Chez les animaux aussi, les histoires d'amour sont faites d'aventures, de caprices, de tromperies, de jalousies et de séparations. On imagine souvent l'ensemble des êtres vivants bien en ordre d'évolution, avec pour seul souci de laisser le plus possible de leurs gènes à leur descendance. Pourtant, des poulpes aux perroquets, des amibes aux colobes, de quelque côté qu'on se tourne, l'évolution ne semble jamais distinguer les meilleurs, et les méprises sont légion. Et si le sexe était ce qui, dans l'histoire du vivant, favorise les rencontres improbables, les rapprochements inattendus, les détours imprévus et même les relations hybrides ? Et si, loin de l'image linéaire qu'on en a le plus souvent, c'était précisément cela, la dynamique de la vie ? Thierry Lodé est biologiste et spécialiste de la sexualité des animaux. Professeur en écologie évolutive à l'université d'Angers, il dirige actuellement des recherches à l'université de Rennes-I. Il est notamment l'auteur de La Guerre des sexes chez les animaux et de La Biodiversité amoureuse.
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« Oui, je puis regretter d’avoir menti, d’être la cause de ruines et de souffrances, mais fussé-je sur le point de mourir, je ne pourrais me repentir d’avoir aimé. »
Graham GREENE, Le Fond du problème, 1948.
Les choses pourraient se passer simplement. Les pinsons chanteraient, les grenouilles sauteraient, et les rhinocéros resteraient tendrement enlacés. Mais l’amour est un stratagème curieux, où le jeu des amants complique étrangement la besogne. Pourquoi semble-t-il toujours que les caresses paraissent bien plus érotiques quand on les cherche ailleurs ? Même les murs invisibles du territoire ne garantissent rien.
En dépit de la naïveté enthousiaste dont se prévalent les crédules mâcheurs de morceaux de cornes, le rhinocéros connaît bien des embarras amoureux. D’abord, le rhinocéros noir d’Afrique occidentale Diceros bicornis longipes s’est officiellement éteint en novembre 2011. Il ne reste plus aujourd’hui que trois sous-espèces de rhinocéros noirs. À préjuger que le remède à l’impuissance érectile puisse provenir des excroissances de kératine qu’ils portent haut sur le nez, tous les rhinocéros ont été chassés et trafiqués sans relâche. Pour le massif rhinocéros forestier occidental, jusqu’à l’extinction, victime d’un braconnage inutile. Un malheur ne venant jamais seul, le problème des rhinocéros ne se réduit malencontreusement pas à la bêtise des marchands d’illusions charnelles.
Tout d’abord, on conviendra aisément que la rareté des partenaires ne porte pas à endiguer les difficultés de cœur. Et, chez les rhinocéros, les longues périodes d’abstinence ont entraîné une chute certaine de la libido. La chose reste notoire : le sexe se gâte d’autant plus qu’on s’en sert peu. Les animaux captifs subissent souvent un régime de longues privations sexuelles, alternant avec de brèves périodes de promiscuité forcée. Ainsi, dans l’étroitesse des zoos, les potentiels partenaires reproducteurs se consument, puis se déçoivent. Et, même dans la nature, l’indolence des animaux n’offre pas les prémices d’une véritable félicité. Il faut cependant reconnaître que le caractère un rien belliqueux de notre animal, associé à une physionomie peu avenante, n’entraîne pas toujours une adhésion voluptueuse. Pourtant, loin de s’avérer une brute aveugle et querelleuse, le grand mammifère sait aussi s’émouvoir de parfums sensuels et de délicates phéromones1. Que dire ? Voilà un rhinocéros bien subtil.
L’amour, chez les rhinocéros noirs, commence normalement par un langoureux sourire. Le mâle expose ses canines inférieures et parfois un bout de sa longue langue râpeuse en retroussant ses lèvres épaisses dans une curieuse mimique. Cette tendre exhibition aurait pour effet d’apaiser une belle de 900 kilos qui attend distraitement et, surtout, d’inciter les partenaires à poursuivre la délicate manœuvre de la séduction. Car cette conduite s’avère aussi un moyen de humer les effluves sensuels que dégage sa passive amoureuse. Les biologistes nomment cette grimace souriante le flehmen, et cette inspection olfactive réveille l’érotisme de la rencontre. C’est la période de la muse, une recherche de l’inspiration galante.
