Le Singe cuisinier
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Le Singe cuisinier

Comment la cuisine nous a civilisés

  1. 240 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Singe cuisinier

Comment la cuisine nous a civilisés

À propos de ce livre

La cuisine n'est pas seulement l'une des pratiques qui nous distingue de l'animal, elle est sans doute Ă  l'origine de ce qui fait notre spĂ©cificitĂ© d'ĂȘtres humains. Depuis plus de 2 millions d'annĂ©es, notre façon de choisir et de prĂ©parer nos aliments nous a façonnĂ©s durablement, aussi bien sur le plan physiologique que culturel. Pourtant nous assistons aujourd'hui Ă  la dĂ©sinvention des pratiques culinaires patiemment accumulĂ©es depuis des millĂ©naires. Dans ce contexte, que nous apprend le passĂ© ? À travers le panorama de l'Ă©volution de la cuisine – depuis les sociĂ©tĂ©s de chasseurs-cueilleurs jusqu'Ă  l'industrialisation de l'alimentation –, l'auteur met en perspective l'origine de nos comportements alimentaires et nous permet de nous interroger sur ce que dĂ©sormais nous voulons manger. La grande Ă©popĂ©e humaine contĂ©e Ă  travers la cuisine pour dĂ©couvrir tout ce que la transformation des aliments a apportĂ© Ă  l'humanitĂ©. Alexandre Stern est entrepreneur, consultant et Ă©crivain. PassionnĂ© par l'histoire du goĂ»t et de l'alimentation et membre du CollĂšge culinaire de France, il partage ses activitĂ©s entre le dĂ©veloppement de sa maison de gastronomie, le conseil auprĂšs des entrepreneurs et l'Ă©criture. Alexandre Stern est ancien Ă©lĂšve d'HEC, de New York University et de l'Insead. Il est Ă©galement l'auteur du livre L'Explorateur du goĂ»t (Ducasse Édition).

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2020
Imprimer l'ISBN
9782738151988
ISBN de l'eBook
9782738151995
Sujet
Art

CHAPITRE 1

À la table des premiers hommes


« L’homme est ce qu’il mange. »
Ludwig FEUERBACH.
Lorsqu’on s’interroge sur les origines de la cuisine, il convient d’abord de se demander quels aliments consommaient nos ancĂȘtres. C’est lĂ  la premiĂšre difficultĂ©, puisque mĂȘme si l’on a pu retrouver des espaces occupĂ©s il y a longtemps par des communautĂ©s humaines – notamment Ă  l’entrĂ©e des grottes leur ayant servi d’abris –, nombre d’aliments qu’elles consommaient n’ont laissĂ© aucune trace archĂ©ologique. Nos connaissances en la matiĂšre restent parcellaires : peu de sites d’occupation humaine vieux de plus de 10 000 ans sont connus et peu d’indices sur le rĂ©gime alimentaire de nos ancĂȘtres sont parvenus jusqu’à nous.
MĂȘme les traces d’habitations primitives sont difficiles Ă  dĂ©tecter, les humains au PalĂ©olithique n’étant pas sĂ©dentaires et construisant le plus souvent des habitats lĂ©gers et provisoires sous forme de branchages et de peaux de bĂȘtes ; si ces habitats n’ont pas laissĂ© de traces, Ă  plus forte raison les dĂ©chets organiques fragiles comme les noyaux de fruits ou les arĂȘtes de poisson n’ont le plus souvent pas survĂ©cu jusqu’à nos jours. De plus, les animaux et plus encore les plantes qui cĂŽtoyaient nos ancĂȘtres n’avaient rien Ă  voir avec ceux auxquels nous sommes habituĂ©s aprĂšs des millĂ©naires de domestication. Seuls le gibier et les poissons sauvages sont similaires Ă  ceux que consommaient nos ancĂȘtres. Ainsi, si on consomme aujourd’hui de la viande de renne ou du saumon sauvage, on peut retrouver un aliment identique Ă  celui consommĂ© par nos ancĂȘtres du PalĂ©olithique. Pour le reste, notre alimentation composĂ©e de plantes cultivĂ©es et d’animaux d’élevage n’a rien de commun avec celle des premiers hommes.

