De Darwin à Lévi-Strauss
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De Darwin à Lévi-Strauss

L’homme et la diversité en danger

  1. 288 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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De Darwin à Lévi-Strauss

L’homme et la diversité en danger

À propos de ce livre

Le célèbre naturaliste Charles Darwin, à l'aube de sa carrière,accomplit le périple qui lui permit de prendre la mesure de l'extraordinaire richesse du monde naturel. Pour lui, pas de vie sans évolution, et pas d'évolution sans diversité ! Un siècle plus tard, celui qui deviendra le très grand anthropologue Claude Lévi-Strauss, parti tout jeune à la découverte des peuples amazoniens, comprit que la diversité culturelle est tout aussi cruciale pour l'évolution de l'homme. Dans ce nouveau livre, Pascal Picq imagine que nos deux savants repartent à l'aventure, à la redécouverte du nouveau monde. Mais ce nouveau monde, Charles Darwin et Claude Lévi-Strauss seraient bien en peine de le reconnaître, tant la diversité naturelle et la diversité culturelle ont été atteintes. À mesure que des espèces disparaissent et que des cultures et des langues meurent, c'est notre avenir et celui de la Terre qui sont compromis. Darwin et Lévi-Strauss nous avaient avertis. Pourquoi ne les a-t-on pas compris ? Ne peut-on enfin les entendre ? Un appel passionné à une prise de conscience urgente et salutaire. Auteur de grands succès comme Au commencement était l'homme, Lucy et l'obscurantisme et L'homme est-il un grand singe politique ?, Pascal Picq est maître de conférences à la chaire de paléoanthropologie et préhistoire du Collège de France. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2013
Imprimer l'ISBN
9782738112248
TROISIÈME PARTIE
Une planète toujours plus (in)humaine


Chapitre 9
Des biodiversités et des hommes

Même si on ne parle pas assez de l’érosion de la biodiversité en général, on pense le plus souvent à quelques espèces emblématiques dites « drapeaux » (pandas, gorilles, baleines, tigres, etc.), rarement aux écosystèmes, encore moins à la biodiversité domestique et, plus inquiétant encore, à la diversité des populations et des cultures humaines.
Dès la fin de la dernière glaciation, notre espèce s’est retrouvée à la fois seule sur la Terre et sur toute la Terre. Pour des raisons qui nous échappent encore, plusieurs peuples vivant dans différentes parties du monde situées dans la bande des tropiques et les régions tempérées chaudes ont inventé indépendamment les uns des autres des formes d’agriculture. Le réchauffement du climat a favorisé l’éclosion de la biodiversité naturelle régionale au début de l’Holocène. Les hommes ont ainsi pu puiser dans ces trésors – véritable manne terrestre donnée par la nature – et sélectionner les plantes et les animaux domestiques. C’est en remontant à l’origine de ces variétés issues de processus de sélection exercés par les peuples éleveurs, horticulteurs et agriculteurs que Darwin a compris le rôle fondamental de la variation des caractères et a découvert le mécanisme de la sélection naturelle.
Cette agrodiversité est liée à des pratiques et à des savoir-faire portés par des mots, des langues, des gestes et des croyances. C’est l’un des facteurs les plus fondamentaux pour espérer conserver toute la biodiversité : il faut œuvrer pour que les peuples, les langues et leurs savoirs ne disparaissent pas, ce qui serait un désastre d’une ampleur encore plus dommageable que l’incendie de la grande bibliothèque d’Alexandrie. Les fanatiques du progrès, méprisant les autres peuples du haut de leur arrogance, ne valent pas mieux que les fous de Dieu.
