Misia Sert et Coco Chanel
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Misia Sert et Coco Chanel

  1. 256 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Misia Sert et Coco Chanel

À propos de ce livre

ÉgĂ©rie, muse, Misia Sert fut une femme incontournable du milieu artistique du dĂ©but du XXe siĂšcle. ModĂšle des peintres Renoir, Bonnard, Vallotton, elle fut mĂ©cĂšne d'avant-garde pour Serge Diaghilev et ses Ballets russes, proche de Max Jacob et de Pablo Picasso. Misia a aimĂ©, croisĂ©, aidĂ© nombre de figures marquantes de cette pĂ©riode d'effervescence crĂ©ative, dont La Revue blanche s'est faite l'Ă©cho. Amie de Coco Chanel, elle a su, comme elle, sĂ©duire et prendre des risques pour jouer de la vie. Ces deux figures emblĂ©matiques de leur temps vont parcourir un long chemin d'amitiĂ©, tapissĂ© de roses et d'Ă©pines, scandĂ© d'escapades Ă  Venise. De quoi sceller des destins incomparables dans une Ă©poque inouĂŻe.Dominique Laty est l'auteur de nombreux livres sur l'histoire du corps et le bien-ĂȘtre dont Le Grand Livre de la forme, Le RĂ©gime des pĂątes et Petits Plats raffinĂ©s en 20 minutes chrono.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2009
Imprimer l'ISBN
9782738122919
ISBN de l'eBook
9782738194039
Chapitre 10
CimetiĂšre San Michele
« Je suis d’abord un grand charlatan, mais avec un peu de brio. »
Serge DIAGHILEV
À Venise, oĂč le jour semble toujours hĂ©siter Ă  rompre l’étreinte des cieux et des flots, oĂč les paquebots jettent des ombres fugaces sur les magasins de la Giudecca, les quartiers modestes se tournent humblement vers le cimetiĂšre de San Michele oĂč tout est douceur d’ñme.
C’est lĂ  que repose Serge Diaghilev, dans cette terre cernĂ©e d’eau, protĂ©gĂ©e par le rempart Ă  crĂ©neaux qui donne Ă  ce lieu une magie particuliĂšre. Ce magicien de gĂ©nie a choisi Venise pour mourir. Il aime cette ville dont les contours s’effacent lorsque le temps est gris. Cette citĂ© immergĂ©e reste Ă©trangĂšre Ă  tous ceux qui ne vont pas Ă  sa rencontre avec de nobles sentiments.
La tombe de Diaghilev jouxte celle de Stravinski. AdossĂ©e au mur de briques roses du cimetiĂšre dans le CarrĂ© des Orthodoxes, la pierre tombale de Stravinski est une dalle blanche posĂ©e sur un socle, celle de Diaghilev un monument vertical de dimensions modestes creusĂ© d’une niche dans laquelle est gravĂ©e cette phrase : « Venise, inspiratrice Ă©ternelle de nos apaisements. »
Les deux artistes sont proches dans la mort, selon le souhait du musicien, comme ils le furent dans la vie. Stravinski n’a jamais vĂ©cu Ă  Venise, mais il y est toujours retournĂ© comme aimantĂ© par sa magie. Citoyen d’honneur de cette ville, il a voulu dormir lĂ  pour toujours, auprĂšs de son ami, et en dĂ©pit de leurs brouilles.
Lorsqu’il revient Ă  Venise pour la derniĂšre fois, Diaghilev se sent perdu, il sait que sa visite est ultime. Sa peine est grande mais il pense que la SĂ©rĂ©nissime va l’allĂ©ger comme Guardi a simplifiĂ© Venise pour mieux l’apprĂ©hender. Sous le calme de Diaghilev chahute la tempĂȘte comme sous la tranquillitĂ© des eaux de la lagune foisonne un monde pervers d’algues tentaculaires, de limons couchĂ©s. Sous sa placiditĂ© couve un univers Ă©trange de piĂšges dans lesquels il veut se laisser glisser. À jamais.
Ce jour-lĂ , le temps est beau et la mer lisse comme un miroir. Misia est avec Chanel sur le yacht du duc de Westminster, elle s’enfuit. Elle part pour oublier une jeune femme que Sert lui impose, elle essaie de se dĂ©rober Ă  la souffrance, d’esquiver la solitude, d’oublier qu’elle a Ă©tĂ© rejetĂ©e.
