L' Art du jardin et son histoire
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L' Art du jardin et son histoire

  1. 120 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L' Art du jardin et son histoire

À propos de ce livre

La nature sauvage, que les anciens jugeaient horrible et tentaient de domestiquer par places, et que les modernes exaltent pour compenser le progressif bĂ©tonnage des sites, a toujours eu quelque chose d'abstrait et de mythique. Si elle existe comme concept, il est impossible de l'atteindre dans la rĂ©alitĂ© sans la transformer en spectacle. Entre elle et nous s'interpose au moins un regard, c'est-Ă -dire un principe d'organisation, la possibilitĂ© de comprendre, de dĂ©crire et de reprĂ©senter. MĂȘme la forĂȘt primaire d'Amazonie, vue d'avion, devient un monument paysager. Que dire alors de la forĂȘt de Fontainebleau que nous parcourons en tous sens ! L'art du jardin - en particulier les paysages europĂ©ens du XVIIIe et du XIXe siĂšcles - relĂšve ainsi d'une charmante ambiguĂŻtĂ© : il faut dĂ©crire la reprĂ©sentation figurĂ©e comme si elle Ă©tait nature et la nature comme si elle Ă©tait reprĂ©sentation figurĂ©e ; il faut que la surprise naisse d'un ordre prĂ©visible Ă  peine perturbĂ©, que l'Ă©motion sensorielle vienne d'une Ă©ducation qu'on oublie. À travers les deux trĂšs belles confĂ©rences prononcĂ©es en mars 1994 par John Dixon Hunt, le CollĂšge de France a voulu faire mieux connaĂźtre au public français l'intĂ©rĂȘt de la rĂ©flexion historique sur les jardins et l'architecture paysagĂšre, discipline au confluent de plusieurs domaines : ceux de l'urbanisme et de l'architecture, de la gĂ©ographie et de l'Ă©cologie, de la peinture et de la littĂ©rature, de la sociologie et de la philosophie de la reprĂ©sentation, des Ăšres culturelles et de l'histoire enfin, puisqu'il existe autant de paysages que de grandes civilisations et d'Ă©poques.  Professeur Ă  l'universitĂ© de Pennsylvanie, John Dixon Hunt a notamment dirigĂ© l'Institut d'architecture paysagĂšre de Dumbarton Oaks, Ă  Washington. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de rĂ©fĂ©rence sur l'art des jardins, dont The Figure in the Landscape (1989), d'une biographie de John Ruskin et d'une Ă©tude sur les prĂ©raphaĂ©lites. Il dirige depuis sa crĂ©ation, en 1980, la revue internationale Journal of Garden History.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1996
Imprimer l'ISBN
9782738104243
ISBN de l'eBook
9782738163592

