Le Rythme et la Lumière
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Le Rythme et la Lumière

  1. 240 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Rythme et la Lumière

À propos de ce livre

« Voici un livre qui parle avec Pierre Soulages. Un dialogue. Intérieur, plus que formel. Et issu d'un dialogue. Réel, ancien, continué. Ce n'est pas un livre sur. C'est un livre avec. Un livre vers. Et autant une réflexion sur le langage que sur la peinture. Pour continuer d'apprendre à voir. » H. M. Poète, traducteur, Henri Meschonnic est aussi spécialiste de la théorie du langage et de la littérature. Il a été professeur à l'université de Paris-X et a notamment publié Critique du rythme, Modernité modernité, De la langue française.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2000
Imprimer l'ISBN
9782738108623
ISBN de l'eBook
9782738186591
Sujet
Art
Ni signe ni chose :
répondre le monde
La peinture vue de la peinture rend secondaire, indifférente, sinon futile, l’opposition entre l’abstraite et la figurative. Pierre Soulages l’a dit depuis longtemps : « jamais la figuration et son contraire, la négation de la figuration », et « hors du dilemme figuration-non-figuration1 » Dans sa réponse au « procès » de Clarté, en 1962, en inversant le mot abstrait en son contraire, le concret, il se moquait de ces « étiquettes ».
Mais pour approcher de la peinture, de même que, d’ailleurs, du poème, il faut, comme Moïse autour du buisson, pratiquer un détour : y aller droit, c’est aller droit aux clichés. Et à demeure. Lui, il est au-delà, puisqu’il est dans sa peinture.
Il y a eu un temps où il fallait choisir, entre le figuratif et l’abstrait. Être pour ou être contre. Comme, « il y a cent ans, en France, il fallait presque inévitablement choisir entre Ingres et Delacroix2 ». On en était à opposer « absence de forme » à « pompiers d’avant-garde ». Or il ne s’agit pas de reconnaître ce qui est peint mais de reconnaître une peinture. Comme, devant un poème, non de quoi il parle, mais si et en quoi c’est un poème, non quelque chose qui ressemble à un poème. Et « il ne suffit pas non plus de ne pas imiter la nature pour être un peintre » (ibid., p. 284). S’y reconnaître, c’est toute la question. Pour la peinture comme pour la poésie, et tout art. La question de la critique. Elle n’est pas extérieure, mais intérieure à l’art.
Cette rivalité était prise dans une illusion linéaire qui a été – l’est-elle encore, pour certains ? – un accompagnement de la modernité, peut-être nécessaire au conflit de ses commencements : la peinture devenait de plus en plus peinture, la poésie, de plus en plus poésie. Ces arrogances ne sont pas si anciennes. Ainsi on était passé du figuratif à l’abstrait. L’histoire : une marche vers. C’est confondre l’irréversible avec le progrès.
Le danger de cette confusion est de procurer des apparences de garantie pour les valeurs. Mais il est aussi incongru de s’appuyer sur ces assurances fuyantes que de se croire capable de voir un tableau parce qu’on a des yeux, ou d’entendre un poème parce qu’on parle avec des mots.
L’effet objectif des conflits de la modernité a été de contraindre à penser plus explicitement peut-être que dans le passé la question de la valeur. Et de ce qu’est l’art lui-même. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que l’art moderne vaut mieux que l’ancien, et l’abstrait mieux que le figuratif.
L’effet premier de l’abstrait a été de mettre en évidence la possibilité de confusion – le plus souvent, une confusion certaine – entre la peinture et ce qu’elle dépeignait : en la voyant, le spectateur, comme disait Kandinsky, « peut facilement laisser échapper le contenu purement pictural3 » et « l’objet devient parfois un trompe-l’esprit » (ibid.). De ce point de vue, la peinture qui ne représente rien ne montre en effet que la peinture. Mais pas le moyen de la voir.
On pourrait ici reconnaître un paradigme visuel du signe. La représentation – la figuration – en peinture, analogue à la nomination dans le langage, à l’énoncé composé de mots et de sens. L’abstrait, mais, avant même l’abstrait, le cubisme, et avant même, les impressionnistes, les nabis, les fauves, pratiquant une manière d’entre-donner à voir comme Mallarmé, et toute une poésie moderne après lui, de suggérer. Où il est clair que l’opposition entre abstrait et figuratif est simpliste. Apollinaire opposait mieux un « art de conception » à un « art d’imitation4 ».
