Persiste et signe
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Persiste et signe

  1. 480 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Persiste et signe

À propos de ce livre

Ministre de Charles de Gaulle et de François Mitterrand, maire, préfet, parlementaire, commissaire européen, délégué du gouvernement en Nouvelle-Calédonie, Edgard Pisani a été l'un des acteurs privilégiés d'un demi-siÚcle de vie politique française et internationale. Il raconte le roman vrai de la République au travail. Au gré des postes occupés, des tùches accomplies, des silhouettes vues et des voix entendues.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1992
Imprimer l'ISBN
9782738101501
ISBN de l'eBook
9782738161710

Nouvelle-Calédonie


Une crise grave, une tĂąche difficile, une cruelle aventure, un dossier complexe, un grand amour secret, une terre Ă  moi interdite, une angoisse qui demeure.
Je ne m’attendais pas Ă  cette mission calĂ©donienne et comme, Ă  la date de ma nomination, j’ignorais tout du territoire et de l’ocĂ©an lointains, je n’imaginais pas que les mois que je leur consacrerais marqueraient si profondĂ©ment leur trace, changeraient si profondĂ©ment le sens, la couleur de mon chemin.
C’était en novembre 1984. J’étais partagĂ© entre la passion de conclure la nĂ©gociation de LomĂ© et l’amertume que m’inspirait l’attitude de Claude Cheysson. Il Ă©tait, en dĂ©pit de toutes les promesses, soutenu par le prĂ©sident de la RĂ©publique qui m’avait pourtant bien dit que nul ne me remplacerait si je souhaitais rester Ă  Bruxelles.
Fin novembre, je menais mes derniers combats : j’avais soixante-six ans, je savais que je quitterai la CommunautĂ© europĂ©enne quelques semaines plus tard ; j’avais en vain cherchĂ© une autre tĂąche ; je me rĂ©solvais mal Ă  l’idĂ©e de vivre bientĂŽt de petits boulots ou d’exercer des fonctions bĂ©nĂ©voles dĂ©pourvues de toute responsabilitĂ© rĂ©elle. J’étais amer et je savais pourquoi : j’avais peur du temps vide de mes prochaines annĂ©es alors que je me sentais dans un Ă©tat de rĂ©elle plĂ©nitude.
Cette amertume le disputait Ă  la frĂ©nĂ©sie studieuse de la nĂ©gociation. AprĂšs deux ans de recherches, de discussions, d’affrontements mĂȘme, nous venions de nous mettre d’accord sur le contenu financier de la Convention, sur les droits de l’homme et le « dialogue sur les politiques ». Le texte Ă©tait entre les mains des copistes et des traducteurs. Il me fallait encore, avant de me rendre Ă  LomĂ©, visiter le Cap-Vert, la GuinĂ©e-Bissau et l’Angola. Dans quinze jours, tout serait bouclĂ©, signĂ©, je ferais mes bagages et prendrais ma retraite. Je n’ai jamais su prononcer ce mot ni bien comprendre ce qu’il veut dire. En dĂ©pit des apparences et de la rĂ©putation qu’on m’a faite, je ne suis pas un travailleur mais plutĂŽt un paresseux qui travaille. Qui travaille beaucoup, peut-ĂȘtre plus par angoisse que par ambition. L’allure de pĂšre tranquille que je me suis finalement donnĂ©e cache la peur, chevillĂ©e au corps depuis bientĂŽt cinquante ans, de n’avoir rien Ă  faire. De n’avoir rien Ă  faire, de ne pouvoir rien faire pour changer le monde qui m’inspire insatisfaction et rĂ©volte.
C’est la fin de l’aprĂšs-midi d’un samedi oĂč je traverse Paris entre Bruxelles et Dakar, d’oĂč je me rends Ă  PraĂŻa. Je suis avec Maurice Guerrin, mon compagnon d’équipĂ©e : si passionnĂ©, si exigeant, si chaleureusement dĂ©vouĂ©. Je le quitte pour quelques heures : il y a fĂȘte chez mon frĂšre aĂźnĂ© qui marie son fils. Il m’accueille en me racontant une histoire
 drĂŽle : « Tu vas recevoir un appel tĂ©lĂ©phonique. Le Premier ministre veut te joindre. Quand on me l’a dit, j’ai cru d’abord qu’il s’agissait d’une plaisanterie et j’ai demandĂ© : “Il s’agit du Premier ministre de Chine sans doute ?” Mais pas du tout ; il s’agit bien de Laurent Fabius. Il va te rappeler vers sept heures. »
J’étais fier qu’on me coure aprĂšs. Mais pourquoi ? J’étais accablĂ© par la rĂšgle qui veut depuis bientĂŽt quarante ans que mon secrĂ©tariat puisse me joindre Ă  tout instant, oĂč que je sois.
