
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Le Secret
Ă propos de ce livre
Qu'est-ce que le secret ? Quelle place faut-il lui donner ? Cacher ou ne rien laisser dans l'ombre ? Qu'en est-il du rĂŽle du secret intime ? Agit-il comme un poison ou bien est-il le rempart ultime d'une intimitĂ©, d'une forme de retenue et de discrĂ©tion ? Ă partir de rĂ©cits de patients oĂč le secret joue un rĂŽle, Laurent Schmitt montre comment des activitĂ©s psychiques secrĂštes protĂšgent notre vie, nous permettent de rester debout et de ne pas sombrer dans la dĂ©pression. Certains secrets jouent un rĂŽle exceptionnel dans un destin et une trajectoire de vie. Si l'exigence de transparence et le partage des informations s'associent Ă la dĂ©mocratie, ce livre insiste malicieusement sur l'utilitĂ© du secret. Parfois il est indispensable Ă notre vie. Laurent Schmitt est mĂ©decin psychiatre, professeur Ă la facultĂ© de mĂ©decine de Rangueil de l'universitĂ© Paul-Sabatier Ă Toulouse. Ancien professeur associĂ© Ă l'UniversitĂ© de Sherbrooke au Canada, il coordonne la commission de la santĂ© et de l'autonomie pour la rĂ©gion Occitanie. Il a publiĂ© Du temps pour soi et Le Bal des ego.Â
Foire aux questions
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Informations
DeuxiĂšme partie
Les secrets de lâindividu
Chapitre 5
Les secrets qui nous précÚdent
Les secrets sont pesants, ils sâinscrivent toujours dans une relation. Dans la relation Ă soi, le secret touche des parties de nous-mĂȘme que nous mĂ©connaissons, des zones aveugles de notre psychisme. Dans la relation Ă lâautre, le secret va de lâomission, de lâoubli, du refoulĂ© Ă ce qui est dĂ©guisĂ© ou travesti, voire au mensonge pur et simple. Le secret agit-il comme un poison, celui du poids du non-dit ou bien est-il le dernier rempart dâune intimitĂ©, dâune forme de retenue et de discrĂ©tion ?
Il y a une fonction de libĂ©ration dans le partage du secret. La diffĂ©rence entre le spirituel, reprĂ©sentĂ© par la confession et lâabsolution, et le mĂ©dical lors dâune psychothĂ©rapie rĂ©side dans lâapproche des impacts du secret sur la vie psychique et les mĂ©canismes de dĂ©fense : dĂ©ni ou refoulement. Un psychiatre reçoit de nombreux secrets, ils lui sont confiĂ©s pour comprendre comment ils agissent sur le cours de notre vie et lâinfluencent. Ă partir de ces secrets, les processus Ă©motionnels ou de pensĂ©e quâils impliquent peuvent se reconstruire et permettre dâautres maniĂšres dâĂ©prouver, dâagir qui donneront plus de comprĂ©hension et de luciditĂ© Ă lâindividu.
Le secret du destin des hommes
« Connaissez-vous cette nouvelle de Stefan Zweig dans laquelle un ministre chef dâarmĂ©e dâun roi des Indes se retire de toutes fonctions, devient ermite puis commis Ă la garde du chenil du roi ?
â Non, je ne crois pas.
â Dans la nouvelle, Virata sâastreint Ă un dĂ©nuement absolu, mais moi lâalcool mâa sorti du monde et coupĂ© de tous mes repĂšres.
â Pensez-vous que je pourrai vous aider et comment ?
â Peut-ĂȘtre Ă comprendre ce qui me pousse Ă boire et mâa conduit Ă des situations de vie pĂ©rilleuses. Je me demande si jâai tout Ă fait grandi ou si lâadulte que vous avez devant vous nâest pas animĂ© par un esprit dâadolescent ? »
Mince, plutĂŽt grand, le visage un peu ridĂ©, lâhomme qui est venu consulter parle doucement, choisissant ses mots. Il y a encore un an, il Ă©tait un chirurgien digestif dans un hĂŽpital de lâAveyron, il effectuait les interventions classiques : colectomies, gastrectomies, cure de hernie, chirurgie bariatrique en rĂ©duisant lâestomac ou en posant un anneau.