Le paragone de l’art et de la nature,
et l’historiographie du jardin


Reprise et récapitulation

Afin de revenir sur les points essentiels que j’ai abordĂ©s dans ma premiĂšre confĂ©rence, et parce que j’y ferai rĂ©fĂ©rence aujourd’hui, je vais me servir de deux illustrations qui ont des sujets similaires et datent des environs de 1700. L’une orne le frontispice de la traduction de John Evelyn, The French Gardener (1669), l’autre sert de demie de couverture Ă  l’ouvrage de l’abbĂ© Pierre Le Lorrain de Vallemont (planche 3), Curiositez de la nature et de l’art (1703). Comme elle se trouve dans un ouvrage pĂ©dagogique, cette derniĂšre est plus explicite ; aussi m’y attacherai-je davantage, bien que l’autre montre une topographie similaire et ait, Ă  mon avis, une signification identique.
Gravure par Poncy d’aprĂšs Hearne, publiĂ© dans   de Richard Payne Knight (1794). MĂȘme parc que dans la planche 1, mais refait sur un mode pittoresque.
Gravure par Poncy d’aprĂšs Hearne, publiĂ© dans The Landscape de Richard Payne Knight (1794). MĂȘme parc que dans la planche 1, mais refait sur un mode pittoresque.
Cliché de Cambridge University Library.
La gravure, exĂ©cutĂ©e par Michael Van der Gucht, nous montre en raccourci des versions des trois sortes diffĂ©rentes de nature. Nous voyons d’abord ce que la Renaissance appelait « troisiĂšme nature » : un parterre de broderie dans un jardin avec une fontaine en son centre. Au-delĂ  du muret qui clĂŽt ce jardin, s’étend un terrain agricole oĂč des paysans labourent et sĂšment, autrement dit un espace que CicĂ©ron assigne Ă  la « seconde nature ». Enfin, nous voyons une montagne qui dresse ses flancs dĂ©chiquetĂ©s et au pied de laquelle semble jaillir une source. C’est ce que j’ai nommĂ© la « premiĂšre nature » en extrapolant Ă  partir du texte de CicĂ©ron. La diffĂ©rence entre chacune de ces parties de la gravure dĂ©pend du rapport de l’art Ă  la nature, ce qui apparaĂźt d’autant mieux que la seconde et la troisiĂšme natures (l’agriculture et le jardin de la gravure de Le Lorrain) s’intercalent entre deux reprĂ©sentations de la premiĂšre nature, qui se voit Ă  l’arriĂšre-plan ainsi qu’au tout premier plan oĂč s’étend un terrain accidentĂ© et inculte.
Mais ces deux Ă©tendues sauvages prĂ©sentent aussi des problĂšmes d’interprĂ©tation. Sur ces deux endroits « vierges » rĂšgnent les figures de ceux dont le rĂŽle consiste Ă  interprĂ©ter les ressources fĂ©condes et variĂ©es de la nature elle-mĂȘme (Ă©galement incarnĂ©e ici par la Diane d’ÉphĂšse aux multiples mamelles). Le flanc de la colline, dans le lointain, est habitĂ© par Apollon et les Muses (thĂšme dĂ©jĂ  traitĂ© par Claude Lorrain dans un paysage qui se trouve Ă  la Galerie Nationale d’Écosse) ; et notre vision de tout ce paysage mis en perspective est guidĂ©e par une autre figure, celle de l’Art, qui repose avec la Nature sur le terrain accidentĂ© qui se trouve au premier plan, tenant une sphĂšre armillaire qui, dans ces stratĂ©gies d’interprĂ©tation, sous-entend bien sĂ»r l’harmonie entre l’art et la science, la technologie et mĂȘme la philosophie. Cette gravure signifie que c’est l’art qui transforme la nature. C’est un concept qui se conçoit aisĂ©ment en ce qui concerne les Muses, lesquelles, par le chant, la poĂ©sie ou l’histoire, tirent un sens du monde physique et des menus faits quotidiens. Mais il est probablement plus difficile de comprendre que l’art des jardins rĂ©-forme ou rĂ©-articule aussi des matĂ©riaux bruts afin de mieux Ă©clairer leur sens. À cet Ă©gard, la fontaine du parterre est une reprise en raccourci de la source naturelle qui jaillit au pied de la colline du fond, car on pourrait dire que la fontaine « imite » ou « embellit » le phĂ©nomĂšne naturel, et ce sont lĂ  les termes exacts que l’on employait au XVIIe et au XVIIIe siĂšcle.
Le livre de l’abbĂ© de Vallemont fit suite Ă  un considĂ©rable regain d’intĂ©rĂȘt pour les sciences en Europe, regain qui soulignait le fait que le monde physique recelait des merveilles, des mystĂšres et des curiositĂ©s (c’est-Ă -dire des choses qui piquaient la curiositĂ© et la soif de savoir) qui invitaient Ă  la recherche et dont on pouvait s’assurer la maĂźtrise complĂšte. La contribution que les spĂ©cialistes de jardins pouvaient apporter Ă  cette rĂ©volution scientifique Ă©tait d’employer leurs ressources techniques pour accroĂźtre la comprĂ©hension de la nature en explorant et exploitant son potentiel – la page de titre fait la promesse de rĂ©vĂ©ler « les secrets pour rendre les plantes, les fleurs et les fruits plus gros, plus beaux et pour les faire mĂ»rir plus vite que d’habitude ». De mĂȘme, un fontainier, par exemple, pouvait dĂ©gager l’essence d’une source en en recrĂ©ant une version formelle sous la forme d’une fontaine. De mĂȘme encore pour le monde agricole : moins raffinĂ© que le jardin, il embellissait pourtant les matĂ©riaux bruts dans le dessein pratique de fournir nourriture et vĂȘtements, et ce faisant il guidait notre comprĂ©hension du monde physique.
Le terme d’« embellissement », surtout appliquĂ© au jardin paysager du XVIIIe siĂšcle, ne signifiait pas nĂ©cessairement que la fontaine Ă©tait « plus belle » ou « prĂ©fĂ©rable » Ă  la source. Ce qu’on voulait dire, c’est que les reprĂ©sentations artistiques – que ce soit en peinture, en sculpture ou dans les jardins – embellissaient les « matĂ©riaux bruts » pour les rendre plus aisĂ©ment comprĂ©hensibles. Le rĂŽle de l’art vis-Ă -vis de la nature Ă©tait, pour ainsi dire, temporaire et Ă©ducatif. Ce fut l’un des tours de force remarquables – mais demeurĂ©s gĂ©nĂ©ralement inaperçus – d’une poignĂ©e de crĂ©ateurs de jardins autour de 1700 de ne pas privilĂ©gier l’art aux dĂ©pens de la nature. Ils considĂ©raient le paragone (c’est-Ă -dire la comparaison, la rivalitĂ©) de l’art et de la nature comme une alliance et non pas comme une lutte Ă  mort, comme ce fut le cas par la suite. On se souviendra que lorsque Jacopo Bonfadio (au milieu du XVIe siĂšcle) forgea le terme de « troisiĂšme nature » pour dĂ©crire les jardins, il insistait prĂ©cisĂ©ment sur cette alliance, cette collaboration crĂ©ative entre des Ă©gaux : « La nature, Ă©crivait-il, fĂ©condĂ©e par l’art est Ă©levĂ©e au rang de crĂ©ateur et d’égale de l’art. » C’est au moment prĂ©cis de cette conception fondamentale des jardins comme Ă©quilibre harmonieux entre leurs deux Ă©lĂ©ments constitutifs que l’on commença Ă  Ă©crire l’histoire des jardins en termes du triomphe de l’art ou de la nature. L’histoire et la critique de l’art des jardins continuent dans une large mesure Ă  s’écrire en ces termes de nos jours ; c’est pourquoi il est urgent de jeter un Ă©clairage nouveau sur ce problĂšme.
Tel sera mon propos d’aujourd’hui, et il se compose de trois parties : d’abord, en extrapolant Ă  partir de diffĂ©rents Ă©crits anglais datant des environs de 1700, je formulerai une thĂ©orie qui considĂšre les jardins comme le fruit d’une alliance entre l’art et la nature au lieu d’un assujettissement de l’un Ă  l’autre ; ensuite, j’étudierai un autre aspect de ce corpus de textes, celui qui prĂ©sente les rapports rĂ©ciproques de l’art et de la nature comme dĂ©terminĂ©s par une personne ou une sociĂ©tĂ© donnĂ©e – en d’autres termes, comme une variable qui ferait d’un jardin le reflet ou la re-prĂ©sentation du monde Ă  un moment et en un lieu donnĂ©s ; en troisiĂšme lieu, je montrerai que ces notions furent remises en cause par les histoires des jardins Ă©crites dans les quarante derniĂšres annĂ©es du XVIIIe siĂšcle. Pour finir, je soutiendrai que l’on pourrait, et mĂȘme que l’on devrait rendre vie Ă  ces notions pour poser les fondements thĂ©oriques d’une nouvelle histoire des jardins.

