Maigrir, c'est fou !

Gérard Apfeldorfer

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2000
• Imprimer l'ISBN: 9782738107787
• ISBN de l'eBook: 9782738179043

Pourquoi les régimes à la mode ont-ils autant de succès ? Pourquoi l'industrie alimentaire s'obstine-t-elle à concocter des aliments les moins nourrissants possibles ? Pourquoi, bien que d'innombrables spécialistes se penchent doctement sur nos kilos dans les congrès internationaux, le nombre des obèses ne cesse-t-il d'augmenter ? Et pourquoi tout le monde veut-il maigrir, même les minces ? Pour comprendre ces paradoxes, Gérard Apfeldorfer analyse l'histoire de cette quête frénétique de la minceur, depuis Hippocrate jusqu'à nos jours. Il passe en revue l'incroyable diversité de ce qui est devenu un marché de la minceur, depuis les produits pharmaceutiques et cosmétiques jusqu'aux thérapies du corps et de l'esprit, en passant par les multiples méthodes alimentaires et par les divers appareils amaigrissants. Il pose les bonnes questions pour comprendre ce qui se passe vraiment, pour apprendre à vivre autrement, et parvenir à mincir durablement. Médecin, psychiatre et psychothérapeute, Gérard Apfeldorfer est président du Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids, et membre de l'Association française de thérapie comportementale et cognitive.

Deuxième partie

Les mille
et une façons de mincir
en rond

La diététique amaigrissante

Qu’importe que le gros soit jugé comme un viveur, s’adonnant entre autres vices au péché de gourmandise, ou bien comme un malade, sujet à un dérangement glandulaire ou à un vice de fabrication d’ordre génétique, ou encore comme un malade mental, un toxicomane accro à la bouffe. Qu’importe qu’on le méprise, qu’on lui fasse la morale ou qu’on le plaigne. Dans tous les cas, l’obèse est un paria, laid, faible, sans volonté.

Que faire si votre enfant est gros ? Accepteriez-vous que votre fille se marie avec un obèse ? Considérez-vous que l’obésité du conjoint est une cause légitime de divorce ? Voilà où nous en sommes.

Comment, dans ces conditions, ne pas vouloir perdre du poids ? Les gros le veulent, bien sûr, ô combien ! Mais vouloir n’est pas pouvoir. Comme on vient de le voir, de l’Antiquité à l’orée du XX^e siècle, tous les régimes amaigrissants semblent avoir été essayés. Malheureusement, rien ne marche vraiment longtemps. Le XX^e siècle sera-t-il parvenu à damer le pion aux temps qui l’ont précédé ?

Régime, vous avez dit régime ?

Mais tout d’abord, qu’entend-on par « régime » ? Quand un médecin prescrit une diète, il édicte un certain nombre de règles qui aboutissent à limiter ou exclure certains aliments, ou bien qui en recommandent d’autres qu’il faudra consommer de façon exclusive ou en plus grande quantité. Par exemple, dans les régimes sans sel, les régimes secs ou les régimes hypocaloriques, l’accent est mis sur la privation ; dans les régimes lactés, les diètes végétales, les diètes hydriques, on insiste sur l’apport de certains aliments ou nutriments.

En définitive, faire un régime consiste à cesser d’obéir à ses penchants, ne pas manger ce vers quoi nous portent spontanément notre appétit, nos goûts, avoir au contraire une alimentation raisonnée. C’est à la raison de discipliner la nature. Or l’expérience montre qu’étouffer ses appétits, qu’ils soient sexuels ou alimentaires, n’est pas chose facile. Sous l’effet des interdits, le désir ne fait que se renforcer. Mais un désir de plus en plus omniprésent oblige à établir des interdits de plus en plus rigides…

Dans ces conditions, régimes et diètes ne peuvent se contenter de recommander de consommer moins de ceci ou plus de cela. Il est nécessaire d’établir des systèmes absolutistes et manichéens : les bons aliments, ceux qu’il faut consommer obligatoirement, s’opposent aux mauvais aliments, qu’il s’agit de proscrire. En fait, l’idéal serait que les mauvais aliments cessent purement et simplement d’exister. Dans chaque zélateur d’une nouvelle diète, sommeille un dictateur prêt à éradiquer les aliments néfastes, à les prohiber, de telle sorte que, hors de notre vue, ils cessent de nous tenter.

