
- 320 pages
- French
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eBook - ePub
La Loi des juges
À propos de ce livre
Il est dans la nature du droit d'être conflictuel. C'est si vrai que la principale fonction du juge est, avant même de trancher entre des intérêts humains ou entre les droits individuels et le bien de la collectivité, de désarmer des conflits de normes. Et les occasions de conflits ne manquent pas, entre ordres juridiques distincts, par exemple entre le droit de l'Union européenne et le droit interne des États membres, mais aussi à l'intérieur d'un même ordre juridique apparemment unifié. En réponse à l'obscurité savamment entretenue par les praticiens et les théoriciens du droit, qui ont souvent tendance à déguiser leur activité sous des formules qui en masquent le ressort, François Rigaux nous propose ici une mise au jour des principes sur lesquels se fonde le raisonnement judiciaire, à travers la description des lieux de conflits de lois et l'analyse des méthodes de solution adoptées. Comment, dans la pratique, se résolvent ces antinomies ? Peut-on attendre de la justice qu'elle fasse mieux que de proposer des solutions temporaires et périssables, privées de toute vocation à l'éternité ? Et à quel titre, en vertu de quoi, la science du droit -- la plus conjecturale sans doute de toutes les sciences -- assumerait-elle la maîtrise d'un discours de vérité ? Juristes et historiens, spécialistes et moins spécialistes, trouveront dans cet ouvrage de philosophie juridique une analyse rigoureuse des rouages du droit, bâtie sur une abondance d'exemples concrets, en même temps qu'une réflexion sur l'évolution de la jurisprudence dans les pays occidentaux avec, en point d'orgue, une minutieuse étude de l'ordre juridique nazi. Spécialiste de droit international privé, François Rigaux est professeur émérite de l'université catholique de Louvain.
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Informations
TROISIÈME PARTIE
LA TRÊVE DES JUGES
CHAPITRE 8
Les infléchissements de la loi
Sous cette puissance de donner et casser la loi, est aussi comprise la déclaration et correction d’icelle, quand elle est si obscure que les Magistrats sur les cas proposés trouvent contrariété ou absurdité intolérable : mais le Magistrat peut ployer la loi, et l’interprétation d’icelle, soit en douceur, soit en rigueur, pourvu qu’en la ployant il se garde bien de la casser, encore qu’elle semble fort dure : et s’il fait autrement, la loi le condamne comme infâme.
Jean BODIN, Les Six Livres de la République.
Si profonde que paraisse la différence entre les pays de droit écrit et ceux de droit commun (common law), la fonction créatrice de la jurisprudence ne s’est pas enfermée dans les seuls pays du second groupe, encore qu’elle y soit plus traditionnelle que dans les pays du premier. Une évolution convergente a rapproché les deux traditions. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, se multiplient les lois (acts, statutes), dont l’interprétation laisse moins de liberté que dans les matières encore régies par la common law, cependant que la doctrine de l’exégèse est rejetée presque totalement et que s’affirme l’idée que le juge a pour mission de combler les lacunes de la loi et de le faire par des méthodes plus libres que ne le permettait la jurisprudence conceptuelle. La France s’est montrée moins attachée que la Belgique à la lettre des textes et aux scrupules de l’école de l’exégèse, dont le Belge François Laurent a été le héraut le plus systématique, mais aussi le plus entêté. Elle a su également, via le Conseil d’État, construire dans une matière à peu près totalement privée de sources écrites comme le droit administratif des théories aussi novatrices et audacieuses que celles de la jurisprudence des pays de common law1.
La croissance du droit par la jurisprudence
L’expression utilisée par Gény dans l’un de ses principaux ouvrages, « l’élaboration du droit positif », exprime à elle seule deux notions familières à la doctrine allemande : Rechtsfindung et Rechtsfortbildung2. Le concept de Rechtsfindung vise l’identification du droit applicable. Il pourrait être traduit par « invention » ou « découverte » du droit, si cela ne rendait un son étrange aux oreilles d’un juriste de langue française. L’idée doctrinale sous-jacente est claire : la règle de droit n’est pas donnée et le praticien doit la découvrir dans l’amas de normes parfois contradictoires, selon la méthode esquissée précédemment. Josef Esser a utilisé une image très suggestive, attribuant à la doctrine dominante l’illusion de la découverte d’un sens assoupi dans le texte, à la manière de la Belle au bois dormant, et qui y appartient depuis toujours3. Que la règle soit en sommeil fait croire en son aptitude à s’emparer sans effort interprétatif de la situation de fait soumise au juge, alors qu’il faut inventer, plutôt même que découvrir, la règle à la sélection de laquelle s’arrête finalement le praticien et qui recueille, de la conceptualisation de la situation juridique, une signification jusque-là inaperçue. Le mot composite Rechtsfortbildung est encore moins aisé à traduire. Fortbildung va au-delà de la simple élaboration. Est incluse l’idée de faire avancer, de développer le droit. Les arrêts du Tribunal constitutionnel fédéral qui s’appuient sur la jurisprudence du Reichsgericht reconnaissent même aux tribunaux le devoir de contribuer à pareil progrès du droit.
