
- 264 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Des idées qui viennent
À propos de ce livre
« Quelles idées vont se développer dans les prochaines années ? Comment vont-elles modifier notre conception de la pensée ? Quel impact peuvent-elles avoir sur notre existence personnelle, notre réalité quotidienne, nos règles de vie ? Ces modèles intellectuels qui émergent sont-ils en mesure d'influencer bientôt la politique ? Nous avons voulu mettre en perspective les grandes lignes de force de la vie intellectuelle internationale. Mais nous ne sommes pas d'accord. Et nos divergences reflètent les tensions qui travaillent notre époque. Reste une commune conviction : la pensée ne saurait se réduire à un jeu théorique. Le travail intellectuel a pour horizon de modifier l'existence des humains. c'est pourquoi le monde de demain dépend largement des idées qui viennent aujourd'hui. » Roger-Pol Droit et Dan Sperber. Roger-Pol Droit est chercheur en philosophie au CNRS et étudie en particulier les représentations de l'Orient dans les systèmes de pensée occidentaux. Il tient une chronique au « Monde » et a publié notamment « La Compagnie des philosophes » . Dan Sperber est chercheur au CREA et travaille sur les fondements communs aux sciences cognitives et aux sciences sociales. Il a publié notamment « La Contagion des idées ».
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Informations
ISBN de l'eBook
9782738162182V
Pour un utopisme raisonné
DAN SPERBER
Comme tant de militants, j’étais séduit par la onzième thèse sur Feuerbach de Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il s’agit de le transformer. » Pourtant l’œuvre de Marx et Engels elle-même prouve que cette dichotomie est fausse : si le marxisme a contribué à transformer le monde, c’est bien en le réinterprétant. Aujourd’hui le monde se transforme rapidement, moins par l’effet de l’action politique que par celui d’une révolution technologique, la révolution informationnelle. Les ordinateurs, les puces électroniques désormais omniprésentes, et l’Internet sont en passe de bouleverser notre vie matérielle et sociale. En même temps que le réel les possibles changent. L’action politique sera bientôt confrontée à de nouveaux problèmes et à de nouvelles chances. Pour éclairer cette action politique, il faudra réinterpréter le monde.
La révolution informationnelle appelle l’élaboration de nouveaux objectifs et de nouvelles pratiques politiques. C’est vrai à court terme : nouvelle politique d’éducation, nouveau droit de la presse électronique, nouvelles formes de propagande ou de militantisme. La réflexion doit prendre en compte également le long terme. Alors qu’une réflexion politique réaliste ne considère que les possibles qui sont à la portée de l’action présente, ceux pour lesquels on peut imaginer comment agir maintenant pour les réaliser, la réflexion utopiste porte sur les possibles désirables, sans se préoccuper de leur réalisation. Les deux types de réflexion politique me paraissent souhaitables. Pour la réflexion réaliste, cela va de soi. Je voudrais donc plaider ici pour une nouvelle réflexion utopiste.
Je m’empresse de dire que je n’ai pas une nouvelle utopie à proposer. Mon propos est plutôt de mettre en avant quelques données et quelques idées pertinentes pour un nouvel utopisme. Ces données sont connues — en tout cas de ceux qui s’intéressent aux changements technologiques en cours —, et ces idées sont pour une part banales. Mais un ensemble d’évidences bien choisies peut suggérer des conséquences qui, elles, ne sont pas évidentes du tout.
Marx et Engels opposaient leur « socialisme scientifique » au « socialisme utopique » des Owen, Fourier, Saint-Simon ou Proudhon. Le socialisme scientifique ne se contentait pas d’appeler et d’annoncer un monde de justice, il démontrait que la lutte de classes devait déboucher sur la victoire révolutionnaire du prolétariat, sur l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, et sur le dépérissement de l’État. Aujourd’hui, cette foi en la science, ce rôle de sauveur attribué au prolétariat, ces préparatifs du Grand Soir, quoique révolus, susciteraient une admiration nostalgique s’ils n’avaient pas tant contribué à l’établissement d’une nouvelle tyrannie. Reste que ce qui motivait l’engagement révolutionnaire, fût-il « utopique » ou « scientifique » — et il est clair aujourd’hui que le « socialisme scientifique » était utopique lui aussi —, c’était la révolte devant la misère, l’injustice, et l’oppression dont est victime une grande partie de l’humanité. Or, de ce point de vue, on a aujourd’hui tout autant de raisons — des raisons en partie anciennes, en partie nouvelles — de se révolter.
