
- 252 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme
À propos de ce livre
Pourquoi autant de malentendus autour du libéralisme, qui a pourtant démontré son intérêt politique, son efficacité économique et son importance historique ? Pourquoi tant d'intellectuels le rejettent-ils par principe ? Est-ce seulement parce qu'ils entendent exercer une fonction critique dans une société où triomphe le capitalisme ? Est-ce par ressentiment ? Cela n'explique pas tout… Raymond Boudon démonte les clichés qui rendent le libéralisme détestable aux yeux des intellectuels. Et cela donne une décapante revue de détail des idées reçues qui encombrent nos débats depuis trente ans et plus, empoisonnent notre vie politique et sont à l'origine de graves effets pervers dans le domaine de la politique éducative, de la politique économique ou encore de la politique de lutte contre la délinquance. Raymond Boudon est professeur émérite à la Sorbonne et membre de l'Académie des sciences morales et politiques. Il est notamment l'auteur de Y a-t-il encore une sociologie ?
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Informations
CHAPITRE PREMIER
D’OÙ VIENNENT LES IDÉES ILLIBÉRALES
LES INTELLECTUELS : UNE CATÉGORIE HÉTÉROCLITE
Avant toutes choses, il faut reconnaître que la catégorie des intellectuels est hétéroclite. Certains proposent des idées, des thèmes ou des théories sur divers sujets, relatifs avant tout à l’homme et à la société : ce sont des producteurs d’idées. D’autres sont plutôt des consommateurs d’idées, comme la plupart des enseignants du secondaire. D’autres encore, comme les journalistes, sont des médiateurs : des intermédiaires entre les producteurs d’idées et le public. Bien entendu, il existe aussi des types mixtes. Le médiateur peut profiter de sa notoriété pour tenter de se composer un profil de penseur ; le penseur se faire médiateur pour attirer l’attention sur ses écrits : une stratégie recommandée, notamment en période d’inflation « culturelle ».
Les mots « libéral » et « libéralisme » ne sont pas non plus d’une clarté immédiate. Comme le mot « protestant », ils dérivent à l’origine d’un sobriquet, lancé par l’adversaire dans le but de le discréditer. Au début du XIXe siècle, les tories, les conservateurs anglais, ironisent sur les whigs, les hommes de progrès, en les traitant de liberales, mot qu’ils empruntent à la vie politique espagnole et qui traduit la condescendance des conservateurs anglais d’alors à l’égard à la fois de l’Espagne et du caractère qu’ils perçoivent comme utopique des idées de los liberales. Cette origine explique qu’en anglais d’Amérique du Nord, le mot liberal soit aujourd’hui encore, grosso modo, un équivalent de notre « homme de progrès ». Quant aux idées que nous qualifions en Europe de « libérales », elles sont aujourd’hui considérées comme de droite aux États-Unis comme en Europe, alors qu’au XIXe siècle, elles étaient partout jugées de gauche.
Le libéralisme est un « type idéal », au sens que Max Weber donne à cette expression. La notion désigne un noyau d’idées centrales. Mais, par-delà ce dénominateur commun, on peut distinguer plusieurs sortes de libéralismes. Il y a un libéralisme économique, qui entend laisser au marché autant de place que possible et accepte les régulations étatiques sous la condition qu’elles présentent d’incontestables avantages. Il y a un libéralisme politique, qui insiste sur l’égalité des droits, sur une extension aussi large que possible des libertés et aussi sur les limites de l’intervention de l’État. Les deux sont des élaborations, dans les domaines respectivement de l’économie et de la politique, du libéralisme philosophique, lequel postule que l’individu a le souci de disposer d’une autonomie aussi large que possible et veut être respecté dans sa dignité dès lors qu’il accorde le même respect à autrui.