Le bateau est somptueux, quarante hommes d’équipage gouvernent The Flying Cloud. Les deux amies s’émerveillent des lits Ă  baldaquins et s’alanguissent sur le pont. Il fait beau, le voyage se dĂ©roule sous les meilleurs auspices. Rien d’inquiĂ©tant ne se profile Ă  l’horizon jusqu’au moment oĂč un opĂ©rateur radio transmet un message Ă  Misia. Il est de Diaghilev. L’imprĂ©sario russe appelle son amie Ă  son secours. Il lui demande de venir le rejoindre Ă  Venise. Il se dit malade. Misia prie aussitĂŽt Chanel de demander aux matelots de stopper la croisiĂšre et de la dĂ©poser Ă  Venise.
Le yacht accoste au Lido. Misia et Coco se prĂ©cipitent au Grand HĂŽtel des Bains et trouvent Serge alitĂ©. Il est veillĂ© par Boris Kochno et Serge Lifar, les Ă©toiles de sa troupe. Il fait trĂšs chaud cet aprĂšs-midi-lĂ , une chaleur que l’humiditĂ© rend suffocante, comme c’est souvent le cas Ă  Venise. Pourtant, Diaghilev a froid. Il a gardĂ© sa veste de smoking et, malgrĂ© tout, grelotte. Misia sort rapidement, autant pour cacher son Ă©motion que pour aller acheter un pull-over. Lorsqu’elle revient, ayant sĂ©chĂ© ses larmes pour n’inquiĂ©ter personne, elle aide Serge Ă  enfiler le vĂȘtement qu’elle a choisi pour lui. Avec son efficacitĂ© coutumiĂšre, elle convoque des mĂ©decins et embauche une infirmiĂšre.
Comme par enchantement, Diaghilev semble aller mieux. Il est rassurĂ© puisque son amie est lĂ  pour l’assister. Il esquisse un petit sourire quand il remarque qu’elle est habillĂ©e en blanc. Il aime cette couleur virginale et, en lui prenant les mains, la fĂ©licite de son choix. De son cĂŽtĂ©, Chanel est rassĂ©rĂ©nĂ©e. Elle dĂ©cide de rĂ©embarquer sur le yacht de son amant et de poursuivre la croisiĂšre. On est en aoĂ»t, le 18 exactement.
Le lendemain, Misia passe toute la journĂ©e au chevet de Serge puis se rend Ă  l’hĂŽtel Danieli, oĂč elle est descendue, pour y passer la nuit. Elle dĂźne et se couche, tranquille. Pourtant, quelques heures plus tard, elle est rĂ©veillĂ©e par Kochno. L’heure est tardive et grave. Serge vient de tomber dans le coma.
Misia se relĂšve et demande au concierge de l’hĂŽtel de lui trouver un prĂȘtre. Celui-ci arrive rapidement mais, apprenant que Diaghilev est de religion orthodoxe, refuse de donner les derniers sacrements au mourant. Misia tempĂȘte tant et si bien qu’il accepte. AccompagnĂ©e du prĂȘtre, elle se rend au Lido.
Diaghilev reçoit la bĂ©nĂ©diction ultime. Quelques heures plus tard, il plonge dans la nuit Ă©ternelle alors que le soleil commence Ă  darder ses rayons, enflammant la jalousie des danseurs au chevet du corps de leur imprĂ©sario. Ils en viennent aux mains. Ce spectacle est si affligeant que Misia s’effondre en larmes. Elle sort et dĂ©ambule sur la plage encore dĂ©serte pour se calmer. Une fois apaisĂ©e, elle prend en mains la suite des opĂ©rations.
Diaghilev n’a laissĂ© aucune liquiditĂ©. Comme d’habitude, sa caisse est vide. Pourtant il faut payer le prĂȘtre, l’hĂŽtel et avancer l’argent nĂ©cessaire Ă  la prĂ©paration des funĂ©railles. Avertie, une amie de Misia, la baronne d’Erlanger, propose ses services. Misia lui confie tout le pĂ©cule qu’elle a sur elle afin qu’elle puisse s’occuper de la cĂ©rĂ©monie religieuse et dĂ©cide de mettre en gage son collier de trois rangs de diamants car elle n’a plus un sou en poche. Sert est au loin, il lui est difficile de le solliciter.
