Les Territoires de l'intime
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Les Territoires de l'intime

L’individu, le couple, la famille

  1. 192 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Les Territoires de l'intime

L’individu, le couple, la famille

À propos de ce livre

Une grande partie de notre existence est consacrĂ©e Ă  acquĂ©rir une intimitĂ©, puis Ă  la dĂ©fendre ou au contraire Ă  la partager. Mais qu'est-ce que l'intimitĂ© ? Comment l'adolescent conquiert-il son espace propre ? Comment, plus tard, tisse-t-on une intimitĂ© au sein du couple, puis de la famille, tout en prĂ©servant son territoire personnel ? VoilĂ  qui devrait permettre Ă  chacun de mieux comprendre les bases mĂȘmes de l'identitĂ©, mais aussi des liens conjugaux et familiaux. Robert Neuburger est psychiatre, psychanalyste, thĂ©rapeute de couple et de famille Ă  Paris. Il forme et supervise des thĂ©rapeutes tant en France qu'Ă  l'Ă©tranger. Il est notamment l'auteur du Mythe familial et de Nouveaux Couples.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2000
Imprimer l'ISBN
9782738108340
ISBN de l'eBook
9782738184931
Chapitre premier
La conquĂȘte de l’intimitĂ© individuelle
images
L’adolescence : de la famille à l’individu
Au dĂ©but, il y a la mĂšre : le bĂ©bĂ© existe dans une relation fusionnelle, vitale, parasitaire avec elle. Sans cette relation fusionnelle, l’enfant ne saurait survivre. Puis, les meilleures choses ayant une fin, le nourrisson doit apprendre Ă  exister par lui-mĂȘme, Ă  exprimer avec ses moyens, ses cris, ses sourires les besoins qu’il ressent pour sa survie et son plaisir. L’apprentissage du langage est liĂ© Ă  ce besoin d’ĂȘtre compris par les adultes pour tout ce qui est nĂ©cessaire au bien-ĂȘtre. La maĂźtrise du langage, des mouvements, des fonctions excrĂ©trices constitue petit Ă  petit le premier territoire intime, c’est-Ă -dire ce qui appartient Ă  l’enfant, dont il peut jouir, qu’il peut gĂ©rer Ă  sa guise malgrĂ© une grande dĂ©pendance rĂ©siduelle. Ainsi, au cours des annĂ©es se crĂ©e pour chacun l’idĂ©e d’un territoire qui lui est propre, dont il peut disposer, qu’il peut ouvrir Ă  certains et donc interdire Ă  d’autres, qui peut aussi ĂȘtre cause de souffrances, par exemple lors d’intrusions non souhaitĂ©es. Ce sentiment d’intimitĂ© personnelle se distingue progressivement du bain d’intimitĂ© familial. Il peut d’ailleurs se trouver prĂ©cocement en conflit avec les normes qui rĂ©gissent l’univers de l’intimitĂ© familiale. Un enfant me faisait rĂ©cemment part de sa perplexitĂ© : « Ai-je le droit de penser diffĂ©remment de mes parents ? »
La conscience du droit Ă  disposer d’une intimitĂ© individuelle, personnelle se dĂ©veloppe particuliĂšrement Ă  l’adolescence, en sachant que l’adolescence dĂ©bute tĂŽt. Les derniĂšres statistiques amĂ©ricaines indiquent que l’adolescence commence vers l’ñge de huit ans pour les filles et un an plus tard pour les garçons, ce qui implique une disparition de la phase de latence.
La conquĂȘte de son espace d’intimitĂ© par l’adolescent s’apparente Ă  un parcours initiatique passant, notamment, par une phase de mise en danger : le parcours sera diffĂ©rent dans une sociĂ©tĂ© traditionnelle oĂč il est balisĂ© par des rituels initiatiques, et dans notre sociĂ©tĂ© oĂč le choix est plus vaste, plus incertain, plus inquiĂ©tant, mais laisse Ă©galement davantage de place Ă  la crĂ©ativitĂ© de chacun.
Le rapport aux normes
L’apparition du besoin d’un territoire d’autonomie et sa concrĂ©tisation se situent entre deux normes : normes familiales et normes du clan d’ñge, toutes deux se rĂ©fĂ©rant, pour les critiquer ou pour les adopter, aux normes sociales.
