Dans les plis du langage
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Raisons et déraisons de la parole

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Raisons et déraisons de la parole

À propos de ce livre

 Que se passe-t-il quand une personne parle?? Cette question recouvre pourtant une multiplicité de sens. S'agit-il de se faire comprendre?? de partager ses états d'ùme?? d'influencer l'autre?? d'atténuer l'écho de ses émotions?? Qu'est-ce qui détermine son expression, son intonation et le choix des mots?? C'est en tant que linguiste et thérapeute ayant travaillé avec des enfants autistes que Laurent Danon-Boileau s'est intéressé aux fonctions du langage, et comme psychanalyste qu'il observe sa dynamique. La cure analytique est par excellence le laboratoire de la parole. Elle permet de saisir les mécanismes psychiques qui la sous-tendent?: la part d'irrationnel, les subtiles variétés de l'écoute de soi, de la mise en lien des pensées et de l'action produite sur celui qui écoute. Cette exploration du mouvement de la parole révÚle, au-delà de la cure, tout ce qui peut se jouer, à travers elle, dans un échange entre deux personnes. Laurent Danon-Boileau a été thérapeute au centre Alfred-Binet à Paris, professeur de linguistique à l'université Paris-Descartes et chercheur au MoDyCo (CNRS). Il est psychanalyste formateur à la Société psychanalytique de Paris. Il a notamment publié Des enfants sans langage, La parole est un jeu d'enfant fragile, L'enfant qui ne disait rien et Voir l'autisme autrement.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2022
Imprimer l'ISBN
9782738157263

TROISIÈME PARTIE

Paroles de séance

CHAPITRE 8

Au fil de la parole associative

Toute parole heureusement analytique, toute parole associative, repose sur deux temps. D’abord la mise en jeu rĂ©grĂ©diente, primitive, sauvage, nĂ©vrotique, infantile du discours : il devient le lieu imprĂ©visible d’une incantation, d’une incarnation hallucinatoire, l’empreinte d’une reprĂ©sentation jusque-lĂ  inconsciente, le mĂ©dium qui permet au sujet de donner voix Ă  ce qu’il veut (ou pour mieux dire ce qu’il ne savait mĂȘme pas qu’il voulait). Au fil de la sĂ©ance, cela advient de maniĂšre travestie. Puis vient un temps de dĂ©prise, de renoncement et de deuil du mouvement hallucinatoire lui-mĂȘme. C’est celui du surplomb et de l’écoute de soi (auquel doit faire suite un jour le deuil de toute Ă©coute effective quand l’analyse aura pris fin). Sans le premier temps, il ne se passe rien, mais c’est le second qui ouvre la voie Ă  l’insight. Entre l’un et l’autre s’organise le processus de mĂ©taphore dont la continuitĂ© repose, Ă  mon sens, sur l’affect. Dans ce cheminement, le rĂŽle de l’objet externe est dĂ©cisif. Il faut en effet l’étayage complexe et conflictuel de l’écoute et les effets de la corrĂ©lation interprĂ©tative entre les fragments du dit pour dĂ©noncer aprĂšs coup le discours comme symptĂŽme et rejeton d’une reprĂ©sentation inconsciente ductile et dĂ©plaçable.
RĂ©capitulons le cheminement des Ă©changes dans une sĂ©ance de cure-type oĂč la parole se fait associative.