« AllĂŽ ! Edgard ? Puis-je te voir demain matin ? Je sais que tu t’envoles pour l’Afrique. Il faut absolument que nous nous rencontrions avant. – Oui, mais pourquoi ? – Tu connais la situation de la Nouvelle-CalĂ©donie. On a pensĂ© Ă  toi
 Peux-tu ĂȘtre chez moi demain matin Ă  dix heures, place du PanthĂ©on ? » Je dis Ă  Carmen, Ă  mes frĂšres et sƓurs rĂ©unis lĂ , la question qui va m’ĂȘtre posĂ©e, la dĂ©cision qu’il va me falloir prendre. Je n’oublierai jamais le regard Ă©perdu de ma jeune femme et la tĂȘte de ma grande sƓur appuyĂ©e sur mon Ă©paule. Elles savent mieux que moi que j’accepterai, que rien ne m’en empĂȘchera. Elles devinent mieux que moi les dangers qui m’attendent.
Je n’ai jamais eu avec Laurent Fabius de rĂ©elles relations. À peine quelques rencontres furtives dans les couloirs du Parti socialiste. Trop poli, trop savant, trop sĂ»r de lui. Il a failli, lorsqu’il a constituĂ© son gouvernement, me confier le ministĂšre de l’Éducation nationale et me permettre d’accomplir mon rĂȘve de toujours. Jean-Pierre ChevĂšnement l’en a dissuadĂ© : « Comment, au moment oĂč les communistes s’en vont, nommer Ă  ce poste stratĂ©gique un homme qui vient du gaullisme ? Ce serait mal compris par les militants. »
Le grand atelier oĂč je suis reçu est large ouvert sur le PanthĂ©on. Mais le dĂŽme est un peu trop proche, presque encombrant. Le Premier ministre est dans sa tenue du dimanche matin. Il sait le voyage que je vais entreprendre. Il a voulu me saisir au vol. Il m’analyse la situation qui prĂ©vaut en Nouvelle-CalĂ©donie et les inquiĂ©tudes qu’elle inspire. L’actuel haut-commissaire est au bout de son rouleau. Il faut qu’il rentre le plus tĂŽt possible parce que tout cela peut tourner au drame. La dĂ©cision sera prise dans les tout premiers jours de dĂ©cembre. Les candidats ne se pressent pas aux portes ; ça se comprend. On a pensĂ© Ă  moi : ma rĂ©putation, ma connaissance des problĂšmes du dĂ©veloppement et de ceux de l’ordre public, mon expĂ©rience, mon sang-froid
 j’en passe et des meilleures.
Je pose quelques questions. Je dis que je ne suis pas libre. Que je ne suis vraiment pas candidat. Qu’il faut chercher quelqu’un d’autre. Que je ne connais ni le pays ni sa situation. Que j’ai Ă  peine suivi les Ă©vĂ©nements dans la presse
 Mais je n’articule pas un non franc et massif. Ai-je dĂ©jĂ  acceptĂ© ? Et pourquoi ? VanitĂ©, fatalitĂ©, sens du service, peur de l’inaction. Je n’ai pas refusĂ© et laisse Laurent Fabius devant une incertitude. Il doit se dire qu’on finira par me convaincre. François Mitterrand en particulier, au nom et avec le consentement duquel il m’a pressenti. Nous nous sĂ©parons en convenant de ce qu’un dossier me sera portĂ© Ă  l’aĂ©roport, au moment oĂč je partirai pour l’Afrique. Je le reçois en effet mais c’est plus une pile de documents qu’un vĂ©ritable dossier. Il y a Ă  boire et Ă  manger. Juste de quoi dĂ©niaiser l’ignorant que je suis. L’expĂ©rience m’enseigne que plus il y a de tableaux de chiffres moins le dossier est significatif.
Curieuse randonnĂ©e que la nĂŽtre. Maurice Guerrin et moi vivons en quelque sorte une double existence : je suis encore commissaire europĂ©en au contact des problĂšmes de l’Afrique et nous Ă©tudions les dossiers de l’éventuel haut-commissaire en Nouvelle-CalĂ©donie. En fait le grand continent occupe moins notre esprit que ne le fait la petite Ăźle. Alors que je parade et je palabre, Maurice Guerrin Ă©tudie les documents qui nous ont Ă©tĂ© remis. En avion, la nuit, le matin au petit dĂ©jeuner, il me les commente. Ce qui nous frappe, c’est l’absurde Ă©tat du territoire, les inĂ©galitĂ©s, le sous-dĂ©veloppement, le caractĂšre artificiel de l’économie plus encore peut-ĂȘtre que le conflit racial ou le problĂšme politique. Ce qui nous frappe, ce sont les mĂ©faits du rĂ©gime colonial maintenu : la comparaison avec ce que nous avons sous les yeux s’impose comme un refrain lancinant. DĂ©jĂ  nous esquissons des plans. Comment lire un tel dossier sans se prĂȘter inconsciemment le rĂŽle de redresseur ?