Le libéralisme est difficile à définir, car il présente encore d’autres facettes. Ainsi, il a proposé et mis en œuvre une épistémologie, c’est-à-dire en l’occurrence une théorie des principes sur lesquels doit s’appuyer une analyse féconde des phénomènes économiques, politiques et sociaux. L’épistémologie pratiquée de façon plus ou moins spontanée ou réfléchie par les représentants de la tradition libérale considère le sujet humain comme rationnel, comme obéissant à la psychologie ordinaire : celle qu’on connaît et qu’on applique depuis toujours. Il veut qu’on n’oublie jamais que les entités collectives, les classes sociales, les nations, l’État, les partis, etc., sont composés d’individus : il répugne au holisme. Max Weber a même été jusqu’à déclarer que, s’il était devenu sociologue, c’était afin de mettre fin aux représentations qui réifient ces entités collectives. Il se retournerait dans sa tombe en apprenant que Samuel Huntington (1996) propose de traiter les « civilisations » comme des unités indécomposables.
Je prendrai ici le mot « libéralisme » surtout au sens philosophique, puisqu’il est à la racine des deux autres. L’avantage que comporte le fait de se situer sur un plan philosophique est que la question posée en est rendue plus intéressante encore.
En effet, il est facile d’expliquer les réticences des intellectuels à l’endroit du libéralisme économique. On n’a pas beaucoup de peine à comprendre par exemple que certains fassent davantage confiance à l’État qu’au marché (ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils aient raison). Comme Friedrich von Hayek l’a indiqué, il est plus facile de comprendre un ordre « construit » qu’un « ordre spontané ». Herbert Spencer avait habillé la même idée avec d’autres mots : on conçoit l’ordre social, a-t-il expliqué, plus aisément sur le modèle de l’ordre « militaire » que de l’ordre « industriel ». Dans la pratique, le libéralisme économique est d’ailleurs régulièrement l’objet de toutes sortes d’entorses de la part des gouvernements des pays réputés libéraux, comme le montrent les mesures keynésiennes de relance des dépenses publiques ou les mesures protectionnistes en matière d’agriculture ou d’acier prises par l’administration américaine du président George W. Bush.
En revanche, il paraît paradoxal que les intellectuels ne soient pas davantage séduits par une vision du monde qui traite la dignité et l’autonomie des individus comme des valeurs centrales.
Les distinctions entre les différentes facettes du libéralisme n’épuisent pas encore la complexité de ce mouvement d’idées. En fait, il comporte une infinité de variantes. Adam Smith, Alexis de Tocqueville, Frédéric Bastiat, John Stuart Mill ou, plus près de nous, Karl Popper ou Friedrich von Hayek représentent quelques-uns des grands noms auxquels on pense le plus spontanément lorsqu’on évoque le libéralisme. Toutefois, les sociologues Max Weber et même Émile Durkheim sont aussi incontestablement des libéraux, comme l’a justement indiqué R. P. Bellamy (2002), historien internationalement reconnu du libéralisme. On les classe moins facilement dans la mouvance libérale, essentiellement parce qu’ils sont ce que j’appellerais des libéraux inquiets. Ils n’ont pas l’optimisme de Smith ou de Hayek. De ce point de vue, ils sont plus proches de Tocqueville. Peut-être oublie-t-on aussi quelquefois de les classer dans le registre des libéraux par anachronisme : parce qu’ils sont catalogués comme sociologues et que la sociologie d’aujourd’hui est souvent perçue comme l’un des lieux intellectuels où tend à fleurir l’illibéralisme. Ce qui n’était nullement le cas de la sociologie classique.
On peut aussi distinguer des degrés dans le libéralisme. Robert Nozick (1974) en prône une version assurément plus étroite que John Rawls (1971). Le premier est séduit par la théorie de « l’État minimum » ; pas le second. Bien entendu, les antilibéraux ont tendance à assimiler le libéralisme à ses expressions extrêmes. Quant aux défenseurs du libéralisme, ils fournissent parfois maladroitement des armes à leurs adversaires en s’accrochant aux versions radicales du libéralisme ou en méconnaissant la pluralité de ses facettes.