« Parlez-moi de votre besoin de boire.
â Jâai commencĂ© Ă boire pour la premiĂšre fois il y a une quinzaine dâannĂ©es ; jâavais un compagnon, il avait le sida ; en quelques mois, je lâai vu maigrir, se dĂ©charner et il est mort. Nous vivions ensemble depuis quatre ans. Je lâavais rencontrĂ© Ă une soirĂ©e alors que jâĂ©tais dĂ©jĂ interne en mĂ©decine, en cours de spĂ©cialisation en chirurgie digestive. Il Ă©tait brillant, drĂŽle, professeur de lettres, prenant la vie avec humour et presque tout au second degrĂ©. Quand Jacques est mort, ce fut une dĂ©chirure absolue, câest peu de dire quâun morceau de moi avait Ă©tĂ© amputĂ©. Jâai Ă©tĂ© sonnĂ©, K-O, anesthĂ©siĂ©. La douleur Ă©tait si forte que seule une bouteille de whisky par jour mâaidait Ă ne plus penser.
â Mais comment en ĂȘtes-vous arrivĂ© lĂ ?
â Un pĂšre universitaire, sociologue et philosophe ; il imposait sa rĂšgle et avait une petite cour dâadmirateurs : des Ă©tudiants, des thĂ©sards⊠Il exprimait son narcissisme dans le souhait dâavoir des enfants brillants, une mise au pinacle des intellectuels, il ne sâintĂ©ressait Ă nous, mon frĂšre et moi, que si nous avions des rĂ©sultats scolaires exceptionnels. Il ne sâoccupait jamais de nous sauf pour nous faire des sortes de cours, un peu pontifiants, Ă la maison. Il confondait le rĂŽle dâun pĂšre et celui dâun enseignant.
â Et votre mĂšre ?
â Ma mĂšre symbolise la femme de devoir, croyante, poussant la charitĂ© Ă lâextrĂȘme. Elle accueillait des enfants orphelins ou dĂ©shĂ©ritĂ©s des pays africains. Je crois que son seul bonheur Ă©tait de se dĂ©vouer Ă notre pĂšre, Ă ses enfants, aux dĂ©shĂ©ritĂ©s, elle croyait Ă la rĂ©demption par la charitĂ©. Jâai donc effectuĂ© mes Ă©tudes de mĂ©decine Ă Paris avec lâidĂ©e que, pour satisfaire mon pĂšre, je devais ĂȘtre quelquâun de brillant. Jâai dĂ©cidĂ© de faire de la chirurgie et câest Ă Limoges que je me suis formĂ© en chirurgie digestive. Huit mois aprĂšs mon arrivĂ©e Ă Limoges, lors dâune soirĂ©e chez des amis, je rencontrai Jacques. Jâavais dĂ©jĂ vĂ©cu de courtes aventures avec des garçons lors de mes Ă©tudes de mĂ©decine mais rien de sĂ©rieux, jâĂ©tais trop pris par mes Ă©tudes. Jacques Ă©tait grand, rond et fort. Il se dĂ©gageait de lui une bonhomie naturelle. Certains de ses amis lâappelaient Nounours du fait de sa stature et de ses rondeurs. Mais, surtout, en opposition avec son apparence â il suscitait une impression de douceur â, il avait un esprit terriblement moqueur, parfois caustique, une capacitĂ© Ă faire rire hors du commun. Avait-il pressenti ce sentiment dâimperfection, cette forme insidieuse de tristesse qui me parcourait ? Peut-ĂȘtre. En tout cas, dĂšs notre premiĂšre rencontre, il me fit Ă©clater de rire Ă plusieurs reprises, soit en se moquant de quelques personnages cĂ©lĂšbres, soit en mâinterpellant avec humour. Quelques semaines aprĂšs, nous emmĂ©nagions ensemble. Jacques se savait sĂ©ropositif, peut-ĂȘtre cet humour dĂ©vastateur, son autodĂ©rision faisaient aussi partie de ses mĂ©canismes de dĂ©fense. Il nâhĂ©sitait pas Ă plaisanter sur les couples homosexuels oĂč au bout de quelque temps, les deux partenaires par un effet de mimĂ©tisme tendent Ă se ressembler : coupe de cheveux, barbe, vĂȘtements. âNous au moins on ne ressemblera pas aux Dupont et Dupond ; on serait plutĂŽt dans le style Laurel et Hardyâ, disait-il, faisant allusion Ă nos diffĂ©rences de stature, lui rond et fort, moi mince et un peu fluet. Je me sentais protĂ©gĂ© mais surtout valorisĂ© et respectĂ©. Lorsque je rentrais de garde, un petit dĂ©jeuner mâattendait, je nâavais quâĂ prendre ma douche, me mettre au lit.
