L' Invention du sans-culotte
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L' Invention du sans-culotte

Regard sur le Paris révolutionnaire

  1. 240 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L' Invention du sans-culotte

Regard sur le Paris révolutionnaire

À propos de ce livre

Qui Ă©taient les sans-culottes ? Aux approches sociologiques qui, depuis cinquante ans, ont vainement tentĂ© d'en faire une classe sociale, HaĂŻm Burstin oppose ici une lecture politique. Il montre comment, Ă  la joncion de la rĂ©volution d'en haut (celle des Ă©lites jacobines) et de la rĂ©volution d'en bas (celle des quartiers populaires), a surgi la figure emblĂ©matique du militant sans-culotte et comment, dans un monde bouleversĂ©, des acteurs sociaux trĂšs divers ont pu y trouver une nouvelle identitĂ©. Retraçant les destins individuels de personnages hauts en couleur et brossant avec les mĂ©thodes fines de la microhistoire un tableau vivant du Paris rĂ©volutionnaire, ce livre n'offre pas seulement une approche renouvelĂ©e d'un problĂšme majeur pour l'historiographie de la RĂ©volution française : c'est aussi une gĂ©nĂ©alogie du militantisme comme forme originale, spĂ©cifique et moderne de comportement politique. Haim Burstin est professeur Ă  l'UniversitĂ© de Milan (Italie). Il a notamment publiĂ© Une rĂ©volution Ă  l'Ɠuvre : le faubourg Saint-Marcel (1789-1794).

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2005
Imprimer l'ISBN
9782738116857
Chapitre II
Sans-culottes et Jacobins
Avant-gardes politiques,
militants révolutionnaires
et masses populaires
La notion de sans-culotte : entre idéal type et stéréotype
C’est vraisemblablement la grande familiaritĂ© de Soboul avec les sources rĂ©volutionnaires qui lui a permis de comprendre l’importance centrale du thĂšme du rapport entre avant-gardes politiques et masses populaires dans le cadre gĂ©nĂ©ral de la RĂ©volution et, en particulier, de la rĂ©volution parisienne. Soboul se range ainsi dans le sillage d’Albert Mathiez qui avait su traiter un thĂšme classique de l’histoire d’Ancien RĂ©gime, celui de la vie chĂšre et des subsistances, en fonction du rĂŽle politique qu’il joue sous la RĂ©volution. Ce n’est donc pas par hasard si, au cƓur mĂȘme de la thĂšse de Soboul, se trouve le rapport entre sans-culottes et Jacobins, un thĂšme qui recoupe plusieurs questions stratĂ©giques pour la comprĂ©hension du phĂ©nomĂšne rĂ©volutionnaire. Tout d’abord, Ă©voquons le rapport entre direction politique et mouvement de masse, auquel les Jacobins attachent, en comparaison des autres courants politiques rĂ©volutionnaires, une importance particuliĂšre. Le recours au peuple en vue d’en exploiter la force et la mobilisation, sans pour autant se faire submerger par son dĂ©ferlement sur le plan politique, est une des clĂ©s du problĂšme du consensus, de sa tenue ou de sa rupture. Mais cela implique aussi inĂ©vitablement le thĂšme de la violence, de la radicalisation et, par lĂ  mĂȘme, de la Terreur. C’est autour de ces questions que se noue la lutte politique acharnĂ©e entre les forces politiques et les factions qui s’affrontent sur la scĂšne parisienne.
C’est donc par le biais de ces grandes questions qu’il faut reformuler, je crois, la question de savoir ce qu’est un sans-culotte – sur un terrain en partie balisĂ© par Soboul, mais pour aller plus loin, en profitant des Ă©lĂ©ments nouveaux apportĂ©s par le dĂ©bat plus rĂ©cent sur la politique rĂ©volutionnaire.