Maigrir par le jeûne

Mais avant d’en arriver à toutes ces merveilleuses méthodes destinées à nous « faire maigrir de plaisir » ou à nous faire expier nos péchés, envisageons la méthode amaigrissante radicale par excellence : le jeûne.

Certes, à trop exagérer, on risque de passer de vie à trépas. Mais avant cela, tout de même, on devient mince. Il devrait suffire de savoir s’arrêter à temps, n’est-ce pas ? Et puis d’ailleurs, est-il si sûr qu’on meurt vraiment ? De tout temps, on a attribué au jeûne des effets régénérateurs, tant sur le physique que sur le mental. Jeûner n’est-il pas réputé guérir la plupart des affections, en particulier les troubles digestifs, le cancer et autres maladies du même genre ?

Le rituel du jeûne est vieux comme le monde. En premier lieu, on cesse de se nourrir pour transcender son corps, se purifier, s’élever au-dessus des préoccupations égoïstes et matérielles. L’illumination, le salut, la sainteté ne se conçoivent pas sans jeûne préalable. Le corps, la matérialité constituent l’ennemi à vaincre. « Hélas ! Corps, il faut bien te mener paître », regrette par exemple saint Bernard. « C’est vie d’ange de néant manger, que une fois par jour manger est vie de saint, deux fois par jour c’est vie d’homme et de plus manger, c’est vie de bête… » énonce Bienheureux Pierre de Luxembourg, qui vivait au XIV^e siècle (et qui mourut d’ailleurs à l’âge de dix-huit ans). Dans cet esprit, mais sans viser aussi haut, la plupart des religions imposent aux fidèles des périodes de jeûne ou de privation, soit à dates régulières comme le Carême des chrétiens, le Ramadan des musulmans ou le jeûne du Grand Pardon des juifs, soit à certains moments de la vie comme les jeûnes pré-initiatiques de nombreuses sociétés dites primitives.

Jeûner peut aussi revêtir un caractère agressif et être dirigé contre un ennemi défini. Dans l’ancien Japon, on « jeûnait contre » son ennemi afin de le déshonorer. La grève de la faim moderne reprend la même démarche. Il s’agit de faire plier l’ennemi. Gandhi, par exemple, eut recours dix-sept fois de suite au jeûne « jusqu’à ce que mort s’ensuive » afin d’attirer l’attention du monde sur le problème indien26.

En fait, jeûner est destiné à marquer une rupture : on rompt avec la matérialité et le monde profane dans le cas du jeûne ascétique et religieux, ou bien on rompt avec un individu, un groupe social donné ou encore sa famille dans le cas du jeûne-agression27.

Mais revenons à ce qui nous préoccupe : l’individu grassouillet. Pour lui aussi, il s’agit de faire du passé table rase, de se régénérer et, tel le phœnix renaissant de ses cendres, de repartir sur des bases inédites. Le gros est mort : le mince qui est en lui éclôt et sort de sa gangue.

Tout ça ne nous dit pas comment nous y prendre en pratique. Peut-être devrions-nous demander au docteur Tanner, qui a testé la méthode pour nous28. Henry S. Tanner est un médecin homéopathe américain de la fin du siècle dernier, persuadé que si les gens ne sont pas en parfaite santé, c’est parce qu’ils mangent trop. Non seulement ils mangent trop, mais ils sélectionnent mal leurs aliments. Par exemple, pour Tanner, ce que l’on mange a des effets directs sur le caractère. Ainsi les carottes rendent-elles sournois et agité, tandis que les navets font de vous une personne aimable et les haricots blancs un individu irritable. Afin de le prouver, il oblige sa femme, elle-même médecin, à ne consommer que trois livres de haricots par jour. Elle devient effectivement si irritable qu’elle finit par lui jeter une cruche à la tête. Tanner essaie alors les navets, mais l’expérience n’aboutit pas : son épouse demande le divorce et part pour Duluth et trois vrais repas par jour. Tanner, qui a l’esprit scientifique chevillé au corps, la poursuit. Madame fuit au Wisconsin.

