La Domestication du feu aux temps paléolithiques

Henry de Lumley

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2017
• Imprimer l'ISBN: 9782738135001
• ISBN de l'eBook: 9782738136480
• Sujet: Social Sciences
• Sujet: Anthropology

L'histoire humaine commence véritablement avec la maîtrise du feu. Survenue il y a environ 400 000 ans, elle représente un tournant décisif dans la grande aventure des premiers hommes. Comment Homo erectus et, plus tard, Homo sapiens et Neandertal ont-ils appris à allumer le feu à leur gré ? Comment expliquer que, sans se rencontrer, ils aient été en mesure au même moment, en des endroits différents de la planète, de l'apprivoiser ? La domestication du feu permet d'allonger le jour aux dépens de la nuit, d'éloigner les dangers, de s'installer dans des régions auparavant hostiles, de cuire les aliments et d'augmenter ainsi l'espérance de vie, d'améliorer la fabrication d'outils, de cuire l'argile pour façonner des figurines et de peindre les parois des cavernes. Henry de Lumley prend appui dans ce livre sur les recherches les plus récentes pour retracer cette extraordinaire aventure. Henry de Lumley est l'un des plus grands paléontologistes mondiaux. Il a ouvert des sites de fouille en France, en Afrique et en Géorgie. Après avoir été directeur du Muséum d'histoire naturelle, il dirige actuellement l'Institut de paléontologie humaine-Fondation Albert-Ier Prince de Monaco. Il a notamment publié L'Homme premier, La Grande Histoire des premiers hommes européens et Mémoires de préhistoriens (avec M.-A. de Lumley), qui ont été de très grands succès. 

CHAPITRE III

Les premiers témoignages de feux domestiques

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Ce n’est qu’au Paléolithique supérieur, soit à partir de 30 000 ans, que l’homme installe des foyers plus complexes, remplis de pierres et de galets servant de calorifères. Avant la domestication du feu, au cours des périodes antérieures à 400 000 ans, l’homme n’occupait les régions septentrionales de l’Eurasie, comme la vallée de la Somme ou la grotte de Belle-Roche, en Belgique, que pendant les périodes de réchauffement climatique. Lors de refroidissements climatiques, qui survenaient tous les 100 000 ans, les hommes se repliaient vers les zones les plus méridionales de l’Eurasie. Mais, grâce à la domestication du feu, à partir de 400 000 ans, ils peuvent partir à la conquête de nouveaux espaces et occuper les zones tempérées froides.

Le front d’hominisation de la planète s’en trouve considérablement modifié et agrandi : on note ainsi, même pendant les périodes de refroidissement climatique, la présence de civilisations acheuléennes dans le nord de l’Angleterre, dans le nord de l’Allemagne, en Belgique, dans le nord de la France et en Asie centrale. Il est d’ailleurs probable qu’à cette période, à la fin du Pléistocène moyen, les hommes aient pénétré pour la première fois au Japon, et peut-être aussi, en plusieurs vagues, sur le continent américain. La présence humaine devient ainsi permanente dans les régions septentrionales de l’Eurasie, comme à Choukoutien, en Chine.

La domestication du feu n’a pas seulement permis cette extension de l’occupation sur la planète ; elle a également fonctionné comme un moteur d’accélération de l’histoire de l’humanité, en permettant d’allonger les jours et de prolonger par là même les activités. Prolongeant le jour aux dépens de la nuit, le feu a également permis de prolonger l’été aux dépens de l’hiver, ce qui a favorisé l’exploration de territoires encore inconnus. Protégeant des prédateurs, le feu permet aussi la cuisson de la viande et, par ce biais, il modifie l’anatomie même de l’homme, en entraînant l’expansion du crâne, l’étau musculaire ayant pu se relâcher du fait d’une mastication plus aisée. La fabrication des outils s’en trouve également améliorée, grâce au durcissement par le feu de la pointe des épieux.

Mais la domestication du feu a surtout été un facteur de socialisation et de convivialité : c’est autour du foyer qu’est née, que s’est organisée et développée la vie sociale. On imagine les récits de chasse, racontés à la lueur des flammes, où la traque des éléphants ou des bisons prend des allures d’exploit, voire de mythe, et où les chasseurs se transforment en héros, voire en demi-dieux.

Autour de ces traditions de chasse prennent forme des cultures régionales et des sociétés, qui acquièrent unité et solidité. C’est ainsi que les paléontologues peuvent, à partir de la maîtrise du feu, repérer et spécifier de grands groupes culturels ou tribus, dotés chacun d’une technologie particulière : c’est ainsi que l’on distingue la culture acheuléenne du Bassin parisien de la culture acheuléenne méditerranéenne. Ces pratiques technologiques devaient se fonder sur des structures de pensée communes.

C’est également autour du foyer que se développent les premiers habitats élaborés. Allumer un feu et l’entretenir représentent, dès la fin du Pléistocène moyen, des actes essentiels de la vie humaine préhistorique. L’habitat prend la forme d’un campement de base, où les hommes reviennent, où les tâches sont partagées entre les hommes et les femmes, les parents et les enfants. C’est donc la maîtrise du feu qui a structuré l’habitat et qui l’a rendu permanent, tout en entraînant une division des tâches au sein des membres d’un même groupe.