Il faudrait commencer d’abord par se demander, en renversant les choses, si les sans-culottes ont une origine et une existence autonomes, ou s’ils ne sont pas plutĂŽt une « invention » des Jacobins et des autres avant-gardes et courants radicaux qui occupent la scĂšne politique parisienne de l’an II. Autrement dit : le sans-culotte est-il un personnage en chair et en os qu’il faut essayer de reconstruire en cherchant Ă  lui redonner son Ă©paisseur concrĂšte – comme, dans un certain sens, le propose Soboul ? S’agit-il plutĂŽt d’une mĂ©taphore, comme cela a Ă©tĂ© avancĂ© par d’autres ? Ou encore, ne serait-il pas plutĂŽt, comme je le crois, un idĂ©al type, une sorte d’abstraction construite en fonction du contexte politique d’oĂč il est issu ? Le sans-culotte a-t-il une vie concrĂšte ou ne vit-il en rĂ©alitĂ© que par la plume d’un HĂ©bert ou d’un Marat, dans les pages de la presse populaire et dans le cadre du projet radical auquel il est associĂ© ? Dans ce cas, il s’agirait d’une crĂ©ation strictement liĂ©e Ă  un terrain et Ă  un moment politiques spĂ©cifiques. S’il est vrai – comme je vais essayer de le dĂ©montrer – que le sans-culotte ne sort pas comme Minerve du crĂąne de Jupiter avec une physionomie dĂ©jĂ  dĂ©finitive et prĂ©cise, mais qu’il est le produit d’une genĂšse graduelle et progressive, on peut estimer avec une certaine approximation que son champ opĂ©rationnel se situe chronologiquement entre la chute de la monarchie, le 10 aoĂ»t 1792, et le 9 thermidor an II. Avant cette pĂ©riode, il n’a pas encore de consistance autonome, tandis qu’aprĂšs, en l’an III, il se dissout en tant que personnage politique, comme l’a bien dĂ©montrĂ© K. D. TĂžnnesson1. Il s’agit, par consĂ©quent, d’une notion qui se prĂ©cise dans une phase trĂšs dĂ©licate de la RĂ©volution, Ă©poque de radicalisation oĂč on commence Ă  bien cerner, dans sa centralitĂ© dramatique, le problĂšme du consensus populaire, et Ă  constater les difficultĂ©s que comporte l’effort pour manier cette variable.
C’est, en effet, au moment de la crise provoquĂ©e par le procĂšs du roi, lors de l’aggravation du conflit entre factions, qu’on dĂ©couvre toute l’ambiguĂŻtĂ© de la notion de « peuple » : une notion plastique, voire glissante, multiforme, et en tout cas potentiellement utilisable par chacun pour servir les objectifs politiques les plus variĂ©s.
Le problĂšme est donc de cerner la façon dont les avant-gardes politiques se mettent en relation avec les couches populaires parisiennes pour obtenir leur adhĂ©sion et s’en servir efficacement dans leur lutte politique. Il ne s’agit pas, pour autant, d’un simple effort visant Ă  accaparer le monopole du consensus en vue de manipuler l’opinion publique, mais d’un vĂ©ritable choix politique et stratĂ©gique. En effet, dĂšs le dĂ©but de la RĂ©volution, le clivage est profond entre les forces politiques du point de vue de leur rapport avec le mouvement populaire. Il y a ceux qui, comme les monarchiens et les Feuillants, refusent de reconnaĂźtre au peuple de Paris tout rĂŽle de sujet politique autonome ou mĂȘme d’interlocuteur ; il y a ceux qui, Le Chapelier par exemple, envisagent le peuple comme un instrument auxiliaire, un interlocuteur convoquĂ© exceptionnellement et dont le rĂŽle est liĂ© Ă  un Ă©tat d’urgence ; mais il y a aussi ceux qui, comme les Jacobins, s’aventurent plus Ă  fond dans cette direction, se dĂ©clarant disposĂ©s Ă  assumer un certain nombre de revendications populaires en vue de s’assurer le consensus et d’établir avec le peuple de Paris un rapport privilĂ©giĂ©.
NĂ©anmoins, l’expĂ©rience a appris aux Jacobins – notamment dĂšs qu’ils sont associĂ©s au gouvernement – les risques que cette stratĂ©gie comporte. Laisser Ă  la spontanĂ©itĂ© populaire un rĂŽle indĂ©fini pouvait engendrer une situation de dĂ©stabilisation continue qui, empĂȘchant le retour Ă  la normalitĂ©, aurait entravĂ© toute tĂąche de gouvernement. Il importait donc de baliser et de dĂ©limiter l’espace Ă  accorder aux couches populaires et aux classes travailleuses au sein de la nouvelle koĂŻnĂ© rĂ©volutionnaire : en dĂ©terminer les bornes pour ĂȘtre utile au processus rĂ©volutionnaire. C’est Ă  ce moment-lĂ  que le personnage du sans-culotte, en son sens propre, fait son apparition. Il s’agit d’une notion elle aussi forcĂ©ment plastique, floue et mal dĂ©finie ; et ce n’est pas par hasard, car cette plasticitĂ© permet de dĂ©signer l’espace qu’on est disposĂ© Ă  accorder chaque fois Ă  la participation populaire : un moule d’extension variable pour contenir cette prĂ©sence, en fixer les coordonnĂ©es et la compatibilitĂ© avec les tĂąches du gouvernement rĂ©volutionnaire. C’est avec l’invention du sans-culotte que s’impose progressivement Ă  Paris une sorte de paradigme de la participation populaire « compatible », et donc acceptable, voire souhaitable.