Les premiers vestiges archéologiques de notre nourriture

Pendant longtemps, les archĂ©ologues se sont concentrĂ©s sur les traces les plus visibles laissĂ©es par nos restes de nourriture, Ă  savoir les parties solides des animaux consommĂ©s comme les coquilles d’escargots ou les ossements d’animaux. On a ainsi retrouvĂ© dans une grotte en Espagne, dans la rĂ©gion d’Alicante, les restes de prĂšs de 1 500 coquilles d’escargots, qui attestent que ce mets Ă©tait consommĂ© par les hommes il y a prĂšs de 30 000 ans (FernĂĄndez-LĂłpez de Pablo, 2011).
La datation prĂ©cise de ces coquilles a Ă©tĂ© rendue possible par la mĂ©thode de datation dite au carbone 14. Cette technique, mise au point par le physicien amĂ©ricain Willard Frank Libby en 1950, repose sur l’activitĂ© radioactive de l’isotope 14 du carbone, contenu en faible quantitĂ© chez tous les ĂȘtres vivants. DĂšs l’instant oĂč cet ĂȘtre vivant – plante ou animal – meurt, ce carbone commence Ă  perdre lentement sa radioactivitĂ© de maniĂšre rĂ©guliĂšre, ce qui permet de dĂ©terminer la date de la mort d’un animal ou d’une plante avec une prĂ©cision de l’ordre d’un Ă  deux siĂšcles, voire moins pour les Ă©vĂ©nements les plus rĂ©cents. Cette technique – pour laquelle Libby a reçu le prix Nobel en 1960 – a permis de grandes avancĂ©es en palĂ©ontologie et en archĂ©ologie et a notamment permis de dater de nombreux restes archĂ©ologiques, y compris des objets non organiques comme des morceaux de poterie, lorsque des dĂ©chets carbonĂ©s sont retrouvĂ©s au mĂȘme endroit. Cette mĂ©thode donne les meilleurs rĂ©sultats pour les vestiges datĂ©s entre – 5000 et – 50 000 ; au-delĂ  les rĂ©sultats restent imprĂ©cis, car la radioactivitĂ© rĂ©siduelle devient trop faible pour ĂȘtre mesurĂ©e. Si la datation au carbone 14 est la plus connue et la plus utilisĂ©e des mĂ©thodes de datation, d’autres mĂ©thodes ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es pour dĂ©terminer l’ñge d’élĂ©ments plus anciens, notamment en utilisant la radioactivitĂ© rĂ©siduelle du potassium 40 ou de l’argon 39. D’autres techniques plus rĂ©centes comme la luminescence stimulĂ©e optiquement (OSL) ou la rĂ©sonance paramagnĂ©tique Ă©lectronique (ESR) permettent Ă©galement d’évaluer l’ñge de certains matĂ©riaux en remontant jusqu’à plusieurs millions d’annĂ©es.

Comment savoir si les ossements retrouvĂ©s ont Ă©tĂ© consommĂ©s par l’homme ?

Lorsque des restes de squelettes ou de coquilles sont retrouvĂ©s, il n’est pas forcĂ©ment Ă©vident de savoir si les animaux auxquels ils appartenaient sont morts naturellement, ont Ă©tĂ© chassĂ©s par l’homme ou par d’autres prĂ©dateurs.
Quand les ossements sont dĂ©couverts dans des sites attestĂ©s d’occupation humaine oĂč sont retrouvĂ©s d’autres indices de prĂ©sence des hommes comme des outils ou des restes de feu, leur prĂ©sence au mĂȘme endroit, et souvent en grandes quantitĂ©s, ne laisse guĂšre de doute sur le fait qu’ils proviennent d’animaux consommĂ©s par les hommes.
Dans le cas contraire, lorsque ces fragments sont retrouvĂ©s de maniĂšre isolĂ©e, la seule façon de savoir s’ils ont servi Ă  l’alimentation humaine est de dĂ©tecter si les ossements portent des traces d’outils ou d’armes n’ayant pu ĂȘtre effectuĂ©es que par des humains. Les restes les plus anciens qui portent de telles marques d’outils ont Ă©tĂ© dĂ©couverts sur le site de Kanjear au Kenya et sont datĂ©s de prĂšs de 2 millions d’annĂ©es. Ce site a permis de mettre au jour des ossements qui avaient visiblement Ă©tĂ© consommĂ©s par les humains (Ferraro et al., 2013), principalement de petits ongulĂ©s comme des gazelles mais aussi des animaux de plus grande taille comme des gnous et des buffles. De mĂȘme, en Europe, des ossements dans le sud de l’Angleterre (Roberts, 1986) vieux de prĂšs de 500 000 ans appartenant Ă  des rhinocĂ©ros et des chevaux portaient des traces laissĂ©es par des haches, ce qui prouve qu’ils avaient Ă©tĂ© dĂ©pecĂ©s par des humains. À Terra Amata, prĂšs de Nice, on trouve de la mĂȘme maniĂšre sur un site vieux d’environ 325 000 ans des ossements de cerfs, de sangliers, mais aussi de jeunes Ă©lĂ©phants, d’aurochs, de lapins et d’oiseaux (Lumley, 2009).

