
- 192 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
Une grande partie de notre existence est consacrĂ©e Ă acquĂ©rir une intimitĂ©, puis Ă la dĂ©fendre ou au contraire Ă la partager. Mais qu'est-ce que l'intimitĂ© ? Comment l'adolescent conquiert-il son espace propre ? Comment, plus tard, tisse-t-on une intimitĂ© au sein du couple, puis de la famille, tout en prĂ©servant son territoire personnel ? VoilĂ qui devrait permettre Ă chacun de mieux comprendre les bases mĂȘmes de l'identitĂ©, mais aussi des liens conjugaux et familiaux. Robert Neuburger est psychiatre, psychanalyste, thĂ©rapeute de couple et de famille Ă Paris. Il forme et supervise des thĂ©rapeutes tant en France qu'Ă l'Ă©tranger. Il est notamment l'auteur du Mythe familial et de Nouveaux Couples.
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Informations
Chapitre premier
La conquĂȘte de lâintimitĂ© individuelle

Lâadolescence : de la famille Ă lâindividu
Au dĂ©but, il y a la mĂšre : le bĂ©bĂ© existe dans une relation fusionnelle, vitale, parasitaire avec elle. Sans cette relation fusionnelle, lâenfant ne saurait survivre. Puis, les meilleures choses ayant une fin, le nourrisson doit apprendre Ă exister par lui-mĂȘme, Ă exprimer avec ses moyens, ses cris, ses sourires les besoins quâil ressent pour sa survie et son plaisir. Lâapprentissage du langage est liĂ© Ă ce besoin dâĂȘtre compris par les adultes pour tout ce qui est nĂ©cessaire au bien-ĂȘtre. La maĂźtrise du langage, des mouvements, des fonctions excrĂ©trices constitue petit Ă petit le premier territoire intime, câest-Ă -dire ce qui appartient Ă lâenfant, dont il peut jouir, quâil peut gĂ©rer Ă sa guise malgrĂ© une grande dĂ©pendance rĂ©siduelle. Ainsi, au cours des annĂ©es se crĂ©e pour chacun lâidĂ©e dâun territoire qui lui est propre, dont il peut disposer, quâil peut ouvrir Ă certains et donc interdire Ă dâautres, qui peut aussi ĂȘtre cause de souffrances, par exemple lors dâintrusions non souhaitĂ©es. Ce sentiment dâintimitĂ© personnelle se distingue progressivement du bain dâintimitĂ© familial. Il peut dâailleurs se trouver prĂ©cocement en conflit avec les normes qui rĂ©gissent lâunivers de lâintimitĂ© familiale. Un enfant me faisait rĂ©cemment part de sa perplexitĂ© : « Ai-je le droit de penser diffĂ©remment de mes parents ? »
La conscience du droit Ă disposer dâune intimitĂ© individuelle, personnelle se dĂ©veloppe particuliĂšrement Ă lâadolescence, en sachant que lâadolescence dĂ©bute tĂŽt. Les derniĂšres statistiques amĂ©ricaines indiquent que lâadolescence commence vers lâĂąge de huit ans pour les filles et un an plus tard pour les garçons, ce qui implique une disparition de la phase de latence.
La conquĂȘte de son espace dâintimitĂ© par lâadolescent sâapparente Ă un parcours initiatique passant, notamment, par une phase de mise en danger : le parcours sera diffĂ©rent dans une sociĂ©tĂ© traditionnelle oĂč il est balisĂ© par des rituels initiatiques, et dans notre sociĂ©tĂ© oĂč le choix est plus vaste, plus incertain, plus inquiĂ©tant, mais laisse Ă©galement davantage de place Ă la crĂ©ativitĂ© de chacun.
Le rapport aux normes
Lâapparition du besoin dâun territoire dâautonomie et sa concrĂ©tisation se situent entre deux normes : normes familiales et normes du clan dâĂąge, toutes deux se rĂ©fĂ©rant, pour les critiquer ou pour les adopter, aux normes sociales.
