
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Haute Tension
Ă propos de ce livre
MathĂ©maticien, Ă©conomiste, Marcel Boiteux a dirigĂ©, des annĂ©es durant, EDF, qu'il a profondĂ©ment marquĂ© et dont il est aujourd'hui prĂ©sident d'honneur. Son parcours Ă©claire un milieu social (celui des scientifiques et des grands commis de l'Ătat), un processus de recherche (le coĂ»t marginal), une grande entreprise et sa stratĂ©gie, les mĂ©canismes de carriĂšre et de pouvoir dans le secteur public, les rapports entre l'Ătat et les entreprises publiques, les processus de dĂ©cision sur d'importantes questions comme la politique nuclĂ©aire.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Ăcouter.
- IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin dâun accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Ăcouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser lâapplication Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă tout moment, nâimporte oĂč â mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Oui, vous pouvez accéder à Haute Tension par Marcel Boiteux en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Commerce et Biographies d'entreprises. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
DEUXIĂME PARTIE
XIII
Grandes manĆuvres salariales
Un normalien Ă la tĂȘte dâEDF ! Paris-Presse titra en gros caractĂšres, comme si une catastrophe sâĂ©tait abattue quelque part dans le monde : « LâEDF arrachĂ©e Ă lâĂcole Polytechnique. » Une cabale, que jâaffectai dâignorer, rĂ©unit quelques seigneurs de la Maison : non seulement je nâĂ©tais pas corpsard mais, Ă la diffĂ©rence de tous mes collĂšgues, je nâavais jamais « commandĂ© devant lâennemi ». Autrement dit, je nâavais jamais Ă©tĂ© Ă la tĂȘte dâune unitĂ© dâexploitation, jamais Ă©tĂ© soumis aux manifestations parfois violentes dâun personnel en action revendicative. Je nâavais mĂȘme pas eu lâoccasion de mener une rĂ©union paritaire avec les syndicats. CâĂ©tait vrai. Dans une maison oĂč les relations avec le personnel et ses reprĂ©sentants Ă©taient dâune importance majeure, Pierre MassĂ© faisait le pari, osĂ©, que je saurais mâen tirer.
Il Ă©tait vrai que, nâĂ©tant pas ingĂ©nieur, jâĂ©tais pratiquement restĂ© Ă lâĂ©cart du nuclĂ©aire, Ă lâĂ©cart des conflits dâattribution et de filiĂšres quâil suscitait, alors que ma nomination intervenait en pleine crise. Oserai-je mĂȘme avouer quâĂ©cologiste de naissance â mon pĂšre et ma mĂšre Ă©taient tous deux naturalistes â, jâavais quelque apprĂ©hension devant cette nouvelle forme dâĂ©nergie, frappĂ©e du sceau dâHiroshima ? Je partageais plus ou moins consciemment cette impression, assez rĂ©pandue chez les protestants, quâen mobilisant lâĂ©nergie qui rĂ©gnait au cĆur de la matiĂšre, lâHomme sâemparait dâune force que le Bon Dieu nâavait pas mise dans son berceau. Le mythe de PromĂ©thĂ©e⊠Toutefois, Ă la diffĂ©rence de beaucoup dâautres, ma culture scientifique mâinterdisait de transformer cette impression en conviction tant que je nâaurais pu me faire une idĂ©e plus prĂ©cise du sujet. Lâoccasion allait venir dâen savoir plus.
Mais, comme il Ă©tait Ă prĂ©voir, câest par les affrontements avec le personnel que je commençai mes classes.
*
Ă dĂ©faut dâen avoir la pratique, jâavais quand mĂȘme une bonne connaissance des questions salariales et des conditions, trĂšs particuliĂšres, de leur rĂšglement. EDF Ă©tait devenue, en matiĂšre de salaires, le phare de la fonction publique et des entreprises nationalisĂ©es. Nos agents avaient, souvent Ă tort, parfois Ă raison, la rĂ©putation dâĂȘtre bien payĂ©s, et tous les « autres » avaient les yeux fixĂ©s sur nous. Moyennant quoi, lâouverture dâune nĂ©gociation salariale Ă lâEDF Ă©tait un Ă©vĂ©nement majeur : tout le reste du secteur public et parapublic attendait dâen connaĂźtre lâissue pour rĂ©clamer au moins autant. Lâenjeu de la nĂ©gociation prenait donc une dimension nationale, le sort du franc en dĂ©pendait, et tout se dĂ©cidait Ă Matignon.