OGM contre diversité ou la catastrophe assurée
Récemment, la multinationale Monsanto et l’association MACA, qui représente les grandes entreprises nord-américaines de l’agroalimentaire, ont envoyé une lettre à Michelle Obama pour critiquer le jardin dédié à l’agriculture biologique dans le parc de la Maison Blanche. Selon une étrange argumentation, elles craignent que cette vitrine donne une image dégradée de ce qu’elles appellent l’« agriculture conventionnelle ». Elles arguent que si les Américains se mettaient à en faire de même pour subvenir aux besoins de leurs familles, alors les États-Unis ne seraient plus leaders mondiaux dans le domaine des sciences, des techniques, de l’éducation, etc. De plus, cela priverait la population de tous les produits sains, savoureux et moins chers qu’elles sont censées produire. Or, depuis un demi-siècle, le nombre de variétés cultivées a été considérablement réduit et, ce qui est rarement précisé, celles qui sont les plus cultivées perdent de plus en plus leur saveur et ont vu leur qualité nutritionnelle diminuer de moitié. Outre le fait que les personnes les plus pauvres ne peuvent accéder aux marchés et aux supermarchés à cause du prix trop élevé de ces merveilleux produits, on se demande si les statistiques internationales sur l’état de santé des Américains sont les mêmes pour tous. Car il y a deux Amériques : celle des villes et des nantis ; celle des exclus. Hors des villes et des États développés, les statistiques portant sur la santé, l’éducation et l’espérance de vie des personnes sont celles du tiers-monde – tout particulièrement quand elles concernent les enfants. Est-il nécessaire de souligner la corrélation qui existe entre l’importance de l’« agriculture conventionnelle », le taux d’obésité et la baisse de l’espérance de vie ?
Le lobby OGM dirige une croisade redoutable contre toutes les autres formes d’agriculture. C’est devenu un débat idéologique dans lequel les partisans du pour et ceux du contre ne regardent pas les faits. Et quand une étude évoque des effets nocifs sur la santé, c’est la levée de boucliers au nom du progrès et de la promesse d’un avenir radieux. « Descartes, réveille-toi ! » : tel était le titre d’un article de journal à propos de l’étude menée par Gilles-Éric Séralini, qui décrivait les effets pathogènes des OGM sur des rats nourris avec des aliments en contenant. De fait, cette recherche présentait diverses failles méthodologiques et déontologiques, qui ont été rapidement montées en épingle par les défenseurs acharnés des OGM. D’un point de vue strictement scientifique, la démarche expérimentale suivie par ce chercheur soulève certes des interrogations légitimes, ce qui affaiblit ses conclusions. Cependant, elles soulignent surtout la faiblesse des moyens de la recherche publique sur les effets possibles des OGM sur la santé. Car le principe de précaution devrait servir à cela : non pas se priver de faire de nouvelles expériences, mais mener des recherches indépendantes qui évaluent les risques. Réciproquement, ne serait-il pas tout aussi pertinent de scruter la méthodologie et la déontologie des études à très court terme qui donnent un imprimatur complaisant aux travaux louant les avantages à venir des OGM ? Notre pays, qui se targue pourtant d’être cartésien, se montre parfois incertain sur ce qu’est une démarche scientifique. Les croyants se braquent contre toute étude égratignant leurs certitudes, sans aucune analyse critique des fondements scientifiques de leurs convictions. À qui la charge de la preuve ? Pour eux, ne compte que ce qui abonde dans le sens de leurs convictions.
La question n’est pas d’être pour ou contre les OGM mais, d’un point de vue évolutionniste et anthropologique, de déterminer ce qu’ils apportent de plus pour les agricultures de demain. Toute politique agricole qui tend à réduire la diversité des variétés et des savoirs qui vont avec ne constitue rien de moins qu’une atteinte à nos possibilités de nous adapter aux changements en cours et de mettre un terme brutal à l’Anthropocène. On remarque que ce sont les mêmes qui contestent l’influence des hommes sur le réchauffement climatique et qui soutiennent le tout-OGM, alors que les agricultures de demain auront besoin des variétés de plantes conservées par les agriculteurs traditionnels contre les vents et les marées des idéologies progressistes. De plus, les industries agroalimentaires savent fort bien qu’elles auront besoin de piller dans la diversité des plantes sélectionnées par les peuples agriculteurs et horticulteurs pour adapter leurs merveilleuses semences, comme cela s’est déjà fait et se fera encore. Si on ne les a pas éliminés auparavant… Dans ce cas, on ne rétribue pas ces agriculteurs au prétexte que leurs variétés sont issues d’une longue série empirique d’essais et d’erreurs. Plus cynique encore : si le champ d’un agriculteur est pollué par des OGM, il doit verser des indemnités au risque d’un procès – et de le perdre comme cela s’est passé au Canada – car ces plantes sont brevetées ! C’est ainsi qu’on peut piller ces agriculteurs traditionnels et producteurs de diversité tout en les condamnant si leurs champs sont pollués par des OGM.
