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Les Grands Hommes et leur mère
Louis XIV, Napoléon, Staline et les autres
- 368 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
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À propos de ce livre
Le destin historique d'un grand homme se dessine-t-il dès l'enfance ? Sabine Melchior-Bonnet montre dans ce livre que derrière tout héros, qu'il soit grandiose ou maudit, il y a… une mère. C'est dans les relations entre mère et fils que se joue aussi l'Histoire. Que seraient en effet Néron, François Ier, Louis XIII, Louis XIV, Napoléon, mais aussi Churchill, Staline, Hitler, sans leur mère ? C'est à la restitution de ces biographies historiques sous l'angle inédit des relations entre mère et fils que s'attache ici l'auteur. Et c'est à résoudre le mystère de ces destins uniques que nous sommes ici conviés, dans une série de portraits d'Histoire déroutants et inattendus. Sabine Melchior-Bonnet est historienne, spécialiste de l'histoire des sensibilités. Elle travaille au Collège de France auprès des professeurs Jean Delumeau et Daniel Roche. Elle a notamment publié une Histoire du miroir, Une histoire de la frivolité, et codirigé une Histoire du mariage.
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Informations
Éditeur
Odile JacobAnnée
2017Imprimer l'ISBN
9782738135162ISBN de l'eBook
9782738136510PREMIÈRE PARTIE
Icônes maternelles
Un nid de vipères :
Agrippine et Néron
« Qu’il me tue, pourvu qu’il règne. »
TACITE, Annales, XIV, 9,3.
L’histoire d’Agrippine et de Néron, dans le contexte politique romain du Ier siècle de notre ère, concentre à peu près tous les ingrédients qui peuvent faire de la relation mère-fils un nœud de vipères : la condition inférieure des femmes, des mariages expéditifs assortis de divorces non moins rapides, la constitution de « familles multiples », les violences physiques et psychologiques, l’amoralité de la société et son luxe extrême, l’appât du pouvoir sont autant de facteurs qui, en ruinant les mœurs sobres que le neveu de Jules César, l’empereur Octave-Auguste, avait voulu imposer à ses héritiers, ont débouché sur une nouvelle histoire des Atrides. À ces facteurs s’ajoutent très certainement les atavismes de la famille julio-claudienne, démence, paranoïa, perversité, engendrant toutes sortes de débordements. Le matricide, quel que soit le siècle, est un crime condamné par les lois divines et humaines. Néron a fait tuer sa mère en l’an 59 de notre ère, et il est resté pour la postérité un monstre.
On peut assurément accorder à Néron des circonstances atténuantes : les textes de l’époque, invoquant tout ensemble les méfaits d’une mère dénaturée et manipulatrice et les nécessités politiques d’un régime qui pouvait sombrer, semblent assez près de justifier cette mise à mort. Les sources sûres manquent. Si Sénèque et Pline l’Ancien ont connu de leur vivant Agrippine et Néron, la plupart des auteurs écrivent largement après les événements en s’inspirant de récits contestables ; ils donnent leur version selon leurs préférences et sont parfois emportés par le goût de la mise en scène : Tacite écrit les Annales entre 115 et 117, Suétone une Vie de Néron quelques années plus tard ; Dion Cassius rédige son Histoire autour de 210 ; entre ces deux dates, la tragédie dite du Pseudo-Sénèque intitulée Octavie s’attache à présenter une Agrippine tout à la fois « monstre et victime ». Dès la fin du Ier siècle, l’historien Flavius Josèphe mettait en garde contre les déformations des écrits tardifs. Agrippine avait de son côté commencé à rédiger ses Mémoires, que citent à l’occasion Tacite et Suétone, mais qui ont malheureusement disparu. Derrière les récits, se tisse et se déconstruit un lien, le premier lien de l’homme à la mère, lorsqu’il veut punir en elle la luxure, l’infidélité et une soif de domination tyrannique.
