
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
La Pensée de l'espace
À propos de ce livre
Nul doute que le sens de l'espace soit au cœur de nos pensées. Nous pensons des objets dans l'espace, nous les voyons, nous les touchons dans l'espace. Mais pensons-nous l'espace lui-même ? Est-ce seulement une forme ou bien est-ce aussi un objet ? La question semble résolue depuis longtemps, tant il est vrai que les mathématiciens ont depuis longtemps créé par abstraction une science des objets en tant qu'ils sont dans l'espace. C'est la géométrie. Est-ce vrai ? Et comment ? En s'attaquant à cette question, centrale depuis Kant, Gilles Gaston Granger poursuit son œuvre, placée sous le signe de la philosophie scientifique. Philosophe, Gilles Gaston Granger est professeur honoraire au Collège de France. Il est l'auteur de classiques comme Essai d'une philosophie du style ou Pour la connaissance philosophique et, plus récemment, de La Vérification, Le Probable, le Possible et le Virtuel et de L'Irrationnel.
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Informations
TROISIÈME PARTIE
MESURE ET REPÉRAGE
Chapitre VI
MESURER UN ESPACE
Les Grecs ont inauguré une nouvelle pensée mathématique de l’espace en découvrant, démontrant et surmontant l’impossibilité de mesurer certaines grandeurs au moyen d’autres grandeurs. On ne peut douter que la notion de mesure n’ait été perçue par eux comme une détermination essentielle de la spatialité. Néanmoins, quoique le problème de la mesure par le moyen des entiers dût conduire plus tard à une extension et à une redéfinition du concept de nombre, les Grecs ont orienté autrement leur solution de la mesure. Ils ont constitué, d’une part, une théorie parfaite et rigoureuse des rapports de grandeurs (λóγοι) transmise par Euclide (Éléments V, et X propositions 1 à 13). La mesure relative des grandeurs spatiales a dès lors un sens, qu’il y ait ou non commensurabilité avec la grandeur patron. Toutefois, le résultat d’une mesure, un λóγος, rationnel ou non, n’est pas encore conçu lui-même comme nombre, άριθμóς, concept qui n’est réalisé que sous la forme des entiers. Mais d’autre part les Grecs ont élaboré, à la suite des Babyloniens et des Égyptiens, au moyen de suites de couples de nombres entiers, des procédures d’approximation des grandeurs non commensurables, en particulier des racines carrées irrationnelles1.
La question qui nous intéressera ici se situe assurément dans le prolongement de la découverte et du traitement des irrationnelles, mais ne s’est véritablement posée que bien plus tardivement dans l’histoire d’une pensée de l’espace. C’est celle du repérage par des nombres des points sur la droite, de la mesure de leur ensemble, et plus généralement des concepts de mesure d’un ensemble quelconque de points.
L’idée cartésienne de mesure d’un segment de courbe
1.1. Le problème de la mesure des grandeurs est présenté par Descartes comme constitutif de la science même de l’espace, puisqu’il définit la géométrie « comme une science qui enseigne généralement à connaître les mesures de tous les corps » (La Géométrie, II.A.T.vi., p. 388). Mesurer, c’est-à-dire attribuer un nombre à une ligne, à une aire, à un volume. Comme Descartes repère les points d’une figure par des distances à des axes fixes, on comprend que pour lui, toute la géométrie consiste à mesurer des espaces. Mais on sait qu’il propose d’emblée une délimitation radicale des figures rationnellement connaissables de l’espace : les « géométriques », dont la description est « précise et exacte », et les « mécaniques » qui ne peuvent être ainsi décrites, c’est-à-dire, selon Descartes, qui ne sont pas produites par
« un mouvement continu, ou par plusieurs qui s’entresuivent, et dont les derniers sont entièrement réglés par ceux qui les précèdent, car par ce moyen on peut toujours avoir une connaissance exacte de leur mesure » (ibid. p. 310).
C’est-à-dire que relèveraient seulement de la science rationnelle de l’espace les figures dont les points, en représentation cartésienne, sont déterminés par des équations algébriques liant leurs coordonnées. Il résulte de cette restriction que sont en principe « non mesurables » les spirales par exemple, ou la seconde courbe proposée par Florimond de Beaune, qui est une logarithmique. (A de Beaune, 20 février 1639, AT ii ; p. 517). Descartes reconnaît alors que les points de cette courbe, définie par une propriété de ses tangentes, peuvent être obtenus par l’intersection de deux droites se mouvant l’une parallèlement à l’asymptote, prise comme axe des y, avec une vitesse constante, l’autre parallèlement à l’axe des x, mais à des vitesses inversement proportionnelles aux distances parcourues par la première2. Les deux mouvements sont dits « tellement incommensurables qu’ils ne peuvent être réglés exactement l’un par l’autre » (ibid., p. 517). Entendez : la mesure des y n’est pas une fonction algébrique de celle des x. Il s’agit donc d’une courbe mécanique, au nombre de celles qu’il a rejetées de sa géométrie.
Toutefois, Descartes donne une construction par points de cette courbe, en considérant la limite des intersections de deux tangentes de plus en plus rapprochées, qui tendent à se couper sur la courbe même (ibid., p. 514). Mais une telle détermination, qui anticipe la solution future, par le calcul intégral, du problème inverse des tangentes, supposerait une infinité d’opérations géométriques successives. Par ailleurs, en général, une construction par points, même finie, ne serait entièrement recevable pour Descartes que si elle permettait de déterminer n’importe quel point de la courbe. Or ceci n’arrive que pour les courbes « géométriques » (algébriques), alors que pour les « mécaniques », on ne construit que les points
« qui peuvent être déterminés par quelque mesure plus simple que celle qui est requise pour la composer, et ainsi, à proprement parler, on ne trouve par un de ses points, c’est-à-dire un de ceux qui lui soient tellement propres qu’ils ne peuvent être trouvés que par elle » (La Géométrie, AT ii, p. 411, et lettre à Mersenne, 13 nov. 1629, AT i, p. 71).