Le directeur gĂ©nĂ©ral dâEDF nâen devait pas moins affecter de nĂ©gocier en toute libertĂ©, dans le seul souci des intĂ©rĂȘts de lâentreprise et de ses agents, comme le voulait lâarticle 9 du statut du personnel. Et les dirigeants syndicaux Ă©taient dans leur rĂŽle en affichant ne rien savoir de cette situation, ou en exigeant que le directeur gĂ©nĂ©ral prenne ses responsabilitĂ©s lorsque des fuites avaient eu lieu dans la presse sur les directives Ă©mises par le Premier ministre.
Il existe, Ă vrai dire, bien des maniĂšres dâaccroĂźtre les rĂ©munĂ©rations sans augmenter le taux des salaires : par exemple, en nommant capitaines tous les lieutenants, on accroĂźt les rĂ©munĂ©rations par tĂȘte dans lâentreprise sans toucher Ă la grille des rĂ©munĂ©rations⊠Jâavais suivi les travaux des Commissions ToutĂ©e et GrĂ©goire, qui visaient prĂ©cisĂ©ment Ă mettre de lâordre dans les concepts, Ă distinguer les hausses de salaires en « niveau » et en « masse »1, et Ă codifier lâanalyse des hausses de rĂ©munĂ©ration autres que salariales, le fameux GVT : on devait sĂ©parer les effets de la « technicitĂ© » T (un lieutenant devient capitaine parce quâil en a acquis et les compĂ©tences et la fonction â ou des responsabilitĂ©s Ă©quivalentes), de ceux des « glissements » G (on nomme des lieutenants capitaines sans rien changer Ă leurs fonctions) et du « vieillissement » V (Ă fonction inchangĂ©e, lâagent obtient tous les trois ans une hausse de salaire Ă lâanciennetĂ©).
Ces subtilitĂ©s, qui passaient trĂšs loin au-dessus de la tĂȘte de lâagent moyen, Ă©taient essentielles pour analyser les hausses annuelles de rĂ©munĂ©ration, les contrĂŽler et les comparer valablement dâune entreprise Ă lâautre.
Tandis que ces concepts prenaient forme, AndrĂ© Decelle mâavait demandĂ© de rĂ©flĂ©chir discrĂštement, avec le directeur du Personnel, Ă une rĂ©forme de la grille des rĂ©munĂ©rations, qui Ă©tait complĂštement rouillĂ©e. Une hausse des salaires Ă lâanciennetĂ©, notamment, y Ă©tait prĂ©vue, mais cette « anciennetĂ© » pouvait ĂȘtre accĂ©lĂ©rĂ©e, au choix, pour rĂ©compenser les agents les plus dĂ©vouĂ©s Ă leur tĂąche. Le systĂšme Ă©tait excellent dans ses dĂ©buts, mais il avait vieilli et le moment Ă©tait venu oĂč tous les bons agents Ă©taient arrivĂ©s, jeunes encore, au butoir de leur grade. Dâautre part, Ă lâexemple de la plus ancienne entreprise nationalisĂ©e â je veux parler de lâArmĂ©e â, il eĂ»t fallu quâun vieil adjudant-chef puisse ĂȘtre nettement mieux rĂ©munĂ©rĂ© quâun jeune aspirant. Cela conduisait Ă crĂ©er, au sommet de la maĂźtrise, une position de rĂ©munĂ©ration recouvrant celle des jeunes cadres. On Ă©viterait ainsi que se gĂ©nĂ©ralise le procĂ©dĂ© fĂącheux consistant, pour sanctionner les mĂ©rites dâun excellent agent de maĂźtrise, Ă le promouvoir systĂ©matiquement comme cadre Ă une fonction dont il pouvait nâavoir ni le goĂ»t ni les capacitĂ©s.