D’autre part, s’il est vrai que les intellectuels sont souvent peu attirés par le libéralisme, cela n’est pas vrai de tous, même en France. Les noms de Benjamin Constant, du jeune Jean-Charles de Sismondi (l’un et l’autre de nationalité suisse), de Frédéric Bastiat, de Jean-Baptiste Say, de Jacques Rueff et bien sûr de Tocqueville suffisent à indiquer la fécondité de la tradition libérale francophone. Il est vrai qu’elle n’est pas très populaire auprès d’une majorité d’intellectuels français. Les États-Unis ont au contraire une forte tradition libérale. Elle a puissamment animé la vie intellectuelle et la vie politique de ce pays. Les universités américaines sont cependant dominées depuis les années 1960, dans plusieurs de leurs départements, par des mouvements d’idées qui tournent franchement le dos au libéralisme.
L’histoire et la géographie de l’hostilité des intellectuels à l’égard du libéralisme sont donc compliquées. Je m’intéresserai surtout ici aux intellectuels d’aujourd’hui, étant entendu qu’il est inévitable d’évoquer ceux d’hier pour comprendre ceux d’aujourd’hui. Plus précisément, l’horizon temporel de cet essai couvre la période qui va des années 1950 à aujourd’hui. Du côté de la géographie, j’emprunterai mes exemples surtout à l’Europe et à l’Amérique du Nord.
Ces remarques faites et une fois admis qu’il est bien vrai qu’on constate aujourd’hui encore une faible attirance d’une majorité d’intellectuels pour le libéralisme, quelles sont les causes de ce phénomène ?
LA REPRÉSENTATION LIBÉRALE DE LA SOCIÉTÉ ET SES CONTRADICTEURS
Je commencerai par une banalité : le libéralisme est un produit de la philosophie des Lumières. Tout en reconnaissant qu’il plonge ses racines dans la philosophie anglaise classique, chez Locke, mais aussi, comme on le sait depuis Leo Strauss, chez Hobbes, il suffit d’évoquer le nom d’Adam Smith, que je prends ici à titre de symbole, pour constater que c’est bien dans la seconde partie du XVIIIe siècle qu’il se cristallise.
Étant un produit du XVIIIe siècle, le libéralisme véhicule des notions et des images notamment de la société, de l’État et de l’être humain, qui varient d’un des auteurs libéraux à l’autre. Tous comportent pour autant des éléments communs, lesquels ne sont plus que pour partie les nôtres.
S’agissant de la société, le libéralisme se la représente comme composée d’individus cherchant à maximiser leur bien-être. Les libéraux souhaitent que les règles du jeu social soient aussi équitables que possible. Ils admettent cependant que les rémunérations des uns et des autres en matière de statut, de revenu, de prestige ou d’influence sont variables ; que certains réussissent mieux que d’autres sur le marché des compétences et des aptitudes. Dans l’idéal, ils acceptent les inégalités, mais les plus modérés et sans doute les plus cohérents d’entre eux voudraient qu’elles soient fonctionnelles, du moins autant que faire se peut ; ils souhaiteraient que celles-ci soient justifiées : qu’elles s’établissent à un niveau tel que, si l’on prétendait les atténuer au-delà de ce niveau, tous en pâtiraient, en premier lieu les plus faibles. C’est la position du philosophe libéral américain John Rawls (1971).
Les observations des sociologues confirment la pertinence de ces idées. Elles reflètent des demandes de l’opinion. Plusieurs enquêtes montrent en effet que le public admet fort bien l’existence d’inégalités ; qu’il considère les inégalités fonctionnelles comme légitimes (comme les disparités de rémunération en fonction des responsabilités à l’intérieur d’une entreprise) ; qu’il accepte parfaitement les inégalités dont il est impossible de déterminer si elles se justifient fonctionnellement (comme les disparités entre les salaires moyens de professions incommensurables les unes avec les autres) ; et aussi, qu’il n’accepte pas les inégalités sans justification fonctionnelle, comme celle qui est créée – pour prendre un exemple tiré de l’actualité – lorsqu’un P-DG congédié par son conseil d’administration pour mauvaise gestion réclame des indemnités, indexées de surcroît sur l’ordre de grandeur d’un salaire antérieur perçu comme disproportionné (Boudon et Betton, 2000 ; Boudon, 1995, 1999, 2000).
