Michel Foucault
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Michel Foucault

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Michel Foucault

À propos de ce livre

La philosophie de Michel Foucault, plus actuelle que jamais, n'apporte pas de solution, mais apprend Ă  penser et Ă  intervenir Ă  partir des zones d'ombre de notre sociĂ©tĂ©. Jeannette Colombel suit ici le parcours du philosophe dont elle confronte la pensĂ©e aux problĂšmes de notre temps : l'exclusion, le chĂŽmage, les rivalitĂ©s ethniques, le sida, etc.Écrivain, philosophe, Jeannette Colombel fut l'amie de Michel Foucault comme de Jean-Paul Sartre. Elle est l'auteur notamment de Sartre ou le parti de vivre.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1994
Imprimer l'ISBN
9782738102614
ISBN de l'eBook
9782738157997

II

Normes et exclusions


La rĂšgle du jeu

À suivre une ligne – brisĂ©e – qui va de l’Histoire de la folie Ă  l’ñge classique Ă  Surveiller et punir, Ă©crit quinze ans aprĂšs dans un contexte bien diffĂ©rent, on s’aperçoit que la force interrogative de Foucault vient de ce que – dans les deux cas – il part de « zones d’ombres de notre sociĂ©tĂ© », dĂ©voile ce qui Ă©tait cachĂ© ou secret, cerne, du coup, les limites de normes qui se donnaient pour universelles, Ă©branle les structures qui les ont produites ; il montre Ă  quel prix s’impose et se maintient un systĂšme social, politique et culturel, et invite Ă  en juger selon la façon dont celui-ci engendre et traite les exclus. Interrogeant notre actualitĂ©, ce sera Ă  notre tour d’en faire l’évaluation.
Foucault se sert de ces secteurs fragiles comme de faits polĂ©miques qui supposent des rectifications de ce que, jusque-lĂ , on tenait pour acquis. Les marges ne sont pas seulement des signes de perturbation que l’ensemble pourrait absorber « normalement » dans sa totalitĂ© : elles brisent cette totalitĂ© rassurante, la dĂ©stabilisent et tĂ©moignent de sa relativitĂ©. Ou plutĂŽt de ses relativitĂ©s.
La relativitĂ© est d’abord historique. Dans les deux cas, Foucault se rĂ©fĂšre – de façon toute nietzschĂ©enne – Ă  la gĂ©nĂ©alogie qui s’oppose Ă  toute recherche de l’origine qui serait mĂ©tahistorique. Elle est provenance et « part Ă  la recherche de commencements innombrables qui laissent ce soupçon de couleur, cette marque presque effacĂ©e qui ne saurait tromper un Ɠil un peu historique » ; elle est Ă©mergence, lieu de surgissement qui se produit toujours dans un certain Ă©tat de forces « car la piĂšce jouĂ©e sur ce théùtre sans lieu est toujours la mĂȘme : c’est celle que rĂ©pĂštent indĂ©finiment les dominateurs et les dominĂ©s » ; la gĂ©nĂ©alogie, « minutieuse et patiemment documentaire », repĂšre « la singularitĂ© des Ă©vĂ©nements hors de toute finalitĂ© monotone »47 ; les valeurs se dĂ©placent hors de tout dĂ©passement, les dominĂ©s seront dominateurs d’une autre façon. Cette luciditĂ©, trouvĂ©e dans les archives, dĂ©voile des commencements qui partent d’une Ă©poque d’oĂč naissent de nouvelles structures qui constituent dĂšs lors le champ d’analyse : enfermement datĂ© de 1656, dĂ©cret de fondation de l’HĂŽpital gĂ©nĂ©ral oĂč sont relĂ©guĂ©s les indĂ©sirables dĂ©signĂ©s comme fous48, selon une pratique exemplaire qui gagne vite toute l’Europe ; fonction des prisons, dans un nouvel ensemble oĂč la gravitĂ© des peines se mesure Ă  leur durĂ©e et oĂč la docilitĂ© des Ăąmes contraint les corps, « l’ñme, prison du corps ». Et ce, pour le bien de tous, selon la formation des sociĂ©tĂ©s disciplinaires, au dĂ©but du XIXe siĂšcle.