L’EXTENSION PAR ANALOGIE
La doctrine actuelle de la Rechtsfortbildung est généralement opposée au positivisme juridique. Encore faut-il distinguer le « positivisme de la loi » (Gesetzespositivismus) du « positivisme du droit » (Rechtspositivismus)4. Le premier est très proche de la jurisprudence conceptuelle, selon laquelle l’ordre juridique forme un système unifié et clos dont le juge ne peut que reconnaître la plénitude, et qui contient les concepts généraux par déduction desquels toute situation particulière doit recevoir sa solution. Au sens large, le positivisme juridique inclut les décisions des tribunaux. Il reconnaît la force des précédents judiciaires, qui sont une variante de l’argument d’analogie : si la situation soumise au tribunal est voisine d’un cas déjà tranché, le juge doit se rallier à la solution antérieure.
Dans les pays de common law où il fait l’objet de règles apparemment précises, le principe du précédent est lié à la hiérarchie des juridictions et s’impose aux juridictions inférieures du ressort de la cour dont la jurisprudence a une telle force. Il n’a évidemment pas une égale autorité pour la juridiction suprême dont il émane : il ne l’a jamais eue aux États-Unis et l’a perdue en Angleterre depuis le Practice Statement publié le 26 juillet 1966 par la Chambre des lords5. La situation des pays de droit civil s’écarte moins qu’il ne pourrait paraître de celle des pays de common law. Sans doute la force hiérarchique de la doctrine du précédent n’y est-elle pas enseignée : les juridictions inférieures n’ont pas le devoir de s’aligner sur les décisions de la cour suprême, mais elles n’ont que la liberté de se tromper et de s’exposer à la réformation ou à la cassation. Au surplus, la doctrine du précédent y est présente sous une forme voilée : les juridictions inférieures doivent respecter la loi, laquelle est un texte interprété par la cour suprême dans le ressort duquel elles siègent. Elles sont, dès lors, censurées pour avoir transgressé la loi, c’est-à-dire l’interprétation que celle-ci a reçue de la jurisprudence antérieure. Quant aux revirements de jurisprudence de la cour suprême, ils sont rarement avoués, sans être jamais exclus. Il arrive même qu’ils soient opérés avec solennité afin que toute équivoque soit dissipée, et soient spécialement motivés, certaines cours énonçant les conditions générales auxquelles est subordonné le changement de jurisprudence.
D’une façon générale, la stabilité des interprétations de la loi survit aux bouleversements politiques. Tantôt c’est la même juridiction (avec, durant la période de transition, une composition inchangée) qui est le témoin d’une révolution ou d’un changement constitutionnel, tels la Cour de cassation en France du Consulat à la Ve République ou le Reichsgericht qui a été la juridiction suprême allemande sous trois régimes politiques, de 1879 à 1945. Même une modification des institutions judiciaires ne rompt pas la ligne des précédents. Ainsi le Bundesgerichtshof, principale juridiction de cassation en matière civile et pénale de la République fédérale d’Allemagne, s’appuie régulièrement sur la jurisprudence du Reichsgericht ou développe les motifs pour lesquels il s’en écarte, comme par exemple lors de l’adhésion à une nouvelle doctrine de l’imputabilité pénale qui incluait la connaissance du caractère illicite de l’acte criminel6.
Si les revirements de jurisprudence sont rarement reconnus, c’est que la doctrine du précédent souffre de la même ambiguïté que l’argument d’analogie. Quand la situation litigieuse offre quelque analogie avec une catégorie de situations sur laquelle le législateur s’est prononcé, le juge a toujours le choix entre le raisonnement a pari et le raisonnement a contrario : ou bien l’analogie est suffisante pour que la situation nouvelle soit régie par la disposition législative dont l’hypothèse ne la vise pas explicitement, ou bien la différence est à ce point significative que le juge en écarte l’application. L’armature faussement logique des deux arguments s’effondre devant le lien entre le choix fait par le juge et les termes dans lesquels il a décrit la situation litigieuse. Selon que ces termes sont plus ou moins proches de l’interprétation qu’il donne à la norme, il aura justifié un raisonnement a pari ou un raisonnement a contrario. Comme l’écrit Neil MacCormick qui s’inspire d’une formule de Llewellyn, « they hunt in pair » : aucun des deux arguments n’est séparé de l’autre par un critère logique en dépit des termes de logique formelle dans lesquels ils sont présentés7.
La doctrine du précédent n’est guère différente sur ce point. Il est exceptionnel que les juges annoncent explicitement un revirement de jurisprudence. Ils disposent d’une technique infiniment plus satisfaisante : distinguer l’hypothèse litigieuse de celle qui a antérieurement fait l’objet d’une décision judiciaire ayant valeur de précédent. La méthode est identique à la « chasse à deux armes » (hunting in pair) : la juridiction supérieure décide souverainement si l’hypothèse soumise à son jugement est, ou non, analogue à celle qui a fait l’objet du précédent. Une telle décision judiciaire est semblable à la règle de droit qui n’a pas explicitement déterminé la solution applicable à une situation différente de celle qu’elle a réglée.