Métamorphoses du cafard

Initialement, pour faire piĂšce Ă  l’excitation créée par sa prĂ©sence auprĂšs de l’analyste (au fait qu’il est allongĂ© et seul avec lui dans un bureau fermĂ©), le patient investit (ou contre-investit) un flux de reprĂ©sentations inconscientes. Progressivement, une part de cet investissement se rĂ©oriente vers la seule dĂ©charge motrice qui demeure possible, la motricitĂ© mobilisĂ©e pour prononcer des mots. Dans l’espace de la sĂ©ance, en effet, on ne peut rien faire d’autre. Mais on peut tout dire. On l’a dĂ©jĂ  rappelĂ©, chaque reprĂ©sentation de mot est composĂ©e de deux parties : le souvenir du mot tel qu’on a pu l’entendre (son image verbale sonore) et le souvenir des mouvements articulatoires nĂ©cessaires Ă  sa profĂ©ration (son image verbale motrice). Sous l’effet persistant de la poussĂ©e pulsionnelle, le patient active l’image verbale motrice. La dĂ©charge devient effective. Le patient se met Ă  parler. « Aujourd’hui, j’avais le cafard », dit Fabrice. C’est la premiĂšre moitiĂ© du chemin. « Je ne sais pas pourquoi, poursuit-il, j’ai devant les yeux cette sorte de pistolet Ă  insecticide qu’on avait naguĂšre avant les bombes d’aujourd’hui. Pour tuer les cafards, justement. Il y a un tube allongĂ©, avec un rĂ©servoir en dessous en travers, et puis il faut tirer la poignĂ©e en arriĂšre. Il y a une longue tige qui sort du corps et on la repousse plusieurs fois de suite. Ça fait un petit nuage de produit, et un drĂŽle de bruit. » AllongĂ©, il fait le geste, pour me montrer. « Oui, oh, je sais bien ce que vous allez me dire, vous voyez des sexes partout
 Un jour avec ma cousine, on avait trouvĂ© un truc comme ça au grenier, on voulait jouer avec, et ma mĂšre nous avait surpris en train de le faire marcher au-dessus du berceau de mon petit frĂšre. Elle nous avait engueulĂ©s comme jamais. Elle m’avait menacĂ© “Si tu recommences, tu vas voir ce que tu vas voir
” Je me souviens, j’avais eu peur pour mon ouistiti. »
Tout va bien. J’ai ressenti l’affect contenu dans « cafard ». Puis le sens propre du mot qui dĂ©signe l’insecte. Le patient est passĂ© par lĂ . Puis sa sexualitĂ© infantile a, si j’ose dire, redressĂ© la barre. Et tout y est. Du pistolet au petit frĂšre dont il veut se dĂ©barrasser en passant par les jeux avec la cousine dans le grenier des souvenirs. Y compris la mĂšre messagĂšre de la castration. Laquelle en l’occurrence n’est sans doute pas Ă©trangĂšre au personnage Ă  qui le rĂ©cit est adressĂ© dans le transfert. Tout cela donne Ă©videmment un autre sens au « cafard » du dĂ©but de sĂ©ance. C’est parce qu’il veut jouer du pistolet avec sa cousine au-dessus du berceau du petit frĂšre qu’il a le cafard. Le cafard tient Ă  distance l’angoisse de castration tout en faisant signe vers le « vert paradis des amours enfantines ». Comme dans un rĂȘve, la cohĂ©rence devient lisible pour peu que l’on inverse les sĂ©quences. Le souvenir des jeux avec la cousine est premier, la menace de castration, deuxiĂšme, et le cafard vient en troisiĂšme pour la repousser, mĂȘme s’il est Ă©noncĂ© en premier dans la sĂ©ance. C’est classique. Il n’y a rien Ă  dire, il n’y a qu’à laisser dire. Le jeu intrapsychique des mots fait son Ɠuvre.