Ce que nous apprend l’art pariĂ©tal

Un autre indice plus rĂ©cent qui permet de se faire une idĂ©e des animaux consommĂ©s par l’homme est celui des reprĂ©sentations qu’il a laissĂ©es sur les parois des grottes. Toutefois, cet art pariĂ©tal peut ĂȘtre trompeur car, si l’on voit reprĂ©sentĂ©s par exemple sur les parois de la grotte de Lascaux, vieille d’environ 20 000 ans, de nombreux animaux (chevaux, bisons, aurochs, cerfs, biches, bouquetins, fĂ©lins, ours, rhinocĂ©ros), on sait d’aprĂšs les restes d’ossements retrouvĂ©s sur place que les hommes consommaient presque exclusivement Ă  cette Ă©poque de la viande de renne, et chassaient occasionnellement le bouquetin, le cheval et le cerf.
Il faut Ă©galement avoir Ă  l’esprit que la consommation de viande Ă  l’époque n’était pas similaire Ă  celle que nous pratiquons aujourd’hui ; outre le fait que les viandes issues d’animaux sauvages Ă©taient beaucoup moins grasses que celles qui sont le produit de l’élevage, les hommes prĂ©historiques consommaient toutes les parties de l’animal, y compris les organes internes comme les poumons, le cƓur, les intestins, les reins, le foie, etc., alors que notre consommation actuelle de viande privilĂ©gie les muscles et quelques morceaux choisis parmi les abats.
Toutes ces donnĂ©es sont Ă©videmment parcellaires et ne nous renseignent que sur la composante carnĂ©e de notre rĂ©gime alimentaire, alors que l’homme est un animal omnivore et que les plantes ont jouĂ© et continuent de jouer un rĂŽle essentiel dans notre alimentation. Malheureusement, les plantes ne laissent pas de vestiges archĂ©ologiques similaires aux ossements, mais d’autres mĂ©thodes que nous dĂ©taillerons plus loin permettent nĂ©anmoins de se faire une idĂ©e sur cette composante vĂ©gĂ©tarienne dans l’alimentation des premiers hommes.