Les normes familiales
L’intime personnel est le produit d’un processus qui part des exigences normatives familiales. Celles-ci imposent Ă  l’enfant des contraintes structurantes qui dĂ©terminent son Ă©volution. Aussi peuvent-elles passer pour des handicaps. En fait, il n’en est rien : ces pressions familiales sont le moteur du processus, elles obligent l’adolescent Ă  dĂ©cider de l’espace d’intimitĂ© qu’il souhaite pour lui-mĂȘme, c’est-Ă -dire des domaines qu’il s’attribue Ă  condition que les sources de pressions normalisantes soient diffĂ©renciĂ©es : il ne faut pas sous-estimer, dans les processus de transmission, d’autres influences dĂ©sirĂ©es, voire choisies par les parents, qui en sont les prolongements : guides spirituels, activitĂ©s impliquant des valeurs telles que solidaritĂ©, compĂ©titivitĂ© ou autre, Ă©tablissement scolaire orientĂ© idĂ©ologiquement.
Tant que l’enfant est totalement sous la dĂ©pendance de ses parents, ceux-ci en assument l’entiĂšre responsabilitĂ©, et prennent eux-mĂȘmes les dĂ©cisions pour son bien. Puis, les parents ressentent qu’il leur sera impossible de maĂźtriser les choix futurs de l’adolescent, ce qu’il dĂ©cidera de l’usage de son corps, de ses pensĂ©es, de ses compĂ©tences potentielles. C’est ici qu’intervient activement le processus de transmission des normes, tentative d’anticiper les difficultĂ©s que l’adolescent va rencontrer, d’orienter ses dĂ©cisions selon une Ă©thique issue d’une rĂ©flexion des parents sur leur propre destin et sur celui de la famille. C’est donc un processus de normalisation familiale sur un mode transgĂ©nĂ©rationnel.
Ces normes familiales se caractérisent à la fois par leur contenu et par leur mode de transmission.
Le contenu, c’est l’usage que l’on peut faire de son corps, de son intellect, de ses compĂ©tences, une fois ses espaces reconnus. Il varie selon le sexe de l’adolescent ou sa place dans la fratrie et dans la famille ; en ce qui concerne le corps et tous ses prolongements reprĂ©sentant l’espace physique, l’éducation propose ou impose des modĂšles selon lesquels il est, par exemple, question d’ĂȘtre gĂ©nĂ©reux ou au contraire parcimonieux : « Il donne trop facilement » ou « elle se donne trop facilement » n’ont pas une connotation positive. « Il est trop personnel » ou « elle ne sait pas se faire des amis » non plus

Les modes de transmission sont variables : le simple respect qui peut d’ailleurs passer pour de l’indiffĂ©rence : « Il ou elle doit bien faire son expĂ©rience » ; l’utilisation de la peur et de la menace : « Si tu te laisses toucher lĂ  (sous-entendu dans la zone sexuelle), tu es perdue », « Si tu reviens enceinte, ne compte pas sur nous pour t’aider », « Si tu touches Ă  la drogue, tu ne t’en sortiras jamais » (ce qui signifie : « Si tu donnes accĂšs Ă  ton corps Ă  la drogue, tu es perdu »), etc. Une mĂ©thode pĂ©dagogique, d’un impact important dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, prĂ©tendait prendre les devants en convainquant l’enfant que son corps et surtout ses organes gĂ©nitaux ne lui appartenaient pas en propre, qu’il n’en Ă©tait que le gĂ©rant et devait en rendre compte Ă  ses parents et Ă©ducateurs1. Cette thĂ©orie avait pour objectif d’empĂȘcher la masturbation responsable de tous les maux, coupable en particulier de rendre les enfants impropres au mariage !
La transmission de normes peut Ă©galement porter sur l’attitude de l’adolescent face au territoire privĂ©, intime, des autres. VoilĂ  le pĂšre de trois garçons et d’une fille qui, lorsque celle-ci montre les signes physiques d’une adolescence dĂ©butante, installe un verrou Ă  la porte de sa chambre, lui laissant le soin de le gĂ©rer Ă  sa guise, et indique Ă  ses fils que le premier qui franchit cette porte sans l’autorisation expresse de sa sƓur aura affaire Ă  lui ! Cette attitude contraste avec celle de telle mĂšre qui, confrontĂ©e aux tripotages sexuels de la part de son fils ĂągĂ© de treize ans sur sa fille de neuf ans, exprime que cela n’a pas dĂ» lui dĂ©plaire Ă©tant donnĂ© son caractĂšre sensuel !