Chaque fois, ces analyses, et les dĂ©crochages internes qu’elles comprennent, sont prĂ©cĂ©dĂ©es d’un prĂ©ambule oĂč Foucault, en nous montrant qu’il n’en a pas toujours Ă©tĂ© ainsi, souligne le caractĂšre relatif de ces structures qui, mĂȘme actuelles, ne sont pas Ă©ternelles ; il invite Ă  les Ă©valuer et Ă  en contester les limites ; il indique aussi comment elles se transforment et se diluent de façon rassurante sous l’emprise des sciences humaines et, en particulier, du « systĂšme psy » : les deux livres s’achĂšvent en effet par le « cercle anthropologique » et par l’« archipel carcĂ©ral », dans l’extension de la normalisation. L’assentiment recouvre les rapports de force et masque les rejets.
DĂšs le dĂ©part, Foucault alerte le lecteur : si souples et si stables soient les structures, elles restent provisoires. Dans l’Histoire de la folie Ă  l’ñge classique, Foucault reprend, comme une mĂ©moire, l’histoire antĂ©rieure oĂč, au Moyen Âge puis Ă  la Renaissance, la folie provoquait la fascination et avait un rĂŽle cosmique, critique ou tragique. Sultifera navis, dĂ©veloppĂ© au premier chapitre, rend possibles les Ă©chappĂ©es de notre modernitĂ© qui ouvrent dĂ©jĂ  sur une autre culture : Sade et Goya, Nietzsche et Artaud, Nerval et Van Gogh
 Ainsi ne sommes-nous pas enfermĂ©s dans l’enfermement mais attentifs Ă  toute faille, Ă  tout interstice, Ă  toute rĂ©sistance. Ainsi se constitue une problĂ©matique ouverte49.
De façon analogue, « L’Éclat des supplices », par quoi dĂ©bute Surveiller et punir, exprime des rapports de pouvoirs caducs : s’y exerce la rivalitĂ© victorieuse du souverain sur l’adversaire en une sorte de duel destinĂ© Ă  produire rituellement la vĂ©ritĂ©.
Le systĂšme de punition qui naĂźt des sociĂ©tĂ©s disciplinaires est tout autre : « VoilĂ  donc un supplice et un emploi du temps »50 annonce Foucault d’emblĂ©e. Cet Ă©cart, destinĂ© Ă  tĂ©moigner de l’origine historique des structures qui dĂ©butent au XVIIIe siĂšcle, montre du mĂȘme coup leur mutation – donc des rĂ©sistances-possible : lĂ  aussi ça peut changer, non de façon frontale ni globale, mais fragmentaire et incisive.
Qu’est devenu, depuis l’analyse de sa gĂ©nĂ©alogie, le traitement de la folie et sa rĂ©duction Ă  la maladie mentale ? Que vaut, Ă  prĂ©sent, l’institution psychiatrique ? En quoi cette Ɠuvre de Foucault a-t-elle, depuis trente ans, contribuĂ© Ă  mettre en question le savoir et les pratiques concernant les « malades mentaux » ? En quoi notre sensibilitĂ© s’est-elle ouverte Ă  des Ɠuvres issues de la dĂ©raison ? Peut-on parler aujourd’hui de « sociĂ©tĂ© disciplinaire » comme le fait Foucault en la dĂ©finissant par les contrĂŽles et quadrillages ? Qu’en est-il de l’institution pĂ©nitentiaire « oĂč le pouvoir est nu51 » ? Et peut-on toujours dire que les hĂŽpitaux, les casernes, les Ă©coles sont construits sur ce modĂšle ? Quelles formes d’exclusion rongent actuellement notre dĂ©mocratie et doit-on tenir leur fonction comme rĂ©vĂ©latrice de notre prĂ©sent ?
Rien ne serait plus grave que de figer des analyses dont Foucault montre justement la relativitĂ© et les dĂ©placements. C’est pourquoi nous devons nous demander quelle fonction joue actuellement, dans une sociĂ©tĂ© Ă  dominante sĂ©curitaire, l’ordre disciplinaire.
L’analogie de construction et de mĂ©thode entre les deux Ɠuvres rapprochĂ©es ici ne doit pas, d’autre part, faire oublier des diffĂ©rences. Il y a dĂ©placement du type d’exclusion : la folie n’est pas la dĂ©linquance ; nouĂ©e au nĂ©ant, elle a une dimension ontologique telle que le silence qui pĂšse sur elle en son rejet depuis le XVIIe siĂšcle, avant qu’elle ne devienne maladie mentale et objet de sciences, n’empĂȘche pas les percĂ©es crĂ©atrices qui – sourdement – dĂ©rangent le partage raison/dĂ©raison et qui surgissent dans notre propre culture. Il n’en est pas ainsi de « L’Éclat des supplices », non par adoucissement des mƓurs (la torture n’a pas disparu depuis le XIXe siĂšcle, notre