Ces grandes compagnies seraient bien plus avisées de soutenir et de maintenir cette diversité séculaire indispensable pour leur propre survie et accessoirement pour celle de l’humanité. Et puis, promettre la sécurité alimentaire reposant sur les seuls OGM est au pire un mensonge et au mieux une ineptie, mais lourde de conséquences. Les OGM – mais pas leurs mauvaises pratiques – apporteront certainement des améliorations. Toutefois, nourrir l’humanité de demain passera aussi par d’autres moyens. Il s’agira d’abord d’éduquer les peuples nantis et obèses à ne plus gâcher comme ils le font de 20 à 50 % de la nourriture achetée. Ailleurs, comme en Inde, il conviendra de mettre en place des moyens de stockage et de transports efficaces pour éviter un taux effarant de perte avoisinant parfois les 50 %. Qu’apporteront les OGM contre la spéculation, la corruption et la manipulation des marchés ? Les moyens les plus divers doivent être mis en œuvre : scientifiques, techniques, économiques, éducatifs et, surtout, anthropologiques en préservant la diversité des pratiques agricoles qui disparaissent à un rythme dramatique. Michelle Obama et Pierre Rabhi nous invitent à cultiver à nouveau notre jardin.
Des vers de terre et des hommes
Notre petite planète toujours bleue, mais aux océans de plus en plus acides, n’en peut plus. Une guerre des mondes se poursuit dont les ravages sont incommensurables entre notre monde macroscopique et les microcosmes que nous détruisons sans le savoir et sans lesquels nous ne serions rien et nous ne serons plus rien.
L’ensemble de la surface terrestre couvre cinquante et un milliards d’hectares. Sur les quinze milliards d’hectares émergés, un tiers, soit cinq, sont arables. Les organismes officiels parlent de surfaces arables utiles ou utilisées (SAU). Il y a évidemment plus de SAU potentiellement utilisables que celles déjà utilisées. Actuellement, il y a à peu près autant de terres cultivées que d’autres en pâturages, soit respectivement plus de 1,5 milliard d’hectares. On pourrait donc croire qu’il suffit d’augmenter les surfaces cultivées, ce qui implique de continuer à assécher les dernières zones humides et d’éradiquer les dernières grandes forêts. Outre les effets négatifs sur l’environnement, la biodiversité et le réchauffement climatique, c’est ignorer la course folle entre les nouvelles terres conquises pour la production de nourriture – plus de deux cent cinquante millions d’hectares gagnés depuis un demi-siècle – et celles perdues par perte de matières organiques due à l’usage effréné de pesticides et à la salinisation des sols consécutive à l’abus d’irrigation (plus de trois cents millions d’hectares lessivés). Les gains futurs en terres arables se concentrent essentiellement dans les continents du Sud – Amérique latine et Afrique, mais pas l’Australie qui a saccagé ses environnements comme Darwin l’avait craint en son temps –, un peu en Europe et très peu en Asie, sauf en Sibérie avec le réchauffement climatique. Et on sait que la guerre pour accaparer les terres arables a déjà commencé, les pays asiatiques achetant des millions d’hectares, comme à Madagascar et ailleurs en Afrique.