Nous voici nous posant Ă  Dakar pour faire un saut jusqu’à Paris avant de repartir pour l’Angola : le continent africain est organisĂ© comme l’hexagone oĂč il faut passer par la capitale pour aller de Clermont-Ferrand Ă  Bordeaux. La porte de l’avion est Ă  peine ouverte qu’un personnage fort entourĂ© se prĂ©cipite dans la carlingue et vient vers moi pour me dire qu’un appel tĂ©lĂ©phonique du Premier ministre m’attend dans son bureau. Je croyais qu’il n’y avait pas de Premier ministre au SĂ©nĂ©gal
 Mais non ! Il s’agit de Laurent Fabius et l’émissaire est le directeur de l’aĂ©roport de Dakar.
On me demande, on me somme de rentrer Ă  Paris et d’y rester, d’annuler mon voyage en Angola : la dĂ©cision que je sais doit absolument ĂȘtre prise dans les quarante-huit heures. J’argue de l’importance de ma visite Ă  Luanda, je rĂȘve de la signature de LomĂ© qui doit avoir lieu le 7 dĂ©cembre. AprĂšs tout, je suis un « fonctionnaire » international et ne suis pas aux ordres du gouvernement français
 Autant en emporte le vent.
Laurent Fabius me reçoit Ă  Matignon. La situation s’est aggravĂ©e. Le gouvernement se rĂ©unit tout exprĂšs dans l’aprĂšs-midi. Le prĂ©sident de la RĂ©publique m’attend. Il ne faut pas qu’on me voie Ă  l’ÉlysĂ©e : j’entrerai par « l’escalier dĂ©robĂ© ».
François Mitterrand a un air trĂšs grave. Je ne l’ai pas revu depuis qu’il m’a promis que je resterai Ă  Bruxelles. Il me dĂ©crit la situation avec la prĂ©cision d’un chirurgien. Il cache mal une rĂ©elle Ă©motion. Tant de choses sont en cause : des vies humaines, l’autoritĂ© de l’État, la prĂ©sence française dans le Pacifique, la crĂ©dibilitĂ© du gouvernement. Il est convaincu que les choses doivent profondĂ©ment changer. Mais pas comme ça, plutĂŽt suivant une dĂ©marche maĂźtrisĂ©e. Le mot d’indĂ©pendance ne lui fait pas peur mais il faut garder des liens. Il faut apaiser pour construire.
« J’ai pensĂ© Ă  vous. Votre mandat europĂ©en prend fin dans quelques semaines. Vous cherchiez une nouvelle mission, je vous propose de partir pour NoumĂ©a. C’est une tĂąche Ă  votre mesure. Il faudra faire appel Ă  toute votre expĂ©rience et Ă  toutes vos qualitĂ©s. Je suivrai personnellement les affaires calĂ©doniennes, vous travaillerez en relation directe avec moi. Le problĂšme est ethnique peut-ĂȘtre. Il est politique et social. Nous n’avons pas su, les EuropĂ©ens n’ont pas voulu faire aux Canaques la place qui leur revient
 J’ai convoquĂ© un Conseil des ministres pour cet aprĂšs-midi : pour analyser la situation, dĂ©cider de certaines mesures d’urgence et nommer le haut-commissaire, dĂ©lĂ©guĂ© du gouvernement. Acceptez-vous le poste que je vous propose ?
– Avez-vous d’autres titulaires possibles ?
– On en trouverait sĂ»rement un. Mais c’est vous qui convenez le mieux.
– 

– Acceptez-vous ?
– Monsieur le prĂ©sident de la RĂ©publique, le problĂšme ne se pose pas dans ces termes. Il ne s’agit pas pour moi d’accepter ou de ne pas accepter. Je suis, quoique retraitĂ©, un serviteur de l’État. Il vous appartient de dire si mon dĂ©part pour NoumĂ©a est utile ou nĂ©cessaire. S’il l’est, je partirai sans songer Ă  m’interroger sur mes sentiments ou mes intĂ©rĂȘts. » Je suis mentalement au garde-Ă -vous. Je tremble car je sais ce qui m’attend : je viens de libĂ©rer la fatalitĂ© qui me courait aprĂšs depuis quelques jours.