Le mâle complète cette démonstration en flairant bruyamment les dépôts urinaires de sa partenaire et en se masturbant. Pourvu d’une érection encore étonnamment flexible, le rhinocéros urine et éjacule en même temps, comme incapable de contenir une excitation montante. Il faudrait plutôt dire que le mâle pulvérise son urine. Oui, dans 27,6 % des approches, le jet s’éparpille en une pluie fine et continue, ainsi que l’ont mesuré d’attentifs observateurs. Une manière bien à lui de dévoiler ses sentiments naissants. Le rhinocéros tente alors de s’approcher de sa future bien-aimée, pour effectuer un gentil tête-à-tête affectueux. Les rhinocéros se câlinent tendrement, frottant leur tête l’une contre l’autre. Bien entendu, d’autres zones, plus intimes, intéressent aussi les deux partenaires, et les animaux font ainsi connaissance tranquillement avec les émois du sexe.
Alors, la femelle chante. Enfin, notre lourde diva produit quelques vocalises rauques pour témoigner tout autant de son trouble sensuel que de son intérêt olfactif. La belle se laisse courtiser ainsi quelques jours, parfois plus d’une semaine, se dérobant encore à chaque approche trop insistante du beau garçon. Une course-poursuite de quelques pas, répétée plusieurs fois par jour. Ce jeu d’indécision dure d’autant plus longtemps que la femelle hésite à reconnaître la séduction de son hardi partenaire. Le mâle doit y mettre du sien, bousculer quelques convenances. Alors, il obtient le droit à une copulation qui dure de quelque 30 minutes à plus d’une heure si la dame le veut bien.
Mais voilà, la monte et l’obtention d’une érection ne garantissent rien d’une vraie intromission réussie. La longueur du délai exigée par la rauque cantatrice entraîne quelques faiblesses. Notre rhinocéros reste souvent un peu trop mou. Réputé hussard de l’amour, l’animal demeure, en fait, un grand timide concernant ces choses-là. Ce qui ne semble pas constituer l’essence de son caractère naturel tant on craint les colères de la bête.
Armé comme un cuirassier, le rhinocéros noir promène une apparente invincibilité qui paraît, à première vue, décourager toutes les approches hostiles. Et, cependant, les femelles adultes survivent davantage que les mâles à la pression des braconniers ! Qu’est-ce qui explique une telle disparité ? Comment cela se peut-il quand les mères restent surprotectrices et que les bébés mâles sont si patronnés qu’ils semblent les champions de la couardise ? C’est que, quoi que l’on en dise, et même grand adulte, notre chevalier noir n’exerce guère que la tactique de la fanfaronnade. Toute sa puissance bestiale tient à une simple technique du bluff. Le rhinocéros charge, mais, le plus souvent, immobilise son intimidation bien avant la bataille. Avançant, à cause de cette manœuvre tutélaire, à portée des fusils que la femelle, plus prudente, évite. Pathologiquement surprotectrice, elle préfère abriter son petit à la moindre alerte. Et elle espace les accouplements à quelques années d’intervalle. On le voit, le mâle n’obtient pas souvent ce qu’il désire. Toujours est-il qu’en outre la bête est tellement peu sexuelle que nombre d’accouplements échouent. Il faudrait vraiment prévenir les acheteurs de poudre de perlimpinpin.
