
- 240 pages
- French
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eBook - ePub
À propos de ce livre
Migrations généralisées, effondrement des frontières, immédiateté et universalité des connexions, en un mot irruption brutale, à la fois physique et numérique, de l'autre et du différent. Voilà un fait unique dans l'histoire qui bouleverse nos façons de penser et de vivre. Un monde nouveau surgit, inconnu, alors que l'ancien craque de toutes parts avec fracas. La Terre elle-même s'est mise à geindre. Nous oscillons entre la terreur de la fin et l'enfantement d'un commencement qui tarde à voir le jour. Nous vivons un moment messianique. Devrons-nous renoncer à l'idée d'humanité et espérer sauver notre peau tout seul ? Devrons-nous renoncer aux nations et aux peuples parce qu'ils seraient les témoins abolis d'un passé bientôt englouti ? Devrons-nous également renoncer à la certitude que nous partageons un destin commun ? Ou, sinon, comment le construire et le trouver ? Comment écrire cette nouvelle page ? Voilà le monde nouveau que chacun de nous se doit d'affronter. Il se trouve qu'un homme a été confronté aux mêmes défis, a connu les mêmes angoisses, a été envahi par la même terreur. C'est Paul, l'apôtre des chrétiens, le Shaoul des Juifs, le Paul des philosophes, surtout l'un des piliers de l'Occident, quoi que l'on croie. Il a vécu un autre de ces moments messianiques, comme la civilisation des hommes en a peu compté. Il a alors proposé à tous les citoyens de l'Empire romain de repenser Dieu pour comprendre ce qui pouvait les rassembler : une autre approche de la vie. Il nous faut prendre Paul à bras-le-corps pour nous aider à vaincre nos angoisses. Car notre salut, à nous, deux mille ans après, ne pourra être que de même nature, spirituelle, pour repenser la politique, l'éthique, la possibilité d'une humanité en paix. Pour repenser le commun. Pour s'engager enfin dans la fraternité. Jean-François Bensahel est normalien, ingénieur au corps des Mines, entrepreneur, président de la synagogue de la rue Copernic à Paris, et acteur engagé du dialogue interreligieux.
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Informations
I
Mon frère,
Longtemps, je t’ai haï.
Longtemps, le Juif que je suis, même si je suis bien d’autres choses aussi, comme toi d’ailleurs, même si je suis multiple et soucieux des autres – enfin je l’espère –, comme tu l’étais assurément, longtemps, malgré ces profondes parentés dans l’identité multiple, je t’ai haï.
Longtemps j’ai cru, imbibé, saoulé de ce que l’on rapportait à ton endroit, que tu avais, gladiateur triomphant devant la foule déchaînée, abjuré le judaïsme de ton enfance, celui que tu avais appris dans cet endroit bien éloigné de Jérusalem qu’était la ville romaine et cosmopolite, et maintenant turque, de Tarse. Longtemps j’ai cru que tu t’étais débarrassé de ce judaïsme comme d’un vieux vêtement à remiser au grenier, que tu avais voulu pulvériser ce judaïsme qui était bien plus qu’une religion, mais une civilisation tout entière, car il touchait tous les aspects de la vie. Ce judaïsme dans lequel tu baignais ne pouvait être une religion, c’était évident pour toi : le mot n’existait pas à l’époque ni en hébreu ni en araméen, le concept était impensable comme tel, car on ne demandait aux Juifs, et à dire vrai aux autres hommes de la Méditerranée, quels qu’ils soient, ni dogmes ni croyances. Aussi, tu me pardonneras, est-ce par facilité de langage que je l’emploierai désormais, parce qu’il faut bien parler la langue du temps présent, mais nous savons tous les deux ce qu’il recouvre.