D’ailleurs, comme il n’y a pas l’abstrait, il n’y a pas la peinture figurative. Soulages disait dès 1954 dans Le Disque vert, à propos de l’espace, qu’il n’est pas le même chez Giotto et Tintoret, Raphaël et Rembrandt, parce que c’est chaque fois « l’espace vécu, éprouvé, ressenti dans une expérience poétique ». Et à Bernard Ceysson en 1976 : « Dans une peinture ce qui a la précellence ce sont les rapports, les relations. »
Un paradoxe de la peinture dite figurative est que c’est parce qu’elle est image, qu’elle est langage. Signes. C’est donc une seule et même chose que Soulages rejette, quand il dit, en 1983 : « Ni image, ni langage. » Et il ironisait sur tel peintre moderne – c’était Bazaine – qui disait : « Je cherche un équivalent plastique. » Le signe, le signe, comme Toinon disait le poumon, vous dis-je.
Et ce que les peintres opposent au signe, généralement, c’est la chose. Soulages lui-même : « J’ai toujours été pour la peinture chose, et pas pour la peinture signe. » Et dans « Le prétendu métier perdu » : « Le tableau n’est pas signe, mais chose – sur laquelle viennent se faire et se défaire les sens qu’on lui prête5. » Je voudrais voir clair dans cette notion de chose. Car outre qu’elle montre le rejet du signe, elle cache, ou enveloppe, il me semble, ici, le plus important. Parce qu’elle ne se soucie pas de longs discours. Cette chose, c’est une pudeur. Théorique. L’euphémisme est justement le signe que ce qui est à dire est à la fois dit et non dit.
Déjà Harold Rosenberg, dans les années cinquante, remarquait : « Les peintres parlent de ce qu’ils font en un jargon toujours imprégné de la métaphysique des choses : “Ma peinture n’est pas de l’art ; c’est quelque chose qui est. Ce n’est pas l’image d’une chose ; c’est la chose elle-même6”. » Je ne le prends pas comme lui. Et la métaphy-sique, ici, serait plutôt celle du verbe être, et de la chose même. Ce qui n’est pas du tout ce que dit Pierre Soulages. Qui évite ce piège. Mais à travers sa remarque il y a toute une tradition de défense de l’abstrait, et de postulation que c’est une peinture à regarder comme peinture. Là.
Ce n’est pas une affaire de mots. Et c’est vrai que le refus de la représentation lui aussi cache l’essentiel, autant que la représentation. Instinctivement, Soulages a toujours rejeté tous ces contre. Il ne garde que le pour. Pour la peinture. Sa peinture. Ce pour aussi est à fouiller. Car dans son faire, son énergie, son activité, ce qu’il montre, comme le rythme, c’est un sujet. Une historicité.
Dire chose, avant de dire sujet ou historicité, c’est dire un individu de peinture, qui se figure lui-même. Comme un poème est un individu. Mais aussi que cet individu est, ou se veut, porteur de tous les sens qui pourront, comme dit Soulages, venir sur lui « se faire et se défaire ». Porteur, et non porté, par du sens qui lui est antérieur, et qui serait – comme c’est si souvent le cas – tiré des objets qu’il représenterait, et qui sont des signes. Porteur et non porté, comme le poème et comme la traduction-poème. Les traductions non-poèmes sont seulement portées.
C’est ainsi, je suppose, qu’on aime à dire que l’art abstrait est un langage universel. Mais qu’est-ce que c’est : universel ? En quoi un paysage, une nature morte seraient moins universels ? Et si on veut dire que c’est compréhensible immédiatement par tous, c’est manifestement faux. Comme si l’abstrait était une langue universelle au-delà des langues-cultures particulières.
Il ne faut pas aller loin pour voir le contraire : la vision culturelle. Par exemple : « La peinture de Soulages, faite de grands signes noirs subtilement étayés par d’autres couleurs, d’un effet dramatique puissant7. » Exemple même d’un sens qui vient sur la chose « se faire et se défaire ».
Le refus du signe n’est pas ici le refus du sens. Mais la peinture n’a pas mis ensemble du sens. Le poète, paradoxalement, travaille aussi avec autre chose que du sens, mais dans le langage. Pourtant, dans les deux cas, il est insatisfaisant de laisser l’affaire à la seule recherche du sens, à une attribution de sens. Le sens sauve le signe. Entretient un malentendu. Deux même : celui de tel ou tel sens, celui de la notion même de sens.
Le sens refait du figuratif à partir de l’abstrait. Du point de vue du sens, toute peinture, même celle qu’on dit abstraite, est figurative. On pourrait dire : il n’y a que de la peinture figurative. D’ailleurs, en un autre sens, même si c’était pour rire, Soulages disait aussi à Bernard Ceysson, en 1976, de « certains abstraits géométriques, qu’ils étaient des peintres figuratifs ». Puisqu’ils figuraient des carrés. D’ailleurs, à travers leurs carrés, bien plus que des figures géométriques. Pour Larionov, les formes géométriques étaient encore de la représentation. Et on ne se débarrasse pas du fragment 93 d’Héraclite. Il reste oracle. Ambigu définitivement. Tout dépend du sens qu’on lui donne : « Ὀ ἂναξ οὗ τὸ μαντεῖόν ̍εστι τὸ ̍εν Δελφοῑ οὗτε λέγει οὗτε κρύπτει άλλὰ σημαίνει (Le maître de qui est l’oracle celui de Delphes ni ne dit ni ne cache mais donne des signes). » Il produit des signes. Il fait du sens. Mais le sens vient « se faire et se défaire » à partir de la peinture. La peinture elle-même ne fait pas des signes. Qui seraient, eux, des abstractions. Pour la peinture, l’oracle ne devrait pas dire σημαίνει , mais ῥυθμίζει, met en rythme, selon l’organisation de ce qui est dans le temps, dans le mouvant. L’art n’est pas sens, mais rythme. Le sens vient, comme dit Soulages, après.