Chez un brouteur des savanes comme le rhinocéros blanc Ceratotherium simum, ce n’est pas seulement que l’extase se refuse. Bien sûr, beaucoup de ces pachydermes querelleurs persistent à menacer tout ce qui bouge. Évidemment, cette attitude irascible réduit un peu le charme de ce chevalier blanc. À remarquer que la couleur ne fait rien à l’affaire, bien que l’un soit traité de rhinocéros noir, tandis que l’autre est nommé blanc. Les Anglais, à l’époque nouveaux venus en Afrique australe, ont simplement mal traduit le néerlandais wijd, « large », par white, « blanc ». À la suite de cette première confusion, on a cru bon de persister dans l’erreur zoologique pour distinguer le délicat cueilleur de feuilles en lui attribuant l’épithète black, « noir », alors que la différence d’identité tient davantage à la forme de la lèvre, fine et si adroitement habituée à la cueillette pour l’un et largement aplatie comme une tondeuse pour l’autre. Quant au nom latin, il parle seulement de « bête », therium, à « corne », cerato, rien de plus simple ! Mais, si le rhinocéros blanc n’a pas toute l’élégance de son compère, le chevalier noir, il combine l’armure d’une peau épaisse, la taille imposante de son appendice nasal et une susceptibilité caractérielle. Ce qui, chez une bête de près de 3 tonnes, en impose. Et, cependant, les étreintes du rhinocéros se compliquent tout autant.
Bien que notre rhinocéros blanc réclame beaucoup d’espace, le territoire défendu par un grand mâle se révèle bien inférieur (environ 5 km2) aux besoins nutritifs d’une seule femelle (environ 20 km2). Il préfère d’ailleurs souvent se cantonner près d’un point d’eau, attendant les visites. Le rhinocéros prétend cependant courtiser un harem. Aussi, si Monsieur s’accapare un terrain, c’est bien davantage pour y définir un petit fief bien à lui et affirmer sa suprématie sur d’autres mâles que pour nourrir sa future famille et ses promises. Toutefois, seulement un tiers des rhinocéros obtiennent un statut territorial. Les autres errent en se gardant de trop croiser le propriétaire. Heureusement, en dépit de leur armement nasal, même les souverains hésitent à engager des batailles dangereuses. En fait, l’arme principale du rhinocéros blanc reste aussi la vantardise. Les rhinocéros se tolèrent à distance, axant toute leur stratégie sur la crânerie et l’esbroufe quand le cours de leur promenade les amène à se côtoyer. Plus que la qualité des gènes, c’est ici le bluff qui tient lieu de réussite. Il faut paraître fort et déterminé. Notre rhinocéros s’engage dans une stratégie de propagande* (sexual propaganda strategy) clairement étayée par un physique robuste et des allures de bravade.
Les femelles broutent à l’écart, et il ne suffit pas de posséder un domaine pour les séduire. Alors à quoi sert-il de se battre pour un territoire si peu nécessaire ? On comprend que les mâles plébiscitent la rodomontade. D’ailleurs, bien que vociférant et exhibant ses armes cornées à tout venant, le rhinocéros blanc ne réussit pas à imposer la fidélité des femelles, même sur ses propres terres. Les belles peuvent différer un certain temps les réclamations du suzerain et accorder leurs faveurs à plusieurs beaux gosses de passage.
Même si elles visitent plusieurs territoires ou sont approchées par différents mâles, elles ne deviennent guère plus sélectives. Tout au plus se révèlent-elles plus tolérantes avec un rhinocéros plus familier. Cette absence de préférence devient un moyen pour les dames de troubler le jeu et de réduire les agressions sur les jeunes puisque chaque mâle, ainsi candauliste, pourrait agresser un de ses propres descendants en croyant chasser des intrus. Le mâle se contente d’être, lui aussi, volage et d’exercer, assez rarement il est vrai, une revendication sexuelle dès qu’une dame y consent. Plus qu’une affirmation de la qualité des gènes, la stratégie de la propagande se suffit des opportunités.
La femelle, au demeurant tout autant surprotectrice avec ses bambins que chez les autres espèces de rhinocéros, préfère nettement ses fils à ses filles. Elle pouponne les bébés mâles avec un dévouement maternel superflu, leur offrant même une adolescence protégée. À quoi attribuer un tel favoritisme sexuel ? Si l’« instinct maternel » était une réalité biologique, on pourrait supposer que les mères élèvent leurs différents petits de la même manière. Ce n’est pas le cas. Et, en surdéveloppant leur investissement auprès de leur filiation mâle, les mères insistent encore : les mâles peuvent multiplier leurs descendants en copulant avec plusieurs femelles. En favorisant les jeunes mâles, la femelle accroît la probabilité d’être grand-mère d’une vaste progéniture. Toutefois, en accentuant leur soin sur les petits mâles, ces dames aggravent considérablement le déséquilibre du sex-ratio des populations. Le surplus de mâles et le manque d’espace engendrent une réaction en chaîne qui paraît menacer à terme la survie des grands mammifères.