Longtemps, j’ai donc cru que tu avais répudié cette civilisation, celle de tes parents, celle de ton enfance, dont tu avais prétendu étudier les textes et la culture auprès du grand maître juif Gamaliel, quand, adolescent, tu étais venu à Jérusalem, une civilisation donc, avec ses institutions, dont le Temple, édifice magistral, récemment embelli et agrandi par le roi Hérode, avec son immense cour réservée aux neuf dixièmes aux non-Juifs, donc aux polythéistes idolâtres, aux païens, aux gentils comme on disait chez les Juifs de la diaspora qui vivaient hors de la Judée, païens, gentils, qui venaient donc en masse assister aux sacrifices tels qu’ils étaient consignés et codifiés dans la Loi – plus connue sous le nom de Torah –, conduits sous l’autorité des prêtres et du Grand-Prêtre en particulier, civilisation qui embrassait tous les domaines de l’existence, avec, comme toute loi, ses interdits alimentaires, ses prescriptions, et la plus célèbre d’entre elles, la circoncision, ses régimes de pureté et d’impureté, son chabbat, repos hebdomadaire du corps et de l’âme pour tous, hommes libres comme esclaves, ses enseignements moraux, contenus dans les fameux dix commandements comme dans bien d’autres textes.
Non que j’aie une difficulté avec ceux qui, comme toi, auraient décidé de quitter le judaïsme, même si je le regrette profondément, et si la peine est amère : mais les hommes sont libres. Il leur appartient de suivre leur conscience. Le judaïsme n’est pas, ne peut pas être, une prison, une monade sans porte ni fenêtre. Pour ne pas le quitter, il lui faut savoir s’adapter et être à la hauteur des aspirations de chaque génération. Il doit donc savoir se renouveler, tout en étant fidèle à son esprit. D’ailleurs, peut-être connaissais-tu ce Midrash, ce commentaire légendaire de la Loi, de la Torah : pourquoi Moïse, le plus grand prophète d’Israël, celui qui avait vu l’Éternel face à face, n’est pas rentré en Terre promise ? Parce qu’il n’avait pas su comprendre les aspirations de la nouvelle génération, celle qui, née dans le désert, n’avait pas connu l’Égypte. Il n’avait pas compris comment se renouveler, se réinventer, comment être l’homme de plusieurs époques, de plusieurs moments politiques, sociaux, culturels. Était-ce cela aussi que tu avais reproché au judaïsme de ton temps ? Était-ce parce qu’il ne parlait plus à ton âme et à ta conscience que tu l’avais quitté ? Reproche de tous les temps, susceptible d’être adressé à toutes les institutions, à toutes les civilisations.
Mais tu ne t’étais pas contenté, me disait-on, de fermer silencieusement la porte et, altier, méprisant, de tourner la page du vieux livre. Tu passais plus encore aux yeux de tous pour le pourfendeur du culte et de la culture qui t’avaient vu naître, mais dont tu continuais dans tes lettres, disait-on, bizarrement, paradoxalement – tu n’étais apparemment pas à un paradoxe près –, à t’enorgueillir de cette civilisation qui tapissait le rapport au monde si particulier des Juifs du Ier siècle, qu’ils habitent en Judée ou en diaspora, dans tout l’Empire romain et au-delà, où les Juifs habitaient parfois depuis plus de six siècles : à Marseille, à Nice, à Rome, tout autour de la Méditerranée, ou encore plus à l’intérieur des terres. N’a-t-on pas soutenu que la population juive représentait à ton époque 10 % de l’Empire romain, et que le culte juif avait obtenu de Rome le titre, exceptionnel mais fragile, explicite ou implicite, de religio licita, de « religion tolérée », ce qui permettait aux Juifs – cas unique dans l’Empire – de ne pas être obligés de participer aux fêtes païennes, de ne pas paganiser, de ne pas idolâtrer, de ne pas se montrer publiquement dans les temples païens, de ne pas faire leurs dévotions à Jupiter, à Junon, à Minerve, à Athéna, à Asclépios, à Apollon… ce, sans doute, grâce à Hérode, roi de Judée, homme moralement peu recommandable, hautement paranoïaque, meurtrier de masse, mais grand stratège politique et qui fit le choix de soutenir certains consuls à Rome – et notamment Octave qui devint empereur sous le nom d’Auguste – dans leurs campagnes militaires et leur accession au pouvoir, et leur envoya des troupes judéennes pour asseoir la puissance de Rome contre les Parthes, ce dont ils lui furent reconnaissants.
