Un diplomate mange et boit pour son pays
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Un diplomate mange et boit pour son pays

  1. 216 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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Un diplomate mange et boit pour son pays

À propos de ce livre

Qu'est-ce exactement qu'être diplomate ? En quoi consiste ce métier souvent caricaturé, voire moqué, sinon décrié ? Face aux nouvelles et inquiétantes fractures entre les États, face aux menaces pour la paix du monde, le métier de diplomate est pourtant plus essentiel que jamais. Le métier de diplomate est multiple : il réunit analyse, représentation, négociation, action humanitaire, communication. Il peut être prestigieux ; il est parfois dangereux. Il requiert engagement et passion : rien d'humain ne lui est étranger. Fondé sur l'expérience personnelle de l'auteur, ce livre, tantôt drôle, tantôt sérieux, toujours savoureux, est défense et illustration d'une profession vouée, au-delà de la sauvegarde des intérêts des États, au dialogue entre les peuples. Normalien, énarque, Stéphane Gompertz a enseigné la littérature médiévale avant de se tourner vers la diplomatie. Il a été directeur d'Afrique au Quai d'Orsay, ambassadeur en Éthiopie et en Autriche. Il travaille comme bénévole pour plusieurs associations et est conseiller d'un fonds d'investissement à impact, dont les choix d'entreprises affectent positivement les relations sociales, l'environnement ou la gouvernance. 

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CHAPITRE 1

Une caste de privilégiés ?


