
- 356 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
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eBook - ePub
La Guerre, la Ville et le Soldat
Ă propos de ce livre
La ville en temps de guerre a toujours constituĂ© un objectif militaire dont le combattant rĂ©pugnait naguĂšre Ă s'emparer de vive force. Hoplite grec ou G'I amĂ©ricain : il prĂ©fĂ©rait se battre en rase campagne. Aujourd'hui, tout a changĂ©. Le soldat doit dĂ©sormais, dans l'urgence, rĂ©tablir ou imposer la paix en ville, assurer Ă tout prix la sĂ©curitĂ© menacĂ©e des citadins. Demain, la paix sera urbaine ou elle ne sera pas. Ce livre raconte la marche commune de la guerre et de la ville au travers de mille exemples surprenants, de l'AntiquitĂ© Ă nos jours. Il narre d'incroyables histoires de siĂšges et de bombardements, de rĂ©voltes et d'insurrections oĂč le courage, l'invention, la dĂ©termination des hommes impriment aux Ă©vĂ©nements un caractĂšre d'extraordinaire ĂąpretĂ©. Ancien attachĂ© militaire au Liban, Jean-Louis Dufour a Ă©tĂ© chargĂ© du suivi de la situation internationale Ă l'Ă©tat-major des armĂ©es. Il s'est ensuite spĂ©cialisĂ© dans l'Ă©tude des crises internationales et des conflits armĂ©s contemporains. Professeur associĂ© Ă l'Ăcole militaire de Saint-Cyr, il enseigne dans divers instituts et universitĂ©s français et Ă©trangers. Il a notamment publiĂ© La Guerre au XXe siĂšcle (avec Maurice VaĂŻsse) et Les Crises internationales, de PĂ©kin-1900 au Kosovo-1999.
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Informations
PremiĂšre partie
LA GUERRE ET LA VILLE
CHAPITRE PREMIER
Ville, guerre et soldat urbain
Il y a de la gĂȘne Ă rapprocher les concepts de ville et de guerre, surtout pour analyser leurs relations. Sâil faut en croire certains thĂ©oriciens de la ville, tout oppose celle-ci Ă la guerre. Ă moins dâĂȘtre « morte », la ville est un symbole de vie. « La ville, Ă©crivait Aristote, ce sont dâabord des gens qui la composent, qui y naissent, y meurent, y vivent, y travaillent, sây distraient, y souffrent. Et plus que ces personnes, la ville est le lieu oĂč elles vivent ensemble. Plus que ces personnes, la ville est faite de leurs relations. La ville, câest lĂ oĂč il y a de lâautre, de lâautre qui vous reconnaĂźt. » Pour le philosophe antique, lâopposition est claire : la guerre tue la ville, elle lâempĂȘche de se dĂ©velopper et de prospĂ©rer. Cependant, si elle est lâendroit oĂč rĂšgne une heureuse « urbanitĂ© », la ville est aussi le théùtre dâoppositions susceptibles de se transformer sans dĂ©lai en luttes inexpiables, en confrontations armĂ©es, en massacres dâun quartier Ă lâautre, entre riches et pauvres, croyants et hĂ©rĂ©tiques, individus et collectivitĂ©s.
Guerre et ville ne sont donc pas incompatibles. Il est du reste des villes qui tirent leur prospĂ©ritĂ© des industries de dĂ©fense, dâautres, dites « de garnison », dont lâactivitĂ© essentielle est dâabriter des troupes. Il y a aussi ces villes guerriĂšres mais plutĂŽt mornes, spĂ©cialement conçues pour remplir une fonction militaire, Ă lâimage des bases militaires amĂ©ricaines Ă lâĂ©tranger ou de ces villes secrĂštes de lâex-Union soviĂ©tique, comme la CitĂ© des Ă©toiles Ă BaĂŻkonour ou les villes bases navales, prĂšs de Mourmansk, Severomorsk et Vidiaievo.