Mais nous nous égarons : notre histoire commence à New York et nous sommes le 28 juin 1880. Monsieur et madame Tanner ont fini par se réconcilier. L’idée de Tanner est aujourd’hui de démontrer scientifiquement les bienfaits et l’innocuité du jeûne. Sous la supervision de deux collègues médecins, Tanner cesse de manger. Il s’autorise tout d’abord à boire de l’eau, puis change d’avis et décide de ne rien absorber du tout. Mais arrivé au dix-septième jour de jeûne, il est si mal que ses médecins l’obligent à se réhydrater. Le jeûne se poursuit néanmoins ; il durera quarante-deux jours et passionne tout New York : le jeûneur jeûne en public sur la scène d’un théâtre et on paie sa place entre 30 et 50 dollars pour le voir jeûner. Tanner est le premier « artiste de la faim ». Le flambeau sera par la suite repris par nombre d’anorexiques mentaux qui jeûneront sous les chapiteaux en compagnie d’hommes à deux têtes et de femmes à barbe.

Jeûner, compris comme un moyen de contrôler ses appétits et son corps, devient donc à la mode. Les obèses n’ont plus d’excuse : maigrir est facile, il suffit de s’arrêter de manger.

La chose est moins désagréable qu’il n’y paraît car lorsqu’on jeûne, la faim disparaît au bout de trois à quatre jours29. En fait, cesser de s’alimenter apporte même du plaisir, voire de la jouissance. Cela se faisait bien, dans le début du siècle, et cela continue à se faire, ici et là : on entre en maison diététique, en ashram ou dans un quelconque lieu de retraite, on boit de l’eau, du bouillon, de la tisane, on se sent euphorique, l’esprit clair, détaché des choses matérielles. Et on maigrit.

Quoique certaines maisons diététiques, aujourd’hui encore, proposent des diètes hydriques (on n’a droit à rien d’autre que de l’eau ou de la tisane), on sait désormais que le jeûne n’est pas si bon que ça pour la santé. Certes on maigrit fort bien : parfois huit kilos la première semaine et jusqu’à plus de vingt kilos si on parvient à tenir une cinquantaine de jours. Mais il arrive aussi que le cœur lâche et qu’on rende son dernier souffle parfois juste après quelques jours de jeûne. Si on ne meurt pas, on y laisse toujours des plumes : les organes fondent, de même que les muscles, le système immunitaire n’est plus ce qu’il était, sans compter les neurones qui en prennent un coup. Et tout ça pour quoi ? Pour regrossir inéluctablement dès qu’on se remet à manger, en raison de l’effondrement de son métabolisme de base. Sans compter qu’on aura surtout perdu du muscle pour ne reprendre que de la graisse. Un désastre. Si nous ne courons pas plus que ça après l’illumination ou si nous n’avons pas la fibre revendicative chevillée au corps, n’y pensons plus.

La rédemption par le régime

Le docteur Herman Tarnower est cardiologue à Scarsdale, aux États-Unis : de par sa profession, il constate quotidiennement les dégâts produits sur le cœur et les vaisseaux sanguins par une mauvaise alimentation et un poids trop élevé. En permanence, il conseille à ses patients de perdre du poids. Mais « […] j’avais beau répéter à mes patients qu’ils devaient maigrir, je n’obtenais aucun résultat de la plupart. Alors, je me faisais insistant : “Il faut absolument que vous maigrissiez. Mettez-vous au régime immédiatement.” J’obtenais la même réplique : “J’ai tout essayé, docteur Tarnower, mais aucun régime ne semble me convenir.” J’ai alors décidé d’aborder le problème de front. Quand, il y a une vingtaine d’années j’ai fondé le Centre médical Scarsdale, je me suis efforcé d’établir un régime amaigrissant simple et efficace, qui garderait mes patients minces et alertes pour le reste de leur vie30 ».