La vie de château…

Une célèbre publicité pour les chocolats Ferrero Rocher met en scène une réception censée être donnée par un ambassadeur de France : « Les réceptions de l’ambassadeur sont réputées pour le bon goût du maître de maison. » Ferrero a récidivé en mettant cette fois au premier plan l’ambassadrice. La pub a été plusieurs fois parodiée, preuve de sa popularité. Elle véhicule bien des clichés sur la vie diplomatique : résidence somptueuse, images de bal, tenues de soirée, mondanités, sourires artificiels, esquisses de flirts. Le succès de ce court film publicitaire tient sans doute à l’ancrage de ces clichés dans la perception commune. Il y a du vrai là-dedans. Pas toujours.
Les résidences d’ambassadeurs sont souvent belles, somptueuses même. L’association Bienvenue en France a fait éditer par Flammarion un ouvrage sur les résidences d’ambassadeurs à Paris. Certaines ambassades de France à l’étranger sont des monuments historiques, comme le palais Farnèse à Rome ou le palais de Santos à Lisbonne. Parfois, elles peuvent exciter des convoitises : l’ambassade de France au Maroc avait le malheur d’être située en surplomb par rapport au palais royal. Sa Majesté Hassan II en conçut quelque dépit. Il fallut l’abandonner et construire plus en contrebas une autre ambassade, qui, avec ses lignes géométriques et sa teinte ocre, est d’ailleurs un chef-d’œuvre d’architecture moderne. Une des plus belles est la Résidence des Pins à Beyrouth. Lorsque je la visitai pour la première fois dans la suite du président Chirac, après la fin de la guerre civile, elle n’était plus qu’une ruine : elle était criblée d’impacts de balles et la toiture était éventrée par des trous d’obus. J’eus le privilège d’y loger deux ans plus tard à l’occasion d’une réunion régionale d’ambassadeurs : elle avait retrouvé tout son lustre. Sa reconstruction ainsi que la replantation, aux frais du conseil régional d’Île-de-France, du bois des Pins symbolisaient à la fois la renaissance du Liban et la constance de l’amitié de la France.
L’ambassade à Addis-Abeba, où j’ai résidé quatre ans, occupe la plus vaste emprise diplomatique de la France à l’étranger : quelque quarante-deux hectares. Après les élections de 2005, j’avais invité à déjeuner le maire élu d’Addis-Abeba, leader de l’opposition ; nous étions allés nous promener après le café ; il m’avait dit avec un sourire qu’une fois installé à la mairie, il nous prendrait une partie du parc pour en faire un jardin public. Il n’eut pas le loisir d’exécuter sa dangereuse promesse : son parti contesta le résultat des élections générales et refusa, contre les conseils de la communauté diplomatique, de prendre ses sièges au Parlement comme à la mairie. Des émeutes meurtrières s’ensuivirent et les chefs de l’opposition finirent en prison. L’ex-maire élu s’est réfugié à l’étranger en vue de fomenter la lutte armée. Une autre menace, plus réelle, pèse sur nos emprises : la tentation qu’a périodiquement notre ministère de vendre les bijoux de famille. Heureusement, nous n’avons pas, à ma connaissance, de titre de propriété qui nous permettrait de vendre notre beau terrain d’Addis-Abeba. Le domaine nous avait été généreusement octroyé par l’empereur Menelik. Un de mes lointains prédécesseurs reçut du ministère l’Instruction de demander un titre de propriété. Il prit sa canne et son chapeau et, sans doute passablement embarrassé, alla solliciter auprès du souverain la délivrance du fameux parchemin. Menelik le toisa et lui dit : « Monsieur l’ambassadeur, vous avez la parole de l’empereur. Cela ne vous suffit-il pas ? » L’affaire en resta là. Cet heureux insuccès nous a peut-être évité une initiative funeste.
L’essentiel de l’emprise est occupé par une forêt d’eucalyptus. Introduit en Éthiopie à la fin du XIXe siècle, l’eucalyptus présente l’avantage de pousser très vite, mais il appauvrit le sol. Nous avions dans le parc de vieux eucalyptus dont les branches tombaient brutalement : l’intendant m’engagea à les faire couper. Devions-nous simplement les remplacer ? Pourquoi ne pas en profiter pour favoriser la biodiversité ? On me conseilla de contacter le doyen de la faculté de botanique de l’Université d’Addis-Abeba, qui possédait un riche vivier. Je visitai ses trésors. Il me suggéra de le laisser venir voir notre parc. Je l’invitai à déjeuner et nous allâmes nous promener. Il me conseilla de planter ici telle espèce, là telle autre. Je ne me souviens que d’une seule, qui s’appelle zigba en amharique, podocarpus en latin des botanistes, un arbre à la pousse lente mais robuste et splendide. Pour chaque spécimen, nous avons dû payer l’équivalent de cinquante centimes. Nous en achetâmes quelques centaines. Un de mes prédécesseurs, remarquable diplomate au demeurant, avait entrepris de couper une partie du bois pour aménager un terrain de golf : la presse éthiopienne avait poussé les hauts cris et il avait dû renoncer. Il me plaît de penser que j’ai pris son contre-pied et laissé des arbres indigènes en héritage.