La plus grande diversité de bactéries, de champignons et de micro-organismes se trouve dans la couche de trente centimètres de la surface des sols. Pas moins de 80 % de toute la biodiversité ! Notre monde macroscopique repose sur la vitalité de ces microcosmes que nous piétinons sans le savoir. Un hectare de prairie capture autant de CO2 que la même superficie de forêt (pas celles plantées que de pins), mais à condition que les dix millions de vers de terre qu’il contient puissent mener leur activité de jardinier en remuant pas moins de deux cents millions de tonnes de terre et en transportant quatre-vingt-dix millions de tonnes de matière organique par an. Les petits tunnels creusés par les vers de terre profitent à la croissance des racines des plantes, trouvant des nutriments et fixant l’azote. Nos sols, avec leurs matières précieuses argileuses et leur richesse en biodiversité dispersée par les vers de terre, se sont formés juste après la dernière glaciation et nous les dégradons au rythme de l’accumulation des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique. Darwin a été le premier à comprendre que les vers de terre jouaient un rôle fondamental pour l’agriculture. Il s’est amusé à faire des expériences étonnantes, comme d’en placer dans un verre posé sur un piano et de regarder s’ils réagissaient à la musique… Or les lombrics ne sont pas mélomanes. En revanche, ils se montrent sensibles aux vibrations lorsque le verre se trouve sur les cordes du piano. Recherche délicieusement inutile pour nos démiurges agrochimistes engagés dans une course folle vers une productivité qui sature depuis des années et se maintient au prix exorbitant de toujours plus d’engrais chimiques et d’eau, détruisant toute cette amicale biodiversité offerte par l’évolution. Car le taux de production des plantes OGM n’est pas supérieur à celui des agricultures conventionnelles et les principaux OGM ne sont pas inventés pour améliorer la productivité, mais pour résister aux pesticides vendus pas les mêmes grandes compagnies.
Personne ne conteste les succès de la « révolution verte » qui a permis de nourrir une population mondiale passée de trois à six milliards d’individus sur la Terre dans la seconde moitié du XXe siècle. En France et dans les grands pays agricoles, la productivité du blé et des autres céréales a été multipliée par un facteur 3. Cette évolution repose sur la mécanisation, l’industrialisation et l’usage d’engrais chimiques venus de l’industrie du pétrole. Or ce modèle ne peut se prolonger, et ce, pour deux raisons : la limite des terres arables, puisque ce mode de production détruit plus de terres qu’on en gagne par ailleurs, et en raison d’un changement qualitatif du régime alimentaire conduisant à une consommation accrue de viande. On estime qu’actuellement 80 % des forêts détruites, notamment en Amérique du Sud, le sont du fait de l’extension des pâturages, mais surtout de la culture du soja et des céréales servant à nourrir le bétail, notamment le bœuf (80 % de la viande de bœuf consommée en Europe provient d’Amérique du Sud). Plus de 1,3 milliard de bovins pétant et éructant des gaz à effet de serre peuplent la Terre et deux tiers des surfaces agricoles sont consacrés directement ou indirectement à leur élevage.
D’autres chiffres récents sont tout simplement effarants : nous dévorons plus de soixante milliards d’animaux par an et en un siècle nous sommes passés, en moyenne, d’une consommation de deux mille kilocalories par jour et par personne à… deux cent trente mille kilocalories. Un facteur 100 dû moins à ce que nous absorbons par jour qu’aux coûts liés à la dégradation et au gaspillage le long de la chaîne alimentaire, ainsi qu’à tous les coûts liés au transport, à la transformation, à la distribution et, au bout du bout, au gaspillage de ce qui a été acheté et est jeté dans nos poubelles (près de la moitié dans les pays riches). Et tout cela avec de fortes disparités puisqu’un Américain englouti deux fois plus de calories par jour (plus de quatre mille kilocalories) qu’un Africain. Sur sept milliards d’enfants, de femmes et d’hommes, près d’un milliard souffrent de la faim tandis qu’autant se trouvent obèses. La Terre devrait s’appeler Ubutopie !