dernier demi-siĂšcle en tĂ©moigne singuliĂšrement) mais parce que l’analyse des sociĂ©tĂ©s disciplinaires puis du systĂšme pĂ©nitentiaire qu’elles ont produit est d’ordre politique et historique. Ce passĂ© rĂ©volu est donc dĂ©crit lĂ  pour mettre en Ă©vidence l’origine du systĂšme, sa spĂ©cificitĂ©, sa pĂ©rennitĂ© relative sous d’autres apparences. Cette rupture historique n’a pas Ă  ĂȘtre jugĂ©e en termes de progrĂšs : la question elle-mĂȘme est trompeuse. C’est donc dans l’incertitude et dans une alerte constante qu’il faut mettre en cause les abus, les menaces, les glissements que ce systĂšme fabrique, les types d’exclusion qu’il engendre.
Il est Ă©vident aussi que l’élaboration des deux textes n’a pas Ă©tĂ© la mĂȘme. L’Histoire de la folie est le travail d’un chercheur curieux de cette « zone d’ombre » dont l’actualitĂ© n’est pas explicitĂ©e dans l’Ɠuvre elle-mĂȘme, bien que le problĂšme tienne Ă  la fois de l’intimitĂ© d’une expĂ©rience personnelle, des prĂ©occupations et des travaux prĂ©cĂ©dents de Foucault, d’une contestation de l’institution amorcĂ©e par des psychiatres et de l’inquiĂ©tude provoquĂ©e par l’utilisation des asiles psychiatriques sous le totalitarisme. Ses effets pratiques seront ultĂ©rieurs.
Surveiller et punir, je l’ai dĂ©jĂ  dit, est destinĂ© Ă  Ă©tayer et fonder historiquement le caractĂšre intolĂ©rable – intolĂ©rĂ© – non seulement de prisons oĂč se rĂ©voltent les dĂ©tenus mais, d’une façon plus gĂ©nĂ©rale, d’un systĂšme de surveillance que rĂ©vĂšlent la contestation et les luttes des annĂ©es soixante-dix. Le chercheur est aussi acteur et permet de lever le silence auquel, jusque-lĂ , Ă©taient contraints les dĂ©tenus et autres exclus : les gens concernĂ©s osent enfin parler, agir, rĂ©agir.
D’un texte Ă  l’autre aussi, les problĂšmes soulevĂ©s se sont dĂ©placĂ©s : Surveiller et punir entreprend l’analyse de la fonction du pouvoir, des rapports de force qu’il suppose, prĂ©cise son lien au savoir et oppose au centralisme du pouvoir – et Ă  sa globalitĂ© – « une microphysique des pouvoirs ». Il distingue aussi le rĂŽle des lois et des normes. Ces questions inaugurent la suite de l’Ɠuvre.
*
* *
Dans des propos tenus en 1978 et recueillis par Ducio Trombaroni, Foucault insiste sur l’importance de ce « premier livre », l’Histoire de la folie : « Son indĂ©cence, on l’a fait payer Ă  d’autres livres. » Et sur le fait qu’il n’écrit ses livres qu’en sĂ©rie : « Le premier reste en suspens, le second prend appui sur le prĂ©cĂ©dent, reste Ă  hauteur, en appelle un autre, sans qu’il y ait d’ailleurs entre eux une continuitĂ© linĂ©aire, ils se croisent et se recoupent. » C’est ainsi, allant de l’Histoire de la folie Ă  Surveiller et punir puis Ă  La VolontĂ© de savoir – sous un thĂšme qui les parcourt et les dĂ©place – que j’ai conçu le mouvement de ce livre. J’ai Ă©galement considĂ©rĂ© – quel qu’en fĂ»t le succĂšs – que Les Mots et les choses restait une Ɠuvre « marginale » Ă  cette orientation : « ce n’est pas mon vrai livre », dit-il ici en le jugeant moins personnel que ceux qui supposent l’espĂšce de force passionnĂ©e qui sous-tend des livres comme l’Histoire de la folie ou l’Histoire de la sexualitĂ©. Tandis qu’il ajoute : « C’est vrai que la folie, c’est vrai que la mort, c’est vrai que le crime sont pour moi les choses qui sont le plus intenses. » Ces propos de Foucault – que je ne connaissais pas en commençant ce livre – rĂ©pondent au mouvement que j’ai choisi : oĂč la suite de ces livres-expĂ©riences est aussi destinĂ©e Ă  transformer ceux qui les lisent et s’appuient dessus dans leur conduite et leur action. D’oĂč tout le dĂ©veloppement qui va maintenant se poursuivre, de l’Histoire de la folie Ă  Surveiller et punir puis Ă  La VolontĂ© de savoir.