Sous ses deux formes, application d’une norme législative ou d’un précédent jurisprudentiel à une situation non exactement identique à celle qui appartient par droit de naissance au patrimoine normatif ou l’a rejoint, le problème considéré ici est généralement présenté comme une lacune de l’ordonnancement positif. Mais l’expression est elle-même ambiguë. S’agit-il seulement d’une lacune de la loi (Gesetzeslücke) ou faut-il imputer la défaillance à l’ordre juridique lui-même ? Quelle que soit la réponse donnée à cette question, la lacune n’est jamais qu’une étape passagère dans le raisonnement du juge : après que celui-ci a parlé, elle est nécessairement comblée. Même l’imprescriptibilité de la lettre de change souscrite aux États-Unis et payable en Allemagne n’est pas un exemple de lacune au sens propre du terme, l’imprescriptibilité n’étant pas une figure inconnue du droit positif. Certes, la solution peut paraître étrange, puisqu’elle confère au porteur de la lettre de change une faveur exceptionnelle, dont il n’aurait pas joui si la situation avait été entièrement localisée dans un seul des deux pays. Si on examine la solution du Reichsgericht sous l’angle de la cohérence, on peut distinguer entre « coherence » et « consistency8 ». Une fois admis les présupposés du juge allemand, à savoir la distinction dogmatique entre substance et procédure et l’interprétation du droit étranger déclaré applicable à la lumière de la qualification qui y est à tort imputée par le juge allemand sous une forme aussi rigide, aucune incohérence interne (inconsistency) ne saurait être décelée dans la décision judiciaire dont le vice majeur serait plutôt un excès de logique formelle. Ce n’est que dans l’ordre juridique global qu’apparaît une incohérence externe (incoherence), l’exclusion de toute norme applicable à la prescription de la lettre de change aboutissant à la tenir pour imprescriptible, ce qui constitue une anomalie à défaut de raison valable pour que la seule dispersion géographique des facteurs de rattachement ait pour conséquence tantôt un conflit négatif, improprement appelé lacune, tantôt un conflit positif. On ne saurait cependant dire que la justice s’en est trouvée offensée car la condamnation du tiré, même si elle se produit après qu’il a été déchargé de toute obligation dans l’ordre purement interne de chacun des deux pays, aboutit en fin de compte à lui faire payer ce à quoi il s’était lui-même engagé.
LES RETOUCHES PONCTUELLES
Dans d’autres situations, en revanche, ce qui apparaît comme une lacune de la loi suscite un sentiment d’injustice et encourage le juge à passer de la Rechtsfindung à la Rechtsfortbildung. La jurisprudence new-yorkaise en procure un exemple souvent commenté en doctrine, l’arrêt Riggs v. Palmer de 18899. Quand le bénéficiaire d’un testament a tué le de cuius, peut-il réclamer le legs qui lui est dû en vertu des dispositions de dernière volonté et de la loi de New York qui ne prévoit aucune exception au droit de succéder de l’héritier condamné pour un tel meurtre ? La réponse négative de la cour suprême de l’État de New York n’a pas été unanime, deux juges ayant estimé qu’ils ne pouvaient aller au-delà des termes de la loi. La motivation de l’opinion majoritaire ne laisse pas de trahir l’embarras du juge Earl qui en est l’auteur. Après avoir constaté que si la loi devait recevoir une interprétation littérale, il faudrait ordonner la délivrance du legs au meurtrier, il préfère retenir une interprétation d’abord qualifiée de rationnelle et, ensuite, d’équitable selon un emprunt fait à Bacon et à Aristote10. Puis viennent en renfort les « maximes générales et fondamentales de la common law11 » et, pour faire bonne mesure, un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, relatif à une hypothèse différente, celle du meurtre commis par le bénéficiaire d’un contrat d’assurance placé sur la tête de la victime.
C’est ici l’occasion de faire une observation souvent vérifiée : l’addition de motivations multiples n’est pas un symptôme de santé, car quand il est pertinent, un seul motif doit suffire. Une décision judiciaire ne se construit pas sur le modèle de la constitution d’une société anonyme où la diversité d’origine des capitaux ne nuit pas à l’harmonie de l’ensemble. Quand le juge estime nécessaire de faire appel à des motifs hétérogènes, il est permis de craindre qu’il n’est sûr d’aucun d’eux pris séparément des autres : l’accumulation de motifs insuffisants ne saurait procurer une justification convaincante de la décision...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Ouverture
- Première partie - La guerre des normes
- Deuxième partie - Légalité et légitimité de Weimar à Nuremberg
- Troisième partie - La trêve des juges
- Épilogue
- Notes
- Bibliographie
- Index des noms
- Index thématique
- Table