Un échiquier impérial
Les femmes, dans la Rome antique, n’ont aucun droit civique ou politique, mais elles ne sont en rien des recluses. En raison de leur faiblesse native, elles sont soumises à la puissance de leur père, puis de leur mari, et si l’un et l’autre viennent à mourir, de leur tuteur, un parent en ligne paternelle sans l’autorisation duquel elles ne peuvent se remarier. Le mariage est avant tout une négociation entre deux familles et il se rompt sans procédure particulière, par une simple notification, à la demande du mari ou de la femme. Le divorce peut être bilatéral ou unilatéral ; il ne prend pas en considération la grossesse éventuelle de l’épouse. Les enfants sont alors ballottés entre plusieurs maisons ; légalement, ils appartiennent à la maison de leur père où ils vivent, mais les exceptions sont nombreuses et beaucoup de grands-mères ou de tantes les recueillent ; dans la maison paternelle, leur éducation est en principe assurée par les mères ou belles-mères successives, mais ces dernières sont souvent jalouses des enfants du premier lit, parfois aussi jeunes qu’elles, et dans ces familles recomposées les brouilles entre demi-frères ou demi-sœurs rivaux sont fréquentes. Les moralistes condamnent unanimement la banalisation des divorces ; ils louent en contrepartie une femme qui ne se remarie pas, la matrona univira, la femme dévouée à un seul homme qui jouit d’un prestige sacré.
Les fréquents remariages et les veuvages apportent un vent d’émancipation aux femmes prisonnières d’une législation fondée sur la peur des Romains de voir leurs privilèges amoindris par leurs mères, leurs femmes ou leurs filles : sous l’Empire, les veuves qui ont perdu père et mari retrouvent un peu de liberté pour choisir leur prochain conjoint ; la tutelle s’assouplit et parfois elles recouvrent leur dot. Lorsqu’elles sont proches du pouvoir, leur influence pèse lourd dans les décisions de leur époux mais les unions sont fragiles. L’exemple vient de haut. Octave, devenu l’empereur Auguste en - 27, marié à Scribonia enceinte, enlève la belle Livie, déjà mère d’un enfant nommé Tibère et enceinte de son légitime époux Tiberius Claudius Néron ; Auguste fait divorcer Livie et l’emmène chez lui où elle accouche de son deuxième fils, Drusus. Il divorce de Scribonia le lendemain de la naissance de leur fille commune, Julie. La belle Livie, devenue l’épouse de l’empereur, est une femme autoritaire ; elle prend avec elle les deux fils de ses précédents mariages et elle impose à son mari en l’an IV l’adoption de l’aîné, le petit Tibère, puis sa désignation comme son successeur à la tête de l’Empire. Plus tard, ce même Tibère sera contraint par son père adoptif de se séparer de sa femme Vipsania, enceinte, pour épouser sa fille Julie, elle-même veuve, et il ne cachera pas son chagrin de cette séparation forcée.
Des femmes fortes, la famille julio-claudienne en compte plusieurs en ce Ier siècle de notre ère ; elles n’ont certes pas de statut politique, mais le sang d’Auguste coule dans leurs veines : comme Auguste n’a pas eu de fils et que les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la famille, ce sont elles qui transmettent la légitimité du pouvoir par l’intermédiaire de leurs enfants. Persuasives, possessives, autoritaires, sensuelles, elles jouissent de privilèges spéciaux en tant qu’épouses, filles ou sœurs d’empereur, et elles sont quasiment libérées de toute tutelle ; elles ont leur propre clientèle, elles peuvent faire élever leur statue dans la ville, être accompagnées dans leurs déplacements par un garde du corps et même figurer sur les monnaies. Livie porte le nom sacré d’Augusta. Suétone rapporte qu’Octave-Auguste préparait ses entretiens avec elle avant de prendre des décisions ! Livie, propulsée au sommet de l’État par l’accession au trône de son fils Tibère, après la mort d’Auguste en 14, sera accusée d’avoir voulu s’approprier le pouvoir de son fils. Julie, la fille d’Auguste, semble animée par la même volonté de puissance, au point de manigancer un complot contre son père avec l’aide d’un amant, ce qui lui vaut d’être condamnée à l’exil dans une petite île. Messaline, l’épouse de l’empereur Claude et mère de Britannicus, n’est pas la moindre de ces femmes dominatrices : pour convoler avec son amant, elle quitte son mari en oubliant même de lui écrire la lettre de « renonciation », indispensable pour un divorce en règle. Claude, en voyage, est ainsi « divorcé » sans même le savoir : il le découvre en apprenant le remariage de Messaline ; il se vengera en la faisant assassiner en 48 !