Notre rĂ©gime alimentaire est celui d’un omnivore opportuniste

Le caractĂšre omnivore de l’homme est un point qui ne souffre aucune ambiguĂŻtĂ© et tous les indices liĂ©s Ă  notre morphologie prouvent que l’homme est un animal omnivore, et a vocation Ă  se nourrir d’une proportion variable d’aliments d’origine vĂ©gĂ©tale et animale selon les saisons et la disponibilitĂ© des aliments.
Le premier Ă©lĂ©ment qui atteste le caractĂšre omnivore de l’homme est sa dentition. Chez les animaux, les dents se sont en effet adaptĂ©es au fil des gĂ©nĂ©rations pour correspondre Ă  leur rĂ©gime alimentaire : les animaux consommant uniquement des plantes ont des dents larges et plates pour les Ă©craser et les mĂącher avant de les avaler, tandis que les carnivores ont des dents pointues et coupantes qui leur servent Ă  chasser et Ă  dĂ©couper les proies et avalent de gros morceaux de viande sans les mĂącher. L’homme, dotĂ© Ă  la fois de dents pointues et tranchantes (les canines et les incisives) et de dents plates (les molaires) offre un parfait exemple de dentition adaptĂ©e Ă  un rĂ©gime alimentaire mixte.
Le second Ă©lĂ©ment qui atteste notre caractĂšre omnivore est notre systĂšme digestif : la durĂ©e de la digestion est en effet directement fonction de la complexitĂ© du systĂšme digestif, oĂč les aliments peuvent circuler dans plusieurs poches oĂč ils seront transformĂ©s sous l’action d’acides et de bactĂ©ries puis assimilĂ©s lors de leur passage dans l’intestin puis dans le cĂŽlon. Comme les aliments carnĂ©s nĂ©cessitent moins de temps pour ĂȘtre digĂ©rĂ©s, les animaux carnivores ont un systĂšme digestif plus simple avec un seul estomac et un intestin plus court par rapport Ă  leur taille. Ainsi, les carnivores ont en gĂ©nĂ©ral un intestin d’une longueur comprise entre trois et six fois la longueur totale de leur corps.
Au contraire, les herbivores ont un systĂšme digestif plus complexe, souvent composĂ© de plusieurs poches communiquant entre elles et d’un intestin d’une longueur de dix Ă  douze fois celle de leur corps. Le systĂšme digestif des ruminants avec son estomac composĂ© de quatre poches et son long intestin est un parfait exemple d’adaptation Ă  un rĂ©gime exclusivement vĂ©gĂ©tarien, oĂč les plantes Ă  faible teneur nutritive sont digĂ©rĂ©es longtemps jusqu’à ce que tous les nutriments puissent ĂȘtre assimilĂ©s.
Le systĂšme digestif de l’homme a des caractĂ©ristiques intermĂ©diaires entre celui des herbivores et celui des carnivores, avec une poche unique (l’estomac) et un intestin mesurant environ sept Ă  dix fois la longueur du corps.
Il se rapproche de ce point de vue du systĂšme digestif du sanglier, lui aussi omnivore. En revanche, les ours qui sont Ă©galement des omnivores ont un systĂšme digestif plus proche de celui des carnivores. Il faut sans doute en conclure que la proportion d’aliments carnĂ©s dans notre alimentation a Ă©tĂ© longtemps en pourcentage plus proche de celle des sangliers (entre 5 et 10 % de leurs apports caloriques) que de celle des ours, qui tirent, selon les saisons et l’environnement, entre 40 et 80 % de leur alimentation de produits carnĂ©s (insectes, rongeurs mais aussi ongulĂ©s comme les cerfs, les chevreuils ou les sangliers).
Comme le sanglier ou l’ours, l’homme est un omnivore opportuniste et se nourrissait des aliments les plus disponibles en fonction des saisons, avec une part variable de fruits, de graines, de racines, d’insectes, de viandes ou encore de poissons, en fonction de son environnement et des saisons.

L’homme : un singe devenu carnivore

La comparaison entre l’homme et les autres grands singes nous apprend que la proportion des produits carnĂ©s dans notre alimentation a beaucoup augmentĂ© depuis les dĂ©buts de l’humanitĂ©.
Ne disposant ni de griffes acĂ©rĂ©es, ni d’une musculature puissante, ni d’une dentition particuliĂšrement dangereuse, l’homme Ă©tait peu armĂ© par l’évolution pour capturer des proies de grande taille et s’est longtemps contentĂ© des aliments qui Ă©taient les plus faciles Ă  se procurer, Ă  savoir les plantes (fruits, feuilles, racines
), les insectes et, occasionnellement, les petits animaux qu’il pouvait attraper en particulier les rongeurs. Il suffit de se reprĂ©senter ce qu’un homme lĂąchĂ© de nos jours en pleine nature sans outils de chasse pourrait consommer pour se rendre compte que ni les oiseaux ni les grands mammifĂšres n’étaient vraiment accessibles aux premiers humains. Ce n’est que bien plus tard que les armes de jet (propulseur et sagaie, arc et flĂšches, boomerang) permettront de chasser des animaux Ă  une distance de plusieurs dizaines de mĂštres.
Si on s’intĂ©resse Ă  nos cousins les plus proches que sont le babouin et le chimpanzĂ©, la part des aliments carnĂ©s dans leur alimentation ne reprĂ©sente pas plus de 5 % du total de leurs apports caloriques (Ducros, 1992). Il est ainsi probable que l’homme avait, avant de commencer Ă  amĂ©liorer ses techniques de chasse autour de – 400 000 ans, une consommation de produits carnĂ©s proche de ce niveau.
Toutefois, de l’apparition des premiers hommes jusqu’à l’avĂšnement de l’agriculture, les produits carnĂ©s semblent avoir reprĂ©sentĂ© une part croissante dans le rĂ©gime alimentaire humain. Le succĂšs de l’homme dans des niches biologiques variĂ©es est sans doute liĂ© Ă  sa capacitĂ© Ă  adapter son rĂ©gime alimentaire Ă  des environnements trĂšs diffĂ©rents, au contraire d’autres espĂšces qui ne peuvent consommer que certaines variĂ©tĂ©s de plantes ou d’animaux – on pense par exemple au panda gĂ©ant qui se nourrit exclusivement de bambou.
Deux mĂ©thodes permettent de se faire une idĂ©e de la rĂ©partition entre produits d’origine animale et produits d’origine vĂ©gĂ©tale dans l’alimentation humaine : l’étude des coprolithes et l’analyse des restes de tissus organiques humains.

