
- 384 pages
- French
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eBook - ePub
De Gaulle et la République
À propos de ce livre
La Ve République prend corps le 4 septembre 1958. Ce soir-là, place de la République, à Paris, de Gaulle décrit au peuple la Constitution par laquelle il l'invite à conclure une longue phase de mise au point des institutions ouverte en 1789. Désormais, la République sera enfin « forte et efficace », comme l'exigent les enjeux du siècle. Il parachève ainsi l'œuvre assumée le 18 juin 1940 : maintenir la République française, la mener à la victoire, lui conférer les moyens de reprendre son rang, tout en assurant la prospérité de son peuple et sa sécurité à jamais. Ce texte est une apogée. Soixante années ont passé. D'immenses évolutions ont mis la Constitution à l'épreuve. Pourtant, ainsi qu'en 1958, le besoin de rénovation si manifeste en 2018 trouve toujours dans ce discours une réponse d'une justesse impressionnante. Dans ce livre, Philippe Ratte part de ce moment décisif pour proposer une lecture neuve et pénétrante tant de l'œuvre du général de Gaulle que de l'histoire de la République, jusqu'à sa plus récente actualité. Philippe Ratte est agrégé d'histoire, membre du conseil scientifique de la Fondation de la France libre. Il a publié une biographie de De Gaulle, De Gaulle, la vie, la légende.
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Informations
CHAPITRE 1
Non
Saint Pierre à rebours :
trois reniements refusés
À la manière dont l’épaule sur laquelle repose une palanque soutient deux charges symétriques se répondant, l’une devant l’autre derrière, la journée du 25 août 1944 est le point d’appui décisif du gaullisme. Elle est aussi l’une de celles qui décident de l’histoire contemporaine de la France.
Elle l’est de ne pas en être une, au sens que ce mot a pris, dans notre historiographie, de « moment transformateur à caractère insurrectionnel ». Elle l’est en ce qu’y prévaut le refus de la rendre inaugurale.
S’équilibrant de part et d’autre de cette date, le 18 juin 1940, en arrière, et le 4 septembre 1958, vers l’avant, forment avec elle le triptyque d’un accomplissement, celui de la confortation de la République.
Le 18 juin d’abord. Ce jour-là, par son appel, de Gaulle avait infirmé l’infamie qu’il y aurait eu pour la France à cesser le combat avant même la signature de tout armistice, comme bien maladroitement venait de l’y inviter son chef incontesté du moment, le maréchal Pétain, dans sa première allocution de président du Conseil, le 17 juin. En sauvant ainsi la France d’une forfaiture inconcevable s’agissant d’elle, et cependant commise par l’homme quasi sacramentel à qui s’en est légalement remise la République, de Gaulle forclôt que cette dernière demeure un instant de plus représentée par son gouvernement légal régulièrement constitué la veille. Par conséquent, c’est lui qui de facto assume immédiatement (et provisoirement) la continuité républicaine, puisque à cette date la République et la France sont une seule et même chose. À cet égard, le 18 juin est d’abord et avant tout un sauvetage de la République, dont le collapsus la veille, en la personne du chef sénile à qui elle s’est confiée, a failli signer la mort de cette France dont on ne peut la dissocier. Pour ne pas laisser périr la France, il fallait sur-le-champ la réanimer, et cela signifiait ipso facto se saisir de la République, dont l’abandon entre les mains labiles du gouvernement formé à Bordeaux le 16 juin signifiait l’ictus fatal de la France.
Ainsi, lorsque, le 25 août 1944, il s’avance vers le cœur de Paris consacrer la Libération, de Gaulle est certes l’incarnation de la France combattante, mais bien plus fondamentalement celui qui a remis en vie la République un instant frappée d’un AVC fatal (le 17 juin 1940). Il est celui qui l’a ranimée, rendue à sa continuité, créditée d’une lutte glorieuse en passe de lui rendre la victoire, et même enrichie d’une chronique exemplaire de très bon fonctionnement. Il ne figure pas simplement une France revenue au combat, comme l’eût été une France honorablement symbolisée par le général Giraud, mais bien la République n’ayant jamais renoncé à la lutte, même au plus profond de son KO de juin 1940. C’est cela l’acquis qu’il lui importe ce jour-là de faire valoir, c’est cela l’unique objet de son pressentiment quant à ce qu’on va chercher à lui extorquer.
Il en va de même symétriquement le 4 septembre 1958, lorsque, parvenu la veille, à marche forcée, à mettre au point en trois mois un projet de Constitution, juste à temps pour que l’occasion essentielle de la date du 4 septembre ne soit pas manquée, le général de Gaulle, redevenu depuis le 1er juin chef de l’exécutif national, prononce place de la République un extraordinaire discours en forme de prosopopée de la République elle-même trouvant enfin son siège après cent soixante-six ans de prodromes agités. Comme le 18 juin 1940 et comme le 25 août 1944, mais cette fois en mode expressément positif, c’est la continuité inentamée de la République qui est affirmée, et non ce à quoi chacun s’attendait, voire aspirait les trois fois, à savoir un nouveau régime.