Le succès de Rawls provient de ce que son libéralisme est tempéré par une exigence forte, non d’égalité, mais d’équité et d’égalité des chances : les deux composantes de la justice sociale. A contrario, Hayek est souvent perçu comme défendant une version plus difficilement acceptable du libéralisme du fait notamment que, fidèle en cela, si l’on en croit C. B. Macpherson (1962), à l’inspiration du premier grand théoricien classique du libéralisme, Thomas Hobbes, il tente de disqualifier la notion de justice sociale. Toutes les enquêtes montrent en effet que le public attend de l’autorité publique qu’elle s’efforce, dans la mesure où cela est possible, de garantir l’équité. Le public admet fort bien que des compétences ou des responsabilités inégales soient inégalement rétribuées. Il souhaite seulement que les inégalités soient justifiées. Ces demandes sont conformes aux principes fondamentaux du libéralisme : égalité de dignité entre les personnes, différences dans les mérites.
Ce point est important, car l’existence d’inégalités non fonctionnelles injustifiables est l’une des raisons pour lesquelles, non seulement les intellectuels, mais de nombreux citoyens rejettent, sinon le libéralisme, du moins l’ordre libéral tel qu’il est, surtout si aucun effort ne leur paraît être fait pour remédier à cet état de choses. Ce type d’inégalités est responsable de l’idée reçue qui associe volontiers le libéralisme à une légitimation de l’égoïsme et du cynisme ; qui veut que l’homo liberalis soit, pour parler comme Max Weber (1999 [1920-1921]), un Genussmensch ohne Herz : un homme de jouissance sans cœur.
Il faut insister sur le fait que ce rejet se produit alors au nom des principes mêmes du libéralisme : c’est parce que ses principes sont violés par les sociétés libérales qu’on tourne le dos à la philosophie sur laquelle elles prétendent se fonder.
La représentation libérale des sociétés comporte une autre notion essentielle : celle de « statut ». Le fonctionnement d’une société donne naissance à un écheveau de statuts, nous dit Max Weber : il existe des vedettes, des héros, des savants, des artistes, des hauts fonctionnaires, des responsables syndicaux, des chefs d’entreprise, des hommes politiques et bien d’autres catégories incluant des personnages d’influence, de prestige ou de pouvoir.
Le sociologue libéral Vilfredo Pareto a de même insisté sur le fait qu’il fallait mettre le mot « élites » au pluriel : car les « statuts » sont largement incomparables. Il existe de grands sportifs, de grands artistes et de grands savants. On ne saurait hiérarchiser ces catégories les unes par rapport aux autres. Dans son langage, Pareto retrouve l’idée de Weber selon laquelle le système de stratification se compose d’une multiplicité de statuts partiellement ordonnés (au sens mathématique).
LE CONTRE-MODÈLE MARXISTE : GRANDEUR ET DÉCADENCE
Au XIXe siècle, cette représentation de la société a été battue en brèche, notamment par le marxisme dans ses innombrables variantes.
Pour les marxistes, la catégorie fondamentale est celle, non de statut, mais de classe. Ils accusent la notion de « statut » de véhiculer une vision irénique des sociétés, où chacun tiendrait sa partie dans la symphonie de la division du travail. L’accusation est excessive. Émile Durkheim (1960...
Table des matières
- Couverture
- Page de titre
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- Copyright
- Table
- AVANT-PROPOS
- INTRODUCTION. LE LIBÉRALISME : UNE TRADITION MINORITAIRE PARMI LES INTELLECTUELS
- CHAPITRE PREMIER. D'OÙ VIENNENT LES IDÉES ILLIBÉRALES
- CHAPITRE II. COMMENT SE DIFFUSENT LES IDÉES ILLIBÉRALES
- CHAPITRE III. ET DEMAIN ?
- RÉFÉRENCES
- Quatrième de couverture