
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ă propos de ce livre
« Au moment oĂč l'Allemagne vit un tournant, oĂč l'Europe, marchant vers l'unitĂ©, accĂšde au rang de puissance internationale, le centenaire de la mort du grand homme d'Ătat que fut Otto von Bismarck incite Ă rĂ©flĂ©chir aux bouleversements dont il a Ă©tĂ© l'acteur et parfois le maĂźtre d'Ćuvre, mais surtout aux Ă©volutions que l'Allemagne, l'Europe et l'humanitĂ© tout entiĂšre ont vĂ©cues au cours du siĂšcle Ă©coulĂ© depuis la disparition du premier chancelier du DeuxiĂšme Reich. 1898-1998 : entre ces deux Ă©poques, la diffĂ©rence est immense. 1998-2098 : le contraste sera sans doute plus net encore. Raison de plus pour tirer les leçons du passĂ© en cherchant Ă mieux comprendre l'action d'un homme qui a su anticiper et orchestrer des changements considĂ©rables. » Joseph Rovan a Ă©tĂ© professeur de civilisation allemande aux universitĂ©s de Vincennes et de Paris-III. Il a publiĂ© de nombreux ouvrages et articles, notamment Histoire politique des catholiques allemands, Histoire de la social-dĂ©mocratie allemande, L'Allemagne n'est pas ce que vous croyez, Histoire de l'Allemagne des origines Ă nos jours, ainsi que France-Allemagne : le bond en avant, avec Jacques Delors et Karl Lamers, aux Ăditions Odile Jacob.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Ăcouter.
- IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin dâun accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Ăcouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser lâapplication Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă tout moment, nâimporte oĂč â mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur lâutilisation de lâapplication.
Oui, vous pouvez accéder à Bismarck, l'Allemagne et l'Europe unie par Joseph Rovan en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Histoire et Histoire de l'Allemagne. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
III
De la grande Allemagne Ă la grande Europe
Du temps de Bismarck il existait une sorte de concert des puissances mondiales. Les deux congrĂšs de Berlin, celui de 1875, qui devait mettre fin au conflit russo-turc en revenant sur le traitĂ© particuliĂšrement sĂ©vĂšre que Saint-PĂ©tersbourg avait imposĂ© Ă Istanbul Ă la suite des terribles dĂ©faites essuyĂ©es par les armĂ©es ottomanes (TraitĂ© de San Stefano), et celui de 1878, qui devait rĂ©gler le sort dâune grande partie de lâAfrique en crĂ©ant un royaume du Congo attribuĂ© Ă titre personnel au roi des Belges, avaient bien montrĂ© que les puissances considĂ©rĂ©es comme mondiales Ă©taient toutes europĂ©ennes (Russie, Autriche-Hongrie, Allemagne, France, Grande-Bretagne) et quâelles tentaient de maintenir entre elles une sorte dâĂ©quilibre, chacune sâopposant Ă ce que lâune dâelles nâimposĂąt aux autres une sorte dâhĂ©gĂ©monie, et chacune â en cas de conflit entre deux ou plusieurs dâentre elles â veillant Ă ce quâune dĂ©faite dâune dâentre elles ne se transformĂąt pas en Ă©limination, en debellatio comme on disait en latin pour dĂ©signer lâextermination dâune puissance par une autre (Carthage fit objet dâune « debellation » de la part de Rome). Bien que la Turquie ottomane ne fĂ»t pas une puissance europĂ©enne et quâelle eĂ»t Ă©tĂ© pendant des siĂšcles lâennemi commun de toutes les puissances europĂ©ennes (Ă lâexception de la France), une victoire trop complĂšte de la Russie eĂ»t profondĂ©ment bouleversĂ© lâĂ©quilibre tel quâil sâĂ©tait Ă©tabli aprĂšs la rĂ©alisation de lâunitĂ© italienne et de lâunitĂ© allemande. Et si lâune des puissances europĂ©ennes Ă vocation coloniale se fĂ»t emparĂ©e de lâimmense Congo cet Ă©quilibre aurait Ă©tĂ© Ă©branlĂ© Ă