D’un point de vue du mouvement des reprĂ©sentations, la charniĂšre essentielle est le lien entre l’image verbale acoustique (« cafard ») et la partie visuelle de la reprĂ©sentation de chose que ce mot entendu suscite. Cette circulation, cette convocation de l’image visuelle par le mot entendu correspond Ă  ce que nous pouvons imaginer des bons moments de cure avec un patient nĂ©vrosĂ©. Un mouvement comparable Ă  la mise en rĂȘve des pensĂ©es latentes. À ces images s’ajoute l’incidence d’assonances inattendues – les calembours, les retournements. Quand un patient est suffisamment associatif, sa parole se laisse ainsi dĂ©river, couper par les incidences, les digressions et les retours. Elle fait usage du circuit long. Elle devient « cette hĂ©sitation prolongĂ©e entre le son et le sens » qui, pour ValĂ©ry, caractĂ©rise la poĂ©sie. TrĂšs souvent, l’analyste se met alors Ă  associer. Au demeurant, le moment oĂč il se sent pris dans ce mouvement n’est pas nĂ©cessairement celui oĂč le discours du patient procĂšde par associations. Il y a des rĂ©cits presque factuels, des descriptions d’une exactitude minutieuse, qui engendrent des effets poĂ©tiques dans l’écoute. L’associativitĂ© de la parole est une qualitĂ© qui se juge Ă  l’aune de ses effets chez celui qui Ă©coute. Elle rĂ©side assurĂ©ment dans la parole du patient, mais se juge Ă  l’effet contre-transfĂ©rentiel qu’elle produit. Ce n’est pas seulement qu’elle se construit d’associations, c’est qu’elle engendre des associations. Chez l’analyste, mais aussi (et surtout ?) chez le patient qui s’entend parler. Cette considĂ©ration me fait songer Ă  un propos que j’attribue Ă  Rimbaud sans ĂȘtre d’ailleurs parvenu Ă  retrouver la citation exacte. Pour lui, le poĂšte n’est pas celui qui est voyant, contrairement Ă  ce que pense la tradition (contrairement Ă  ce que dit Virgile et que reprend Hugo1, dans sa conception du poĂšte « vates »), mais celui qui rĂ©veille cette facultĂ© de visionnaire chez son auditeur. Le poĂšte n’est pas celui qui vaticine, mais celui qui fait vaticiner l’autre. En d’autres termes, la parole associative n’est pas simplement celle qui se construit d’associations, mais celle qui fait que l’analyste (et le patient qui s’entend dire) se met Ă  associer. Elle fait « voir » les situations, les personnes, les paysages dont le patient parle – ou d’autres situations, d’autres personnes, d’autres paysages qui parfois semblent n’avoir rien Ă  voir – jusqu’à l’instant oĂč ils dĂ©couvrent et dĂ©ploient une part de vĂ©ritĂ© insoupçonnĂ©e. La parole associative est celle qui crĂ©e une chimĂšre, au sens de M. de M’Uzan, ou un effet de transfert paradoxal. Elle sollicite le processus primaire de l’analyste et sa rĂ©grĂ©dience. Elle le porte Ă  divaguer. AssurĂ©ment, quand la cure suit ce cours presque idĂ©al, l’intĂ©rĂȘt et l’effet d’une interprĂ©tation n’ont rien d’évident. La parole de l’analyste paraĂźtrait presque superflue : pourquoi interrompre et interprĂ©ter un patient dont la psychĂ© se dĂ©ploie ? À quoi bon intervenir ? Pourquoi quitter cette position de tĂ©moin Ă  qui se trouve adressĂ©e une autoanalyse qui se poursuit heureusement ? La rĂ©ponse tient Ă©videmment Ă  l’exigence constante de tension. Pour qu’il y ait un vĂ©ritable processus, il faut qu’une certaine conflictualitĂ© soit Ă  l’Ɠuvre, ce qui ne saurait ĂȘtre le cas si tout va trop bien et que l’analyste ne fait que se taire.