L’art et la nature

C’est dans l’Ɠuvre d’Anthony Ashley Cooper, troisiĂšme comte de Shaftesbury (1671-1713) et philosophe dont l’importance fut considĂ©rable dans l’Europe du Nord au XVIIIe siĂšcle1, que l’on peut percevoir avec la plus grande nettetĂ© ce souci du XVIIe siĂšcle finissant de ne pas privilĂ©gier l’art aux dĂ©pens de la nature. Il se servit de l’axe central des jardins baroques et des liens qu’il crĂ©ait entre les trois natures pour exposer l’une des idĂ©es centrales de son traitĂ© philosophique Characteristics. À ses yeux, le monde physique possĂ©dait des perfections ou des caractĂšres inhĂ©rents ; pour apprendre Ă  les identifier et Ă  les apprĂ©cier, il pensait que l’art des jardins pouvait faire apparaĂźtre artificiellement et Ă  l’état naissant la taxonomie de ces formes. Dans la deuxiĂšme Ă©dition de son ouvrage, en 1714, il introduisit un frontispice qui s’efforçait de donner Ă  cette idĂ©e une reprĂ©sentation graphique : il fit modifier l’un de ses anciens portraits pour y introduire une perspective le long d’un jardin qui se prolonge dans une campagne boisĂ©e ; ainsi, le contrĂŽle qu’exerce la gĂ©omĂ©trie s’amenuise-t-il au fur et Ă  mesure que l’on s’éloigne de l’arcade oĂč se tient Shaftesbury. Cette idĂ©e est liĂ©e Ă  l’engouement contemporain pour les vues Ă  vol d’oiseau des chĂąteaux, oĂč, comme je l’ai indiquĂ© dans la premiĂšre confĂ©rence, le regard suit une perspective qui divise et relie ensemble trois niveaux diffĂ©rents de l’action de l’homme sur le paysage – axe qui, pour reprendre les termes de Shaftesbury, ne sert « qu’à guider l’Ɠil vers le sommet de la colline et par consĂ©quent tout au bout des champs replantĂ©s lĂ  oĂč se dresse le grand if chenu ». (Ce qu’il entendait exactement par le terme « replantĂ© » n’est pas clair : le contexte suggĂšre un contraste entre le changement annuel des cultures dans les champs et l’aspect immuable du « grand if chenu »).
Les idĂ©es de Shaftesbury portaient en germe la mauvaise interprĂ©tation dont elles furent victimes. Dans son dialogue, Les Moralistes, Ă©crit en 1705, qui fut plus tard inclus dans sa grande Ɠuvre inachevĂ©e, Characteristics, l’un des personnages donne libre cours Ă  son lyrisme et Ă  son enthousiasme pour les Ă©tendues vierges, sauvages, en les opposant aux « jardins princiers ». Le passage est trop long pour ĂȘtre citĂ© en entier, mais cet extrait traduit en partie son caractĂšre visionnaire et sa puissance : « Ce qui est sauvage nous plaĂźt. Nous y vivons Ă  l’unisson avec la Nature. Elle nous rĂ©vĂšle alors ses aspects les plus secrets et nous la contemplons avec plus de ravissement quand elle est vierge et sauvage que dans les labyrinthes artificiels et les dĂ©serts contrefaits des palais. »
À cet enthousiasme fait Ă©cho son interlocuteur, profondĂ©ment Ă©mu par l’évocatio...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Les jardins, les trois natures et la représentation
  6. Le paragone de l’art et de la nature, et l’historiographie du jardin
  7. Table
  8. Dans la collection « Travaux du CollÚge de France »