La notion de sans-culotte parvient Ă  reprĂ©senter ainsi par mĂ©tonymie le peuple de Paris dans son ensemble. Cela permet d’expurger les comportements populaires de tout aspect jugĂ© nuisible, et de sĂ©lectionner en mĂȘme temps ce qu’on souhaite encourager. Il s’agit donc d’une crĂ©ation « ad excludendum » de la part des avant-gardes politiques, qui joue le rĂŽle implicite de filtre Ă  l’égard du monde populaire pour le trier et en exclure la composante qu’on estime dangereuse et dont on se mĂ©fie. Que la connotation Ă©conomique et sociale du terme de sans-culotte reste vague, au profit d’une dĂ©finition d’ordre politique et moral, il n’y a lĂ  rien de plus logique. Cela permet d’incorporer en l’occurrence aux sans-culottes des secteurs de la population parisienne qui ne sont pas forcĂ©ment d’extraction populaire, et cela laisse aussi bien la possibilitĂ© d’exclure la partie la plus redoutable du peuple dont on craint les rĂ©actions.
Le fait de laisser intentionnellement floues les marges de la connotation sociologique du mot permettait ainsi d’accentuer le rĂŽle plus spĂ©cifique de rĂ©vĂ©lateur de comportement confiĂ© Ă  la notion de sans-culotte. On pouvait homologuer ainsi un certain type de prĂ©sence populaire, la rendant plus acceptable auprĂšs de l’opinion publique modĂ©rĂ©e. Le sans-culotte est donc, de ce point de vue, une abstraction, un personnage artificiel, une sorte d’idĂ©al type, conçu et Ă©laborĂ© dans le laboratoire de la politique en vue de reprĂ©senter par mĂ©tonymie un peuple idĂ©al, la sanior pars du peuple, quelque chose de trĂšs proche d’un paradigme normatif, difficilement repĂ©rable Ă  l’état pur. À ce titre et en vertu de ce caractĂšre abstrait, il parvient Ă  jouer un rĂŽle d’homogĂ©nĂ©isation au niveau populaire en aplanissant des contrastes qui se manifestent justement sur le plan Ă©conomique et social, garantissant ainsi un certain taux d’« interclassisme ».
C’est un rĂŽle qui rappelle celui que Lucien Jaume attribue au concept de citoyen et de citoyennetĂ©, « un rĂŽle massificateur, rĂ©gulant les effets dissociants que les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques pouvaient engendrer [
]. Ce conflit oppos[e] la reprĂ©sentation politique de la sociĂ©tĂ© Ă  sa structure sociale et Ă©conomique2 ».
Le sans-culotte, en tant qu’idĂ©al type imposĂ© comme modĂšle implicitement normatif et rĂ©gulateur des comportements populaires, accomplit une autre fonction de grande importance : celle de fournir aux couches populaires un modĂšle d’identification, une figure de rĂ©fĂ©rence dont les multiples composantes du peuple peuvent s’inspirer aprĂšs le grand bouleversement des hiĂ©rarchies et des structures de sociabilitĂ© amenĂ© par la RĂ©volution, afin de retrouver une nouvelle identitĂ© collective. Dans ce sens, le concept de sans-culotte joue un rĂŽle semblable Ă  celui jouĂ© par l’abstraction « peuple » chez Pierre Rosanvallon dans son Peuple introuvable 3 ; Ă  ceci prĂšs qu’il ne s’agit pas seulement ici d’un mĂ©canisme identitaire gĂ©nĂ©rique, mais d’un critĂšre d’identification politique – une identitĂ© certes provisoire et transitoire, mais nĂ©anmoins efficace pour stimuler un sens d’appartenance politique et pour crĂ©er par consĂ©quent les conditions de la formation d’un consensus.