L’échappée hors de cette hâte à mettre du sens se fait par plusieurs moyens. Il y a les non-titres des tableaux. Pour ne pas faire parler les peintures qui sont muettes. Mondrian déjà titrait Peinture I, II… Le discours technique. La peinture le déborde comme elle déborde le sens. J’y reviendrai plus loin. Ici, d’abord, il y a, chez Pierre Soulages comme dans l’oracle de Delphes, le sens de la parabole – du sens qui se dépasse lui-même. Qui va ailleurs. C’est l’apparition et la disparition du coq dans la tache de goudron sur le mur8, et cette histoire que Soulages raconte, de Nanouk l’esquimau qu’on filme et qui le sait, et il y a à côté un phoque, qui ne sait pas qu’on le filme, et Soulages dit : « Il faut qu’il y ait toujours un phoque dans une œuvre d’art. » Et la parabole est bien, par son étymologie (parole) allusion à ceci que, sans qu’on le sache, le langage est sans cesse parabole. Il dit autre chose que ce qu’il dit. La parabole ne fait que pousser cette propriété à sa limite. L’art aussi en est une limite. Penser autour, c’est penser à cette limite.
Soulages n’aime pas l’idée commune que l’abstrait soit le refus de la figuration. Puisqu’il en est l’absence. Curieusement, on retrouve le statut traditionnel des mots par rapport aux choses : les mots, absence des choses. Le démon de cette métaphore – car il faut reconnaître que c’est une métaphore – a même mené Hegel à y voir, à voir dans la conscience (où Hegel localise le langage) la mort et le meurtre des choses. Dont Blanchot a fait un motif littéraire. Qu’on a même confondu avec la modernité. Pourtant, Soulages a raison : la peinture n’est pas plus l’absence du monde que les mots n’en sont l’absence, la mort ou le meurtre. La même vision substitutive mène le langage – dans la description traditionnelle du signe tenant-lieu-des-choses – et, curieusement, le rapport qu’on voit entre la peinture abstraite et la figurative. Dans les deux cas on ne voit que le langage-signe et on ne voit pas la peinture.
Refus du refus : à Bernard Ceysson, sur les années cinquante : « Non, il n’y a pas eu de refus9. » Littéralement, Soulages a raison : se cherchant lui-même. Mais c’est l’aspect tout subjectif d’une situation qui, historiquement, consiste aussi, par là, à tourner le dos à la mode, à l’époque. Il suffisait de s’y sentir « étranger » (ibid., p. 280). Simple-ment : « c’est parce que j’aimais autre chose » (ibid., p. 283). D’où, comme par instinct : l’avant-garde ? – « mauvaise manière de penser » (ibid., p. 281), notion « liée à l’académisme. Elle en est l’envers » (ibid.). Des doctrines, des « théories avant de peindre ». La poétique, avant la poésie.
Chose, Soulages veut que son tableau soit chose par son titre (des mesures, une date), chose par le refus du cadre, chose par la suspension : un câble dans l’espace entre sol et plafond. Il dit, en 1985 : « pour affirmer la qualité de chose du tableau ». C’est bien que toute affirmation est une négation. Le banal dedans-dehors. L’expérience intérieure contre les habitudes, les pressions sociales. Mais du dedans, ce n’est même pas un sacrifice – Delacroix écrit : « Le premier des principes, c’est celui de la nécessité des sacrifices10. »
L’agression du moderne contre la tradition n’est pas symétrique à celle de la tradition contre le moderne. Historiquement, le nouveau n’est pas un refus du passé pour le refus du passé. Ce refus ne serait ni pensable ni possible s’il n’y avait le mouvement ve...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Dire et la peinture
  6. Comme le langage, comme la poésie, comme la musique
  7. Ni signe ni chose : répondre le monde
  8. Du carré sans angles à la religion des couleurs
  9. Pure la peinture pure
  10. Pas le futur – le présent, pour toujours
  11. Mettre en scène l’invisible
  12. Le sujet c’est le moderne
  13. L’époque
  14. La palette française
  15. Sous le signe du rythme
  16. Un noir lumière
  17. Le temps en peinture
  18. Le pinceau et l’encre
  19. Le vitrail vient de loin
  20. La prosodie du regard
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