Au luxe du logis s’ajoute, dans l’imaginaire des gens et souvent dans la réalité, celui des repas et des réceptions. Au congrès de Vienne, Talleyrand parvint à réintégrer la France vaincue dans le concert des grandes puissances : il dut largement ce succès à la somptuosité de sa table. En servant des mets délicats et des bons vins, nous mettons nos invités dans des dispositions plus favorables et nous servons l’image de notre pays. Le choix peut ne pas être exempt d’arrière-pensées politiques : nos délégations en Israël se voyaient régulièrement offrir des vins du Golan ; nos hôtes expliquaient avec un sourire que ces vins étaient excellents – ce qui était vrai. Mais, malgré leurs dénégations innocentes, ils faisaient discrètement admettre de facto, même si c’était sans conséquence, l’occupation de ce qui restait de jure un territoire syrien.
Il faut donc servir du bon et ne pas mégoter. De Gaulle avait limogé un ambassadeur qui, lors de la Fête nationale, avait servi du mousseux en guise de champagne. Certes, la cassette des diplomates ne leur permet pas d’offrir du Mouton-Rothschild comme j’ai pu en boire à l’Élysée lors de deux dîners d’État offerts par Jacques Chirac (qui, lui, s’en tenait à sa Corona). Il faut raison garder et éviter de suivre l’exemple d’un de nos consuls généraux : devant recevoir à dîner un riche homme d’affaires et ne pouvant se permettre de lui offrir un grand cru, il déroba deux bouteilles dans un club. Sans doute ignorait-il que l’établissement était muni de caméras. Le gouvernement du pays hôte fut bonhomme : il proposa à l’ambassadeur d’en rester là si le contrevenant était prestement rappelé à Paris. Ce qui fut fait. Plutôt que de vouloir impressionner son invité avec de nobles appellations millésimées, notre collègue aurait dû lui dire : « Je sais que vous êtes fin connaisseur de nos grands vignobles, mais je gage que vous ne connaissez pas ce petit vin bio de terroir, de Corse ou du Languedoc. J’aimerais que vous me donniez votre jugement d’expert. » C’eût été plus honnête et plus avisé. Le Quai d’Orsay se contenta d’une suspension temporaire ; depuis, l’intéressé a fait une belle carrière. Il était énarque et haut fonctionnaire : on ne pouvait donc le traiter comme une vulgaire caissière de supermarché, licenciée pour avoir prélevé dans les rayons pour les consommer des aliments périmés.
Les deux dîners d’État auxquels j’ai assisté à l’Élysée – l’un en l’honneur de Hosni Moubarak, l’autre en l’honneur de Hafez el-Assad – étaient assez divertissants. Les invités faisaient la queue pour être présentés aux deux chefs d’État. J’étais sous-directeur d’Égypte-Levant. Chirac me présenta lui-même à Moubarak, dans un anglais charmant et approximatif : « Mr President, this is the man for Egypt ! » Il était intéressant d’observer le soin avec lequel les invités contrôlaient la place qui leur avait été assignée. J’étais tout au bout et je n’en avais rien à battre. Mais je me souviens avec amusement de la fureur d’un ancien ministre découvrant qu’on l’avait placé derrière une colonne. Les plans de table sont le sujet d’incessantes plaisanteries, ils n’en sont pas moins une affaire sérieuse. Autant, sinon plus que du rang protocolaire de chaque invité, il convient de tenir compte de son équation personnelle : il faut éviter de le placer à côté d’un ennemi mortel, ou d’une personne avec qui il n’aura aucune langue commune, ou avec qui il ne partagera aucun sujet d’intérêt. On n’y parvient pas toujours.
C’est dire qu’il faut veiller à tout. L’adage « De minimis non curat praetor » n’a pas cours en diplomatie. Non, bien sûr, qu’il ne faille déléguer. Mais un diplomate, qu’il soit ou non ambassadeur, doit savoir mettre son tablier, au propre et au figuré. Lors d’une réception du 14-Juillet au Caire, nous avions proposé au chef du bureau d’Air France de tenir un des stands pour servir des boissons. Avec un sourire pincé, il avait répondu que cela le gênait vis-à-vis de ses clients. À ces mots, l’ambassadeur avait lui-même ceint un tablier et avait pris place derrière le comptoir. Mettre la main à la pâte est une excellente façon de motiver le personnel. Un haut représentant n’y perdra pas en prestige et en dignité, bien au contraire. Le 14 juillet 1989, nous avions décoré la mission permanente à Genève de rubans tricolores et procédé à un lâcher de ballons bleus, blancs, rouges. Notre chef de mission avait accepté de prêter son bureau pour le stockage des ballons. Je le revois, juché sur un tabouret, clous et marteau en main, en train d’accrocher des banderoles tout comme chacun d’entre nous. Alors que j’étais ambassadeur à Vienne, à la veille d’un dîner compliqué, ma femme était montée en cuisine pour demander si elle pouvait se rendre utile. Le chef cuisinier lui avait suggéré d’aider à éplucher les patates. Peut-être était-ce un test. Ma femme s’y était mise sans barguigner, avec le sourire, sous le regard approbateur du reste de l’équipe.