Ce qui est transmis, et la façon dont ce contenu est transmis, rĂ©pond aux normes du groupe familial, Ă  sa « mythique », Ă  ses particularismes. Cela concerne la future utilisation de son corps par l’adolescent, mais aussi ses opinions, ses pensĂ©es, ses engagements. Le poids du transgĂ©nĂ©rationnel sera peut-ĂȘtre plus important dans ce dernier domaine. La famille, son noyau le plus investi, communique au futur adulte ce qu’il devra penser des rapports Ă  entretenir dans son futur couple, dans la famille qu’il va crĂ©er, avec les enfants qu’il ne manquera pas d’avoir et dans la sociĂ©tĂ©. Ces rapports seront liĂ©s au modĂšle de couple et de famille transmis par les parents : transmission par l’exemple ou par le contre-exemple (parents unis ou divorcĂ©s), transmission par l’enseignement, par l’éducation : « N’épouse pas un (e) Ă©tranger (Ăšre) » ; « Ne te mets pas trop vite en couple ; tu as bien le temps de te marier ; Ă©tudie d’abord ; ne te mets pas trop vite des responsabilitĂ©s sur le dos ! ». L’enfant hĂ©rite Ă©galement de valeurs comme l’altruisme, la fidĂ©litĂ©, l’idĂ©e de responsabilitĂ© ou bien, Ă  l’inverse, la mĂ©fiance, l’égoĂŻsme : « N’attends rien de quelqu’un qui n’est aprĂšs tout qu’un (e) Ă©tranger (Ăšre) Ă  la famille » ; « Il n’y a aucune reconnaissance Ă  attendre des enfants ! » Parmi ces petites phrases qui transmettent un savoir-vivre familial, citons cette mĂšre qui rĂ©pĂ©tait souvent : « Pourquoi ne pas donner ce qui ne te coĂ»te rien ? », sous-entendu les sourires, les bonnes paroles.
Enfin, la transmission concerne les compĂ©tences de l’adolescent et l’utilisation qu’il en fera. Le choix du type d’études, de la carriĂšre, est souvent un terrain fertile en conflits entre ce que les parents veulent transmettre et les souhaits de l’adolescent. Les attitudes parentales sont trĂšs variables, qui tentent d’orienter l’utilisation que l’adolescent va faire de son domaine de compĂ©tence, de ce qu’il va y intĂ©grer, de ce qu’il va en rejeter. Les petites phrases sur ce thĂšme sont : « Je n’ai pas Ă©levĂ© mes enfants pour en faire des fonctionnaires », « L’État c’est la sĂ©curitĂ© », « Apprends un mĂ©tier que l’on ne peut pas te prendre ! » (qui ne dĂ©pende pas d’un contexte trop prĂ©cis), « Ne fais pas comme moi ! », « Suis mon exemple », etc.
Construire son intime intellectuel, son intime conviction, c’est identifier un dehors et un dedans, distinguer les propositions qui viennent du monde extĂ©rieur et la dĂ©cision de les intĂ©grer ou non Ă  son intimitĂ©.
L’adolescent est particuliĂšrement sensible Ă  tout ce qui peut menacer son territoire propre, qui va se diffĂ©rencier et s’enrichir. Cette pĂ©riode de la vie est essentielle pour la constitution de l’idĂ©e d’un moi « propriĂ©taire » d’espaces personnels, qui vont se dĂ©velopper dans trois directions : un espace physique qui ne comprend pas que le corps mais aussi ses accessoires et prolongements, depuis le vĂȘtement jusqu’à la chambre ; un espace psychique de croyances, de pensĂ©es, de sentiments qui amĂšne souvent, quand on tente d’aborder certains sujets, la rĂ©ponse : « Tu me prends la tĂȘte » ; un domaine de compĂ©tence ou d’expertise qui permet Ă  l’adolescent de mieux maĂźtriser son environnement, de gĂ©rer une partie de son existence.