Cette civilisation, ce système de pratiques, cet héritage, tu paraissais t’en glorifier – je savais par ouï-dire que tu continuais à clamer : « Je suis hébreu, fils d’Hébreu… » –, mais c’était pour aussitôt mieux les brocarder, les vouer aux gémonies, les injurier. La Loi, le socle de cette civilisation juive, c’était le péché, disais-tu ! Un produit périmé, pensais-tu, n’est-ce pas ? Un anachronisme, vitupérais-tu, c’est cela ? Tu m’apparaissais alors comme une figure classique de la haine de soi. Il faut dire que tu avais des raisons de ne pas être très fier de toi : ne m’avait-on pas appris que tu avais persécuté des Juifs à Antioche, dénommés chrétiens, qui croyaient en Jésus-Messie, en Jésus-Christ – puisque Christ, c’est le mot grec pour dire « Messie », en hébreu maschiah –, en les pourchassant dans les synagogues qu’ils fréquentaient et en cherchant à leur donner les rituels trente-neuf coups de fouet pour transgression des commandements ?
Tu m’apparaissais comme le précurseur de ces Juifs convertis au christianisme qui, au Moyen Âge, haranguaient les docteurs du judaïsme dans des disputes inégales, exercées sous la férule des autorités ecclésiastiques, querelles qui n’avaient pour but que de tourner en dérision la vieille religion. Ne figurais-tu pas l’ancêtre de ces médiévaux pleins de hargne et de haine issus du judaïsme et convertis au christianisme, Nicolas Donin, Pablo Christiani et tant d’autres, qui firent de désastreux dégâts dans les mentalités pour désigner à la meute le Juif comme l’ennemi, ce qui donna lieu à tant de brûlements publics du Talmud ? N’étais-tu pas l’un des premiers convertis ?
Et puis, dans les lettres que l’on te prêtait, que j’acceptais de lire du bout du regard, certains propos me paraissaient absolument ahurissants, fielleux et controuvés : n’imaginais-tu pas ici qu’il y avait un mur de haine entre les Juifs et le reste des hommes ? Ne disais-tu pas là que les Juifs étaient les ennemis du genre humain ? N’étais-tu pas dès lors comptable de toutes ces morts commises plus tard au nom du Christ, Messie et donc porteur de la paix, dont tu te faisais pourtant le héraut ? N’étais-tu pas le responsable indirect de ces exécutions et de ces assassinats ultérieurs et massifs ? Avais-je vraiment tort de te haïr ?
Étais-je dans l’erreur de t’attribuer ces macabres intentions ? Étais-je dans l’erreur alors que le sinistre Marcion, dès le milieu du IIe siècle, se réclamait bruyamment de toi pour fabriquer à son tour son évangile de haine radicale anti-Juifs, et qui voulait convaincre, à Rome même, le pape Pie Ier et les fidèles de Jésus-Christ de ne plus croire au Dieu des Juifs, entité mauvaise et Dieu de la colère, mais à Jésus-Christ, seul Dieu d’amour, venu abroger la Bible hébraïque. Heureusement l’Église du IIe siècle déclara hérétique l’évêque de Sinope. Mais la crise marcionite resta indélébilement marquée sur le visage de l’Église, comme l’on reste marqué par un furoncle, certes terrassé, mais qui s’incruste pour toujours, balafre en plein visage. La victoire posthume de Marcion, c’est d’avoir fait appeler « Ancien Testament » la Bible hébraïque. Elle était donc dépassée, vermoulue, aussi utile qu’une collection de vieux objets, de parchemins antiques, que l’on conserve par automatisme, parce que l’on n’ose les mettre au rebut, par une fidélité servile au passé, un vieux livre racorni que l’on ne consulte plus qu’une fois par an. Assurément plus un texte digne d’étude, mais un prétexte, une grille d’explication et de preuve de ce Nouveau Testament que l’Église canonisait alors. Un faire-valoir. Quand dans l’histoire on se réclamait de toi, mauvais présage pour les Juifs et drame en perspective !