De se révolter ? Mais puisque le sentiment de révolte ne débouche plus sur l’action révolutionnaire, ne vaut-il pas mieux se cantonner à des objectifs modestes qui se réalisent non pas par la révolte, mais par un travail tranquille et patient ? Cette sagesse-là ne me convainc pas. Soit, les révolutionnaires avaient tort et les réformistes avaient raison. (Je résiste à la tentation de nuancer, d’héroïser les uns et d’ironiser sur les autres, ou encore de reprendre cette bêtise complaisante des camarades qui disaient « préférer avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ».) Mais depuis qu’a été abandonnée l’idée selon laquelle la réalisation de tous les objectifs politiques passe par le succès du mouvement révolutionnaire, une division du travail politique s’est justement imposée. Dans cette division du travail, les rôles à jouer ne sont pas tous des rôles de prudents réformateurs. Le mouvement féministe en particulier a mis en évidence l’efficacité d’une action radicale, animée par un sentiment de révolte, et qui vise non à prendre ou exercer le pouvoir politique, mais à agir sur la façon même de vivre les rapports sociaux et politiques.
L’imagination réaliste n’a aucune raison d’être confinée à ce qui est réalisable tout de suite. Dans le travail à faire d’interprétation du monde, il y a celui d’imaginer des possibles désirables relativement lointains, des possibles qui ne seront atteints qu’à condition de se révolter à bon escient contre l’ici et maintenant. J’insiste sur le réalisme de l’imagination et sur le bon escient de la révolte, sans lesquels leur exercice tourne facilement à la catastrophe. C’est pourquoi la réflexion et l’action politique doivent — et ce d’autant plus qu’elles sont ambitieuses — s’appuyer autant que faire se peut sur une connaissance scientifique de la société. De ce point de vue, le défaut du socialisme de Marx et Engels était d’être, non pas scientifique, mais scientiste, invoquant une science pourtant balbutiante — qu’eux-mêmes contribuaient à améliorer — comme source de certitude et d’autorité.
Aujourd’hui encore, les accomplissements des sciences sociales, quoique bien réels, sont modestes. Les praticiens de ces sciences ne sont d’accord presque sur rien. Si les sciences sociales peuvent éclairer la réflexion et l’action politiques, elles n’entraînent guère de conclusions incontestables. C’est plutôt, justement, leur pouvoir de contestation qui est bienvenu pour mettre en cause les simplifications péremptoires des uns et les prétentions à l’expertise des autres.
Dissiper le brouillard
L’action politique — même la meilleure — doit être soumise à une critique constante, non pas la critique polémique des rivaux, mais une critique à la fois plus désintéressée et plus radicale. Ceux qui détiennent le pouvoir, comme ceux qui veulent le prendre, font un usage brutalement instrumental de la communication. Il est dans la logique de leur action de n’admettre leurs limites ou leurs erreurs que contraints et forcés et en cherchant encore à prouver qu’ils ont eu, en quelque sorte, raison d’avoir tort. L’exercice du pouvoir comporte presque toujours une exagération, sinon une imposture de compétence. Dans ces conditions, on imaginerait que les intellectuels qui veulent jouer un rôle en tant qu’intellectuels en politique concevraient majoritairement leur rôle comme un rôle d’analyse critique, de réflexion approfondie, de mise en garde contre les simplifications démagogiques d’où qu’elles viennent. En fait rares sont ceux qui ont entrepris une tâche aussi exigeante. Ainsi, en France, à côté d’un Raymond Aron, d’un François Furet, d’un Alfred Grosser ou d’un Alain Touraine qui, que l’on soit d’accord ou non avec eux, rendent la politique plus intelligible et plus intelligente, on trouve une ribambelle de donneurs de leçons, de poseurs, d’imprécateurs qui mettent leur talent au service de causes bonnes et moins bonnes qu’ils ne contribuent en rien à approfondir.
Une autre tâche, à la fois intellectuelle et politique, moins évidente est, je l’ai dit, de développer une réflexion sérieusement utopiste. À quoi cela peut-il servir ? Il est une métaphore d’usage commun en théorie de l’évolution, c’est celle d’un randonneur qui voudrait grimper le plus haut possible dans un brouillard épais et permanent. Sa meilleure tactique serait de choisir toujours un chemin praticable et qui monte. Le risque, évidemment, c’est qu’il atteigne ainsi un sommet mineur et s’arrête, alors qu’à condition de redescendre parfois — et pour cela de savoir quand et où redescendre —, il aurait pu atteindre une cime bien plus élevée. La sélection darwinienne a ainsi pour effet de faire évoluer des espèces vivantes par une série de petites améliorations immédiates vers des optima locaux. Les réformateurs, eux aussi, sont comme ce randonneur dans le brouillard. Ils améliorent les choses à petits pas et risquent, ce faisant, de ne plus pouvoir emprunter des voies qui pourtant mèneraient vers des améliorations bien plus radicales. Le rôle d’une pensée utopique sérieuse serait de contribuer à dissiper le brouillard.