Histoire de la folie

La folie et le néant

Jadis, au Moyen Âge, puis encore Ă  la Renaissance, mĂȘme si on chassait des villes les fous comme les Ă©trangers, mĂȘme si on les Ă©loignait Ă  jamais en les embarquant sur des navires « confiĂ©s aux riviĂšres aux mille bras, Ă  la mer aux mille chemins, Ă  cette grande incertitude extĂ©rieure Ă  tout », mĂȘme s’ils s’égaraient en des espaces secrets ou, parfois, abordaient sur des terres inconnues, le thĂšme de la folie, en son mystĂšre et sa proximitĂ©, fascinait les esprits.
Il double celui de la mort Ă  la fin du Moyen Âge : « Cette substitution ne marque pas une rupture mais plutĂŽt une torsion Ă  l’intĂ©rieur de la mĂȘme inquiĂ©tude. C’est toujours du nĂ©ant de l’existence qu’il est question, mais ce nĂ©ant n’est plus reconnu comme terme extĂ©rieur et final, Ă  la fois menace et conclusion ; il est Ă©prouvĂ© de l’intĂ©rieur comme la forme continue et constante de l’existence. » Ainsi assiste-t-on Ă  une montĂ©e de la folie, Ă  sa « sourde invasion ». Elle Ă©branle le monde : « Les montagnes s’effondrent et deviennent plaine, la terre vomit des morts et les os affleurent sur les tombeaux, les Ă©toiles tombent, la terre prend feu, toute vie se dessĂšche et mĂšne Ă  la mort. » Universelle fureur, guerriers Ă©chevelĂ©s de la folle vengeance, « c’est l’avĂšnement d’une nuit oĂč s’engloutit la vieille raison du monde ». Visions de JĂ©rĂŽme Bosch, de Bruegel, de DĂŒrer : Nef des fous, Chevaliers de l’Apocalypse, monstres et corps disloquĂ©s dans un univers peuplĂ© et quotidien, figures terrestres oĂč les crĂ©ateurs sont impliquĂ©s eux-mĂȘmes en cette folie qui les entoure et qui explose52