Comment ne pas penser à Luther qui disait tout te devoir, qui ne cessait de te ruminer, et auquel tu fournissais prétendument la clé de compréhension d’une dérive abominable chez les papes romains de l’époque qui avaient réintroduit dans le culte des actes, des œuvres, des demandes, des intercessions souvent monnayées en espèces sonnantes et trébuchantes pour que le pécheur puisse être pardonné, et qui, selon lui, se détournaient ainsi de la vraie foi, qui seule sauve. « L’homme devient juste sans œuvres », tonnait Luther ! Tu lui offrais, éructait-il, la démonstration que la Loi, les rites qu’elle contenait, les mérites capitalisés si l’on voulait espérer accéder à la vie éternelle, que tout cela n’était que bagatelle, aiguillon du péché et roupie de sansonnet. Luther était convaincu que seule comptait la foi, que l’homme ne devenait juste que par la foi, et qu’alors, ainsi, il devenait capable de charité en acte. Ce délire paranoïaque contre la Loi, dont tu aurais été le modèle, n’était-il pas la raison de son antijudaïsme, d’une violence rarement égalée ? Combattre le légalisme des catholiques était d’autant plus justifié que Luther ne faisait, croyait-il, que reprendre ton supposé combat contre les Juifs, légalistes, ivres de la Lettre, ignorants oublieux de l’Esprit qui pourtant l’informait ?
Tu avais ouvert la boîte de Pandore de la division. Car, ensuite, Calvin, qui lisait autrement la distinction de la Loi et de la foi, des œuvres et de la grâce, donnait alors naissance, lui aussi, à une nouvelle religion chrétienne. Et combien d’autres réformateurs t’interprétant autrement n’ont-ils pas à leur tour donné naissance à d’autres courants de pensée et de religion ?
Tu avais dressé les Juifs contre les chrétiens, puis, par, division cellulaire, les chrétiens entre eux. Tu avais voulu rassembler les hommes, quels qu’ils soient ? Mais tu semais la discorde, la haine et la guerre. C’était cela ta contribution à l’humanité ? Belle affaire !
Ton dossier était épais et lourd. Tu te voulais le messager de la bonne nouvelle, de Jésus-Christ, de l’annonce imminente du Royaume de Dieu, de la paix totale, mais tu m’apparaissais, tantôt comme le procureur révolutionnaire, l’accusateur public de ceux qui t’avaient vu naître, le Fouquier-Tinville de ces temps troublés, tantôt comme la pierre d’achoppement, de butée, dans l’Église même.
Tu étais le diviseur, le pourfendeur, le calomniateur. Et je me rappelai qu’en grec diabolos, le diable, c’était le « diviseur », « celui qui désunit ». Toi, un saint ? Vraiment ?
Pourtant, certains de tes lointains disciples voulaient me convaincre que j’étais dans l’erreur et que j’étais le siège d’une injuste sévérité à ton égard. Et l’on me mettait sous les yeux ce que tes lettres contiennent de sublime, ces hymnes à l’amour du genre humain, et d’abord celui de la première lettre aux Corinthiens, quand tu as voulu mettre et remettre ces païens de la ville de Corinthe dans le droit chemin, celui que tu leur avais enseigné et dont ils paraissaient s’écarter sous la persuasion de faux frères, de faux évangélistes, attaquais-tu, et qui voulaient les conduire à embrasser le judaïsme par conversion, et d’abord par la circoncision, alors que tu exigeais d’eux seulement d’avoir une foi totale et sincère en Jésus-Christ, d’avoir une morale parfaite et d’aimer leur prochain comme eux-mêmes. Et rien d’autre. Rien d’autre.
J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante.
J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.
J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien.
J’en avais le souffle coupé. J’étais renversé, et de ce que je lisais, et du contraste avec ce que je connaissais de toi par ouï-dire. Comment pouvais-tu donc proférer ces homélies sublimes, ces discours si profonds, si justes, mais tenir en même temps ces propos de haine ? Étais-tu alors double, un homme clivé, malade, schizophrène ?
De même, à ces Romains de Rome, ne déclarais-tu pas que « la Loi est sainte, juste et bonne », que la Loi, la Torah, au présent, à ton présent, est sainte, juste et bonne ? Comment concilier cette soudaine admiration pour la Loi, c’est-à-dire pour la civilisation d’Israël tout entière, culte, culture et institutions confondus, avec la haine de la Loi, ce dont on te faisait le porte-parole ? Comment était-ce possible ? Étais-tu un fou dangereux, un atrabilaire incohérent, un individu prêt à tout, à raconter n’importe quoi à n’importe qui, pourvu que le but soit atteint, quelles que soient les roueries employées ? Était-ce cela « être habité par l’Esprit » ? Puisque tu te savais sauvé par la connaissance du Christ, tu avais droit à tout, et de t’affranchir pour toi-même de la morale dont tu te faisais pourtant un sectateur intransigeant pour les autres ? Était-il possible que tu aies inspiré ainsi, par cette méthode peu recommandable, des millions d’hommes ? Les hymnes à l’amour suffisaient-ils à résumer ta pensée véritable au détriment de tout le reste ou n’étaient-ils, au contraire, que la face présentable et émergée d’une sourde haine immergée ? C’était incompréhensible. J’étais perdu.