Par le passé, la réflexion utopiste a été menée avec une admirable légèreté. On y trouve des formules lapidaires du genre « abolition de l’État », ou des plans précis guidés par une imagination plus ou moins débridée, comme celui du phalanstère de Fourier. Mais l’élaboration d’une utopie pourrait aussi s’appuyer, de façon beaucoup plus ouverte, au dialogue critique, sur la philosophie politique et les sciences sociales. À la philosophie on peut demander de caractériser ce qui est fondamentalement désirable, de préciser en particulier nos idées de justice et de liberté. Un certain nombre de philosophes contemporains ont apporté des contributions importantes à ce travail. Je pense par exemple à Jürgen Habermas ou à John Rawls. Aux sciences humaines on peut demander de quoi les humains sont individuellement et collectivement capables, et ce que serait donc une utopie réaliste. Bien entendu, même appuyée sur la philosophie et les sciences humaines, la réflexion utopiste reste essentiellement spéculative. Mais plus cette spéculation sera raisonnée et informée, plus elle contribuera à une critique positive de l’action politique.
L’idée anarchiste de l’abolition de l’État ou l’idée marxiste du dépérissement de l’État présupposaient l’une et l’autre une capacité des humains à établir et maintenir entre eux des rapports libres et justes, sans y être poussés autrement que par la satisfaction que trouverait dans ces rapports leur goût fondamental de la liberté et de la justice. L’idée marxiste du vrai communisme comme un état de la société où chacun contribuerait selon ses capacités et recevrait selon ses besoins présuppose que l’égoïsme et l’altruisme puissent s’équilibrer en chacun et entre les uns et les autres d’une façon généreuse plutôt que simplement équitable. Toute utopie comporte ainsi des implications psychologiques et sociologiques : implications psychologiques sur les dispositions humaines et implications sociologiques sur les institutions qui permettraient aux individus de vivre conformément à leurs dispositions les plus authentiques tout en assurant, par le mode même de vie qu’ils adopteraient alors, la pérennité de ces institutions.
« De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. » Cette définition du communisme selon Marx évoque un type de gestion communautaire des ressources au niveau de la société globale qui, en fait, ne se rencontre de façon durable — et encore, bien imparfaitement — qu’au niveau de la famille où les capacités et les besoins varient en particulier selon l’âge et où, idéalement, les adultes les plus capables subviennent aux besoins des plus jeunes et des plus âgés. Hors de petits groupes étroitement liés, en particulier par des liens de parenté ou aussi d’amitié, comment mettre en œuvre le principe ? Qui décide des capacités et des besoins ? Qui est à la fois assez impartial et assez compétent pour évaluer mes capacités (et donc la charge de travail qui m’incombera) et mes besoins (et donc les ressources qui me seront allouées) ? Si, en revanche, chacun décide pour soi, comment éviter que les besoins déclarés n’outrepassent massivement les capacités avouées, comment éviter que d’insatiables paresseux ne vivent aux dépens de travailleurs honnêtes et frugaux ? Ce communisme-là, tout d’abord, est radicalement utopique — on est loin du « socialisme scientifique » — et, en outre, il est moins évidemment désirable qu’il n’y paraît à première vue. Il ne fonctionnerait bien que si les producteurs n’éprouvaient pas moins de satisfaction à produire que les consommateurs à consommer, ce qui semble utopique dans le sens péjoratif du terme.
Et pourtant… Il se produit sous nos yeux une transformation technologique, sociale et politique que l’on peut décrire en disant qu’à l’âge industriel est en train de succéder un « âge de l’information » (c’est d’ailleurs le titre d’un important ouvrage du sociologue Manuel Castells, où il analyse et documente en profondeur cette transition1). Or je voudrais soutenir que cette transformation redonne une certaine actualité à une version évidemment transformée du communisme utopique. Pour donner un début de plausibilité à ce nouvel utopisme, il faut tout d’abord revenir sur le rôle de l’information dans la vie sociale.