â Comment votre relation a-t-elle Ă©voluĂ© ?
â Nous aimions recevoir, sortir. Nous commentions les livres quâil me faisait lire. Je nâavais pas beaucoup lu durant mes Ă©tudes et je lui dois au moins deux dĂ©couvertes dâĂ©crivains. Bien sĂ»r un peu orientĂ©s ! Pourquoi ai-je tant aimĂ© Hector Bianciotti ? Jâai commencĂ© par lire de lui Ce que la nuit raconte au jour ; jâĂ©tais fascinĂ© par sa transformation dâun Ă©crivain de langue espagnole en un Ă©crivain français. Il aimait bien rappeler une expression de Bianciotti indiquant que lâon peut ĂȘtre dĂ©sespĂ©rĂ© dans une langue et Ă peine triste dans une autre. Je pensais Ă ces moments si tristes de la vie oĂč, de façon simultanĂ©e, un petit dĂ©tail cocasse ou un incident, un dĂ©tail peuvent ajouter une note humoristique dans un moment tragique. Lâautre Ă©crivain quâil me fit dĂ©couvrir est Armistead Maupin. Ce choix, plus orientĂ© par les Chroniques de San Francisco, Ă©tait un plaidoyer pour lâhomosexualitĂ©. Je dois bien dire que jâai relu plusieurs dizaines de fois certains passages comme celui-lĂ : âQuand on est veuf, docteur, la chose qui fait le plus souffrir, câest dâavoir perdu lâami qui pouvait contempler une montagne avec vous et savoir ce que vous pensiez⊠lâami qui partageait vos silencesâŠâ Jacques Ă©tait cet ami. Quand il dĂ©veloppa le sida, je lâaccompagnais, nous nâavions pas encore les trithĂ©rapies pour soigner cette abominable maladie. Il perdit du poids, des forces, sa bonhomie et il mourut. JâĂ©tais alors chef de clinique en chirurgie digestive dans un service spĂ©cialisĂ© dans les cancers du cĂŽlon, du rectum ou du foie. Câest lâĂ©poque oĂč je commençai Ă boire, sans mâen rendre vraiment compte, en rentrant le soir ou en sortant chez des amis. JâĂ©tais si triste, si dĂ©sespĂ©rĂ©, que la seule maniĂšre dâapaiser cette douleur Ă©tait de boire, boire encore. Un matin, mon chef de service me convoqua ; depuis quelques semaines, me dit-il, je sentais lâalcool, il ne voulait plus que jâopĂšre et me demanda soit de me faire soigner, soit de quitter le service. Jâeus lâimpression dâune trahison, elle venait sâajouter Ă la peine du dĂ©cĂšs, Ă un sentiment dâincomprĂ©hension profonde. Comment ce patron, qui aurait dĂ» reconnaĂźtre ma dĂ©tresse, comprendre ce qui mâamenait Ă boire, pouvait-il ĂȘtre aussi primaire en me demandant de me soigner ou de renoncer ? Deux mois aprĂšs, dans un mouvement de fuite, plus que par un dĂ©part planifiĂ©, je partis pour un voyage de trois mois Ă Bali.