Les normes familiales
Lâintime personnel est le produit dâun processus qui part des exigences normatives familiales. Celles-ci imposent Ă lâenfant des contraintes structurantes qui dĂ©terminent son Ă©volution. Aussi peuvent-elles passer pour des handicaps. En fait, il nâen est rien : ces pressions familiales sont le moteur du processus, elles obligent lâadolescent Ă dĂ©cider de lâespace dâintimitĂ© quâil souhaite pour lui-mĂȘme, câest-Ă -dire des domaines quâil sâattribue Ă condition que les sources de pressions normalisantes soient diffĂ©renciĂ©es : il ne faut pas sous-estimer, dans les processus de transmission, dâautres influences dĂ©sirĂ©es, voire choisies par les parents, qui en sont les prolongements : guides spirituels, activitĂ©s impliquant des valeurs telles que solidaritĂ©, compĂ©titivitĂ© ou autre, Ă©tablissement scolaire orientĂ© idĂ©ologiquement.
Tant que lâenfant est totalement sous la dĂ©pendance de ses parents, ceux-ci en assument lâentiĂšre responsabilitĂ©, et prennent eux-mĂȘmes les dĂ©cisions pour son bien. Puis, les parents ressentent quâil leur sera impossible de maĂźtriser les choix futurs de lâadolescent, ce quâil dĂ©cidera de lâusage de son corps, de ses pensĂ©es, de ses compĂ©tences potentielles. Câest ici quâintervient activement le processus de transmission des normes, tentative dâanticiper les difficultĂ©s que lâadolescent va rencontrer, dâorienter ses dĂ©cisions selon une Ă©thique issue dâune rĂ©flexion des parents sur leur propre destin et sur celui de la famille. Câest donc un processus de normalisation familiale sur un mode transgĂ©nĂ©rationnel.
Ces normes familiales se caractérisent à la fois par leur contenu et par leur mode de transmission.
Le contenu, câest lâusage que lâon peut faire de son corps, de son intellect, de ses compĂ©tences, une fois ses espaces reconnus. Il varie selon le sexe de lâadolescent ou sa place dans la fratrie et dans la famille ; en ce qui concerne le corps et tous ses prolongements reprĂ©sentant lâespace physique, lâĂ©ducation propose ou impose des modĂšles selon lesquels il est, par exemple, question dâĂȘtre gĂ©nĂ©reux ou au contraire parcimonieux : « Il donne trop facilement » ou « elle se donne trop facilement » nâont pas une connotation positive. « Il est trop personnel » ou « elle ne sait pas se faire des amis » non plusâŠ
Les modes de transmission sont variables : le simple respect qui peut dâailleurs passer pour de lâindiffĂ©rence : « Il ou elle doit bien faire son expĂ©rience » ; lâutilisation de la peur et de la menace : « Si tu te laisses toucher lĂ (sous-entendu dans la zone sexuelle), tu es perdue », « Si tu reviens enceinte, ne compte pas sur nous pour tâaider », « Si tu touches Ă la drogue, tu ne tâen sortiras jamais » (ce qui signifie : « Si tu donnes accĂšs Ă ton corps Ă la drogue, tu es perdu »), etc. Une mĂ©thode pĂ©dagogique, dâun impact important dans la seconde moitiĂ© du XIXe siĂšcle, prĂ©tendait prendre les devants en convainquant lâenfant que son corps et surtout ses organes gĂ©nitaux ne lui appartenaient pas en propre, quâil nâen Ă©tait que le gĂ©rant et devait en rendre compte Ă ses parents et Ă©ducateurs1. Cette thĂ©orie avait pour objectif dâempĂȘcher la masturbation responsable de tous les maux, coupable en particulier de rendre les enfants impropres au mariage !
La transmission de normes peut Ă©galement porter sur lâattitude de lâadolescent face au territoire privĂ©, intime, des autres. VoilĂ le pĂšre de trois garçons et dâune fille qui, lorsque celle-ci montre les signes physiques dâune adolescence dĂ©butante, installe un verrou Ă la porte de sa chambre, lui laissant le soin de le gĂ©rer Ă sa guise, et indique Ă ses fils que le premier qui franchit cette porte sans lâautorisation expresse de sa sĆur aura affaire Ă lui ! Cette attitude contraste avec celle de telle mĂšre qui, confrontĂ©e aux tripotages sexuels de la part de son fils ĂągĂ© de treize ans sur sa fille de neuf ans, exprime que cela nâa pas dĂ» lui dĂ©plaire Ă©tant donnĂ© son caractĂšre sensuel !