À cet égard, le 4 septembre 1958 est au 4 septembre 1870 ce qu’un do est à un autre do sur un piano bien accordé, l’exacte harmonie à l’octave. À la République si souvent proclamée dans le passé, mais pour la dernière fois par Gambetta le 4 septembre 1870, ne sont apportées ni inflexions ni alternatives. Elle est au contraire solennellement réaffirmée en sa légitimité pour ainsi dire dynastique, dans la filiation au regard de la France de celle des races successives de ses rois et autres règnes souverains. Elle-même procède d’une sorte de succession dynastique entre Républiques successives, entrecoupées d’interrègnes ne méritant que l’oubli, Vichy et son double, la IVe, qui n’ont pas même l’honneur d’être nommés – damnatio memoriæ ! Elle est tout bonnement déployée – enfin ! – dans sa nécessité organique, c’est-à-dire décrite non plus comme un idéal idéologique en lutte avec d’autres options de régimes possibles, mais comme un système de fonctionnement optimisé satisfaisant à des principes désormais incontestés, qui se ramènent tous à la souveraineté du peuple, donc à la liberté des citoyens qui le forment1.
Enfin et surtout, elle est réaffirmée contre tous les dévoiements qu’on n’a cessé de vouloir lui faire prendre. Car, exactement comme le 18 juin 1940, en la mettant soudainement à l’abri d’un coupable esprit d’abandon qui eût flétri à jamais la France ; comme le 25 août 1944 en refusant de laisser l’enthousiasme du Conseil national de la Résistance se prendre pour inchoatif de quoi que ce soit ; tout comme, entre-temps, en dénonçant catégoriquement les fautes de Vichy et en lui déniant toute qualité à incarner la France, déclarant même « nuls et non avenus » tous les actes ayant pu en procéder – ainsi, le 4 septembre 1958, est-ce aussi contre l’aventure prétorienne ourdie en Algérie, contre les intimidations communistes qui à quelques encablures de la place de la République hurlent leurs prétentions bolcheviques, contre la confusion politicarde des milieux parlementaires tenants de la IVe République, et même demain contre les gaullistes style RPF s’imaginant pouvoir lui imposer l’Algérie française au motif qu’ils l’auraient ramené au pouvoir sur ce thème, que de Gaulle professe hautement la rectitude de la République telle qu’en elle-même sa permanence la change.
Ce faisant, la première personne contre qui de Gaulle érige ainsi la transcendance de la République, c’est en réalité lui-même, à qui tout le monde était pourtant prêt à consentir une dictature à l’antique, le temps de régler l’ictère de la guerre d’Algérie. Le discours qu’il prononce ce soir-là au nom de la République, dont la statue de bronze le domine de ses quelque vingt mètres, c’est d’abord l’élision volontaire de l’individu Charles de Gaulle, et même du personnage historique « le général de Gaulle », au profit d’une restauration de l’ordre naturel nécessaire à la France, celui de bonnes institutions, celui de La République en majuscule, de la République ininterrompue.
Déjà, le 25 août 1944, il avait de même multiplié les gestes d’élision de sa personne, alors au zénith de sa plus grande gloire : retour d’abord au ministère de la Guerre, comme pour ramener les choses à leur proportion liminaire, lorsqu’il n’y était encore pour ainsi dire rien, et souligner par là que seule compte l’institution. Puis péan de victoire prononcé en hommage à Paris, aux armées françaises, au peuple de France, à la France tout entière, quand l’assistance ne demandait qu’à l’en créditer lui personnellement, à qui en effet tout cela était dû2. Enfin refus catégorique de se poser en père de la Nation habilité à proclamer quoi que ce soit au balcon, et surtout pas la République, dont il se donne au contraire pour un humble porteur de la livrée3.
De même plus en amont encore, le 18 juin 1940, ce fameux « Moi, général de Gaulle, actuellement en Angleterre », où la malveillance voulut toujours voir une outrance d’orgueil, n’était pas autre chose qu’un effacement de soi derrière une nécessité historique dont il fallait bien signer l’appel. Loin d’avoir été le ban de ralliement de féaux lancé par un seigneur se prenant pour connétable de France, ce texte était le cri de la dernière chance, que le dernier en état de le pousser, plus ancien dans le grade le plus élevé d’une troupe qui ne comptait plus que lui, Charles de Gaulle, exerçait le devoir de lancer et de signer de son simple patronyme.