â Pourquoi Bali ?
â Avec Jacques nous avions un projet de voyage lĂ -bas, on ne lâa jamais rĂ©alisĂ© ensemble. Jâai pris lâavion et atterri Ă Denpasar, de lĂ jâallai passer quelques mois Ă Padangbai. Il sâagit dâune petite ville tranquille oĂč accostent les ferries qui vont et viennent Ă Lombok. De bon matin, mĂȘme si la population est largement hindouiste, les cornes des ferries se mĂȘlent Ă lâappel Ă la priĂšre lancĂ© par la mosquĂ©e. Je me suis sevrĂ© lĂ -bas en vivant chez lâhabitant, changeant de rythme. Au bout dâun mois, jâĂ©tais triste mais jâavais perdu le goĂ»t et le besoin de lâalcool. Cette petite ville ne comporte que quelques rues, un petit marchĂ©, un port oĂč accostent les ferries, plusieurs barques de pĂȘcheurs. Au bout du second mois, jâallais au dispensaire, je donnais un coup de main pour tous les actes de petite chirurgie, les petites plaies, les fractures, je me rendais utile et je sentais bien que la prĂ©sence dâun chirurgien donnait une certaine tranquillitĂ© face Ă des cas mĂ©dicaux qui auraient imposĂ© un transfert rapide dans une clinique trĂšs onĂ©reuse. Dans ce petit village, je devais ĂȘtre perçu comme un routard un peu inhabituel. Routard je lâĂ©tais par lâapparence : pantalon de toile, tee-shirt et rythme nonchalant. Et, en mĂȘme temps, on savait oĂč me trouver si une plaie profonde, une douleur tenace au ventre ou un accident dans une riziĂšre ou sur la route imposaient un avis plus spĂ©cialisĂ©. Je dormais dans une petite chambre, un lit de camp, une table, une chaise ; je prenais ma douche Ă lâextĂ©rieur. Lâeau courante est rare. Au bout du quatriĂšme mois, jâenvoyai des courriers de proposition Ă MĂ©decins sans frontiĂšres, qui me rĂ©pondirent, et durant les cinq annĂ©es qui suivirent, je fis partie de cette organisation non gouvernementale. Dans ces missions, jâexerçais en tant que chirurgien digestif le plus souvent. Certaines de ces missions duraient un ou deux mois, dâautres duraient prĂšs dâune annĂ©e. Parfois, jâexerçais plusieurs fonctions ; mon dernier poste, ma derniĂšre mission, comportait la direction dâun hĂŽpital situĂ© dans la bande de Gaza en Palestine. Jây ai passĂ© presquâun an, jâorganisais les soins, le recrutement des mĂ©decins et des chirurgiens volontaires, lâapprovisionnement de lâhĂŽpital ; jâai souvent rĂ©alisĂ© la chirurgie gĂ©nĂ©rale quand nous recevions les victimes dâexplosions, de balles, avec des hĂ©morragies internes mais aussi des fractures.
â Comment vous sentiez-vous dans cette pĂ©riode ?
â Je crois que je nâai jamais fait le deuil de Jacques. JâĂ©tais triste Ă lâintĂ©rieur, actif et professionnel Ă lâextĂ©rieur.
â Vous avez eu dâautres histoires sentimentales ?
â Jâai eu une liaison avec un psychologue hollandais lorsque je me trouvais en Irak. Cela a durĂ© deux mois, câĂ©tait sans doute plus sexuel quâaffectif. Je crois aussi que ses sentiments envers moi Ă©taient plus forts que les miens envers lui. Lorsque la mission de Jan sâest achevĂ©e, il repartit Ă Utrecht ; nous nous sommes envoyĂ© quelques courriels puis plus rien.
â Et lâalcool dans tout ça ?