Ce qui est transmis, et la façon dont ce contenu est transmis, rĂ©pond aux normes du groupe familial, Ă sa « mythique », Ă ses particularismes. Cela concerne la future utilisation de son corps par lâadolescent, mais aussi ses opinions, ses pensĂ©es, ses engagements. Le poids du transgĂ©nĂ©rationnel sera peut-ĂȘtre plus important dans ce dernier domaine. La famille, son noyau le plus investi, communique au futur adulte ce quâil devra penser des rapports Ă entretenir dans son futur couple, dans la famille quâil va crĂ©er, avec les enfants quâil ne manquera pas dâavoir et dans la sociĂ©tĂ©. Ces rapports seront liĂ©s au modĂšle de couple et de famille transmis par les parents : transmission par lâexemple ou par le contre-exemple (parents unis ou divorcĂ©s), transmission par lâenseignement, par lâĂ©ducation : « NâĂ©pouse pas un (e) Ă©tranger (Ăšre) » ; « Ne te mets pas trop vite en couple ; tu as bien le temps de te marier ; Ă©tudie dâabord ; ne te mets pas trop vite des responsabilitĂ©s sur le dos ! ». Lâenfant hĂ©rite Ă©galement de valeurs comme lâaltruisme, la fidĂ©litĂ©, lâidĂ©e de responsabilitĂ© ou bien, Ă lâinverse, la mĂ©fiance, lâĂ©goĂŻsme : « Nâattends rien de quelquâun qui nâest aprĂšs tout quâun (e) Ă©tranger (Ăšre) Ă la famille » ; « Il nây a aucune reconnaissance Ă attendre des enfants ! » Parmi ces petites phrases qui transmettent un savoir-vivre familial, citons cette mĂšre qui rĂ©pĂ©tait souvent : « Pourquoi ne pas donner ce qui ne te coĂ»te rien ? », sous-entendu les sourires, les bonnes paroles.
Enfin, la transmission concerne les compĂ©tences de lâadolescent et lâutilisation quâil en fera. Le choix du type dâĂ©tudes, de la carriĂšre, est souvent un terrain fertile en conflits entre ce que les parents veulent transmettre et les souhaits de lâadolescent. Les attitudes parentales sont trĂšs variables, qui tentent dâorienter lâutilisation que lâadolescent va faire de son domaine de compĂ©tence, de ce quâil va y intĂ©grer, de ce quâil va en rejeter. Les petites phrases sur ce thĂšme sont : « Je nâai pas Ă©levĂ© mes enfants pour en faire des fonctionnaires », « LâĂtat câest la sĂ©curitĂ© », « Apprends un mĂ©tier que lâon ne peut pas te prendre ! » (qui ne dĂ©pende pas dâun contexte trop prĂ©cis), « Ne fais pas comme moi ! », « Suis mon exemple », etc.
Construire son intime intellectuel, son intime conviction, câest identifier un dehors et un dedans, distinguer les propositions qui viennent du monde extĂ©rieur et la dĂ©cision de les intĂ©grer ou non Ă son intimitĂ©.
Lâadolescent est particuliĂšrement sensible Ă tout ce qui peut menacer son territoire propre, qui va se diffĂ©rencier et sâenrichir. Cette pĂ©riode de la vie est essentielle pour la constitution de lâidĂ©e dâun moi « propriĂ©taire » dâespaces personnels, qui vont se dĂ©velopper dans trois directions : un espace physique qui ne comprend pas que le corps mais aussi ses accessoires et prolongements, depuis le vĂȘtement jusquâĂ la chambre ; un espace psychique de croyances, de pensĂ©es, de sentiments qui amĂšne souvent, quand on tente dâaborder certains sujets, la rĂ©ponse : « Tu me prends la tĂȘte » ; un domaine de compĂ©tence ou dâexpertise qui permet Ă lâadolescent de mieux maĂźtriser son environnement, de gĂ©rer une partie de son existence.