Ces citĂ©s militaires sont heureusement exceptionnelles car la ville nâest pas souvent vouĂ©e Ă une seule fonction. AthĂšnes, une des toutes premiĂšres villes, porte le nom dâune dĂ©esse virile, Ă la fois sage et guerriĂšre, symbole dâun lien Ă©troit entre la ville et la guerre. Nombre de ses surnoms font rĂ©fĂ©rence Ă ses qualitĂ©s proprement militaires, Promachos ou le combattant du premier rang, NikĂ© ou la victoire, Polias ou la protectrice de la citĂ©. Pourtant, au-delĂ de son caractĂšre belliqueux, AthĂ©na, patronne de la capitale hellĂšne, illustre en un seul personnage les rĂŽles multiples de la ville, foyer culturel, artistique, religieux, marchĂ© oĂč sâĂ©changent les biens, centre de pouvoir administratif et politique oĂč lâon dĂ©cide de favoriser la culture de lâolivier, Ă©ternel symbole de paix, mais aussi dâamĂ©nager la dĂ©fense, laquelle ne saurait aller sans prĂ©paratifs guerriers.
La ville et la guerre ont toujours marchĂ© dâun mĂȘme pas. Encore aujourdâhui, bien des choses rappellent que la guerre a façonnĂ© la ville : les plaques sur les murs, les statues des conquĂ©rants, les noms des boulevards, des places, des gares, les arcs de triomphe et les voies triomphales, les monuments aux hĂ©ros morts et aux soldats inconnus, les musĂ©es de la guerre, sans parler des casernes, dĂ©pĂŽts ou centres de recrutementâŠ
Vous avez dit « guerre », vous avez dit « ville »
La guerre est un concept moins facile Ă apprĂ©hender quâil nây paraĂźt. La guerre, câest lâabsence de paix. Câest aussi un affrontement armĂ© dâune certaine ampleur et durĂ©e entre des groupes politiques, parfois souverains dans le cas dâune guerre entre Ătats, parfois propres Ă un seul pays, dans le cas dâune guerre civile appelĂ©e aussi, de maniĂšre plus juste et plus moderne, un conflit interne.
De nos jours, la guerre Ă proprement parler nâest pas frĂ©quente. Certains lâont mĂȘme dite morte1. Il y eut bien guerre entre les citĂ©s grecques de lâAntiquitĂ©. Le phĂ©nomĂšne disparaĂźt ensuite pendant des siĂšcles, pour reparaĂźtre aux temps modernes avec lâĂ©mergence des Ătats-nations de type europĂ©en. Il se rarĂ©fie Ă nouveau, depuis la fin du second conflit mondial. La guerre se dĂ©clarait, elle ne se dĂ©clare plus beaucoup. Les deux derniĂšres Ă lâavoir Ă©tĂ©, la guerre de CorĂ©e et celle du Golfe â deux guerres en cinquante ans, peu de chose en vĂ©ritĂ© â, ont Ă©tĂ© autorisĂ©es par les Nations unies. Faute dâavoir Ă©tĂ© proclamĂ©es, faute aussi dâopposer des Ătats entre eux, les autres guerres nâen sont pas vraiment.
Dans ces conditions, distinguer la guerre de la paix relĂšve de plus en plus dâune apprĂ©ciation subjective, non dâun constat dâĂ©vidence. Aussi est-on tentĂ© dâadopter, en dĂ©pit de ses insuffisances, la rĂšgle des trois conditions Ă satisfaire, prĂ©alable indispensable Ă lâexistence dâun conflit armĂ©2 :
1. Participation au minimum dâune armĂ©e rĂ©guliĂšre.
2. Existence dâune suite logique dans les combats.
3. Mille morts annuels au moins du fait des affrontements.
Comme lâhistoire rĂ©cente le montre, cette approche intellectuelle du phĂ©nomĂšne « guerre » nâest pas entiĂšrement satisfaisante. Certaines guerres civiles, comme au Liban, au Liberia, en Somalie, ont eu lieu en lâabsence dâune armĂ©e rĂ©guliĂšre ou sans que celle-ci soit engagĂ©e. Dans ces cas de figure, la suite parfois anarchique des engagements et lâabsence frĂ©quente de vision politique globale nâempĂȘchent pas de parler de « conflit armĂ© », voire de « guerre civile3 ». La condition « mille morts par an » confine Ă lâabsurde, tant le chiffre est artificiel. Et pourtant, ainsi Ă©noncĂ©s, ces trois prĂ©alables sont quelquefois parfaitement remplis, si lâon considĂšre, par exemple, lâinsurrection islamiste en AlgĂ©rie. LĂ , des forces rĂ©guliĂšres Ă©tatiques combattent plusieurs centaines de groupes armĂ©s, non coordonnĂ©s entre eux, Ă la logique abominable mais cohĂ©rente, entraĂźnant des pertes largement supĂ©rieures aux mille tuĂ©s annuels.