L’ensemble des points d’une courbe est donc, pour Descartes, hétérogène, si cette courbe est « mécanique », et tous ses points ne peuvent alors être « mesurés » géométriquement. Descartes distingue même, parmi les grandeurs racines d’une équation algébrique, celles qui ne sont pas « explicables » par radicaux carrés ou cubiques, mais reconnaît « qu’elles ne sont nullement plus incommensurables que celles qui s’y expliquent » (A Mersenne, 26 avril 1643, AT IV, p. 658). Il reconnaît donc, étendant la conception essentiellement quadratique des Anciens, la totalité des nombres dits aujourd’hui algébriques, comme « mesurant » les points d’une géométrie exacte.
1.2. Il semble que l’on puisse ici distinguer un concept proprement mathématique de ce que j’appelle un concept « naturel » de l’espace cartésien. Le « mécanique » appartiendrait bien à la conception naturelle de la spatialité, qui relève de l’imagination et non de l’entendement pur. Dans la Règle XIV des Regulæ, Descartes expose en effet une idée de l’étendue saisie « par le secours de l’imagination » (AT X, p. 443). Car « l’étendue étant chose corporelle, c’est dans l’imagination qu’il faut en former l’idée la plus distincte possible » (Règle XII, Regulæ, AT X, p. 416). À partir de quoi l’entendement pur distinguera par abstraction les natures simples sur lesquelles se fonde une géométrie, et plus précisément, pour Descartes, une analyse algébrique de la spatialité. Tel est le rôle auxiliaire de l’imagination ; auxiliaire mais essentiel pour un esprit humain en lequel est naturelle l’« union de l’âme et du corps », et l’abstraction ne doit jamais faire oublier les éléments qui ont été abstraits :
« Car quoique l’entendement ne fasse nettement attention qu’à ce qu’il désigne par le mot [le concept abstrait] l’imagination doit néanmoins se faire une idée vraie de la chose, afin que l’entendement puisse au besoin se tourner vers les autres conditions de cette chose non exprimées par le mot, et ne jamais croire inconsidérément qu’elles ont été exclues » (ibid., AT X, p. 444).
L’idée naturelle, imaginative, de spatialité est déterminée comme étant concrètement « tout ce qui a longueur, largeur et profondeur » (Règle XIV, AT X, p. 442). Mais l’élaboration conceptuelle du mathématicien considère le concept général de dimension, c’est-à-dire « le mode et le rapport sous lequel un sujet quelconque est jugé mesurable » (ibid., AT, p. 447). Ainsi abstraites et rassemblées par l’entendement, les différentes espèces de quantités que l’imagination distingue relèvent d’un concept unique, objet de la mathématique sous les deux formes de grandeur continue — magnitudo — ou discontinue — multitudo.
Pour le mathématicien cartésien de l’espace son objet propre est comme on l’a vu la connaissance des figures par la mesure, c’est-à-dire par la comparaison d’une certaine étendue à une autre. De sorte que les trois catégories constitutives de l’espace mathématique sont désignées comme la dimension, l’unité (qui sert à mesurer) et la figure (ibid., AT X, p. 447). À la caractérisation des figures par des mesures, exposée et mise en œuvre dans la Géométrie de 1636, le Descartes des Regulæ adjoint la connaissance de l’ordre : « omnes habitudines, quæ inter entia ejusdem generis esse possint, ad duo capita esse referendas nempe ad ordinem vel ad mensuram »3. Mais plutôt qu’un aspect de l’analyse des figures, comme l’est la mesure (ce qu’il deviendra avec Leibniz : à savoir un nouvel objet), il semble que l’ordre soit pour Descartes une métapropriété du raisonnement lui-même, un aspect de la méthode, comme il apparaît dans diverses Regulæ et principalement dans le Discours et la Géométrie.
1.2. On voit que, pour Descartes, si le repérage des points d’une courbe est bien défini par des nombres, la différence de nature de ces nombres, algébriques ou non (le mot de transcendant n’apparaîtra que chez Leibniz), se reflète dans une diversification des points de l’espace, quant à la possibilité d’une mesure. Le progrès en ce domaine, théoriquement décisif, ne sera atteint que, lorsque la notion de nombre réel ayant été définie de plusieurs manières équivalentes4, Cantor posera comme axiome la correspondance biunivoque et bicontinue de l’ensemble R des réels et de l’ensemble des points d’un continu linéaire. La métrisation cartésienne de l’espace a désormais un sens opératoire universel ; la distinction du « géométrique » et du « mécanique » ne joue plus de rôle critique, même si elle donne lieu, au XIXe siècle, à la très riche et très féconde théorie arithmético-géométrique de la Géométrie algébrique 5.
Ainsi se trouve résolu un premier problème fondamental de mesure d’un espace au sens où l’entendaient déjà les Anciens. Mais comme cet espace est alors considéré comme ensemble de points, de nouveaux aspects du problème de la mesure vont se faire jour, d’abord associés aux opérations de mesure d’un espace par...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Sommaire
- INTRODUCTION
- PREMIÈRE PARTIE - LA NOTION DE « FORMES » GÉOMÉTRIQUES
- DEUXIÈME PARTIE - TEXTURES
- TROISIÈME PARTIE - MESURE ET REPÉRAGE
- POUR CONCLURE
- OUVRAGES CITÉS
- Du même auteur aux Éditions Odile Jacob
- Index