– Merci. »
Il me regarde avec une intensitĂ© que je ne lui ai jamais connue. Est-il possible qu’il Ă©prouve pour moi quelque sentiment de reconnaissance ? Mais il se ressaisit et, d’un ton tranquille et assurĂ©, il m’indique que le Conseil se rĂ©unit dans l’aprĂšs-midi. Il faut qu’on puisse me joindre dĂšs que la dĂ©cision aura Ă©tĂ© prise. Il faut que je me tienne prĂȘt.
Je rentre chez moi, Ă  Paris, oĂč Carmen m’attend. Elle m’en veut sĂ»rement d’avoir cĂ©dĂ© aux injonctions de ma rĂšgle et aux sollicitations du PrĂ©sident. DĂšs cet instant, naĂźt chez elle un sentiment de crainte pour tous les risques que je vais courir. Elle a dĂ©cidĂ© de me suivre. Je tente Ă  peine de la dissuader. Elle prĂ©fĂšre ĂȘtre lĂ , prĂšs de moi, sachant et vivant tout Ă  tout instant plutĂŽt que d’attendre au tĂ©lĂ©phone la mauvaise nouvelle. Je suis envahi de tendresse et d’admiration. Mais il faut s’occuper de l’intendance : nous allons partir pour des mois et nos affaires sont Ă  Bruxelles. Elle y partira dĂšs que Jean-Louis Bianco m’aura dit le verdict. J’appelle Christian Blanc qui est dans sa prĂ©fecture de Tarbes et Daniel Germain, mon assistant Ă  Bruxelles, sans l’appui duquel je ne sais plus travailler. J’informe Maurice Guerrin qui s’offre Ă  m’accompagner si, du moins, la chose me paraĂźt utile. Les copains sont lĂ . Ça ira.
Jean-Louis Bianco me dit le rĂ©sultat du Conseil. La dĂ©libĂ©ration a durĂ© bien plus qu’on ne l’imaginait. Il y a eu un vrai dĂ©bat et des opinions contradictoires se sont exprimĂ©es. Il a fallu que le PrĂ©sident monte au crĂ©neau pour bien affirmer les principes de la politique que la France entend suivre Ă  l’égard de ces populations auxquelles la RĂ©publique a confĂ©rĂ© la citoyennetĂ© mais qu’elle n’a pas Ă©tĂ© capable d’intĂ©grer.
Le mandat est clair, implicitement au moins : retour Ă  l’ordre et Ă©volution du droit et du fait jusqu’à Ă©tablir une paix durable. AprĂšs la CalĂ©donie, il faudra prendre en considĂ©ration la rĂ©alitĂ© des dĂ©partements d’outre-mer : comment peut-on concilier l’indivisibilitĂ© de la RĂ©publique et l’irrĂ©ductible originalitĂ© de certains de ses composants ?
InformĂ© de ma nomination, j’accĂ©lĂšre le rythme et me donne quelques jours, une dizaine peut-ĂȘtre suivant la tradition prĂ© fectorale, pour rejoindre mon poste. Je rĂȘve encore d’un saut Ă  LomĂ©, le 7 dĂ©cembre, pour signer « ma » Convention. Nous sommes le 1er.
Jean-Louis Bianco me rappelle Ă  une plus juste considĂ©ration des choses : « Vous partez demain aprĂšs-midi. Le PrĂ©sident met Ă  votre disposition son avion personnel. Vous avez demain matin une rĂ©union place Beauvau oĂč le ministre de l’IntĂ©rieur, Pierre Joxe, rĂ©unit un certain nombre d’hommes qui connaissent la Nouvelle-CalĂ©donie. Ainsi pourrez-vous bavarder avec eux et choisir peut-ĂȘtre tel ou tel collaborateur. Vous aurez besoin d’une Ă©quipe Ă  vous. »
On imagine le rythme des heures. Je ne pense plus à la Calédonie mais aux bagages et au voyage. Carmen est partie faire les valises. Je la prendrai
 au passage. Nous partirons avec Christian Blanc et Daniel Germain.
À l’IntĂ©rieur, je bavarde avec Pierre Joxe. Toujours aussi bien campĂ© dans la fonction qui est la sienne et par rapport Ă  la situation qu’il doit affronter. Je rencontre des hauts fonctionnaires. Chacun me dit son regard, son expĂ©rience, son analyse. Peu Ă  peu se prĂ©cise en moi une vue
 impressionniste de ce territoire encore fait dans mon esprit de piĂšces et de morceaux. Il faudra bien vite lui donner une figure, inventer un avenir et d’abord avoir une vision : je suis incapable, je le sais, d’accomplir des actions, de prendre des dĂ©cisions qui ne se logent pas dans une apprĂ©hension globale et dynamique des choses.