Figure 2. Localisation des sites du Paléolithique ancien dans lesquels des traces de feu ont été observées.

Il faut également noter que la domestication du feu est suivie d’une autre invention majeure. Peu après la période où il apprend à maîtriser le feu, l’homme invente en effet, vers 340 000 ans, une technique de taille de la pierre, la technique dite de débitage levallois, qui est proprement révolutionnaire.

Il s’agit d’un procédé minutieux consistant à préparer un bloc de pierre initial, le nucleus (par exemple un galet, le plus souvent en silex, parfois en quartzite ou en quartz), en aménageant deux faces : l’une sert à frapper, l’autre, très plate, permet de détacher des éclats, appelés éclats levallois, qui seront utilisés comme outils. On observe l’apparition de cette technique sur le site d’Orgnac 3, en Ardèche, mais elle s’étend ensuite à l’ensemble de l’Europe, en Italie et en Espagne notamment, et, enfin, à toute la surface du globe.

Il est un dernier point qui mérite d’être souligné et qui ne peut manquer de susciter la perplexité : comment expliquer que des hommes qui n’avaient aucune possibilité de se rencontrer, de communiquer ou de s’imiter les uns les autres aient été en mesure simultanément, en des endroits différents de la planète, d’apprivoiser le feu ?

Peut-être ces convergences correspondent-elles à un nouveau stade de cognition atteint grâce à un développement commun des capacités du cerveau humain. Pour l’heure, nous ne pouvons fournir d’explication unique et définitive.

Au temps des Homo erectus évolués

EN AFRIQUE

Dans une période plus récente, probablement entre 400 000 et 200 000 ans, en Afrique, dans plusieurs sites, des traces de feu ont été reconnues.

C’est le cas, en particulier des sites de Cave of Hearth et Montagu en Afrique du Sud, de Kalambo Falls en Zambie, d’Olorgesailie et de Bodo au Kenya, de Cap Chatelier au Maroc près de Casablanca.

CAVE OF HEARTH (GROTTE DES FOYERS)

Dans la grotte de Cave of Hearth, située dans la vallée de Makapansgat, près de Potgietersus, au Transvaal, en Afrique du Sud, a été découvert un dépôt de cendres de plus de 1 mètre d’épaisseur qui reposait sur un plancher stalagmitique1.

Des analyses chimiques ont montré que cette couche était composée de guano de chauve-souris, dont la combustion s’était effectuée sans doute de façon lente.

Au-dessus, dans des dépôts qui ont livré une industrie de l’Acheuléen final, Van Riet-Lowe a mis au jour des foyers d’origine anthropique, associés à une industrie de l’Acheuléen final.

MONTAGU

Dans la grotte de Montagu, située dans la province du Cap, en Afrique du Sud, ses niveaux H, F et D contenaient des industries de l’Acheuléen final (soit entre 300 000 à 200 000 ans). A. J. H. Goodwin y a signalé des traces de feu, mais aucun charbon de bois, ni foyer structuré n’a été mis au jour2.

KALAMBO-FALLS

Sur ce site, situé dans le bassin de la rivière Kalambo, à l’extrémité sud-est du lac Tanganyika, à la limite entre la Zambie et la Tanzanie, ont été découvertes des industries de l’Acheuléen supérieur et du Middle Stone Age, datées entre 300 000 et 180 000 ans.

Des traces de feu auraient été mises en évidence, dans plusieurs niveaux, sous forme de résidus d’herbes, de bois brûlés, de pièces d’industrie lithique chauffées, de vestiges d’outillage en bois calcinés, notamment un bâton à fouir qui serait peut-être un gourdin3.

J. D. Clark a signalé des sédiments rubéfiés localisés sur une aire ovale de 1 mètre de diamètre, qu’il interprète comme l’emplacement d’un foyer4.

OLORGESAILIE

Sur ce site du sud du Rift, au Kenya, des dépôts du Pléistocène moyen, dont l’âge est évalué entre 600 000 et 400 000 ans, ont livré des industries acheuléennes. Des sédiments rougis et vitrifiés ont été observés, et, selon W. G. Melson et D. Potts, ils seraient dus à un métamorphisme de combustion, lié à des phénomènes naturels.

BODO

Sur ce site du Kenya encore, quelques ossements isolés présenteraient des traces de feu. Selon M. Barbetti, ces traces de chauffe seraient dues à un feu vraisem...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• Introduction
• CHAPITRE I - Avant la domestication du feu
• CHAPITRE II - Les plus anciennes traces de feu utilisé par l’homme
• CHAPITRE III - Les premiers témoignages de feux domestiques
• CHAPITRE IV - Le site de Terra Amata
• CHAPITRE V - La grotte du Lazaret
• CHAPITRE VI - Au temps des hommes modernes archaïques et des néandertaliens
• CHAPITRE VII - Au temps des hommes modernes
• Conclusion
• Bibliographie
• Remerciements
• Table
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