Une jeune femme effacée
De toutes ces femmes puissantes, la figure d’Agrippine « l’Ancienne », mère d’Agrippine « la Jeune » et donc grand-mère du futur empereur Néron, accède à une dignité emblématique. Elle est la fille de Julie, donc la petite-fille directe d’Auguste et, univira, elle est l’une de ces matrones qui n’ont jamais voulu se remarier, comparable à Cornelia, l’héroïque mère des Gracques. Elle a épousé en l’an 4 son cousin Germanicus, lui-même petit-fils du côté maternel de la sœur d’Auguste, Octavie, et du côté paternel de Livie : les mariés appartiennent ainsi tous deux à la Domus Augusta. Leur union s’avère féconde puisqu’en quinze ans la jeune femme met neuf enfants au monde, dont six parviennent à l’âge adulte. Agrippine la Jeune naît en 15 ou en 16, à Cologne, où son père commande les légions de l’armée romaine et défend la frontière du Rhin ; au centre de la fratrie, elle est précédée de trois frères aînés et suivie de deux sœurs. Agrippine l’Ancienne accompagne Germanicus dans plusieurs de ses missions et témoigne d’une étonnante énergie, parfois même d’une certaine arrogance ; elle encourage les soldats et les stimule en brandissant son petit garçon Caligula, qui devient la coqueluche des troupes. Aimé des soldats, cultivé, courageux, Germanicus jouit de la confiance d’Auguste ; il gagne d’importantes batailles et réprime une sédition, ce qui fait de lui un rival inquiétant pour Tibère, d’autant que Tibère a été contraint par l’empereur de l’adopter, bien qu’ayant lui-même un fils, Drusus. Auguste s’assure ainsi que le pouvoir ne sortira pas de la branche julienne. Lorsque Germanicus rentre avec sa famille à Rome, en 17, il est reçu en triomphateur. Tibère, devenu empereur à son tour, n’a rien de plus pressé à faire que de l’éloigner à nouveau de Rome : il l’envoie dès l’hiver 17 en Orient, combattre les Parthes et les Arméniens. Agrippine l’Ancienne fait le long et pénible voyage avec son mari, laissant trois de ses enfants à Rome, dont la petite Agrippine âgée de deux ans, qu’elle confie à l’oncle paternel Claude, frère de Germanicus.
La fillette grandit loin de ses parents : elle ne reverra pas son père, qui meurt deux ans plus tard à Antioche, peut-être empoisonné par un fidèle de Tibère, mais dont la noble image restera gravée en elle. Sa mère, émancipée juridiquement, regagne Rome en 20. Dans la lutte entre les branches rivales de la Domus Augusta, tous les coups sont permis, calomnies, accusations d’inceste, crimes, pour disqualifier le clan adverse. Agrippine l’Ancienne et Livie se détestent et l’une et l’autre tentent de pousser leurs fils et petits-fils respectifs ; le fils en ligne directe de Tibère est empoisonné avec la complicité de sa propre femme, ouvrant la voie aux fils d’Agrippine ; mais celle-ci fait à son tour l’objet d’une cabale menée par le préfet du prétoire, Séjan, qui prend de l’ascendant sur Tibère et médite de le remplacer. Elle tombe en disgrâce, accusée de toutes sortes de crimes, reléguée avec son fils aîné loin de Rome dans l’île de Pandateria ; elle finit par se laisser mourir de faim pour échapper aux coups de ses geôliers ; seul son plus jeune fils, Caligula, peu menaçant, est épargné. Orpheline, la jeune Agrippine habite sans doute quelque mois ou quelques semaines avec ses jeunes sœurs Drusilla et Livilla chez son arrière-grand-mère Livie, qui meurt en 29. Quant à Tibère, très âgé et cantonné sur son rocher isolé de Capri pour échapper aux attentats, il ne nomme aucun successeur officiel. L’enfant, garçon ou fille, est souvent la proie facile de la violence parentale mais en lui se perpétuent le culte familial et la possibilité de nouer d’utiles alliances.