Masse et niveau salarial
Si le « niveau » des salaires augmente de 4 % au 1er janvier, le poste salaires de la comptabilitĂ© passera de 100 Ă 104 : lâeffet de « masse » est aussi de 4 %. Mais si la mĂȘme hausse a seulement lieu le 1er juillet, son effet sur les comptes de lâexercice est limitĂ© Ă six mois et le poste salaires passe seulement de 100 Ă 102 : la hausse est de 4 % en niveau et de 2 % en masse. En revanche, lâannĂ©e suivante, la hausse du 1er juillet prĂ©cĂ©dent pĂšsera sur tout lâexercice et, en lâabsence de nouvelle hausse en niveau, la masse sera de 104 ; dâoĂč, pour ce deuxiĂšme exercice comptable rapportĂ© au premier, une hausse du poste salaires de 104/102. Ainsi, lâannĂ©e suivante, on observera une hausse en masse de 2 % (exactement 1,96 â quotient de 104 par 102), malgrĂ© lâabsence de toute hausse en niveau : câest lâeffet « report ». En somme, une hausse en cours dâannĂ©e entraĂźne un effet de masse infĂ©rieur Ă son effet en niveau, lâĂ©cart se retrouvant, lâannĂ©e suivante, sous forme dâeffet report.
En revanche, si lâon dĂ©cide dâaccorder une prime exceptionnelle, et non reconductible, faisant passer la masse de 100 Ă 102, lâannĂ©e suivante la masse se retrouvera Ă 100 en lâabsence de mesures nouvelles et, rapportĂ©e Ă lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, la masse salariale aura variĂ© de 100/102, donc baissĂ© de 2 % : lâeffet report est nĂ©gatif et Ă©gal Ă lâeffet en masse de lâannĂ©e prĂ©cĂ©denteâŠ
Ainsi mâĂ©tais-je initiĂ© aux concepts grĂ©goriens et aux joies de la grille.
Enfin, pour assurer ma formation accĂ©lĂ©rĂ©e, jâavais accompagnĂ© Decelle depuis le dĂ©but de lâannĂ©e aux grand-messes salariales oĂč, sur lâessentiel, le directeur gĂ©nĂ©ral nâavait le droit de rien faire mais nâavait pas le droit de le dire, face Ă des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux qui, au risque de ne pas ĂȘtre réélus, ne pouvaient sortir trop souvent de ces rĂ©unions sans un peu de blĂ© Ă moudre.
En fait, les syndicats nâen voulaient pas au directeur gĂ©nĂ©ral, plaquĂ© contre son mur. Mais ce mur mĂȘme, parce quâil ne comportait aucune issue, les mettait dans un Ă©tat extrĂȘme dâexaspĂ©ration. Les plus constructifs se dĂ©sespĂ©raient de ne pouvoir avancer utilement la moindre idĂ©e, tandis que les autres renforçaient leur pouvoir sur leurs troupes en les appelant Ă lâindignation et Ă la rĂ©volte.
JâhĂ©ritai de ce climat difficile. Les dirigeants des syndicats « minoritaires » (FO, CFDT, UNCM â lâUnion des cadres) ne mâĂ©taient pas hostiles a priori, mais ceux de la CGT, que je nâavais jamais rencontrĂ©s, nâavaient aucune raison de me faire des cadeaux.
*
Incidents, affrontements, grĂšves locales, rien ne sâarrangeait lorsque Ă©clatĂšrent les Ă©vĂ©nements de Mai 1968.
Tandis que sâamorçaient, sous la prĂ©sidence du Premier ministre, les nĂ©gociations de Grenelle pour le secteur privĂ©, je fus chargĂ© de rĂ©unir les dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux dâEDF-GDF2 au ministĂšre de lâIndustrie â rue de Grenelle aussi. CâĂ©tait donc sur mes Ă©paules, apparemment, quâallait reposer la nĂ©gociation dont sâinspirerait tout le secteur public et parapublic, soit 30 % de la population active.
Ă son retour de Roumanie, le dimanche 12 mai, Georges Pompidou mâavait convoquĂ© Ă Matignon pour me dire quâil Ă©tait indispensable que le rĂ©seau Ă©lectrique tienne, afin de ne pas ajouter Ă la confusion.