Expliquer le sens du mot « ville » nâest guĂšre plus aisĂ©, tant les dĂ©finitions qui en sont donnĂ©es diffĂšrent. Ratzel, le gĂ©ographe allemand du XIXe siĂšcle, voit dans la ville une agglomĂ©ration durable ; dâautres considĂšrent le paysage pour observer que la ville se distingue de la campagne. Dâautres encore dĂ©finissent la ville Ă partir dâun nombre minimum dâhabitants, 1 500 en Irlande, 2 000 en France, 5 000 aux Pays-Bas⊠Certains critĂšres sont Ă©galement Ă©voquĂ©s comme les dimensions de la citĂ©, les activitĂ©s humaines en majoritĂ© non agricoles, une fonction administrative et dirigeante ou la distance moyenne entre les habitations. Peut-ĂȘtre faut-il finalement se rallier Ă la dĂ©finition donnĂ©e par Jacqueline Beaujeu-Garnier : « En chaque pays, il y a ville quand les hommes de ce pays ont lâimpression dâĂȘtre en ville4. »
Antoine FuretiĂšre, dans son dictionnaire paru en 1690, dĂ©finissait la ville comme « lâhabitation dâun peuple assez nombreux, qui est ordinairement fermĂ©e de murailles ». Deux siĂšcles plus tard, LittrĂ© enseigne quâelle est « un assemblage dâun grand nombre de maisons, disposĂ©es par rues, souvent entourĂ©es de murs dâenceinte, de remparts, de fossĂ©s ». Ces deux dĂ©finitions montrent la pĂ©rennitĂ© du lien entre la guerre et la ville. Si la ville a pour origine une source abondante, un lieu de passage, un guĂ©, elle est aussi dâemblĂ©e un regroupement dâhommes et femmes, rassemblĂ©s pour vivre mieux ensemble, et dâabord pour sâassurer une protection adĂ©quate. Certes, comme Weber5 le remarque, cette approche de la ville nâest pas absolue. Sans doute parce que le Japon ou la Grande-Bretagne sont des Ăźles, en principe difficilement accessibles, les villes nây ont pas toujours Ă©tĂ© fortifiĂ©es. Câest le cas aussi, parfois, en Chine. Les habitants de Potosi, en Bolivie, parmi les premiers au monde Ă se compter plus de 140 000 au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, nâont jamais Ă©prouvĂ© le besoin dâentourer leur ville dâune muraille, les 4 000 m dâaltitude du plateau oĂč ils vivent leur paraissant constituer une protection suffisante.
Ces cas demeurent exceptionnels. La ville passĂ©e, de lâAntiquitĂ© au Moyen Ăge, est Ă la fois forteresse et lieu de garnison. Aux temps modernes, si les murailles deviennent superflues, la citĂ© demeure nĂ©anmoins le lieu oĂč sont logĂ©es les troupes, qui y trouvent des fonctions indispensables (voies dâaccĂšs, carrefours, lieux de stockage, logements, ports, aĂ©roports). Il arrive mĂȘme que la guerre ou sa prĂ©paration entraĂźnent la construction de villes spĂ©cialement adaptĂ©es.
La ville militaire
La ville conçue pour la guerre est une pratique plutĂŽt ancienne. Au temps des Romains, la citĂ© elle-mĂȘme est une unitĂ© militaire. Les centurions en recrĂ©ent une chaque soir, toujours sur le mĂȘme format â quatre cĂŽtĂ©s, quatre portes, des transversales et des rocades qui se recoupent Ă la perpendiculaire. Ă vrai dire, les qualitĂ©s proprement dĂ©fensives du camp romain sont loin dâĂȘtre Ă©videntes. Le modĂšle est nĂ©anmoins bien Ă©tabli. Machiavel le reprend Ă son compte, mille cinq cents ans plus tard, dans son Art de la guerre6. Des villes en forme de camps romains subsistent encore aujourdâhui. On en trouve quelques-unes dans les Ăźles Britanniques. Il existe en AlgĂ©rie, entre Constantine et la mer, Ă une vingtaine de kilomĂštres au sud de Skikda (ex-Philippeville), une petite localitĂ© de trois mille habitants, appelĂ©e El Arrouch, « La Romaine ». Son plan reproduit exactement les formes et les dimensions dâun camp de centurions romains.