Avant de rouler vers Villacoublay, je passe Ă  Matignon pour rencontrer le Premier ministre. Rite nĂ©cessaire. À la sortie, je suis assailli par la presse. Je n’ai rien Ă  lui dire, sinon des mots sans importance. Je me rĂ©fĂšre Ă  mon expĂ©rience de prĂ©fet, ordre public, et Ă  celle de commissaire europĂ©en, dĂ©veloppement.
À l’aĂ©roport de Bruxelles, il y a, venus tout exprĂšs, ceux que je quitte : Gaston Thorn, si chaleureux, il ira Ă  LomĂ©, signer Ă  ma place. Il y fera, je le saurai plus tard, un discours tout empreint de sympathie ; il y a Dieter Frisch, mon directeur gĂ©nĂ©ral au dĂ©veloppement, un compagnon parfait, efficace, autonome et loyal ; il y a les copains : Jean-Charles Leygues, Jean Delorme, Paul Ramadier. Maurice Guerrin me rejoindra bientĂŽt. J’embarque Carmen et Daniel Germain. Nous partons Ă  quatre puisque Christian Blanc m’accompagne depuis Paris.
Voyage interminable que Daniel Germain Ă©gaie de ses plaisanteries Ă©normes et de ses rires communicatifs. Nous parlons du dossier. Nous sondons l’inconnu. Nous essayons d’imaginer ce que sera la vie de tous les jours. Nous feuilletons les documents, nous collationnons les indications recueillies place Beauvau. Nous tournons en rond, le plus vite possible pour ne pas connaĂźtre l’angoisse. Nous connaissons de nombreuses escales car l’avion est un court-moyen courrier. Assez confortable. La chĂšre y est bonne. Sur chaque aĂ©roport, je suis accueilli par l’ambassadeur de France ou l’un de ses collaborateurs : ils viennent me saluer, me remettre les tĂ©lĂ©grammes relatifs Ă  la Nouvelle-CalĂ©donie : la situation se tend. Aux heures trop courtes succĂšdent des heures bien longues. À Darhan, devenu cĂ©lĂšbre depuis, sous un soleil de plomb, l’appareil est mis Ă  l’écart, loin de tout. Quatre soldats de l’armĂ©e saoudienne en armes viennent l’encadrer et nous interdisent de nous dĂ©gourdir les jambes.
Peu Ă  peu, nous nous laissons gagner par la fatigue ; la lassitude chasse l’excitation et l’inquiĂ©tude. Lorsque nous arrivons Ă  l’aĂ©roport de Port-Darwin, de nuit, nous sommes prĂȘts Ă  affronter l’épreuve avec mesure, riches de mille informations accumulĂ©es et classĂ©es. Nous avons quelques heures devant nous que nous allons passer dans un hĂŽtel en ville. Le chauffeur de taxi est un pied-noir. Il nous conte ses mĂ©saventures oranaises.
À l’heure prĂ©vue, l’avion se pose sur la piste de la Tontouta. Je suis frais rasĂ©, en tenue sombre, pour passer la revue. Accueil militaire guindĂ©. Les personnalitĂ©s nous attendent en ville, au monument aux morts. CĂ©rĂ©monie formelle. Mon regard essaie de tout absorber mais ce monde est impĂ©nĂ©trable, peut-ĂȘtre accablĂ©.
Plus librement vĂȘtu que les autres, celui qui se prĂ©sente Ă  moi comme mon prĂ©dĂ©cesseur. Il ne porte pas l’uniforme puisqu’il n’est « plus rien ». Nous pouvons avoir une brĂšve conversation : « L’ordre public n’est plus assurĂ©, les forces de l’ordre semblent hĂ©siter, plus personne n’obĂ©it, il y a des barrages sur toutes les routes ; le retour Ă  l’ordre ne pourra pas se faire sans que le sang coule. » Tel est le relais que Jacques Roynette me tend. Pourquoi donc a-t-il Ă©tĂ© nommĂ© lĂ  ? Rien ne l’y prĂ©parait. Il n’avait pas les qualitĂ©s de la fonction, encore moins ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du mĂȘme auteur
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Avertissement
  7. De Tunis à la Libération de Paris
  8. Préfectures
  9. Sénateur
  10. Ministre
  11. Entre-deux
  12. L’Europe
  13. L’Afrique
  14. Nouvelle-Calédonie
  15. Monde arabe
  16. 2, rue de l’ÉlysĂ©e
  17. Table