Jâadmirai son calme olympien et le rassurai sur lâĂ©tat dâesprit des syndicats, et notamment de la CGT qui ne me semblait pas reconnaĂźtre sa rĂ©volution dans les soubresauts qui agitaient la France. EDF nâĂ©tait pas en grĂšve â hors quelques initiatives locales. Ce qui ressemblait partout Ă des piquets de grĂšve, mâassura le dĂ©lĂ©guĂ© CGT, nâavait dâautre mission que de « protĂ©ger » les immeubles et les installations. Je ne pus mâempĂȘcher de penser cependant que ces Ă©quipes, placĂ©es en position stratĂ©gique, pouvaient recevoir dâautres instructions le moment venu.
Le climat Ă©tait Ă©trange. Lorsque jâarrivai au ministĂšre pour rencontrer les dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux, la cour Ă©tait vide. CâĂ©tait le chĂąteau de la Belle au bois dormant. Dans ce dĂ©sert, mon seul contact avec le pouvoir Ă©tait le conseiller social du ministre.
Les instructions Ă©taient de tenir, et de durer, en attendant de mieux savoir oĂč lâon irait. Jâavais quand mĂȘme une petite poire pour la soif, qui mâĂ©vitait, au moment dâouvrir les dĂ©bats, dâĂȘtre totalement inhibĂ© par lâobsession de nâavoir rien dans les poches. Pour « durer », je commençai par solliciter les dĂ©clarations des diffĂ©rents syndicats, posai des questions pour faire rebondir le propos, soulignai un mot de lâun qui suscitait lâindignation de lâautre, ramenai la paix, philosophai sur les mĂ©rites de telle ou telle disposition de lâancienne grille ou de la nouvelle⊠Puis, au bout de quelques heures, la nuit venue, on dĂ©cida dâun commun accord de suspendre la sĂ©ance pour aller dormir.
Ă la reprise, il fallut bien en venir Ă parler gros sous. AprĂšs de longs dĂ©bats souvent houleux, la possibilitĂ© de sâaccorder sur un dispositif commençait finalement Ă se faire jour, mais la CGT bloquait la nĂ©gociation par ses exigences. Celles-ci auraient certainement reçu le soutien de la grande majoritĂ© du personnel, mais les autres syndicats, les « minoritaires », soucieux de mĂ©nager la rationalitĂ© de la grille comme les intĂ©rĂȘts de la haute maĂźtrise et des cadres, sây opposaient courageusement. On frĂŽlait lâinvective. La CGT quitta finalement la sĂ©ance, en dĂ©clarant quâelle en appellerait au ministre.
Quelques heures aprĂšs, je reçus un message mâannonçant quâOlivier Guichard voulait me voir. Suspension de sĂ©ance. Le ministre mâannonça quâinstruit de la situation, il estimait quâil fallait aller dans une voie⊠qui ressemblait singuliĂšrement Ă celle oĂč la CGT voulait nous engager, quitte Ă rajouter 1 % Ă lâenveloppe pour financer lâopĂ©ration. Jâobjectai que câĂ©tait dĂ©savouer la position courageuse prise par les minoritaires. Mais il apparut que lâenjeu dĂ©passait nos modestes personnes. Il fallait sâexĂ©cuter. De retour en sĂ©ance redevenue plĂ©niĂšre, jâessayai dâamortir le choc, sans pouvoir Ă©viter lâexplosion. On en vint aux mains entre la CGT et les autres syndicats, et les plus sages eurent beaucoup de mal Ă sĂ©parer les combattants.
Le calme revenu, le cours de cette nĂ©gociation fleuve reprit. On y passait jours et nuits. Mes habitudes dâintellectuel sâavĂ©rĂšrent bien utiles. Ă minuit, au moment de tout reprendre Ă zĂ©ro, ou presque, jâĂ©tais frais comme lâĆil alors que nombre de mes partenaires Ă©taient Ă ramasser Ă la petite cuillĂšre.
Puis, un matin, le GĂ©nĂ©ral disparut. On ne savait plus Ă quel saint se vouer. Durer Ă©tait de plus en plus difficile. La tension devint extrĂȘme et le soir, avant de nous sĂ©parer, le chef de la dĂ©lĂ©gation CGT, Roger Pauwels, me dĂ©clara, dans le feu de lâexcitation oratoire, que la comĂ©die Ă©tait finie et que tout cela se rĂ©glerait demain par les armes.