La ville militaire sâimpose sous des formes trĂšs diverses au XXe siĂšcle. Lors de la Grande Guerre, le systĂšme des tranchĂ©es introduit une variĂ©tĂ© originale de citĂ©s martiales. Les tranchĂ©es participent dâune sorte dâ« urbanisme mortifĂšre7 », celui dâune « non-ville » guerriĂšre, organisĂ©e pour le combat jusquâĂ la mort, avec ses voies hiĂ©rarchisĂ©es, ses campements plus ou moins confortables, ses infirmeries, avec des cuisines en arriĂšre du front, ses appuis, ses liaisons, ses rĂ©seaux de toute nature et de toute sorte, avec ses cimetiĂšres. En 1917, la jeune armĂ©e amĂ©ricaine parvenue en France ne choisit surtout pas de sâinstaller dans les villes, mais dans des camps immenses, spĂ©cialement amĂ©nagĂ©s, construits par ses propres ingĂ©nieurs.
Pendant le second conflit mondial et depuis, dâautres villes guerriĂšres apparaissent. LâarmĂ©e allemande en Union soviĂ©tique est contrainte par la rapiditĂ© mĂȘme de son avance pendant lâĂ©tĂ© 1941 de crĂ©er le long de ses axes dâattaque dâĂ©normes dĂ©pĂŽts logistiques, vĂ©ritables villes temporaires, appelĂ©es Motpulk. En juin 1944, les AlliĂ©s, dans lâimpossibilitĂ© militaire de prendre dâemblĂ©e les ports de la Manche ou de lâAtlantique, trop bien protĂ©gĂ©s par les Allemands, imaginent de construire Ă Arromanches un port artificiel. Ils ont ainsi la disposition immĂ©diate dâun port qui revĂȘt lâimmense avantage de ne pas devoir ĂȘtre conquis de vive force. EndommagĂ©es par la tempĂȘte qui sĂ©vit sur les cĂŽtes normandes en juin 1944, ces installations sont malcommodes. Cependant, elles auraient pu constituer ce port idĂ©al, un port sans ville, câest-Ă -dire sans population, gĂ©rĂ© par la seule autoritĂ© militaire. Difficile, dira-t-on, dâappeler « villes » ces installations logistiques portuaires provisoires et vouĂ©es Ă une seule tĂąche.
En revanche, et de plus en plus, les bases militaires amĂ©ricaines outre-mer, abondamment fortifiĂ©es et sĂ©curisĂ©es, climatisĂ©es et aseptisĂ©es, installĂ©es parfois en plein dĂ©sert, le plus possible Ă lâĂ©cart de la moindre prĂ©sence indigĂšne, ressemblent Ă©trangement Ă des villes Ă peu prĂšs complĂštes. Câest le cas Ă BahreĂŻn oĂč le Pentagone a construit une base dans la partie mĂ©ridionale de lâĂźle, quasi dĂ©sertique. Dans le mĂȘme esprit, les soldats amĂ©ricains ont trouvĂ© dans lâĂźle de Diego Garcia un terrain idĂ©al, peuplĂ© seulement dâoiseaux de mer8, peu portĂ©s par nature Ă la contestation. LâĂ©tat-major yankee, quand le terrain sây prĂȘte, caresse aussi lâidĂ©e dâinstaller ses unitĂ©s et autres rĂ©giments dâhĂ©licoptĂšres de combat sur dâimmenses plates-formes flottantes, dans le golfe Arabo-Persique ou au large de lâĂźle nippone dâOkinawa, avec lâespoir dây bĂ©nĂ©ficier de trois avantages, lâexterritorialitĂ©, la sĂ©curitĂ© et lâabsence de natives. Ces camps sous administration militaire ne sont pas loin de ressembler Ă des villes vĂ©ritables. On y importe et on y trouve de quoi nourrir, loger, administrer, soigner des milliers dâhommes et de femmes. Rien nây manque, ni les lieux de culte, ni les prisons9. Le soldat y dispose de banques, dâagences de voyage, dâaĂ©roports. CinĂ©mas, théùtres, cabarets, restaurants dâagrĂ©ment, hĂŽtels pour les visiteurs, bars sans alcool, sont Ă©galement prĂ©vus. Tout est conçu pour la distraction dâun soldat, auquel est interdite la frĂ©quentation des « vraies » villes alentours. Un soldat de Camp Bondsteel, au Kosovo, raconte : « MĂȘme en dehors des patrouilles, nous avons interdiction de sortir seuls⊠De toute façon, nous avons tout sur la base, pourquoi sortir10 ? »
Le but est de ne courir aucun des risques inhĂ©rents au stationnement dâunitĂ©s dans un pays Ă©tranger, quâil sâagisse dâattentat terroriste ou dâincidents avec les citadins. La sĂ©curitĂ© est un souci constant. Des kilomĂštres de barbelĂ©s encadrent talus et fossĂ©s, dĂ©limitent des no manâs land attentivement surveillĂ©s du haut de nombreux miradors. Câest la ville militairement idĂ©ale, mĂȘme si elle est sinistre, bien protĂ©gĂ©e par des murailles physiques, sous forme dâĂ©normes buttes de terre, et des barriĂšres Ă©lectroniques.