Avec nostalgie, Misia se souvient de leur visite napolitaine, de ce biscuit aux amandes, parfumĂ© Ă  la fleur d’oranger et au nĂ©roli, dĂ©gustĂ© chez Scartuchio avec un espresso et, surtout, de ce collier exposĂ© dans la vitrine d’un joaillier. Elle ne pensait pas que Sert entrerait pour l’acheter et c’est ce qu’il a fait, sans la consulter. Lorsqu’il le lui a glissĂ© autour du cou, elle a senti le poids des diamants. Sur sa peau laiteuse, ils sont apparus comme des graines et des rectangles de lumiĂšre. Sans son mari, ce collier n’a plus d’intĂ©rĂȘt. Misia se rend donc chez un bijoutier pour s’en sĂ©parer.
Pendant ce temps, Chanel pense Ă  son amie. Soudainement inquiĂšte, elle regrette d’ĂȘtre repartie. L’absence de nouvelles lui paraĂźt curieuse, elle veut se rendre compte par elle-mĂȘme de ce qui se passe au Lido. Elle demande au duc de Westminster la permission de faire demi-tour. Il accepte.
Le yacht accoste aux zattere. Lorsque Chanel arrive Ă  l’hĂŽtel Danieli, Diaghilev est mort depuis quelques heures dĂ©jĂ  et Misia n’a plus son collier. Chanel se rend d’abord chez le prĂȘteur Ă  gages et demande le prix de la reprise du bijou. Sans discuter, elle paie. Puis elle saute dans un taxi et part au Lido car elle sait que Misia est au chevet de l’imprĂ©sario. DiscrĂštement, elle glisse la parure de diamants dans le sac de son amie. Elle s’attarde quelques minutes auprĂšs de Diaghilev avant d’entraĂźner Misia au-dehors.
La levĂ©e du corps a lieu le lendemain, tĂŽt le matin. Misia et Chanel se sont habillĂ©es en blanc, en hommage Ă  cette couleur prisĂ©e par le dĂ©funt. Serge est conduit Ă  l’église grecque orthodoxe pour l’office religieux. Pendant ce temps, sur le Grand Canal, la longue gondole noire attend pour accompagner l’imprĂ©sario Ă  sa derniĂšre demeure, le cimetiĂšre San Michele. Au milieu des cyprĂšs, des chants d’oiseaux, des cris des mouettes, dans cet air qui danse dans la chaleur.
La cĂ©rĂ©monie terminĂ©e, Misia et Chanel prennent un taxi et reviennent Ă  l’hĂŽtel. Alors Misia, qui a besoin de parler pour allĂ©ger sa peine, raconte les annĂ©es passĂ©es pour aider Diaghilev Ă  asseoir la rĂ©putation des Ballets russes. Elle dit Ă  Chanel leurs fous rires, leurs Ă©mois, leurs discussions, Ăąpres parfois. Et leurs succĂšs aussi, chĂšrement obtenus.
Cette annĂ©e 1908 est marquĂ©e par le triomphe de Diaghilev avec la reprĂ©sentation du Boris Godounov de Modest Moussorgski. La salle est pleine. Tous ceux qui comptent sont Ă  l’OpĂ©ra Garnier. Misia resplendit, vĂȘtue d’une robe qui souligne ses formes vĂ©nusiennes. Elle Ă©coute attentivement ces notes qui la subjuguent et regarde avidement ce ballet qui l’étonne. C’est dĂ©cidĂ©, elle viendra Ă  toutes les reprĂ©sentations !
Misia apprĂ©cie ces soirĂ©es baignĂ©es de musique. Puis son mari l’emmĂšne souper chez Larue, l’établissement renommĂ© de la place de la Madeleine. Le chef, Édouard Nignon, est un Breton qui passe des fourneaux Ă  la salle, du blanc au noir comme le notera Sacha Guitry, avant de repartir sur ses terres, dĂ©sorientĂ© par les nouvelles tendances de la cuisine.
Les Edwards dĂźnent en bonne compagnie, souvent avec la comtesse Greffulhe, Jean Cocteau et Winnaretta de Polignac. Or, au cours d’un dĂźner, Diaghilev entre dans le restaurant. Misia est aux cĂŽtĂ©s de son Ă©poux. Sert, qui connaĂźt bien l’imprĂ©sario, lui fait signe de venir s’asseoir Ă  leur table.