Le lendemain, le GĂ©nĂ©ral Ă©tait revenu et le mĂȘme Pauwels, parfaitement urbain, affirmait la nĂ©cessitĂ© de conclure un accord pour le bien de nos entreprises, en conciliant les positions des uns et des autres.
Entre-temps, le Grenelle de Georges Pompidou avait avancĂ© et, par parallĂ©lisme, les marges de mon Grenelle sâĂ©taient singuliĂšrement Ă©largies.
Le texte, soigneusement pesĂ©, dâun accord fut finalement Ă©tabli. Matignon en fut aussitĂŽt averti. Et tout faillit capoter.
Il Ă©tait Ă©crit que la valeur de je ne sais quelle indemnitĂ© sâentendait « en francs 68 ». Ădouard Balladur, alors conseiller technique de M. Pompidou, me requit au tĂ©lĂ©phone pour me dĂ©clarer quâil Ă©tait impossible, Ă une Ă©poque oĂč le franc allait ĂȘtre sĂ©rieusement menacĂ©, de laisser passer une mention qui mettait aussi crĂ»ment en doute la pĂ©rennitĂ© de notre monnaie. Je plaidai lâinnocuitĂ© de ce modeste dĂ©tail dans un texte de plusieurs pages, et le risque que prĂ©sentait pour notre accord le moindre changement. Il fut courtoisement inĂ©branlable.
Le lendemain matin, je dus donc annoncer Ă mes partenaires, venus prendre leur exemplaire dâun texte que la nuit avait eu seulement pour objet de dactylographier, quâil restait toutefois un petit dĂ©tail Ă rĂ©gler. Mais ils avaient tous, eux aussi, des petits dĂ©tails Ă rĂ©gler si lâon se remettait au travail ! AprĂšs les protestations, on en vint quand mĂȘme au fait et je pus assez rapidement dĂ©celer, dans les propos des uns et des autres, de quoi rĂ©diger une phrase qui donnerait satisfaction aux syndicats sans mettre en cause explicitement la pĂ©rennitĂ© du franc. Enfin !
Jâapportai mon papier Ă Olivier Guichard, qui me reçut avec Pierre MassĂ© dans le jardin du ministĂšre et voulut bien me fĂ©liciter.
Ce fut une semaine mĂ©morable. Tel Fabrice del Dongo au sein de la bataille, je nâen vis que mon modeste théùtre dâopĂ©ration. Mais jâavais conquis lâestime et la confiance des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux.
Ces Ă©vĂ©nements de 68, parce que jây reçus honorablement le baptĂȘme du feu, me furent bien prĂ©cieux par la suite. Il serait excessif dâen conclure pour autant que la paix sociale allait dorĂ©navant rĂ©gner dans nos Ă©tablissements.
*
DĂšs lâannĂ©e suivante, la CGT agitait Ă nouveau ses troupes, les faisait venir de province par cars entiers pour manifester bruyamment. Nos accords de 1968 avaient certes permis dâengager certaines rĂ©formes et de rĂ©gler les problĂšmes salariaux de lâannĂ©e. Mais, en compensation de ces largesses, le gouvernement Ă©tait dâune extrĂȘme fermetĂ© sur lâĂ©volution ultĂ©rieure des rĂ©munĂ©rations, au point de donner une interprĂ©tation restrictive aux accords conclus lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente avec sa bĂ©nĂ©diction.
AprĂšs quelques pĂ©ripĂ©ties, les autres syndicats, indignĂ©s, finirent par rejoindre la CGT pour lancer, en novembre 1969, une grĂšve gĂ©nĂ©rale. La population tolĂšre, certes mal, mais tolĂšre quâune grĂšve entraĂźne des coupures dâĂ©lectricitĂ© pendant une journĂ©e, Ă condition que ces coupures soient annoncĂ©es Ă lâavance et selon un horaire prĂ©cis. Mais si les coupures recommencent le lendemain, bloquent Ă nouveau les mĂ©tros et les ascenseurs, metta...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Sommaire
- Préface
- PREMIĂRE PARTIE
- DEUXIĂME PARTIE