Moins sophistiquĂ©e que les camps amĂ©ricains, plus ouverte aux civils dĂ©sireux dây commercer, toute installation militaire durable de quelque importance suscite Ă ses portes des agglomĂ©rations nouvelles. Le village de Naqoura, au Sud-Liban, situĂ© Ă cĂŽtĂ© dâune citĂ© militaire internationale amĂ©nagĂ©e dĂšs 1978 pour y installer lâĂ©tat-major de la FINUL11, forme lâamorce dâune vĂ©ritable ville. Vingt-cinq annĂ©es durant, les activitĂ©s de service sây sont multipliĂ©es (restaurant, blanchisseries, marchands dâappareils Ă©lectroniques, bijouteries, maisons closes, etc.).
Parce quâelle le rend libre, le soldat aime la ville ; ses chefs beaucoup moins, qui imaginent leurs hommes errant dans les rues Ă la recherche dâaventures, sans autre contrĂŽle possible que celui dâĂ©pisodiques patrouilles de la police militaire. Le 24 janvier 1943, aprĂšs avoir pris Tobrouk aux Allemands de Rommel, le gĂ©nĂ©ral Montgomery prend bien soin dâĂ©viter la ville : « Des palais, des villas, des appartements Ă©taient mis Ă la disposition des officiers ; on me demanda si jâavais lâintention dâhabiter le palais du gouverneur ; je rĂ©pondis non et jâinstallai mon PC dans la campagne Ă quelque 6 km de la ville. Nous aurions encore Ă nous battre et je ne voulais pas que la 8e armĂ©e sâamollisse ni quâelle soit abĂźmĂ©e dâune maniĂšre ou dâune autre ; jâinterdis lâutilisation de maisons, de bĂątiments pour les QG et pour les troupes. Tous continueraient Ă vivre sous tente, Ă la campagne et dans le dĂ©sert comme nous lâavions fait pendant tant de mois. LâarmĂ©e devait conserver sa force de rĂ©sistance et sa valeur12. » Le gĂ©nĂ©ral Brosset, commandant la 1re division française libre en Italie, sâinquiĂšte courant 1944 dâavoir Ă faire stationner ses troupes dans les villes italiennes oĂč il redoute un comportement excessif de ses hommes vis-Ă -vis des femmes de la pĂ©ninsule13. Cette attitude est aussi celle du gĂ©nĂ©ral Dwight Eisenhower en 1944. Pour lui, toute ville est pernicieuse, militairement dangereuse puisque les combats y sont m...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Page de titre
- Du mĂȘme auteur
- Copyright
- Table
- Dédicace
- Introduction
- PremiĂšre partie. LA GUERRE ET LA VILLE
- DeuxiĂšme partie. LA GUERRE CONTRE LA VILLE
- TroisiĂšme partie. LA GUERRE DANS LA VILLE
- QuatriĂšme partie. LA GUERRE Ă LA VILLE
- CinquiĂšme partie. LE FUTUR URBAIN DE LA GUERRE
- Conclusion
- Bibliographie
- Notes
- Index des noms de personnes et de villes
- QuatriĂšme de couverture