Recevoir à déjeuner ou à dîner permet à l’amphitryon de faire connaître les bons plats de son pays, particulièrement la gastronomie régionale. Parfois, tel traiteur ou tel négociant en vins proposent de louer la résidence pour lancer une opération publicitaire. C’est double bénéfice : l’ambassade perçoit une redevance qui abondera son budget (après, il est vrai, un détour obligatoire par les comptes du ministère des Finances qui restituera l’argent au bout de quelques mois non sans s’être généreusement servi au passage) ; l’opération aura constitué une belle réclame pour nos productions, participant ainsi de ce qu’un ministre inspiré a appelé la diplomatie économique, rebaptisant une pratique à laquelle nos diplomates s’adonnaient depuis longtemps, apparemment sans le savoir. L’appel aux sponsors se généralise, particulièrement à l’occasion de la Fête nationale, pour laquelle le Quai d’Orsay octroie aux ambassades des crédits de plus en plus chiches. Certains s’en chagrinent, estimant que la République vend son âme au capital. Mais beaucoup d’autres pays font de même. Il est assez moral de taper les entreprises auxquelles nous nous efforçons, le reste de l’année, d’apporter notre soutien. Nous les sollicitons aussi, à l’occasion, pour des manifestations culturelles. L’image de la France s’illustre autant par telle marque de voiture, de champagne ou de parfum que par Molière, Ravel, Monet ou Resnais.
Une des plus belles opérations promotionnelles auxquelles toutes nos ambassades se prêtent de bonne grâce est la fête du beaujolais nouveau. C’est un coup de marketing génial. J’aime bien le beaujolais, les grands noms : chiroubles, fleurie, moulin-à-vent, juliénas, chénas… Mais chaque fois que j’ai goûté au beaujolais nouveau, en ambassade ou ailleurs, je lui ai trouvé un goût de piquette, acide et râpeux. Je ne suis pas sûr d’avoir seulement joué de malchance. Et pourtant, partout dans le monde, le beaujolais nouveau suscite un engouement renouvelé et les foules se pressent aux réceptions données en son honneur.
Je me flatte d’avoir sauvé des vies grâce à un déjeuner. C’était en Éthiopie. Le représentant de l’Union européenne, Tim, avait invité les ambassadeurs des pays membres à visiter dans une région du sud de l’Éthiopie, le Kembatta, un hôpital obstétrical fondé par une femme extraordinaire, Bogaletch Gebre (dite « Boge »). L’Union européenne avait financé la construction et les équipements de l’hôpital. Celui-ci, pourtant, n’avait pas pu entrer en service : il n’y avait pas de médecins et il n’y avait pas d’eau. L’UE sait financer des projets coûteux, mais elle est mal armée pour résoudre les petits problèmes. Tim avait donc mis dans le coup les ambassadeurs des pays membres, se doutant que l’un d’entre eux trouverait la ou les solutions. Il avait un autre motif : Boge, qui est actuellement, selon le mot d’un ministre, une « héroïne nationale », avait à l’époque des relations compliquées avec les autorités : notre visite collective était une façon de la protéger. J’avais une bonne amie, Monique, un médecin franco-malgache, qui représentait à Addis le Fonds des Nations unies pour la population, très impliquée dans les campagnes pour la santé reproductive et contre le sida. J’avais aussi pas mal bourlingué avec une ONG, Inter Aide, spécialisée, entre autres, dans la recherche de sources d’eau potable et l’adduction d’eau. Cette ONG travaillait notamment dans une région voisine du Kembatta, le Wolayta : elles n’étaient séparées que par une chaîne de moyennes montagnes. L’occasion était belle : j’invitai tout mon petit monde à un grand déjeuner, convenablement arrosé. J’exposai la situation : il fallait faire fonctionner cet hôpital. Monique me promit son aide ; elle me trouva assez rapidement deux médecins volontaires des Nations unies, un obstétricien et un anesthésiste. Pour l’eau, ce fut un peu plus long. L’ambassade octroya à Inter Aide cinquante mille euros, pris sur les crédits du Fonds social de développement, pour trouver une source et faire les travaux d’adduction. L’équipe se mit en chasse. Les gens du pays ne cachaient pas leur scepticisme : on avait cherché de l’eau depuis des années et on n’avait rien trouvé. Ces faranj, ces étrangers, se croyaient-ils si forts ? Les étrangers trouvèrent une belle source d’eau pure au sommet d’une montagne à huit kilomètres de distance. J’allai la voir avec Boge : le jet était puissant et régulier. Les travaux d’adduction prirent quelques mois : il fallut négocier, avec les riverains qui voulaient de l’eau pour irriguer leurs champs, avec les autorités de la ville qui exigeaient une dérivation de la conduite pour desservir l’hôpital municipal, lui aussi en manque d’eau. Finalement, l’hôpital de Boge commença à fonctionner et put pratiquer accouchements et césariennes. Un bon raout avait permis de sauver des mamans et des bébés.