Les effets de l’interprĂ©tation quand la parole est associative

Un patient ouvre la sĂ©ance en parlant d’arrĂȘter son analyse : « Ce matin, en venant, dit-il, je ne sais pas pourquoi, j’avais envie d’arrĂȘter l’analyse. » Puis, aprĂšs un temps de silence et divers propos sur son quotidien, il parle d’une jeune mĂšre qu’il a vue en traversant un square, avec son enfant. Cette mĂšre Ă©tait visiblement enceinte. L’évocation l’amĂšne alors Ă  se remĂ©morer le moment oĂč sa propre mĂšre lui a annoncĂ© qu’elle attendait un bĂ©bĂ©. « Le jour oĂč elle m’a dit que j’allais avoir une petite sƓur, j’ai pleurĂ©. » Situation classique. Et classiquement encore, la consĂ©quence (le dĂ©sir d’arrĂȘter l’analyse) est Ă©noncĂ©e avant la cause (avoir pensĂ© Ă  l’annonce de la petite sƓur faite par la mĂšre en passant devant l’enfant dans le square). C’est aussi en cela que la parole est associative : elle suit dans sa marche le mouvement d’un rĂȘve. L’interprĂ©tation peut alors venir comme en association. AprĂšs un silence, l’analyste dira en l’occurrence : « ArrĂȘter l’analyse ? Pour ne pas m’entendre dire que vous alliez avoir une petite sƓur ? »
InterprĂ©tation classique que la tonalitĂ© du transfert et l’associativitĂ© du discours permettent d’énoncer. Elle fut entendue, et le patient y rĂ©pondit en fournissant un rĂȘve qui lui revint comme en Ă©cho.
ArrĂȘtons-nous un moment sur les diffĂ©rents effets de cette interprĂ©tation. À mon sens, elle opĂšre la mise en lien de diffĂ©rentes tonalitĂ©s d’adresse, de diffĂ©rentes maniĂšres de rĂȘver l’analyste et les rĂŽles qu’on lui assigne. Jusque-lĂ , toutes ces projections infiltrent le discours du patient mais demeurent comme isolĂ©es les unes des autres, clivĂ©es. C’est l’interprĂ©tation qui lĂšve ce clivage. Pour mettre au jour le processus de liaison qu’elle opĂšre, il convient de revenir sur son texte.
La premiĂšre partie (« ArrĂȘter l’analyse ? ») reprend un fragment du discours du patient. Il s’agit de le disposer sous le regard conjoint du patient lui-mĂȘme et de l’analyste. IsolĂ©s du reste de son dit, ces mots peuvent alors rĂ©sonner de tous leurs Ă©chos symboliques. En marquant le pas pour les considĂ©rer, analyste et patient en font un symptĂŽme. Un symptĂŽme d’abord accueilli comme crĂ©ation psychique, sans ĂȘtre interrogĂ©. Par l’énonciation de ce premier temps de l’interprĂ©tation, cĂŽte Ă  cĂŽte, les acteurs de l’échange deviennent tĂ©moins du processus analytique en train d’émerger du discours du patient. Mais, bien entendu, ce n’est pas tout. Ce qui est reconnu conjointement est aussi questionnĂ© par l’un des deux, l’analyste. C’est ce questionnement que dĂ©ploie le second temps de l’interprĂ©tation, le « pour ne pas m’entendre dire que vous alliez avoir une petite sƓur ? ». Le contenu de la menace fantasmatique (la venue de l’équivalent d’une petite sƓur, d’un concurrent dans l’analyse) s’y trouve mis au jour. Ici, contrairement au cĂŽte Ă  cĂŽte transitionnel qui sous-tend l’énonciation du segment « arrĂȘter l’analyse », cette fois la place du patient (qui apprend l’annonce) et celle de l’analyste (qui reprend Ă  son compte le rĂŽle de la mĂšre annonçant la naissance de la sƓur) se trouvent presque opposĂ©es. Sujet et objet se font face. Toutefois, les deux segments Ă©tant rĂ©unis dans l’énoncĂ© de l’interprĂ©tation, le conflit trouve Ă  se formuler, Ă  s’articuler. À cela s’ajoute Ă©videmment le fait dĂ©cisif que l’analyste, Ă  l’instant oĂč il dit « je », se dĂ©signe tout ensemble comme objet dĂ©dicataire de la sĂ©ance (objet du discours transfĂ©rentiellement adressĂ© dans l’espace ici et maintenant) et objet maternel de naguĂšre (objet de la nĂ©vrose infantile), annonciateur de la naissance de la sƓur, exigeant alors un travail de deuil que le patient, comme tout sujet, devra constamment mettre et remettre en chantier. En disant : « Pour ne pas m’entendre dire que vous alliez avoir une petite sƓur ? », l’analyste contraint le transitionnel Ă  cĂ©der le pas au conflictuel lors mĂȘme que ce transitionnel continue Ă  en assurer le fondement. Si l’interprĂ©tation peut opĂ©rer son effet, c’est que, par sa question, qui est comme telle un agir Ă©nonciatif, l’analyste parvient d’un mĂȘme souffle Ă  occuper plusieurs places d’objet et Ă  les mettre en tension. Initialement, sa place est celle d’objet primaire. Cette place d’objet primaire dĂ©coule de sa