â AprĂšs le passage en IndonĂ©sie, pendant prĂšs de cinq ans, jâai bu de façon Ă©pisodique lors de fĂȘtes, de soirĂ©es, de pots de dĂ©part, mais jamais de façon continue. Je peux dire que mĂȘme si durant une semaine je buvais beaucoup plus quâil ne fallait, jâarrivais Ă mâarrĂȘter tout simplement du fait de notre activitĂ©, de la charge de travail et de la disponibilitĂ© permanente dans laquelle nous devions nous trouver durant ces missions. Jâai clairement renoncĂ© aux alcools forts ; je buvais du vin, de la biĂšre. Beaucoup de nos missions se dĂ©roulaient dans des pays musulmans oĂč, mĂȘme si on peut trouver de lâalcool, ce nâest pas la premiĂšre boisson proposĂ©e.
â Et ensuite ?
â Vers 2011, jâen ai eu assez de cette vie itinĂ©rante ; jâai dĂ©cidĂ© de faire une pause et de tenter de mâinstaller en France. Jâai travaillĂ© trois mois dans une clinique chirurgicale prĂšs dâOrthez. Je ne mây trouvais pas vraiment Ă ma place. Je sentais bien une pression pour rĂ©aliser des interventions chirurgicales, des actes et mĂȘme si cela nâĂ©tait pas dit, il existait une incitation Ă pratiquer des actes rentables pour la clinique. Je venais de lâhumanitaire, jâavais soignĂ© des patients trĂšs sĂ©vĂšrement touchĂ©s et lĂ une bonne partie de ma chirurgie me semblait mineure : hernie, appendicectomie, ablation de la vĂ©sicule. Puis je ne me sentais pas trop Ă ma place dans cette toute petite ville oĂč les notables sâinvitent entre eux, font partie du Rotary, frĂ©quentent le mĂȘme club de tennis, le mĂȘme golf. Jâai commencĂ© Ă me sentir isolĂ©, triste Ă nouveau et jâai recommencĂ© progressivement Ă boire. Ă mâisoler dans mon appartement pour lire, mais aussi en buvant. Vers le mois de dĂ©cembre, je donnais mon prĂ©avis au directeur de la clinique, il ne me retint pas vraiment. Jâenvoyai un don dâargent assez important Ă MĂ©decins sans frontiĂšres, ce don entraĂźna au dĂ©but de lâannĂ©e suivante des difficultĂ©s financiĂšres. LĂ , je me suis retrouvĂ© Ă Bordeaux sans logement et presque sans ressources.
â Que sâest-il passĂ© ?
â Certains appelleraient ça une descente aux enfers. Je dirai plus simplement une carapace dâinactivitĂ© induite par lâalcool qui vous amĂšne Ă un dĂ©sintĂ©rĂȘt complet. Jâai passĂ© plusieurs nuits Ă la gare de Bordeaux ; jâai Ă©tĂ© ramassĂ© pour aller dans des foyers dâurgence. Le peu dâargent qui me restait, je le consacrais Ă acheter des bouteilles et Ă boire. Jâai dĂ» passer presque un mois Ă dormir sur des bancs, dans des cours dâimmeubles et mĂȘme quelques jours dans un squat.
â Vous nâaviez pas la possibilitĂ© de louer une chambre ?
â Je nâen avais surtout pas lâenvie, jâai lâimpression que jâĂ©tais dans un monde liquide avec deux phases. Une partie de mon esprit semblait adaptĂ©e Ă la rĂ©alitĂ©, il me faisait aller dâun point Ă un autre, je pouvais me rendre dans une Ă©picerie et acheter de lâalcool. Je marchais Ă peu prĂšs droit et je pouvais rĂ©pondre aux questions sans difficultĂ©s. Lâautre phase, un peu comme lâhuile et le vinaigre, me rendait insensible Ă tout. Je dĂ©ambulais sans but, les jours succĂ©daient aux nuits. Tout se mĂȘlait indistinctement tant mon niveau dâimprĂ©gnation Ă©tait important. En fait, je nâai strictement aucun souvenir de cette pĂ©riode. Si je reprends le titre de Bianciotti dont je vous ai parlĂ©, Ce que les nuits racontent aux jours, ni les jours ni les nuits ne racontaient quoi que ce soit. On peut dire que jâĂ©tais une sorte dâobjet flottant, imprĂ©gnĂ© dâalcool, dĂ©ambulant dans Bordeaux, sans but ou objectif.