Les Jacobins ne sont pas spĂ©cialement intĂ©ressĂ©s Ă  offrir une identitĂ© gĂ©nĂ©rique aux couches populaires dans le but, par exemple, de remplacer l’identitĂ© corporative qu’elles viennent de perdre ; ils comptent plutĂŽt sur la diffusion d’une identitĂ© capable de produire adhĂ©sion et agrĂ©gation autour de leur projet politique, identitĂ© qui permette aux couches sociales concernĂ©es de se concevoir et de se situer Ă  l’intĂ©rieur du front rĂ©volutionnaire.
L’invention du sans-culotte, parce qu’elle est justement Ă©trangĂšre Ă  toute connotation socioprofessionnelle spĂ©cifique, ne se heurte pas Ă  la loi Le Chapelier ni Ă  son esprit socialement normalisateur4 ; mais elle donne aux couches populaires urbaines une identitĂ© « honorable » qui leur permet de bien se diffĂ©rencier de la « canaille », de la « lie du peuple », bref, des classes dangereuses. La participation populaire bĂ©nĂ©ficie ainsi d’une sorte de lĂ©gitimitĂ©, sans le risque d’interfĂ©rences avec le monde du travail.
Le succĂšs de cette figure Ă  Paris tient vraisemblablement Ă  une heureuse rencontre : d’une part, l’exigence des avant-gardes politiques de dĂ©finir, au fil des situations, les bornes Ă  assigner Ă  la notion de « peuple » ; de l’autre, la nĂ©cessitĂ©, de la part du mouvement populaire, de trouver une nouvelle lĂ©gitimitĂ© Ă  l’intĂ©rieur de la koĂŻnĂ© rĂ©volutionnaire. Toute artificielle qu’elle puisse sembler, l’invention du sans-culotte marque un terrain de rencontre qui permet d’incorporer de larges secteurs de la population urbaine Ă  la lutte politique : une solution provisoire, mais efficace, Ă  la nĂ©cessitĂ© difficile et problĂ©matique d’une soudure et d’une entente entre avant-gardes et masses.
Devoir-ĂȘtre – l’effort normatif mis en Ɠuvre par les Jacobins – et vouloir-ĂȘtre – la recherche identitaire de la part des couches populaires – se conjuguent donc autour d’une mĂ©taphore fonctionnelle, d’un dĂ©nominateur commun, le sans-culotte, dans le but de dĂ©finir, unifier et normaliser le mouvement populaire parisien. Ce paradigme, une fois confectionnĂ©, est soumis par la suite Ă  un processus de rĂ©ification de la part des Ă©lites dirigeantes qui aspirent Ă  s’en servir pour se mettre en relation avec les couches populaires.
De la part des individus rĂ©els, des militants sans-culottes ou de ceux qui aspirent Ă  le devenir, il ne reste donc qu’à s’adapter, autant que possible, Ă  ce paradigme idĂ©al et abstrait par des opĂ©rations de mimĂ©tisme ou de maquillage afin de se donner une apparence conforme. Ceux qui sont trop riches ou trop cultivĂ©s par rapport Ă  l’idĂ©al type doivent essayer de se « sans-culottiser », alors que ceux qui gardent un aspect excessivement plĂ©bĂ©ien doivent Ă©voluer et se cultiver surtout politiquement : les sections et les sociĂ©tĂ©s populaires reprĂ©sentent en l’an II autant d’écoles de sans-culottisme. Ce processus d’adaptation au stĂ©rĂ©otype peut s’opĂ©rer consciemment, mais aussi spontanĂ©ment, sous la pression d’une mentalitĂ© collective ou d’une nĂ©cessitĂ© politique.
VoilĂ  pourquoi l’étude du sans-culotte conçue comme simple produit d’une mentalitĂ© artisanale se rĂ©vĂšle tout Ă  fait insuffisante. Non seulement il n’y a pas de continuitĂ© linĂ©aire entre artisan et sans-culotte, mais une vĂ©ritable transsubstantiation s’opĂšre, oĂč d’autres facteurs interviennent pour changer la substance de l’artisan et en faire un sans-culotte.