Partager sans perdre
Il est un type de ressources que l’on peut donner à autrui sans pour autant devoir s’en priver, c’est l’information sous toutes ses formes (j’emploie ici « information » dans un sens très large incluant tout ce qui peut servir d’une façon ou d’une autre de nourriture à l’intellect). Les connaissances, les savoir-faire, les idées, les récits peuvent se partager indéfiniment sans que la part de chacun s’en trouve réduite. En fait, ce n’est qu’en un sens métaphorique que l’on « partage » de l’information : on la communique, on la reproduit, on la démultiplie avec plus ou moins de fidélité, mais sans jamais, ce faisant, en diviser les parts, ni l’appauvrir à la source. Du coup, la circulation de l’information n’obéit pas aux mêmes règles que la circulation des biens.
Évidemment, il est des informations qui perdent leur valeur en étant divulguées, par exemple des informations qui permettent un accès privilégié à des biens (qu’il s’agisse de secrets de cueilleurs de champignons ou de secrets de boursiers), ou bien qui permettent d’exercer un chantage sur autrui, ou encore qui permettraient à autrui d’exercer un chantage sur vous. Je ne méconnais pas l’importance dans la vie économique et politique de ces informations réservées. Mais, dans la circulation de l’information, le secret est plutôt l’exception et la divulgation à volonté est la règle. En effet, le plus souvent, l’information profite à ceux qui la détiennent non pas quand ils la gardent mais, au contraire, dans la mesure où ils la communiquent. Cela vaut aussi bien pour le potin ou pour l’histoire drôle, dont tout l’intérêt est de pouvoir être raconté, que pour le message religieux ou la théorie scientifique dont la réussite dépend de la diffusion. Dans tous ces cas, le détenteur d’une information cherche qui en faire bénéficier.
Est-ce à dire qu’en matière d’information, nous sommes de purs altruistes ? Bien sûr que non. En transmettant de l’information, non seulement nous ne la perdons pas, mais nous acquérons de l’influence sur autrui, de l’autorité, de la reconnaissance symbolique. La communication est, en règle générale, bénéfique pour les deux parties. Dans notre livre La Pertinence, communication et cognition2, Deirdre Wilson et moi avons montré comment le communicateur, qui est motivé par l’effet qu’il escompte avoir sur autrui, doit payer cet effet en produisant une information assez pertinente pour qu’autrui veuille bien y prêter l’attention nécessaire. C’est parce que la communication est, très généralement, un « jeu à somme positive » (plutôt qu’un « jeu à somme nulle » où les gains des uns sont faits des pertes des autres) que les humains s’y engagent si volontiers, et le plus souvent sans calculer à l’avance les gains et les pertes possibles.
Sans cette disposition si favorable au partage de l’information, il est douteux que les cultures humaines existeraient ou, du moins, seraient telles que nous les connaissons. Imaginez une population où toute information serait échangée contre une information ou un bien de valeur au moins égale, où nul ne chanterait à portée de voix d’autrui sans être rétribué, où les adultes seraient réticents à parler devant les enfants — ou, en tout cas, devant les enfants des autres — de peur, ce faisant, de leur enseigner gratuitement la langue. Bien peu d’information circulerait. Y aurait-il même une langue pour communiquer ?
Dans l’histoire humaine, la circulation de l’information n’a pas obéi aux mêmes règles économiques que la circulation des biens. Il y a cependant de bonnes raisons d’aborder la circulation de l’information d’un point de vue quasi économique, comme l’a fait en particulier Pierre Bourdieu. Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, il y a les cas d’informations dont la possession permet de contrôler des biens ou des personnes, et ces informations-là entrent très directement dans la logique économique ou politique. En outre, l’information n’est pas immatérielle, elle est véhiculée en partie par des marchandises comme les livres, ou par des services comme l’enseignement, marchandises et services qui obéissent aussi à une logique économique et politique. Enfin, dans une société inégalitaire, les flux d’information sont eux-mêmes structurés par les inégalités : les informations — les histoires, les compétences, les valeurs — qui circulent dans différents groupes ou différentes catégories sont en partie différentes, et quand ces informations sont semblables, elles circulent avec une fluidité variable et n’en restent pas moins contextualisées différemment. La circulation de l’information contribue donc par bien des aspects à la reproduction des inégalités économiques et polit...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Introduction - Ce n’est qu’un début
- I - Naturaliser l’esprit
- II - Désacraliser les sciences
- III - Voir autrement la culture
- IV - Chercher des sagesses
- V - Pour un utopisme raisonné
- VI - Vers une démocratie sans dehors
- Conclusion - Continuons le débat !
- Table