De l’enfance d’une mère peut-on déduire le sort futur d’un fils ? Nul doute qu’Agrippine la Jeune ait eu une conscience précoce de son rang et de ses capacités. Et non moins sûrement elle a vu tôt la cruauté des hommes qui ont décimé sa famille : la fin tragique de sa mère, dont on vantait la noblesse et la dignité, l’a tristement édifiée sur le sort réservé aux femmes. Elle a pu en contrepoint admirer la réussite de Livie la douairière, puissante et entourée de respect : selon Tacite elle « était jalouse d’égaler la magnificence de sa bisaïeule ». Mais à la mort d’Agrippine l’Ancienne, elle est encore une toute jeune fille de treize ou quatorze ans qui ne peut s’insurger contre son tuteur – Tibère ou l’oncle Claude. Tibère la donne en mariage en 28 à un cousin beaucoup plus âgé qu’elle, qui descend directement de la sœur d’Auguste, Octavie : beau parti donc, si le promis, Domitius Ahenobarbus (« barbe rousse »), n’était réputé pour être un homme « détestable », violent et volage ; le mariage est célébré en grande pompe à Rome. Peu après, en 33, Drusilla est à son tour mariée à un proche de la famille, Lepidus. On se marie entre cousins pour perpétuer la dynastie. Il y a peu à dire de la vie conjugale de la jeune mariée durant les dix premières années : Agrippine, effacée, vit dans l’ombre de ses frères et ne fait pas parler d’elle ; ce n’est qu’en 37 qu’elle met au monde son fils, le futur Néron – elle a alors vingt-deux ou vingt-trois ans.
Année capitale : cette même année, le vieil empereur, âgé de soixante-dix-huit ans, s’éteint. De tous ses héritiers virtuels, les uns ont été assassinés, les autres écartés ou déchus, et le choix du successeur s’est réduit. Tibère se résigne avant de mourir à honorer la branche de Germanicus en désignant pour sa succession Caligula, qui bénéficie de la réputation de son père et que le peuple alors acclame ; ce choix confirme que le régime impérial est bien devenu un régime héréditaire. Caligula a vingt-cinq ans : il a eu, jeune, des crises d’épilepsie et il vit à Capri depuis quelques années auprès de l’empereur. Lorsqu’il devient empereur à son tour, en 37, il n’a aucune expérience du pouvoir et ne brille pas par l’intelligence, passant facilement d’un excès à un autre, mais il possède la qualité préférée des Romains, le talent oratoire. N’ayant pas lui-même de fils, il adopte le seul héritier survivant de Tibère, un petit-fils âgé d’à peine dix-huit ans, qu’il s’empresse d’éloigner et de compromettre pour garder le pouvoir absolu. Influencé peut-être par les récits de la vie de son aïeul paternel Marc-Antoine, l’époux de Cléopâtre, il est fasciné par les usages de la royauté égyptienne dans laquelle il voit un modèle. Jusqu’à quel point ? On lui prête une relation incestueuse avec sa jeune sœur Drusilla, comme il en existe chez les pharaons égyptiens, et il voudra être honoré comme un dieu… En tout cas, l’Empire romain est devenu une affaire de famille, au détriment des sénateurs qui ne gardent plus guère qu’une fonction honorifique.
Lucius Néron, un petit garçon ballotté
Qu’en pense Agrippine ? Avec l’accession de son frère Caligula à la dignité suprême, la voici toute proche du pouvoir suprême ; elle occupe, avec sa sœur Drusilla, la première place tant que leur frère n’a pas d’épouse. Elle apparaît même sur les monnaies. Après avoir attendu neuf ans, elle est devenue enfin enceinte. L’accouchement est difficile ; le 15 décembre, elle met au monde le petit Lucius Néron, qui prendra le nom de Néron, en 50, lors de son adoption par Claude. Inutile de dire que les astrologues et les mages ont largement commenté la naissance du prince, « enveloppé de rayons lumineux avant que n’éclaire le soleil ». Une ombre au tableau : Agrippine étant demeurée infertile durant neuf années, quelques mauvais esprits ont mis en doute les capacités du père et jasé sur cette naissance survenue à point : Lucius Néron est-il bien le fils de Domitius Ahenobarbus ? N’est-il pas plutôt l’enfant d’une liaison adultérine ? Mais de qui ? On évoque alors le nom de Sénèque, très lié avec Agrippine, mais c’est pure hypothèse. Domitius a reconnu l’enfant, qui a par ailleurs hérité de sa toison blond-roux.