Ce territoire propre est une conquĂȘte sur le territoire familial : modification des frontiĂšres, apparition de la pudeur, dâun droit Ă une vie privĂ©e, correspondance, communications tĂ©lĂ©phoniques⊠Elle se traduit par lâĂ©tablissement de relations tantĂŽt dâopposition, tantĂŽt de soumission ou plutĂŽt de fausse soumission⊠Câest souvent lâaĂźnĂ© dâune famille qui ouvre la voie aux plus jeunes et qui aura le plus de peine Ă faire non seulement admettre les changements relationnels exigĂ©s par son nouveau statut, mais encore Ă obtenir que son droit Ă un territoire dâintimitĂ© physique, mental et Ă un domaine propre de compĂ©tence soit reconnu.
La crise de lâadolescence a tĂŽt fait de se transformer en crise familiale tant les parents sont sollicitĂ©s, voire provoquĂ©s. Les rĂ©actions parentales sont essentielles Ă cet Ăąge, soit pour stimuler sa quĂȘte chez un enfant inhibĂ©, soit, bien plus souvent, pour la freiner si lâenfant est un peu trop enthousiaste de ses libertĂ©s conquises. Dans une famille que nous avons suivie, les trois adolescents avaient transformĂ© le salon de lâappartement familial en atelier de rĂ©paration pour motos.
Les normes du clan dâĂąge
Lâopinion des pairs est la seconde norme Ă laquelle est confrontĂ© lâadolescent. Il se crĂ©e un conflit chez lâadolescent sommĂ© de choisir entre normes familiales et normes du groupe de pairs. Un enfant dĂ©veloppe, en effet, successivement deux loyautĂ©s. La premiĂšre, Ă lâĂ©gard des parents, se manifeste Ă la phase postĆdipienne, vers lâĂąge de trois/quatre ans. Elle se constitue dans un contrat Ă la romaine : les parents donnent leur confiance Ă lâenfant, câest une confiance dâappartenance, de reconnaissance, une confiance de filiation qui est le produit de la confiance quâeux-mĂȘmes ont reçue de leurs propres parents, et ceux-ci, bien sĂ»r, des aĂŻeux. Cette confiance Ă©veille chez lâenfant un sentiment de loyautĂ©, de fidĂ©litĂ© qui lui impose dâaccepter ses parents comme des figures dâautoritĂ©. Le moteur de cette loyautĂ© est donc la peur de perdre leur confiance et la peur de lâabandon. Vers cinq ou six ans, apparaĂźt une seconde loyautĂ© : celle qui lie lâenfant Ă son groupe de pairs, souvent les camarades dâĂ©cole, souvent un groupe de mĂȘme sexe. LâĂąge auquel elle apparaĂźt semble liĂ© Ă la possibilitĂ© pour lâenfant de conceptualiser un groupe dans son ensemble et non comme une sĂ©rie de relations individuelles. Cette loyautĂ© est le produit de la confiance accordĂ©e par le groupe Ă chaque enfant, parce quâil en fait partie, et le tiers garant est le mythe affiliatif, soit lâidĂ©e quâil existe un groupe. Le ressort de cette loyautĂ© est le sens de la justice qui apparaĂźt corrĂ©lativement, sens de ce qui est juste ou non, sens de lâĂ©galitĂ©, sens de la solidaritĂ©. Ces deux loyautĂ©s entraĂźnent chez lâenfant des conflits qui vont le structurer. Ils sont lâessence mĂȘme de la socialisation, voire de la pensĂ©e dĂ©mocratique. Effectivement, bien aprĂšs le stade de lâenfance, chacun doit pouvoir juger tout au long de sa vie ce qui est le plus important : le respect dĂ» aux autoritĂ©s, câest-Ă -dire la loyautĂ© aux figures parentales, ou la loyautĂ© au groupe de pairs, donc ce qui est bon pour la communautĂ©. LâĂąge de cinq ans est vraiment un tournant. Piaget a montrĂ© quâavant lâapparition de la loyautĂ© au groupe de pairs, lâenfant nâhĂ©site pas Ă dĂ©noncer un camarade fautif. Toujours avant lâapparition de cette seconde loyautĂ©, lâenfant a du mal Ă se situer face Ă une attitude autoritaire, illogique ou injuste de la part dâun adulte. Cela explique dâailleurs lâextrĂȘme fragilitĂ© des enfants ĂągĂ©s de cinq ou six ans confrontĂ©s Ă des situations dâabus de la part de parents ou dâadultes ayant autoritĂ©. Plus tard, lâenfant fera appel Ă son jugement, pour choisir la loyautĂ© prioritaire. PlacĂ© dans la mĂȘme situation â un camarade a fait une bĂȘtise et le maĂźtre demande quâil soit dĂ©noncĂ© â, on verra lâenfant qui a passĂ© cet Ăąge hĂ©siter entre les deux loyautĂ©s. Si le maĂźtre ou le parent commet une injustice, lĂ aussi on verra lâenfant hĂ©siter sur le parti Ă prendre. Par peur de lâexclusion ou par goĂ»t pour le conformisme de groupe, lâadolescent est confrontĂ© aux normes de lâintime de son groupe de pairs. Celles-ci concernent son corps, sa vie sexuelle, ses vĂȘtements, ses croyances, Ă©galement ses compĂ©tences. La norme actuelle qui consiste Ă surtout ne montrer aucun goĂ»t pour les apprentissages scolaires en fait partie.