IntimidĂ©, Diaghilev ne dit mot. Misia exprime son admiration avec la vĂ©hĂ©mence qui la caractĂ©rise. Femme de passion, elle est emballĂ©e. L’imprĂ©sario est d’autant plus flattĂ© que le jugement de Misia est bon. C’est le coup de foudre de la passion artistique et aussi le dĂ©but d’une amitiĂ© trĂšs tendre. Ils se comprennent, s’enthousiasment, savent prendre des dĂ©cisions et, fidĂšles, tenir leurs engagements, poursuivant dans le doute ce qu’ils ont entrepris dans la ferveur.
Ces deux ĂȘtres sont faits pour se rencontrer. Si Diaghilev n’aime pas les femmes d’amour, Misia reprĂ©sente l’idĂ©al fĂ©minin Ă  ses yeux. Il va l’adorer avec tous ses dĂ©fauts et, comme il n’a pas de sƓur, cristalliser tout son besoin d’affection sur elle.
DÚs lors, Misia va occuper une place trÚs importante dans sa vie. Elle devient son amie intime, sa confidente patiente, et prend une part de plus en plus importante dans la conception des ballets. Comme elle trouve les idées de Diaghilev indispensables, elle va soutenir ses efforts. Sans relùche.
Diaghilev est un homme d’une beautĂ© altiĂšre. ÉlĂ©gant jusqu’à la prĂ©ciositĂ©, il aime se faire remarquer en portant des bijoux et des habits excentriques. SĂ©duisant, il a beaucoup de charme. Artiste de gĂ©nie, il a du flair pour dĂ©nicher des talents, comme Misia. Comme elle aussi, il est cyclothymique, Ă©pris de musique et terrorisĂ© par l’ennui.
ÉvĂ©nement frappant, ils sont nĂ©s la mĂȘme annĂ©e, en 1872. Et les derniers jours du mĂȘme mois, le 30 mars pour Misia, le 31 pour Diaghilev.
Serge Pavlovitch Diaghilev est natif de Perm. Il a le maintien et l’assurance des gens de bonne naissance. Comme Misia, il est orphelin. Sa mùre est morte en lui donnant le jour.
Serge et Misia ont de nombreux points communs. Tout d’abord, ils font fi des conventions. Diaghilev affiche son homosexualitĂ©, comme elle son goĂ»t pour les femmes, mĂȘme s’il demeure platonique. Ils se ressemblent dans le cynisme, les foucades, l’entĂȘtement, les caprices, le goĂ»t de l’intrigue et l’ascendant qu’ils veulent prendre sur les autres. Leur amour de la musique a Ă©tĂ© fortement encouragĂ©, mais sans rĂ©sultat avĂ©rĂ©. Pour Misia par son grand-pĂšre François-Adrien Servais, pour Serge par Piotr Ilitch TchaĂŻkovski dont il est le petit-neveu.
Au Conservatoire, Diaghilev choisit NikolaĂŻ Rimski-Korsakov comme professeur. Il s’essaie Ă  la composition musicale mais, lucide, se rend vite compte qu’il n’a aucun talent. En revanche, la danse le passionne. Il tente sa chance comme assistant au théùtre tsarine de Saint-PĂ©tersbourg, palais baroque du XVIIIe siĂšcle, dotĂ© de dortoirs et de bains russes. EngagĂ©, il crĂ©e une troupe de ballets itinĂ©rants. Son amitiĂ© avec Mathilde KchessinskaĂŻa, cĂ©lĂšbre ballerine devenue maĂźtresse du tsarĂ©vitch, futur empereur Nicolas II, lui ouvre de nombreuses portes.
Comme il ne gagne pas trĂšs bien sa vie, Serge loge chez sa tante, Anna Filossofova. Il partage sa chambre avec un cousin. Pour se dĂ©placer et se rendre Ă  l’école de danse, il loue un fiacre ou prend le tramway qui vient d’ĂȘtre mis en service, profitant ainsi du panorama qui s’offre Ă  ses yeux.