Je me décidai donc, haletant, à lire tes épîtres, selon l’ordre habituel de présentation que ton compilateur final avait retenu et que tes fidèles dans les siècles liraient ainsi : de la plus longue à la plus courte. Je ne prêtais pas attention, dès l’abord, à cette logique de présentation… qui devait se révéler totalement absurde.
Car cette progression dans la lecture de tes lettres, de la plus longue à la plus courte, me laissait là encore abattu, décontenancé. Au départ, je fus heureux de lire la première, la plus longue, l’épître aux Romains, celle où il t’arrive de déclarer ta flamme à la Loi. Tu y paraissais ainsi nuancé dans ton appréciation du judaïsme. Tu admettais qu’il y avait un mystère d’Israël, que c’était une bonne nouvelle qu’Israël, que la quasi-totalité des Juifs de ce temps n’aient pas cru en Jésus-Messie, car cela donnait le temps aux nations d’être habitées par cette Bonne Nouvelle ; sinon elles n’auraient pas eu cette chance, cette grâce, elles n’auraient pas eu droit à la rédemption annoncée par le Messie, au pardon des péchés, au salut, dont Israël aurait conservé le monopole exclusif, il ne leur aurait pas été fait miséricorde, elles ne seraient pas entrées dans le plan de Dieu. Tu comprenais donc qu’il était nécessaire qu’Israël n’ait pas cru. Tu proclamais aussi qu’Israël serait sauvé, à la fin des temps, une fois les nations converties à la foi nouvelle, tandis que, dans cet intervalle, le peuple juif continuerait sa route vers le salut, vers la paix définitive, route obscure, chaotique, inconfortable, mais assurée de sa destination finale. Tout cela me paraissait d’une logique imparable : ta rupture avec ton milieu, le judaïsme, avait dû être lente et progressive, tu conservais donc au début de ton ministère un attachement au peuple dont tu étais issu. Tu n’avais pas encore, toi, grand navigateur, largué toutes les amarres.
Ta situation s’aggravait à mes yeux alors que je poursuivais ma lecture contusive : certaines lettres étaient terribles. Dans ta lettre aux Galates, qui vivaient au sud de la Turquie actuelle, tu traitais ces derniers de fous, parce qu’ils voulaient vivre sous le règne de la Loi, alors qu’ils n’en avaient pas besoin, n’étant pas juifs, et qu’ils devaient se contenter de vivre sous le seul régime de la foi en Jésus-Christ. Tu les mettais en garde : « Ceux qui se réclament de la pratique de la Loi, ils sont tous sous la menace d’une malédiction », ou encore : « L’Écriture a tout enfermé sous la domination du péché. » La Loi, l’Écriture, la Bible, c’étaient donc le règne du péché ? La Loi, n’était-elle donc plus sainte, juste et bonne ?
Enfin, dans la première lettre aux Thessaloniciens qui demeuraient au nord de la Grèce actuelle, qui se trouve à la fin du recueil, car la plus courte, n’écrivais-tu pas :
En effet, frères, vous avez imité les Églises de Dieu qui vivent en Judée dans le Christ Jésus, parce que vous avez souffert de la part de vos compatriotes de la même manière qu’elles ont souffert de la part des Juifs.
Ceux-ci ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes, et nous ont persécutés ; ils déplaisent à Dieu ; ils sont les adversaires de tous les hommes, puisqu’ils nous empêchent de proclamer la Parole aux païens pour qu’ils soient sauvés ; cela met sans cesse un comble à leurs péchés. Mais, à la fin, la colère de Dieu les a rejoints.
Violence insoutenable, allumage de la mèche de l’antijudaïsme. Pyromane pathologique et haine de soi ?
Comment cette diatribe incendiaire était-elle compatible avec ce que tu disais alors dans l’épître...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Chapitre I
- Chapitre II
- Chapitre III
- Chapitre IV
- Chapitre V
- Chapitre VI
- Chapitre VII
- Chapitre VIII
- Remerciements
- Table