L’étude des excrĂ©ments fossilisĂ©s

Les coprolithes ne sont rien d’autre que des excrĂ©ments fossilisĂ©s. Lorsqu’on peut retrouver des coprolithes humains – comme ceux rĂ©coltĂ©s sur le site d’El Salt en Espagne vieux d’environ 50 000 ans – ils offrent un aperçu prĂ©cieux sur le rĂ©gime alimentaire de nos ancĂȘtres (Sistiaga, 2014). L’étude de ces excrĂ©ments – ayant appartenu Ă  l’homme de Neandertal – montre qu’il avait un rĂ©gime alimentaire mixte mais avec une dominante carnĂ©e.
Une autre technique a Ă©tĂ© Ă©laborĂ©e pour connaĂźtre le rĂ©gime alimentaire de nos ancĂȘtres, mais elle est trĂšs difficile Ă  mettre en Ɠuvre car elle nĂ©cessite de pouvoir analyser des restes de tissus humains contenus dans le collagĂšne des os, que l’on retrouve parfois sur des ossements vieux de moins de 100 000 ans. De telles Ă©tudes ont pu ĂȘtre menĂ©es sur des ossements appartenant Ă  l’homme de Neandertal sur des pĂ©riodes allant de – 130 000 (Bocherens et al., 1991) Ă  – 28 000 (Richards et al., 2000) et aboutissent toutes Ă  la mĂȘme conclusion que les individus concernĂ©s avaient un rĂ©gime alimentaire mixte mais que la grande majoritĂ© des protĂ©ines consommĂ©es avait une origine animale. D’autres Ă©tudes ont Ă©galement Ă©tĂ© menĂ©es sur Homo sapiens (Richards, 2000) et aboutissent Ă  une diversitĂ© alimentaire lĂ©gĂšrement plus importante mais un rĂ©gime qui restait essentiellement carnĂ©, avec notamment certaines tribus (Bonsall et al., 1997) situĂ©es Ă  proximitĂ© du Danube, qui tiraient l’essentiel de leurs ressources de nourriture des poissons du fleuve.
On observe de maniĂšre gĂ©nĂ©rale une plus grande consommation de viande chez l’homme de Neandertal que chez Homo sapiens, ainsi qu’une plus grande importance de la consommation de poisson vers la fin du PalĂ©olithique supĂ©rieur (Richards et al., 2001) entre – 20 000 et – 12 000. C’est en effet Ă  partir de cette pĂ©riode que les techniques de pĂȘche s’amĂ©liorent avec l’utilisation d’hameçons et de har...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. CHAPITRE 1 - À la table des premiers hommes
  6. CHAPITRE 2 - L'homme : cueilleur, puis charognard, puis chasseur
  7. CHAPITRE 3 - La cuisson des aliments : un premier pas vers la cuisine
  8. CHAPITRE 4 - La révolution néolithique et l'invention de l'agriculture
  9. CHAPITRE 5 - Du Néolithique à l'Antiquité : du pain et du fromage
  10. CHAPITRE 6 - La cuisine, notre premiÚre médecine
  11. CHAPITRE 7 - La conservation des aliments
  12. CHAPITRE 8 - De la Bible aux livres de cuisine
  13. CHAPITRE 9 - Échanges et mĂ©tissages alimentaires
  14. CHAPITRE 10 - Des premiers banquets aux restaurants gastronomiques
  15. CHAPITRE 11 - La grande histoire des boissons caféinées
  16. CHAPITRE 12 - L'alcool à travers les ùges
  17. CHAPITRE 13 - L'industrialisation des aliments et la désinvention de la cuisine
  18. Conclusion
  19. Sources
  20. Table