… ou pas. Le revers de la médaille : inconfort et danger

Tous les représentants de la France n’ont pas la chance de vivre dans le luxe. Parfois, les résidences ont des salons magnifiques pour les réceptions et des logis exigus pour l’ambassadeur ou le consul et sa famille. Surtout, les diplomates, tant s’en faut, ne sont pas tous logés par le ministère : ils doivent se débrouiller sur le marché local. Les loyers peuvent être hors de prix. Dans certains pays, le loueur exige du locataire une caution équivalant à un ou deux ans de loyer : l’agent doit faire l’avance. Ce n’est pas évident, surtout quand on démarre sa carrière, encore plus quand on est de catégorie B ou C. Les primes à Paris sont faibles, notamment par rapport à celles des agents de Bercy. Il faut demander un crédit. En guise de véhicules de luxe, beaucoup d’agents du Quai empruntent la maudite ligne 13 du métro. Tout diplomate rêve d’être nommé aux États-Unis ; mais chacun sait qu’il n’y fera pas d’économies, voire qu’il devra prélever sur son épargne. Les primes d’expatriation peinent à couvrir les frais de loyer et de scolarité des enfants. En 1988, un mouvement de grève frappa plusieurs de nos représentations diplomatiques : les grévistes protestaient contre un arrêté réduisant les primes des agents de la France à l’étranger. Un des animateurs du mouvement à Washington était un jeune et brillant diplomate, qui dut lui-même, en 2004, faire face à une grève du Quai d’Orsay alors qu’il était ministre des Affaires étrangères : il s’appelait Dominique de Villepin. Cette grève était motivée par les restrictions budgétaires : dans certains services, on ne pouvait plus, faute de crédits, trouver du papier pour imprimer les télégrammes. Cependant, le sens du service public n’avait pas disparu : une de mes collègues, chef de service, s’était déclarée gréviste auprès de l’administration et avait placardé sur la porte de son bureau « en grève » ; elle n’en continuait pas moins, sans être payée, à travailler. Le Quai d’Orsay compte très peu de tire-au-flanc et de fumistes ; tous les agents que j’ai côtoyés, à tous les niveaux, étaient motivés par leur travail, même si leurs conditions de vie, à Paris mais souvent aussi en poste, s’écartaient beaucoup de l’image mythique de la vie diplomatique.
Même quand on est devenu ambassadeur et qu’on dispose d’une belle résidence, il faut savoir la quitter et vivre sur le terrain. Tous les diplomates ne se contentent pas d’une « vie au ralenti de batracien en hivernage1 ». En parcourant ma splendide Éthiopie, le plus souvent avec des ONG, j’ai parfois dû loger dans des bouges. Une fois, je suis allé avec le conseiller de coopération rendre visite à des paléontologues qui faisaient des fouilles à Fejej, près du lac Turkana, dans le sud-ouest de l’Éthiopie, tout près de la frontière kényane. Nos paléontologues logeaient sous la tente. J’avais pris moi-même une belle tente facile à monter mais de taille ambassadoriale. Sur place, une fois la tente montée, je demandai au chef du groupe de chercheurs où on pouvait accomplir ses besoins. Après un moment d’hésitation, il m’expliqua qu’il ne fallait pas souiller le terrain où nous étions installés car il pouvait receler des fossiles ; on devait donc s’éloigner un peu et descendre dans un thalweg où on pourrait, à l’aide d’une bêche gracieusement fournie, creuser un trou. Mon paléontologue ajouta qu’il importait, en cas de sortie nocturne, d’être chaussé de bottes montantes car le terrain était infesté de serpents très venimeux : ils tuaient leur homme en quelques secondes. Plus tard, quand nous fûmes devenus bons amis, il m’avoua qu’il avait redouté ma réaction : il ne savait pas comment un ambassadeur pouvait réagir à la description et au mode d’emploi de ces gogues improvisés.
Les bonnes gens qui assimilent la vie diplomatique à un bal perpétuel oublient aussi que cette vie peut être dangereuse. Venu à Beyrouth pour une réunion, j’accompagnai l’ambassadeur, Patrice, pour une petite séance de jogging au bois des Pins : les arbres avaient bien poussé depuis la fin de la guerre civile. Cependant, terrorisme oblige, nous étions flanqués d’une escouade de gendarmes, en tenue de course mais armés. Patrice ne se déplaçait jamais, même pour des raisons personnelles, sans escorte.
J’ai vécu les débuts du terrorisme au Caire. Un mouvement islamiste, la Gamaa Islamiya, avait lancé une campagne d’attentats contre les touristes, espérant ruiner une des principales sources de revenus du pays et déstabiliser le régime. Le 27 octobre 1993, trois juristes pénalistes venus participer à un congrès furent mitraillés à l’hôtel Semiramis du Caire : deux Américains et un Français, ancien doyen de la faculté de droit d’Aix-en-Provence et personnalité politique locale. Des collègues lui ayant proposé d’aller dîner à l’extérieur, notre compatriote avait décliné l’offre, préférant manger rapidement un morceau à l’hôtel et aller se coucher. Les assassins avaient fait irruption dans la salle à manger de l’hôtel et tiré au hasard. Avec le consul adjoint, je dus aller reconnaître le corps à la morgue du Caire. Quand les employés de la morgue ouvrirent les trois tir...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. CHAPITRE 1 - Une caste de privilégiés ?
  6. CHAPITRE 2 - S’informer et informer
  7. CHAPITRE 3 - Négocier
  8. CHAPITRE 4 - Communiquer Diplomatie et image
  9. CONCLUSION - Conseils à des jeunes attirés par la diplomatie
  10. Table