Ainsi, l’amour des rhinocéros renforce un jeu de dupes bizarre où les mâles ne montrent pas une passion de hussard, admettant même que leurs épouses vivent des aventures adultères, tandis que les mères favorisent leurs fils pour une future polygamie itinérante.
Il faut l’avouer, loin des hypothèses d’une reproduction optimale (optimal reproduction), l’évolution biologique a entraîné ces espèces à d’insolites amours. Toute une procédure a longuement été mise en place pendant des millions d’années pour rapprocher deux sexes dans une synchronie amoureuse. Et voilà que, loin de se contenter de l’harmonie d’une fidélité reproductrice, les animaux trichent.
Qu’est-ce que ces anomalies viennent faire dans le processus évolutif des espèces ?
Considérons le traquet. Le traquet pâtre Saxicola rubicola est un acrobate de l’amour. Et, cependant, tout voltigeur qu’il soit, il n’est pas dit que ses performances suffisent pour séduire et garder sa belle. La virtuosité nuptiale du traquet comporte une série d’envolées stupéfiantes que l’animal effectue comme un jouet mécanique en battant rapidement des ailes pour monter verticalement, puis chuter près de la femelle. Cette chorégraphie spasmodique au milieu des ajoncs est accompagnée de petits cris brefs. Alors que l’oiseau établit son territoire de reproduction par cette gymnastique de haut vol, la femelle, elle, garde un œil attentif sur son partenaire. D’ailleurs, Dame traquet, pourvue d’une jalousie maladive, alerte et agresse systématiquement tout intrus, et encore plus sauvagement toute femelle qui viendrait folâtrer avec les bornes de son invisible domaine. Bien que la vigilance des femelles amplifie la défense territoriale, Madame couve seule la nichée, tandis que Monsieur veille. Ou badine, c’est selon. Car, chez les oiseaux, la fidélité n’est pas de mise. En moyenne, plus de 10 % des oisillons proviennent d’un père différent. Que vient faire cette infidélité dans l’évolution ?
Géniteur précoce et forcené, le traquet est parfois si tardif pour une dernière reproduction qu’il admet une troisième couvée en début d’automne. Une telle activité génésique complique considérablement le départ en migration, et l’échéance climatique peut se montrer très cruelle. L’hiver n’attendra pas qu’il ait fini. De plus, l’oiseau doit revêtir des plumes neuves avant cette partance. La mue nouvelle est généralement sous la dépendance de la photopériode, et la théorie voudrait que le gain reproductif obtenu par une couvée tardive soit compensé par une diminution de la survie. Il n’en est rien. La reproduction tardive existe chez 40 % des couples, qui accroissent ainsi leur progéniture. Les deux sexes diffèrent la mue jusqu’à l’indépendance des jeunes sans que ce changement de plumage se réalise plus rapidement. Et, cependant, aucun coût de survie apparent ne semble associé à un tel décalage. En fait, l’espèce se révèle étonnamment flexible tant pour la mue que pour la reproduction.
En revanche, il n’est pas dit que la dame raisonne ensuite sa jalousie. Le traquet est un des rares oiseaux dont le comportement territorial du couple persiste pendant l’hiver. Même en cette saison sans reproduction, les mâles appariés avec une femelle paraissent bien plus agressifs que les solitaires. Il est alors tentant de considérer que ce maintien du ménage en hiver renforce les liens conjugaux des partenaires. Finalement, la jalousie pourrait être considérée comme un bon stratagème évolutif pour élever les futurs jeunes. Cette rassurante idée, faussement évolutionniste, fait fureur chez les bien-pensants. De fait, l’approche néodarwiniste – et plus particulièrement la « sociobiologie » développée par Edward Wilson – a régulièrement été empoisonnée par une idéologie très conservatrice et réductionniste, comme l’ont dénoncée vigoureusement Barbara Chasin ou Patricia Gowaty en biologistes féministes convaincues.