Dans le concret de la dynamique politique rĂ©volutionnaire, les milieux politico-administratifs sectionnaires ainsi que les rĂ©seaux du militantisme sont des zones de contamination et de brassage sur le plan social, sur le plan idĂ©ologique et sur celui des reprĂ©sentations. Dans ces milieux, les hommes de loi, les intellectuels, les maĂźtres-artisans aisĂ©s cohabitent avec des petits artisans, des boutiquiers, des salariĂ©s. C’est un terrain charniĂšre, lieu d’échange et d’osmose du point de vue social et idĂ©ologique. Les couches les plus humbles bĂ©nĂ©ficient d’une sorte de promotion du fait de frĂ©quenter les Ă©lites du quartier, d’interagir avec elles : c’est un facteur de distinction par rapport Ă  leurs homologues restĂ©s en dehors de la vie sectionnaire. Et, rĂ©ciproquement, les notables des quartiers se laissent conditionner par les comportements et le langage populaires. L’idĂ©ologie Ă©galitaire facilite cette sorte d’hybridation et encourage les formes de populisme, poussant des hommes issus des milieux juridiques ou intellectuels Ă  changer de maniĂšres et de comportement dans les sections ou dans les rangs de la Garde nationale : la nĂ©cessitĂ© de coiffer mĂ©taphoriquement ou concrĂštement le bonnet rouge devient souvent indispensable pour rester dans la politique. Dans ces zones de brassage, chacun apporte ses caractĂ©ristiques et sa physionomie traditionnelle, qu’il demeure important de connaĂźtre et d’étudier, sans oublier pour autant qu’elles se transforment sous la poussĂ©e de l’idĂ©ologie et de la pratique rĂ©volutionnaires. Les vecteurs de cette transformation sont d’habitude des individus douĂ©s d’un ascendant particulier et d’un certain mimĂ©tisme qui leur permettent de s’adapter plus rapidement aux changements. Du point de vue social, ces individus se situent souvent dans une zone grise composĂ©e des secteurs particuliĂšrement frappĂ©s par la RĂ©volution : ci-devant commis ou officiers employĂ©s par l’ancien pouvoir, ex-ecclĂ©siastiques, hommes issus d’une bohĂšme intellectuelle et universitaire. Ce n’est donc pas seulement de la boutique, de l’échoppe ou de l’atelier que sortent les potentiels sans-culottes ; mĂȘme le dĂ©classement peut bel et bien favoriser l’engagement dans la vie sectionnaire. La figure du sans-culotte devient ainsi un point de convergence qui permet de rassembler des identitĂ©s sociales, voire socioculturelles, diffĂ©rentes ; le langage mĂȘme qui en sort est donc un produit composite, et redevable de plusieurs sources, plutĂŽt que l’expression directe du monde du travail.
Si la notion de sans-culotte s’affirme et se gĂ©nĂ©ralise Ă  partir de 1793, elle connaĂźt une gestation au cours des annĂ©es rĂ©volutionnaires, sur la base de l’évolution et de l’élaboration de la notion abstraite de « peuple » au fil des expĂ©riences prĂ©cĂ©dentes, notamment Ă  partir de l’accĂšs sur la scĂšne politique des « citoyens passifs », restĂ©s jusque-lĂ  Ă  l’écart et en quĂȘte maintenant d’une pleine lĂ©gitimation ; c’est ce qui leur permet de participer Ă  la vie sectionnaire, mais aussi d’aspirer aux nouvelles places dans l’administration. Cette lĂ©gitimation s’appuie sur un thĂ©orĂšme qui s’impose progressivement et qui va servir de base Ă  la dĂ©finition sociologique du sans-culotte : le caractĂšre « naturellement » rĂ©volutionnaire des pauvres.
« On sait que gĂ©nĂ©ralement les meilleurs patriotes ne sont pas les plus fortunĂ©s », affirmait-on de façon dĂ©jĂ  pĂ©remptoire dans une adresse des Ă©lecteurs de l’ÉvĂȘchĂ© en octobre 17915. Mais si l’on cherche une argumentation plus explicite, on peu...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Préface
  5. Introduction
  6. Chapitre premier - Les sans-culottes : entre histoire et historiographie
  7. Chapitre II - Sans-culottes et Jacobins
  8. Chapitre III - Intellectuels en temps de révolution
  9. Chapitre IV - Phénoménologie de la violence révolutionnaire
  10. Dans la mĂȘme collection