Cette ville chargĂ©e d’histoire soulĂšve en lui de vraies Ă©motions : celle des promenades le long du canal de la Fontanka, de la traversĂ©e du pont Kirov sur la Neva, du moment de l’apparition des fins croquis des grues du port, filigranĂ©es Ă  l’horizon ; celle de la forteresse Pierre-et-Paul, de la solennitĂ© du rite orthodoxe avec son odeur entĂȘtante d’encens, sa fumĂ©e Ă©paisse transpercĂ©e par les dorures des icĂŽnes, celle de la magie des longues journĂ©es de juin.
DĂšs qu’il en a la possibilitĂ© financiĂšre, Diaghilev devient indĂ©pendant. Un hĂ©ritage lui permet de louer un grand appartement et de le dĂ©corer avec soin. Il peut recevoir avec magnificence, voyager en Russie et Ă  l’étranger. EsthĂšte, il ramĂšne des peintures de ses dĂ©placements et les accroche chez lui. Ses invitĂ©s lui en font compliment. Les remarques de ses amis inspirent Ă  Diaghilev l’idĂ©e de monter une exposition. Il achĂšte des portraits russes et les expose dans l’ancienne demeure de Potemkine. Le succĂšs est immĂ©diat.
Devant l’engouement du public, Serge pense dĂ©placer l’exposition Ă  Paris oĂč les Russes ont la cote. Pour cela, il demande l’accord du grand-duc Vladimir. C’est donc sous le patronage de ce personnage important que les peintures sont exposĂ©es, en 1906, dans le cadre du Petit Palais. Le comitĂ© de l’exposition est prĂ©sidĂ© par une princesse belge, Ă©pouse du comte de Greffulhe. De surcroĂźt musicienne, la princesse donne des concerts Ă  Bagatelle dans la magnifique propriĂ©tĂ© de Lady Richard Wallace, au mari duquel nous devons les petites fontaines vertes qui Ă©grĂšnent les places de Paris. Lady Wallace laisse la jouissance de son domaine Ă  la prĂ©sidente de la SociĂ©tĂ© des grandes auditions musicales. L’accrochage des peintres attire une foule d’autant plus serrĂ©e qu’il se dĂ©roule dans un cadre superbe.
Diaghilev dirige alors Le Monde de l’art, Mir Iskoustva, avec un groupe d’avant-garde. Il ajoute une particule Ă  son patronyme et fait imprimer des cartes de visite avec son nom en frontispice. Il s’exprime dans un français impeccable, est invitĂ© dans les salons oĂč tous les invitĂ©s le prennent pour un aristocrate.
La comtesse de Greffulhe, qui apprĂ©cie l’imprĂ©sario, dĂ©cide de patronner cinq concerts de musique russe, avec la participation de Rachmaninov notamment, pour lancer son protĂ©gĂ© dans le monde. Elle compte sur ses relations pour trouver les subsides nĂ©cessaires Ă  la rĂ©alisation de spectacles de danse novateurs, comme en Russie. Michel Fokine, influencĂ© par la danseuse aux pieds nus Isadora Duncan, a dĂ©poussiĂ©rĂ© la chorĂ©graphie des ballets classiques. À Saint-PĂ©tersbourg, Anna Pavlova et Vaslav Nijinski font un triomphe. Le sachant, la comtesse veut aider Diaghilev Ă  les faire venir Ă  Paris.
Nijinski est un danseur Ă  l’air sauvage, dont le tempĂ©rament porte le sceau de l’aliĂ©nation de son frĂšre, enfermĂ© dans un asile. DotĂ© d’une belle musculature, d’une grande force et d’une dĂ©tente prodigieuse, il est remarquĂ© dĂšs l’ñge de quinze ans. Rapidement, il devient une Ă©toile.
GrĂące au soutien de la comtesse de Greffulhe, Diaghilev peut dĂ©placer les ballets. Sous sa fĂ©rule, les reprĂ©sentations empoignent les spectateurs. Les dĂ©cors, les accessoires, les coiffures, les maquillages reproduisent le cours flottant de la vie. Les rythmes sont nouveaux, bien diffĂ©rents de ceux de la danse acadĂ©mique. Le maĂźtre russe a apportĂ© un idĂ©al d’harmonie et de salubritĂ© Ă  la danse qui faisait dĂ©faut Ă  Paris.