Ce territoire propre est une conquĂȘte sur le territoire familial : modification des frontiĂšres, apparition de la pudeur, d’un droit Ă  une vie privĂ©e, correspondance, communications tĂ©lĂ©phoniques
 Elle se traduit par l’établissement de relations tantĂŽt d’opposition, tantĂŽt de soumission ou plutĂŽt de fausse soumission
 C’est souvent l’aĂźnĂ© d’une famille qui ouvre la voie aux plus jeunes et qui aura le plus de peine Ă  faire non seulement admettre les changements relationnels exigĂ©s par son nouveau statut, mais encore Ă  obtenir que son droit Ă  un territoire d’intimitĂ© physique, mental et Ă  un domaine propre de compĂ©tence soit reconnu.
La crise de l’adolescence a tĂŽt fait de se transformer en crise familiale tant les parents sont sollicitĂ©s, voire provoquĂ©s. Les rĂ©actions parentales sont essentielles Ă  cet Ăąge, soit pour stimuler sa quĂȘte chez un enfant inhibĂ©, soit, bien plus souvent, pour la freiner si l’enfant est un peu trop enthousiaste de ses libertĂ©s conquises. Dans une famille que nous avons suivie, les trois adolescents avaient transformĂ© le salon de l’appartement familial en atelier de rĂ©paration pour motos.
Les normes du clan d’ñge
L’opinion des pairs est la seconde norme Ă  laquelle est confrontĂ© l’adolescent. Il se crĂ©e un conflit chez l’adolescent sommĂ© de choisir entre normes familiales et normes du groupe de pairs. Un enfant dĂ©veloppe, en effet, successivement deux loyautĂ©s. La premiĂšre, Ă  l’égard des parents, se manifeste Ă  la phase postƓdipienne, vers l’ñge de trois/quatre ans. Elle se constitue dans un contrat Ă  la romaine : les parents donnent leur confiance Ă  l’enfant, c’est une confiance d’appartenance, de reconnaissance, une confiance de filiation qui est le produit de la confiance qu’eux-mĂȘmes ont reçue de leurs propres parents, et ceux-ci, bien sĂ»r, des aĂŻeux. Cette confiance Ă©veille chez l’enfant un sentiment de loyautĂ©, de fidĂ©litĂ© qui lui impose d’accepter ses parents comme des figures d’autoritĂ©. Le moteur de cette loyautĂ© est donc la peur de perdre leur confiance et la peur de l’abandon. Vers cinq ou six ans, apparaĂźt une seconde loyautĂ© : celle qui lie l’enfant Ă  son groupe de pairs, souvent les camarades d’école, souvent un groupe de mĂȘme sexe. L’ñge auquel elle apparaĂźt semble liĂ© Ă  la possibilitĂ© pour l’enfant de conceptualiser un groupe dans son ensemble et non comme une sĂ©rie de relations individuelles. Cette loyautĂ© est le produit de la confiance accordĂ©e par le groupe Ă  chaque enfant, parce qu’il en fait partie, et le tiers garant est le mythe affiliatif, soit l’idĂ©e qu’il existe un groupe. Le ressort de cette loyautĂ© est le sens de la justice qui apparaĂźt corrĂ©lativement, sens de ce qui est juste ou non, sens de l’égalitĂ©, sens de la solidaritĂ©. Ces deux loyautĂ©s entraĂźnent chez l’enfant des conflits qui vont le structurer. Ils sont l’essence mĂȘme de la socialisation, voire de la pensĂ©e dĂ©mocratique. Effectivement, bien aprĂšs le stade de l’enfance, chacun doit pouvoir juger tout au long de sa vie ce qui est le plus important : le respect dĂ» aux autoritĂ©s, c’est-Ă -dire la loyautĂ© aux figures parentales, ou la loyautĂ© au groupe de pairs, donc ce qui est bon pour la communautĂ©. L’ñge de cinq ans est vraiment un tournant. Piaget a montrĂ© qu’avant l’apparition de la loyautĂ© au groupe de pairs, l’enfant n’hĂ©site pas Ă  dĂ©noncer un camarade fautif. Toujours avant l’apparition de cette seconde loyautĂ©, l’enfant a du mal Ă  se situer face Ă  une attitude autoritaire, illogique ou injuste de la part d’un adulte. Cela explique d’ailleurs l’extrĂȘme fragilitĂ© des enfants ĂągĂ©s de cinq ou six ans confrontĂ©s Ă  des situations d’abus de la part de parents ou d’adultes ayant autoritĂ©. Plus tard, l’enfant fera appel Ă  son jugement, pour choisir la loyautĂ© prioritaire. PlacĂ© dans la mĂȘme situation – un camarade a fait une bĂȘtise et le maĂźtre demande qu’il soit dĂ©noncĂ© –, on verra l’enfant qui a passĂ© cet Ăąge hĂ©siter entre les deux loyautĂ©s. Si le maĂźtre ou le parent commet une injustice, lĂ  aussi on verra l’enfant hĂ©siter sur le parti Ă  prendre. Par peur de l’exclusion ou par goĂ»t pour le conformisme de groupe, l’adolescent est confrontĂ© aux normes de l’intime de son groupe de pairs. Celles-ci concernent son corps, sa vie sexuelle, ses vĂȘtements, ses croyances, Ă©galement ses compĂ©tences. La norme actuelle qui consiste Ă  surtout ne montrer aucun goĂ»t pour les apprentissages scolaires en fait partie.