À y regarder mieux, et en dépit de la tendresse apparente de cette monogamie hivernale du passereau, l’hypothèse ne résiste guère. Les deux partenaires du jardin d’hiver ne sont pas toujours les mêmes individus que le couple du printemps. Ainsi, la territorialité hivernale reste indépendante de la réussite reproductive et ne doit pas sa conviction à une « bonne » jalousie évolutive. Bien au contraire, ici se retrouve toute la bataille des sexes, ce conflit sexuel* énoncé par William Rice en 2000, si longtemps négligé dans la théorie de l’évolution et dont traitait notre premier volume La Guerre des sexes chez les animaux. La reproduction sexuelle recombine les gènes, initiant un mélange original en un être nouveau. Si le sexe reste une formidable machine à produire de la différence, les deux protagonistes ne peuvent pas s’entendre si facilement tant leur intérêt diverge, c’est le conflit sexuel (sexual conflict) que signe, entre autres exemples, la mante religieuse en tuant le mâle.
L’agressivité jalouse du traquet mâle en hiver répond ici à ce désir viril impérieux de contrôler la sexualité des femelles. Toutefois, cette exacerbation de la défiance n’empêche nullement les séparations. Car l’amour ne se suffit pas d’une exigence d’exclusivité. L’évolution s’introduit justement là.
Mais, au fait, pourquoi multiplier les partenaires sexuels ? Les mâles ne se posent guère la question. La séduction est leur sport favori. Peut-être après la bière. En accroissant le nombre de leurs partenaires, ces messieurs agrandissent mathématiquement leur descendance. Don Juan reçoit donc un aval évolutif. Au contraire, les femelles ne peuvent augmenter leur progéniture en additionnant les copulations et devraient se préoccuper d’abord de la qualité du géniteur. Les femelles se devraient-elles d’être dévouées ? Est-ce également évolutif ? En tous les cas, une irréductible divergence d’intérêts découle de ce principe « quantité contre qualité » qu’a énoncée Angus Bateman en observant des drosophiles, ces petites mouches du vinaigre.
Le chercheur effectue la première démonstration expérimentale de la divergence d’intérêts entre les sexes et conclut que les mâles ne peuvent maximaliser leur succès reproducteur qu’en développant le nombre des partenaires. Pour obtenir ce bénéfice évolutif, ils se doivent donc de manipuler les femelles. De la sorte, l’hypothèse ordinaire de la sélection sexuelle inscrit le gradient de Bateman comme perspective immobile de l’évolution naturelle : les mâles chercheraient sans cesse l’occasion de multiplier les conquêtes amoureuses, les femelles se contenteraient de choisir le plus brillant des guerriers. Le néodarwinisme* est sauf, et il découlerait de ces désirs contradictoires la meilleure des reproductions possibles, nous affirme Pangloss.
Mais voilà, sans être regardant, il faut bien convenir que les animaux réels sont moins disciplinés. Le conflit inévitable des sexes produit bien des perturbations que la théorie ne comprend pas. Ainsi, bien que le m...
Table des matières
Couverture
Page de titre
Copyright
Introduction - L’évolution par inadvertance
Chapitre 1 - Que sont les amants devenus ?
Chapitre 2 - Le fracas des amours transversales
Chapitre 3 - La mosaïque du lièvre sur les branches
Chapitre 4 - Les vagabonds du temps ou les tourbillons du vivant
Chapitre 5 - Sa majesté des mouches
Chapitre 6 - Comment le désir vint à l’esprit
Chapitre 7 - Les embryons cannibales
Chapitre 8 - Des fourmis dans le bain
Chapitre 9 - Qu’il n’est point de sagesse quand un cœur est à prendre
Chapitre 10 - L’île des caractères perdus
Chapitre 11 - Que cherche le hérisson de l’autre côté de la route ?
Chapitre 12 - Les cérémonies amoureuses ou un cours d’éducation sexuelle