Images dĂ©nouĂ©es dĂ©jĂ  du discours qui donne Ă  la folie un rĂŽle critique (et non plus cosmique), constitutif de la sagesse, alternant avec une raison qui, ainsi, manifeste ses failles : « La folie n’est plus liĂ©e au monde et Ă  sa forme souterraine mais bien plutĂŽt Ă  l’homme, Ă  sa faiblesse, Ă  ses rĂȘves, Ă  ses illusions. » Ainsi est-elle mise Ă  distance ; Érasme la perçoit d’assez loin pour ĂȘtre hors de danger : elle n’est plus, dans L’Éloge de la folie, qu’un passage nĂ©cessaire Ă  la sagesse. Sans plus ĂȘtre Ă©trangetĂ©, elle reste familiĂšre au monde, immanente Ă  la raison et trouve sa forme ultime dans les jeux de théùtre oĂč, comme ScudĂ©ry dans La ComĂ©die des comĂ©diens, chacun ne sait plus ce qu’il est, d’acteur ou de spectateur : « Dans cette extravagance le théùtre dĂ©veloppe sa vĂ©ritĂ© qui est d’ĂȘtre illusion, ce qui est, au sens strict, la folie. » Du bouleversement cosmique aux jeux de miroirs, la folie s’affadit sans doute mais demeure une figure de la pensĂ©e. Elle trouve d’ailleurs, au mĂȘme moment, une force tragique qui n’est plus la folie du sage mais celle de la passion dĂ©sespĂ©rĂ©e sans autre recours que la mort.
Au dĂ©sordre de l’imaginaire pour CervantĂšs succĂšde le lien de la folie Ă  la mort et au meurtre dans les tragĂ©dies de Shakespeare ; la folie dĂ©chaĂźnĂ©e de Lady Macbeth, la douce joie d’OphĂ©lie, l’amĂšre dĂ©mence du roi Lear portent la mort en elles53.
Se dĂ©gage, en cette force, « la torsion qui lie et noue la folie et le nĂ©ant de façon si serrĂ©e qu’on la retrouve mĂȘme au centre de l’expĂ©rience classique ». En effet, si cette dimension est devenue souterraine, ce n’est qu’une occultation, non une disparition : « ObscurĂ©ment cette expĂ©rience tragique subsiste dans les nuits de la pensĂ©e et dans les rĂȘves. » C’est elle que Foucault dĂ©crira plus loin dans « La Transcendance du dĂ©lire » quand, en plein Ăąge classique, les passions dĂ©rivent en folie : si les nuits des dĂ©sirs de NĂ©ron, la nuit romaine de Titus, le songe d’Athalie, sont des rĂȘves nocturnes oĂč Racine maintient le partage entre tragique et folie ; si elles surplombent le jour sans le recouvrir, c’est au matin que, dans Andromaque, commence la nuit d’Oreste pour qui passion devient folie. Meurtre de Pyrrhus, trahison d’Hermione, tout s’obscurcit : « Mais quelle Ă©paisse nuit tout Ă  coup m’environne : les fantasmes sont terrifiants/Dieu quels ruisseaux de sang coulent autour de moi./Oreste appelle les Errynies : Venez pour m’enlever de l’éternelle nuit. » Sa passion pour Hermione – qui en est le principe et la fin – trouve dans la folie son achĂšvement. Cette fois le partage raison/dĂ©raison est transgressĂ© : c’est la nuit en plein jour, l’éblouissement, l’aveuglement54.
Ces pages – quelle splendeur – par lesquelles Foucault dĂ©crit ces nuits de Racine tĂ©moignent que, mĂȘme au XVIIe siĂšcle, la transgression du partage entre raison/ dĂ©raison et la montĂ©e de la dĂ©raison restent possibles en une Ă©chappĂ©e oĂč le tragique dĂ©passe le clivage. Cette transgression se retrouve au seuil de la modernitĂ© dans l’Ɠuvre de Goya et dans des pages de Sade. Elle est, depuis, « rĂ©veillĂ©e par les derniĂšres paroles de Nietzsche, les derniĂšres visions de Van Gogh », l’acte et le cri d’Artaud ne cessant « de proclamer que notre culture avait perdu son foyer tragique le jour oĂč elle avait repoussĂ© hors de soi la grande folie solaire du monde, les dĂ©chirements oĂč s’accomplit sans cesse la vie et mort de Satan le feu »55.
C’est Ă  travers elle, qui relativise le partage et le rejet de la folie hors du champ de la pensĂ©e, que se dessine – d’emblĂ©e – le projet d’ensemble de l’Histoire de la folie : « La belle rectitude qui conduit la pensĂ©e rationnelle jusqu’à l’analyse de la folie comme maladie mentale, il faut la rĂ©interprĂ©ter dans une d...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du mĂȘme auteur
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Prologue - Parcours et souvenirs
  7. I - Incertitude et finitude
  8. II - Normes et exclusions
  9. III - La constitution du sujet moral
  10. Liste des Ɠuvres de Michel Foucault
  11. Remerciements
  12. Table