Ses premiers gestes d’ailleurs avaient alors été pour en appeler à plus gradé, à plus illustre que lui, qu’ils vinssent prendre la tête de ce mouvement désespéré de foi en la France qui lui avait en quelque sorte échappé comme un irrésistible cri venu des profondeurs4. Il n’avait dû se résigner à s’en faire chef de son propre chef qu’au constat de leur refus à tous, souvent outrageant, toujours décourageant. Il en avait accepté l’épreuve d’abord par devoir d’officier, dans l’ordre du réflexe professionnel, et simultanément par conscience historique affûtée du terrible enjeu qui venait de se poser sur sa personne du fait conjoint de son appel et des événements achevant de dégrader la France : incarner la France sans être né roi ! Il n’avait à partir de ce jour eu d’autre hantise que de pouvoir déposer cette mission surhumaine entre les mains du souverain légitime, alors empêché, à savoir le peuple français, seul habilité à la porter à travers la forme républicaine, comme les rois l’avaient jadis portée au titre de leur onction divine, par naissance et par sacre5. De même (mutatis mutandis) qu’une cascade de décès princiers parmi les fils, petits-fils et arrière-petits-fils de Louis XIV avaient, en 1711, fait choir sur Philippe d’Orléans le devoir d’une régence à exercer à la mort du roi survenue en 1715, de même l’improbable sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre du 5 juin 1940, général depuis cinq jours, s’était découvert le 18 juin 1940 régent de la République par la foudroyante force des choses. Pas roi.
Tel est l’homme qui gravit les marches des rostres érigées au pied de la statue de la République, ce 4 septembre 1958 à 18 h 30 précises. Comme il a initié et conduit le processus menant à la Constitution qu’il s’apprête à présenter, et comme il en sera le premier usager durant ce que Beuve-Méry n’hésita pas à appeler « onze ans de règne » (mêlant ainsi sa plume à celles du Canard enchaîné avec sa rubrique « La cour »), il est classique de le voir ce jour-là en vedette, en quasi-rockstar avant la lettre, accomplissant le rêve de monarchie républicaine qu’on se plaît déjà à lui prêter.
Rien n’est plus contraire à la réalité de sa démarche, tout entière tendue à rendre la plénitude de leur pouvoir à deux instances germinales, la France et le peuple conjointement exposés aux périls du monde, et réunies sous les espèces de la République au pied de laquelle il se tient, tels ces griots qui, en Afrique, portent la parole d’un roi à qui sa majesté même ne permet pas de prendre en personne la parole.
1940, après 1870, a prouvé qu’il leur fallait pour y faire face un État qui en soit un. À Sedan, un empereur malade, source du pouvoir, avait défailli, abandonnant la France à l’invasion ; en 1940 un Président inconsistant, étranger à la marche du pouvoir, n’avait rien pu faire pour maintenir la République – « Au fond, comme chef d’État, il ne lui avait manqué que deux choses : qu’il fût un chef, qu’il y eût un État », résume de Gaulle. Si l’État est caduc comme en 1870, ou inapte comme en 1940, le pire est à redouter pour la France et le peuple. Dans les deux cas l’invasion, dans le second l’infamie en plus. Dans les deux cas un recours in extremis a sauvé l’une et l’autre, au prix de bien des sacrifices. En 1958, la situation a bien failli se renouveler, en format réduit. Il était grand temps de ne plus s’en remettre à des sauveurs providentiels, d’en effacer même l’idée, et d’organiser enfin correctement la République pour que l’histoire la trouvât désormais toujours robuste. De Gaulle a tellement conscience d’avoir été en 1940 hautement improbable dans son rôle de sauveur providentiel de la patrie qu’il est fondé à penser, en 1958, que dans l’avenir il n’y en aura plus d’autres, et qu’on ne peut donc plus laisser sévir des institutions qui périodiquement requièrent un sauveur. Sa tâche est par conséquent d’utiliser son statut de sauveur pour faire en sorte qu’à l’avenir on n’en ait plus besoin, ni de lui ni de personne.
On s’est trop appuyé, pour caricaturer de Gaulle en pontifex maximus, sur les termes dignes d’un sacre employés par lui dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964, pour qu’il ne faille pas revenir loin en amont chercher les sources de l’inspiration qui est la sienne en 1958, quand il ne sait pas encore ce qu’on pensera de ses propos de 1964. Le 4 septembre 1958, il est déterminé par l’expérience axiale du quart de siècle précédent, et qui pourrait se résumer ainsi : la vie politique française est ainsi faite qu’aucun parti ne peut y exercer de magistère durable et incontesté ; elle est donc entièrement consumée en leur rivalité, laissant en déshérence la cause commune de l’intérêt national ; or le monde est devenu dangereux pour la France, qui a un urgent besoin de s’unir autour de l’intérêt national commun pour y faire face. C’est déjà en soi si difficile à comprendre qu’il faut au moins que les institutions y concourent au lieu d’y obvier. Tel est l’axe immuable de toute son action, dès le temps de la France libre, puis à plusieurs moments clés : le 25 août 1944, les 20 janvier et 16 juin 1946, qui ne font qu’un, les 15 mai-4 septembre 1958, troisième temps de la valse ; enfin les 27 octobre 1962 et 31 janvier 1964 qui font la paire.