Tant que Caligula n’a pas de fils, un bel avenir est promis au nouveau-né, et Agrippine est prête à tout pour recueillir la couronne de lauriers. Elle est intelligente, belle, sensuelle, toujours maîtresse d’elle-même et nullement effarouchée quant aux moyens à faire valoir ses droits. Il est probable aussi qu’elle se sent plus apte à gouverner que son frère, instable, et qui n’a jamais été préparé à tenir une telle charge. Mais des obstacles se dressent sur sa route. À la mort de sa sœur Drusilla, Caligula a nommé pour héritier son mari, Lépidus, le petit Lucius Néron étant bien trop jeune pour prétendre à la succession. Consciente de ses intérêts, Agrippine, pragmatique, aurait pris alors Lépidus pour amant ; l’adultère s’ébruite et la rumeur se répand d’un complot contre Caligula. Peu importent les preuves : en 39, Agrippine est condamnée et exilée dans l’île de Pontia par son frère, privée des honneurs impériaux et de la présence de son fils. Le petit Lucius Néron fait donc à Rome ses premiers pas tout seul, car un an plus tard, c’est au tour de son père Ahenobarbus, très malade, de mourir. Caligula, qui sombre dans la folie, se désintéresse de son neveu. Lucius Néron est alors confié à une tante paternelle, Domitia Lépida, dont les mœurs fort libres sont connues de tous.
L’assassinat en 41 de Caligula, dément et haï, ouvre à nouveau la voie aux calculs et aux espérances. Le grand-oncle Claude, frère de Germanicus et dernier héritier survivant de la Domus Augusta, est acclamé par les prétoriens et nommé bien malgré lui empereur : son âge avancé – il a cinquante ans – fait penser aux sénateurs qu’ils s’en débarrasseront aisément. Agrippine rentre en grâce et revient d’exil ; elle recouvre ses biens et prend aussitôt Lucius Néron avec elle ; durant ces deux ans d’exil, elle a eu le temps de penser à son avenir et elle veut œuvrer pour son fils ; il est probable qu’elle n’a pas encore pris tout à fait conscience de l’ambition qui la dévore et qui se révélera progressivement à elle au fur et à mesure des événements. Mais elle n’est pas au bout de ses peines. Claude, tout timoré qu’il soit, vient de répudier sa femme et il choisit pour nouvelle épouse une des plus célèbres beautés de Rome, connue pour ses débauches, Messaline. En novembre 41, Messaline donne au vieil homme un fils, Britannicus, appelé à devenir son légitime successeur.
Ballotté d’une maison à l’autre, Lucius Néron, longtemps privé de mère et de père, a été dès l’enfance plongé dans les turpitudes et les haines de familles éclatées. Sa tante Domitia l’a confié à deux esclaves, un danseur et un barbier ! Puis Agrippine, revenue d’exil, s’est remariée ; mère froide, pressée par le désir de revanche, consciente de sa valeur et de son rang, elle ne s’intéresse pas encore à l’éducation du petit prince : son fils n’est qu’un instrument sur le chemin du pouvoir. Son idée fixe est d’obtenir les faveurs de Claude en prenant peu à peu, entre 41 et 48, la place de Messaline. Il n’y a là rien d’impossible, à condition de se débarrasser de l’épouse légitime. Une lutte sans merci commence entre les deux femmes : si Agrippine a pour elle l’intelligence et l’obstination, Messaline est la mieux placée ; elle dispose d’une clientèle à qui elle distribue ses faveurs, et d’hommes de paille pour exécuter ses crimes. Elle n’a peur ni du sexe ni du sang. Comme elle craint d’être à son tour répudiée par son mari, elle songe à le faire assassiner par son amant qu’elle a décidé d’épouser. Elle redoute également la comparaison entre Lucius Néron qui a déjà neuf ans et son fils, le petit Britannicus qui n’en a que six : aux jeux troyens de 47, Néron cavalcade à la tête d’un escadron, applaudi par le peuple pour son aisance à cheval, tandis que le jeune Britannicus manque encore de maîtrise. Le temps presse donc pour l’épouse en place, décidée à éliminer son mari...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- Première partie - Icônes maternelles
- Deuxième partie - Apothéose
- Troisième partie - Soupçons
- Table