂ©termine la trajectoire professionnelle des principaux dirigeants, tant au sein de la galaxie des entreprises d’État que du Parti. Mais ce qui Ă©tonne dans le contexte d’un systĂšme dominĂ© par le Parti communiste, c’est que ces dirigeants sont maintenant promus et rĂ©compensĂ©s financiĂšrement en fonction de la profitabilitĂ© des entreprises dont ils ont la charge. Avec un salaire moyen de 88 0004 dollars, ces patrons de sociĂ©tĂ©s rĂ©alisant des chiffres d’affaires de plusieurs dizaines de milliards de dollars gagnent toujours moins qu’un analyste dĂ©butant dans une banque d’affaires anglo-saxonne, mais ils n’en sont pas moins devenus au fil des annĂ©es de redoutables managers. S’ils rĂ©ussissent, ils ont la perspective de poursuivre leur progression au sein de la sphĂšre publique, mais ils ont aussi la possibilitĂ© d’emprunter les multiples passerelles qui existent avec les entreprises privĂ©es. Ceux qui choisissent la seconde voie peuvent Ă©videmment espĂ©rer bĂątir de vĂ©ritables fortunes.
L’efficacitĂ© de l’économie publique chinoise tient Ă  son exceptionnelle capillaritĂ©. Les entreprises d’État centrales ont toutes créé des « groupes d’affaires5 » enregistrĂ©s officiellement comme tels auprĂšs des autoritĂ©s et incluant quelques composantes clĂ©s. Au cƓur du groupe se trouve bien sĂ»r l’entreprise d’État elle-mĂȘme, contrĂŽlĂ©e directement par la SASAC. Elle dĂ©tient souvent des participations majoritaires dans une ou plusieurs sociĂ©tĂ©s cotĂ©es en Chine ou Ă  l’étranger. Ces sociĂ©tĂ©s cotĂ©es constituent le visage public du groupe, mais on oublie souvent qu’elles n’en sont que ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Sommaire
  6. Introduction
  7. PremiÚre partie - Du capitalisme des créateurs au capitalisme des apparatchiks
  8. DeuxiĂšme partie - Leurs conquĂȘtes, nos recettes : comment les puissances Ă©mergentes se sont appropriĂ© notre capitalisme
  9. TroisiÚme partie - Pour régénérer le capitalisme occidental
  10. Remerciements