Dans ce processus normal de maturation de lâenfant, processus dâacquisition des loyautĂ©s qui prend toute son importance Ă lâadolescence, il est particuliĂšrement important quâexiste une certaine compatibilitĂ© entre les normes familiales et les normes du groupe de pairs. Dans le cas inverse, le risque est grand dâune coupure, dâun choix qui ne soit pas celui de normes personnelles, mais de lâadhĂ©sion inconditionnelle Ă lâun des deux groupes. On retrouve en cas dâadhĂ©sion totale Ă la famille toute la gamme des pathologies psychiatriques et dans lâadhĂ©sion au groupe dâĂąge, à « la bande », le risque de voir se dĂ©velopper une sĂ©rie de dysfonctionnements dĂ©lictueux ou antisociaux.
Lâautomythification : prĂ©destination et attitudes ordaliques
Ă partir de ces normes, il reste Ă lâadolescent Ă fabriquer du diffĂ©rent. La constitution dâun intime est un parcours personnel : il sâagit de prendre des distances, de se crĂ©er un territoire entre normes familiales et normes sociales, celles des copains et copines ou des mĂ©dias. Les relations entre les normes familiales et les normes sociales concernant la dĂ©finition du territoire intime dâun adolescent jouent un rĂŽle non nĂ©gligeable dans les suites de son dĂ©veloppement. Si ces normes sont trop semblables, lâadolescent aura du mal Ă faire entendre sa diffĂ©rence, mais si elles sont trop Ă©loignĂ©es, voire incompatibles, lâadolescent sera pris dans un conflit de loyautĂ©, le risque Ă©tant quâil choisisse lâun ou lâautre des deux camps, au dĂ©triment de son propre trajet.
Comment faire entendre sa diffĂ©rence entre deux normes ? Ainsi des parents peuvent juger une adolescente trop jeune pour avoir une vie sexuelle et ses copines juger la mĂȘme adolescente attardĂ©e Ă cause dâune chastetĂ© qui leur paraĂźt anachronique ! Comment faire entendre sa voix, comment sâentendre soi-mĂȘme dans un contexte bruyant ? CrĂ©er, inventer sa diffĂ©rence, entre normes familiales et normes sociales, câest le processus que nous appelons auto-mythification. Il sâagit pour lâadolescent non seulement de croire en lui, de « se croire », mais, en mĂȘme temps, dâoublier quâil sâagit dâune croyance, et donc de crĂ©er un mythe. Câest la diffĂ©rence entre mythe et croyance : ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- Chapitre premier - La conquĂȘte de lâintimitĂ© individuelle
- Chapitre II - LâintimitĂ© du couple : lâinvention dâun territoire intime
- Chapitre III - La crĂ©ation du territoire familial dâintimitĂ©
- Chapitre IV - La mort de lâintimitĂ©
- Conclusion - Le rapport dâopacité : du rĂȘve fusionnel Ă lâidĂ©al dâautonomie
- RepĂšres bibliographiques
- Remerciements