â Personne ne pouvait vous aider ?
â Pour mâaider, il aurait fallu que je me manifeste dâune quelconque façon. Je nâavais plus de domicile, mon courrier devait arriver Ă Orthez car je nâavais donnĂ© aucune adresse au-delĂ . Un jour, jâĂ©tais trĂšs alcoolisĂ©, je crois que je me suis effondrĂ© dans la rue, jâai Ă©tĂ© victime dâune crise dâĂ©pilepsie. Cet Ă©tat dâinconscience a fait quâune ambulance mâa amenĂ© aux urgences de lâhĂŽpital et jâai Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© avec une hospitalisation contre mon grĂ© Ă lâhĂŽpital Charles-Perrens.
â Pourquoi contre votre grĂ© ?
â Les psychiatres ont dĂ» trouver insolite ma position : refuser de me soigner, minimiser lâalcoolisme alors que les analyses biologiques Ă©taient terrifiantes, indiquer que jâĂ©tais chirurgien. Tout cela a dĂ» leur sembler incohĂ©rent et surtout je mâopposais Ă toute hospitalisation. Le sĂ©jour Ă Charles-Perrens a Ă©tĂ© terrible : non pas Ă cause de lâatmosphĂšre de lâhĂŽpital psychiatrique, jâavais vu bien pire dans mes missions humanitaires, mais le sevrage et le besoin permanent dâalcool mâont fait souffrir durant un bon mois. Heureusement que jâĂ©tais hospitalisĂ© dans un secteur fermĂ© car je nâavais quâune idĂ©e en tĂȘte : boire, me procurer de lâalcool, utiliser un autre malade pour mâen apporter. Je crois quâune ou deux fois jâai dĂ» boire de lâeau de Cologne simplement pour retrouver quelques sensations qui me semblaient faciliter une forme de bien-ĂȘtre artificiel. Heureusement que, lors de lâhospitalisation, jâai rencontrĂ© une assistante sociale extraordinaire : Odette. Elle sâest occupĂ©e de rĂ©cupĂ©rer mon courrier, a fait des dĂ©marches auprĂšs de ma mutuelle, a prĂ©venu mon frĂšre et mes parents et mâa rencontrĂ© au moins une dizaine de fois pour tenter, rendez-vous aprĂšs rendez-vous, de rĂ©tablir ma situation. Je suis restĂ© quatre mois dans cet Ă©tablissement, jây ai Ă©tĂ© trĂšs bien soignĂ©. Jâai effectuĂ© un sevrage et progressivement le jour et la nuit sont devenus des entitĂ©s distinctes, matin et aprĂšs-midi ont commencĂ© Ă se diffĂ©rencier. Les personnes qui me parlaient, psychiatres, internes, ont acquis une vraie consistance. Au cours des entretiens, la premiĂšre phase mâa fait comprendre ce quâĂ©tait un deuil pathologique. Jâai compris que je nâavais jamais pu me sĂ©parer de Jacques, mon interne a mis le doigt lĂ -dessus aprĂšs un rĂȘve. Le rĂȘve se dĂ©roulait Ă Gaza, une bombe explosait, je soignais un enfant blessĂ©, Jacques me tendait dans le rĂȘve les compresses et les instruments...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Du mĂȘme auteur chez Odile Jacob
- Page de titre
- Copyright
- Introduction
- PremiĂšre partie - Du besoin de secret Ă Â lâexigence de transparence
- DeuxiĂšme partie - Les secrets de lâindividu
- TroisiĂšme partie - De lâutilitĂ© du secret
- QuatriÚme partie - Les secrets indispensables à  notre survie
- Pour conclure
- Bibliographie
- Remerciements
- Table
- QuatriĂšme de couverture