Commençons donc par suivre un peu attentivement le cours de cette journée du 25 août 1944, dont le déroulement précis donne, sur le mode feutré de la prétérition, le code exact de la pensée gaullienne en matière d’institutions.
« Puis, je regagne la rue Saint-Dominique »
« Georges Bidault s’écrie : “Mon général ! Voici, autour de vous, le Comité national de la résistance et le Comité parisien de la libération. Nous vous demandons de proclamer solennellement la République devant le peuple ici rassemblé.” Je réponds : “La République n’a jamais cessé d’être. La France libre, la France combattante, le Comité français de la libération nationale, l’ont, tour à tour, incorporée. Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. Moi-même je suis le président du gouvernement de la République. Pourquoi irais-je la proclamer ?” Allant à une fenêtre, je salue de mes gestes la foule qui remplit la place et me prouve, par ses acclamations, qu’elle ne demande pas autre chose. Puis, je regagne la rue Saint-Dominique6. »
La dernière phrase est à dessein aussi factuelle que le fameux « La marquise sortit à cinq heures » de Valéry. À l’intense émotion dont le jour était empli, il s’agit d’administrer le sédatif nécessaire d’une banalité voulue. Certes, la journée a été l’une des plus solennelles qu’ait connues Paris, grosse d’une charge affective assez puissante pour propulser n’importe quelle conclusion qu’on lui eût donnée. Mais il était de la plus haute importance historique qu’elle fût au contraire le blason du retour à la normale, presque comme s’il n’y eût jamais eu à libérer la patrie. C’est pour cela que de Gaulle avait orchestré une gestion magistrale de l’émotion : commençant par une assez longue phase de contention, depuis son retour préjudiciel rue Saint-Dominique puis son passage par la Préfecture de police, elle culmine par la transfiguration épique qu’il apporte avec éloquence à l’émotion du moment, après quoi elle peut se clore par un retour affecté au calme initial. La charge affective de l’heure, de Gaulle l’a canalisée en lui donnant un effet Venturi, combinaison d’un rétrécissement forcé de son flux avec une expansion grandiose de son volume sous la forme du fameux discours : « Paris ! Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé, mais Paris libéré ! etc. », qui a littéralement transcendé le moment, mais en direction du peuple, de la France et du symbolique, non au profit du pouvoir.
En présence de cette manœuvre magistrale restée légendaire, la force de la tentation que fourbissent fiévreusement les résistants assemblés pour vivre une sorte de Pentecôte fondatrice est totalement privée d’assise. En politique comme en éthique, la tentation, c’est le mal : tentation en 1940 de subvertir le régime à la faveur de la défaite, qui en taraudait plus d’un, à laquelle tous cédèrent sous la forme d’une dévolution du pouvoir à Philippe Pétain. Tentation de nouveau en 1944, de fonder un nouveau régime dans l’élan (prématuré) de la victoire, qui est alors la tarentule de beaucoup, à laquelle de Gaulle est seul à mettre le veto de sa rectitude intellectuelle.
À ces deux tentations symétriques, de Gaulle est l’homme – unique – qui dit identiquement non l’une et l’autre fois, et osa passer outre alors que tout leur donnait sur le moment la force d’une évidence à laquelle il semblait impossible de ne pas céder. Combien, en juin-juillet 1940, récusè...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- Discours prononcé par le général de Gaulle place de la République le 4 septembre 1958
- Chapitre 1 - Non
- Chapitre 2 - Cinq mille jours
- Chapitre 3 - « J'accélère donc le progrès du bon sens »
- Chapitre 4 - Oui, mai
- Chapitre 5 - « Je vous ai compris »
- Chapitre 6 - « Sur ce sujet, dont tout dépend, j'ai depuis douze ans fixé et publié l'essentiel »
- Chapitre 7 - « Il y a là des faits qui dominent notre existence nationale et doivent par conséquent commander nos institutions »
- Chapitre 8 - « Voilà, Françaises, Français, de quoi s'inspire et en quoi consiste la Constitution »
- Chapitre 9 - « L'ensemble humain groupé autour de la France »
- Chapitre 10 - « On ne viole pas sa femme… »
- Chapitre 11 - L'eau et le poisson
- « Sous le pont Mirabeau coule la Seine »
- Annexes
- Notes
- Table