Le Boris Godounov de Modest Moussorgski avec, dans le rĂŽle-titre, FĂ©dor Chaliapine est l’évĂ©nement parisien du printemps 1908. La mise en scĂšne et les dĂ©cors surprennent les habituĂ©s de l’OpĂ©ra de Paris, Ă©tonnĂ©s de tant d’audace. Ils se lĂšvent pour voir l’imprĂ©sario. Certains spectateurs montent mĂȘme sur leurs fauteuils. Diaghilev, intimidĂ© par tant de curiositĂ©, est mal Ă  l’aise. N’éprouvant de leur part aucune hostilitĂ©, il se laisse regarder sans sourciller. Les personnes enthousiastes veulent seulement connaĂźtre ce phĂ©nomĂšne qui soulĂšve dĂ©jĂ  tant de ferveur. Notamment sa carrure d’athlĂšte, son petit nez retroussĂ©, son monocle agressif et cette mĂšche blanche, Ă©tonnante dans ses cheveux noirs, qui lui vaut son surnom de « Chinchilla ».
AprĂšs la reprĂ©sentation, les plus emballĂ©s se prĂ©cipitent dans les coulisses pour approcher la troupe. C’est inouĂŻ, inattendu, grandiose. Le soir mĂȘme, la compagnie de Diaghilev devient cĂ©lĂšbre. DĂšs le lendemain, les bruits du triomphe font le lit de toutes les conversations et les journaux s’emparent de l’évĂ©nement.
Avec l’autoritĂ© qui la caractĂ©rise, Misia dĂ©cide de s’occuper de la troupe dont elle est devenue la marraine. Elle s’arrange pour que l’OpĂ©ra joue Ă  guichets fermĂ©s et, pour cela, achĂšte toutes les places qu’elle offre Ă  ses amis. De cette façon, elle donne Ă  son ami l’illusion qu’il fait salle comble.
Diaghilev croit en son succĂšs, prend confiance en lui et fait des projets d’avenir. Misia lui ouvre les portes de son salon, on y joue la musique des ballets, on y dĂ©bat des mises en scĂšne futures. La vĂ©ritable carriĂšre de la troupe commence.
SacrĂ© meilleur danseur de son temps, Nijinski est engagĂ©. Cet adolescent dont Proust admire la grĂące ailĂ©e, telle celle d’un oiseau, est nĂ© Ă  Kiev dans une famille pauvre. Misia et Diaghilev s’extasient sur ses talents et ses prouesses sans se douter que le triomphe va exploser dĂšs la premiĂšre reprĂ©sentation. Ce soir-lĂ  Misia est en beautĂ©. Sa robe blanche et son collier de diamants ajoutent de la splendeur Ă  son allure. Son existence a pris un sens, elle rayonne de bonheur.
Le chorĂ©graphe Michel Fokine fait des merveilles, les danseurs et les ballerines se surpassent. Vaslav Nijinski a l’allure farouche d’un Tatare, Tamara Karsavina un Ă©mouvant visage de madone, ils plaisent, sont applaudis Ă  tout rompre. Mais, dans l’ensemble, L’AprĂšs-Midi d’un faun...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Chapitre premier - Lever de rideau
  5. Chapitre 2 - HÎtel Costes
  6. Chapitre 3 - À l’aube du XXe siùcle
  7. Chapitre 4 - La Petite Pologne
  8. Chapitre 5 - L’égĂ©rie de La Revue blanche
  9. Chapitre 6 - Toulouse-Lautrec et la Colombe de l’arche
  10. Chapitre 7 - Le Chopin de la Polonaise
  11. Chapitre 8 - Le Tiepolo du Ritz
  12. Chapitre 9 - Misia et Chanel, une amitié sans concession
  13. Chapitre 10 - CimetiÚre San Michele
  14. Chapitre 11 - Raymond Radiguet, la mort partagée
  15. Chapitre 12 - Misia et Max Jacob
  16. Chapitre 13 - Roussadana Mdivani, la belle Géorgienne
  17. Chapitre 14 - Une derniÚre séance de pose
  18. Chapitre 15 - Baisser de rideau
  19. Épilogue
  20. De Misia Ă  Estrella
  21. Si vous voulez en savoir davantage

  22. Si vous voulez mettre vos pas dans ceux de Misia, à Paris

  23. Remerciements
  24. Du mĂȘme auteur