position d’écoute silencieuse : quand la parole du patient se dĂ©ploie, celui qui l’écoute sans rien dire se trouve placĂ© par le transfert dans cette position-lĂ , de mĂšre infiniment bonne et toujours prĂ©sente. Mais, Ă  l’instant oĂč il ouvre la bouche pour interprĂ©ter, cette place d’objet primaire silencieux, l’analyste la dĂ©fait. C’est le premier effet de l’interprĂ©tation. Cependant, en l’occurrence, dans le premier segment de l’interprĂ©tation qu’il formule au patient, en reprenant de maniĂšre interrogative les mots « arrĂȘter l’analyse » pour les placer sous leur regard commun et en sonder la valeur, l’analyste propose une reconstruction de cette place d’objet primaire. Ou, plutĂŽt, il en propose une coconstruction. Une coconstruction qui, justement parce qu’elle est faite Ă  deux, devient subjectivable. C’est comme si l’analyste disait : « Nous voilĂ  Ă  prĂ©sent tous deux devant ton discours. À deux, nous sommes comme cette mĂšre idĂ©ale qui recueillait chacune de tes paroles, chacun de tes gestes pour t’aider Ă  en apprĂ©cier la valeur de symbolisation. Elle t’apprenait Ă  te voir t’essayer Ă  la pensĂ©e en regardant avec toi ce que tu regardais. Elle aussi aurait sans doute rĂ©pĂ©tĂ© tes mots pour en faire rĂ©sonner le sens avec toi. Et cette mĂšre-lĂ , justement parce qu’elle s’abolit Ă  l’instant oĂč j’interprĂšte (qu’elle disparaĂźt au moment oĂč je romps le silence), nous voilĂ  tous deux en train d’en construire une mĂ©taphore. » À ce premier temps oĂč le « ArrĂȘter l’analyse ? » vient connoter un mouvement de destruction puis de reconstruction de l’objet primaire fait suite le « Pour ne pas m’entendre dire que vous alliez avoir une petite sƓur ? » qui connote cette fois une autre place d’objet : celle d’un objet qui ne se conçoit que dans la triangulation. C’est lui que le patient redoutait d’entendre annoncer la naissance d’une sƓur. C’est une mĂšre qui a pu regarder ailleurs que lĂ  oĂč lui, l’enfant, regardait. Une mĂšre qui a pu se dĂ©tourner de l’écoute des propos associatifs de son premier-nĂ©, de ses efforts pour construire sa vie intĂ©rieure. Une mĂšre, pour tout dire, qui a pu porter son intĂ©rĂȘt vers un pĂšre. Au point mĂȘme de concevoir de lui un second enfant.
Quand la parole du patient est associative, interprĂ©ter, de la part de l’analyste, c’est d’abord parler, donc cesser de se taire, et dĂ©noncer ainsi une place d’objet primaire silencieux, infiniment Ă  l’écoute. Mais, en se faisant l’écho des paroles du patient, c’est aussi lui dĂ©signer un fragment de son discours associatif comme trĂ©sor symbolique qui se regarde Ă  deux. Et ces deux-lĂ , ces deux qui regardent ensemble sans qu’il soit nĂ©cessaire de les distinguer, construisent alors une mĂ©taphore de la place d’objet primaire que la prise de parole de l’analyste avait initialement dĂ©noncĂ©e. À ces deux mouvements, bien sĂ»r, vient s’en articuler un troisiĂšme. Celui-lĂ  Ă©nonce le lien du sujet Ă  un objet inscrit dans un destin de triangulation oĂč le pĂšre figure. C’est dĂ©jĂ  cette place d’objet vers laquelle le patient faisait signe lorsqu’il dĂ©crit Ă  l’analyste sa rencontre avec la mĂšre enceinte dans le square traversĂ©. Trois mouvements, donc, dans l’énoncĂ© de l’interprĂ©tation. Trois mouvements fondĂ©s sur la prise en compte de relations d’objets diffĂ©rentes. Mais trois mouvements qui dĂ©coulent d’une seule Ă©nonciation, dans l’aprĂšs-coup d’un silence dĂ©noncĂ©. C’est lĂ , dans cette complexitĂ©, dans cet enchevĂȘtrement, que rĂ©side l’économie du processus interprĂ©tatif quand la parole est associative. Si cela fonctionne, c’est que d’emblĂ©e, dĂšs qu’il a parlĂ©, au moment oĂč il reconstruit le site de l’objet primaire aprĂšs l’avoir dĂ©noncĂ© en interprĂ©tant, l’analyste est dĂ©jĂ  la mĂšre enceinte du troisiĂšme temps. L’interprĂ©tation comme prise de parole signe l’adhĂ©sion de l’analyste Ă  tous les personnages Ă  qui est dĂ©diĂ© le discours par effet de transfert. Par sa prise de parole, les objets auxquels le discours du patient est adressĂ© sont alors ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. PremiÚre partie - Dans l'enfance du langage
  6. DeuxiÚme partie - Le langage dans le cadre analytique : vers un retour aux sources ?
  7. TroisiÚme partie - Paroles de séance
  8. Épilogue
  9. Bibliographie et textes cités
  10. Du mĂȘme auteur
  11. Pour en savoir plus
  12. Table