Dans ce processus normal de maturation de l’enfant, processus d’acquisition des loyautĂ©s qui prend toute son importance Ă  l’adolescence, il est particuliĂšrement important qu’existe une certaine compatibilitĂ© entre les normes familiales et les normes du groupe de pairs. Dans le cas inverse, le risque est grand d’une coupure, d’un choix qui ne soit pas celui de normes personnelles, mais de l’adhĂ©sion inconditionnelle Ă  l’un des deux groupes. On retrouve en cas d’adhĂ©sion totale Ă  la famille toute la gamme des pathologies psychiatriques et dans l’adhĂ©sion au groupe d’ñge, Ă  « la bande », le risque de voir se dĂ©velopper une sĂ©rie de dysfonctionnements dĂ©lictueux ou antisociaux.
L’automythification : prĂ©destination et attitudes ordaliques
À partir de ces normes, il reste Ă  l’adolescent Ă  fabriquer du diffĂ©rent. La constitution d’un intime est un parcours personnel : il s’agit de prendre des distances, de se crĂ©er un territoire entre normes familiales et normes sociales, celles des copains et copines ou des mĂ©dias. Les relations entre les normes familiales et les normes sociales concernant la dĂ©finition du territoire intime d’un adolescent jouent un rĂŽle non nĂ©gligeable dans les suites de son dĂ©veloppement. Si ces normes sont trop semblables, l’adolescent aura du mal Ă  faire entendre sa diffĂ©rence, mais si elles sont trop Ă©loignĂ©es, voire incompatibles, l’adolescent sera pris dans un conflit de loyautĂ©, le risque Ă©tant qu’il choisisse l’un ou l’autre des deux camps, au dĂ©triment de son propre trajet.
Comment faire entendre sa diffĂ©rence entre deux normes ? Ainsi des parents peuvent juger une adolescente trop jeune pour avoir une vie sexuelle et ses copines juger la mĂȘme adolescente attardĂ©e Ă  cause d’une chastetĂ© qui leur paraĂźt anachronique ! Comment faire entendre sa voix, comment s’entendre soi-mĂȘme dans un contexte bruyant ? CrĂ©er, inventer sa diffĂ©rence, entre normes familiales et normes sociales, c’est le processus que nous appelons auto-mythification. Il s’agit pour l’adolescent non seulement de croire en lui, de « se croire », mais, en mĂȘme temps, d’oublier qu’il s’agit d’une croyance, et donc de crĂ©er un mythe. C’est la diffĂ©rence entre mythe et croyance : ...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Chapitre premier - La conquĂȘte de l’intimitĂ© individuelle
  6. Chapitre II - L’intimitĂ© du couple : l’invention d’un territoire intime
  7. Chapitre III - La crĂ©ation du territoire familial d’intimitĂ©
  8. Chapitre IV - La mort de l’intimitĂ©
  9. Conclusion - Le rapport d’opacité : du rĂȘve fusionnel Ă  l’idĂ©al d’autonomie
  10. RepĂšres bibliographiques
  11. Remerciements