MAIGRIR AVEC LE RAD
(RÉGIME ALIMENTAIRE DIÉTÉTIQUE)
SCARSDALE DU DOCTEUR TARNOWER

(1978)

Règles de base

• Mangez exactement ce qui est prescrit, sans aucun échange.

• Buvez du café, du thé, du club soda ou des sodas sans calories autant que vous le désirez, et rien d’autre. Ne buvez pas d’alcool.

• Les salades sont préparées au citron ou au vinaigre, avec de la moutarde, mais sans huile.

• Les légumes sont consommés sans matière grasse, éventuellement citronnés.

• Les viandes sont choisies très maigres ; on enlèvera le gras visible. On retirera la peau du poulet.

• On ne fera pas plus de 2 semaines du régime RAD. Les 2 semaines suivantes, on suivra le programme « mangez et restez mince ». On pourra ensuite, si besoin est, refaire 2 semaines de RAD, et ainsi de suite. Lorsque le poids désiré est obtenu, on continuera le programme « mangez et restez mince » indéfiniment.

Répartition

• Petit déjeuner : tous les jours, 1/2 pamplemousse, 1 tranche de pain enrichi en protéines, café ou thé sans sucre ni lait.

• Déjeuner : viande froide, tomates (lundi) ; salade de fruits (mardi) ; salade au thon ou saumon, pamplemousse ou melon (mercredi) ; 2 œufs sans matière grasse, fromage blanc frais, légumes ou tomates, 1 tranche de pain protéiné grillée (jeudi) ; tranches de fromage, épinards à profusion, 1 tranche de pain protéiné grillée (vendredi) ; salade de fruits à volonté (samedi) ; dinde ou poulet, tomates, carottes, choux cuisinés, brocolis ou chou-fleur, pamplemousse ou fruit de saison (dimanche).

• Dîner : poisson ou fruits de mer, salade verte ou de légumes à volonté, 1 tranche de pain protéiné grillée, pamplemousse (lundi) ; bifteck haché ou grillé en abondance, tomates, laitue, céleri, olives, choux de Bruxelles ou concombre (mardi) ; tranche de rôti d’agneau dégraissé, salade verte ou tomates, concombres, céleri, olives, choux de Bruxelles ou concombre (mardi) ; tranche de rôti d’agneau dégraissé, salade verte ou tomates, concombres, céleri (mercredi) ; poulet grillé ou rôti à profusion, épinards à profusion, poivrons verts, haricots verts fins (jeudi) ; poisson ou fruits de mer, salade combinée à volonté, 1 tranche de pain protéiné grillée (vendredi) ; dinde ou poulet rôti, salade verte ou tomate, pamplemousse ou fruit de saison (samedi) ; bifteck dégraissé à profusion dans le morceau de son choix, salade verte, concombre, céleri ou tomates, choux de Bruxelles (dimanche).

(lundi) ; bifteck haché ou grillé en abondance, tomates, laitue, céleri, olives, choux de Bruxelles ou concombre (mardi) ; tranche de rôti d’agneau dégraissé, salade verte ou tomates, concombre, céleri (mercredi) ; poulet grillé ou rôti à profusion, épinards à profusion, poivrons verts, haricots verts fins (jeudi) ; poisson ou fruits de mer, salade combinée à volonté, 1 tranche de pain protéiné grillée (vendredi) ; dinde ou poulet rôti, salade verte ou tomates, pamplemousse ou fruit de saison (samedi) ; bifteck dégraissé à profusion dans le morceau de son choix, salade verte, concombre, céleri ou tomates, choux de Bruxelles (dimanche).

Programme de stabilisation « mangez et restez mince »

On aura le choix entre div...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Du même auteur chez odile jacob
• Copyright
• Remerciements
• Introduction
• Première partie - Histoire de la mincitude
• Deuxième partie - Les mille et une façons de mincir en rond
• Troisième partie - Révélations sur la minceur
• Notes
• Bibliographie