De tels chiffres peuvent surprendre, mais pas si on regarde ce que représente un kilogramme de viande de bœuf en équivalent en eau, en surface de terre agricole ou même en termes d’empreinte écologique (toutes ces comparaisons donnent les mêmes proportions). Si on prend comme échelle de mesure la surface agricole, il faut 6 m2 pour produire 1 kg de légumes ; 16 m2 pour 1 kg de riz ou de céréales ; 53 m2 pour 1 kg de poulet ou de porc (animaux monogastriques qu’on peut nourrir avec des déchets) ; 200 m2 pour 1 kg de poisson (sachant qu’il faut 2 kg d’autres poissons pour obtenir 1 kg de poisson dans notre assiette, auxquels s’ajoute le même poids en fuel pour le pêcher) et plus de 320 m2 pour 1 kg de viande de bœuf (dont les deux tiers ne servent pas à la boucherie). (Tout au long de cette chaîne alimentaire, on perd 90 % des protéines, 99 % des hydrates de carbone et 100 % des fibres.) Sachant qu’en un demi-siècle la consommation globale de viande a augmenté de quarante millions de tonnes à bientôt trois cents millions de tonnes, on n’est pas surpris de l’ampleur des dégradations qualitatives à la fois sur les environnements et la santé des femmes et des hommes. Nous sombrons dans un cauchemar carné avec une humanité à l’image des tableaux du peintre contemporain Francis Bacon.
À cela s’ajoutent des impacts désastreux sur l’environnement. L’élevage intensif des animaux dans les pays industrialisés – sans parler de leur bien-être – entraîne de fortes pollutions affectant la qualité des eaux et des sols, sans oublier les désagréments comme les épandages de lisier. Ailleurs, dans les pays pauvres aux conditions écologiques sensibles, les troupeaux fragilisent les écosystèmes et participent à la désertification. On apprécie les changements en cours quand on sait que, traditionnellement, les troupeaux paissaient et broutaient en périphérie des terres cultivables comme les parties humides, les régions semi-arides et les zones d’altitude. Or, actuellement, deux tiers des cultures se destinent à la nourriture d’animaux enfermés dans des bâtiments et qui, comme les agriculteurs, ne foulent plus les sols de leurs bottes ou de leurs sabots. (De même le long des côtes avec l’eutrophisation qui favorise les algues vertes et toxiques, ainsi que les conditions de concentration de poissons en aquaculture, exigeant un usage affolant d’antibiotiques et les fermes à crustacés qui ont éliminé les mangroves.) C’est ainsi que les pauvres vaches folles sont devenues les boucs émissaires de nos folies agricoles et consuméristes.
L’avenir de l’agriculture sera écologiquement intensif et non plus chimiquement intensif. Des progrès indéniables sont intervenus, mais tout succès a des conséquences. Le tout est de s’adapter, de conserver et d’améliorer ce qui marche – et il y a des OGM – et d’éliminer les mauvaises pratiques, pas forcément délétères en soi, mais qui le sont devenues par excès. Il s’agit tout simplement d’évolution. Toujours Darwin et ses chers vers de terre. Les monocultures détruisent à elles seules 40 % de la biodiversité et cela s’élève à 80 % si on ajoute les effets des pesticides. Elles ruinent aussi trop de petits paysans dans le monde, donc des cultures et des agricultures. Or, quel sinistre paradoxe, tous ces petits paysans, détenteurs des derniers trésors de la biodiversité agricole végétale et animale, crèvent de faim ! Être darwinien, ce n’est pas éliminer les autres et les plus faibles, c’est préserver autant que possible toutes les formes de diversité pour répondre à des changements complexes dont personne ne maîtrise les processus.
Toutes les études d...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Sommaire
  6. Introduction - LES HOMMES DE RIO
  7. PREMIÈRE PARTIE - Comment les voyages forment la conscience
  8. DEUXIÈME PARTIE - L’inconscience de l’évolution
  9. TROISIÈME PARTIE - Une planète toujours plus (in)humaine
  10. Conclusion
  11. Esquisse des progrès de l’esprit et des sociétés humaines
  12. Remerciements
  13. Du même auteur