partir de ce continent africain oĂč Anglais, Français, Allemands et Italiens (sans parler des Espagnols et des Portugais) se taillaient alors de vastes domaines dâexploitation coloniale. En Asie, lâAngleterre avait anĂ©anti les grands rĂȘves français aux Indes, bien avant la fin du XVIIIe siĂšcle, et lâInde ne comptait plus, dĂšs lors, comme puissance autonome. La Chine avait dĂ» sous la pression anglaise et française, relayĂ©e au nord par la Russie, dĂ©manteler ses dĂ©fenses et accepter des pĂ©nĂ©trations qui sâaccompagnaient dâoccupations voire de cessions de territoires. Quelques annĂ©es plus tard, la guerre des Boxers devait montrer que lâEurope nâĂ©tait pas disposĂ©e Ă laisser la Chine redevenir une puissance Ă son propre compte. Cependant vers la fin de la vie de Bismarck des nouveautĂ©s sâannonçaient dans le monde qui peu Ă peu allaient mettre fin Ă la prĂ©dominance quasi absolue des puissances europĂ©ennes. Le Japon qui avait dĂ» au milieu du XIXe siĂšcle sortir de son isolement volontaire et sĂ©culaire sous la menace dâune flotte amĂ©ricaine trĂšs supĂ©rieure Ă ses moyens encore presque mĂ©diĂ©vaux, pour utiliser des chronologies europĂ©ennes, sortit victorieux en 1895 dâune guerre avec la Chine. Quelques annĂ©es plus tard (1904-1905), il devait triompher de lâĂ©norme puissance russe minĂ©e par ses difficultĂ©s intĂ©rieures. DĂšs lors le Japon entrait dans le cercle des puissances mondiales dont il ne devait sortir quâaprĂšs sa dĂ©faite, face Ă lâAmĂ©rique, en 1945. Cependant les Ătats-Unis, par la proclamation de la Doctrine de Monroe (1823), avaient imposĂ© dĂšs le dĂ©but du XIXe siĂšcle aux puissances europĂ©ennes le respect dâune sorte de protectorat sur lâensemble du continent amĂ©ricain, mis Ă part le Canada et quelques petites colonies surtout dans les Antilles. Face Ă lâexpĂ©dition française au Mexique dans les annĂ©es 1860, les Ătats-Unis accordĂšrent une aide importante encore plus clairement au gouvernement mexicain et firent ainsi comprendre quâils ne tolĂ©reraient pas lâinstallation sur ce continent dâune puissance europĂ©enne. Ă la fin du siĂšcle, devant lâEspagne qui tenta par la force de maintenir son pouvoir sur ce qui lui restait en AmĂ©rique, Cuba et Porto Rico, les Ătats-Unis imposĂšrent Ă lâancienne mĂ©tropole lâabandon des territoires situĂ©s dans ce qui avait autrefois Ă©tĂ© la base de sa puissance mondiale ; ils lui arrachĂšrent en mĂȘme temps les Philippines situĂ©es en Asie (1898). On verra quelques annĂ©es plus tard, au cours de la PremiĂšre Guerre mondiale, les Ătats-Unis dĂ©cider de lâissue du conflit qui mettait aux prises toutes les grandes puissances europĂ©ennes, plus un grand nombre de pays petits et moyens, et Ă nouveau la Turquie. DĂšs lors la prĂ©dominance presque absolue des EuropĂ©ens parmi les puissances mondiales est terminĂ©e. La Seconde Guerre mondiale prĂ©cipite le mouvement avec le partage de lâEurope entre protectorats amĂ©ricains et satellites soviĂ©tiques alors quâen Asie la Chine communiste devient, Ă la place du Japon, une puissance dont lâimportance nâa cessĂ© de croĂźtre pendant la seconde moitiĂ© du siĂšcle et que lâInde devenue indĂ©pendante devient Ă son tour, souvent en situation conflictuelle avec la Chine, une puissance mondiale. Aujourdâhui, Ă la fin du XXe siĂšcle, toutes les puissances mondiales, Ătats-Unis, Chine, Inde et â on reviendra sur son cas â la Russie, sont extĂ©rieures Ă lâEurope.
Les dates que nous venons de citer montrent que cette immense rĂ©volution, cet immense retournement â ce mot traduit bien le sens de revolvere, dâoĂč vient « rĂ©volution » â, sâest accomplie en moins de cent ans, entre 1895 et la fin du prĂ©sent siĂšcle. Si nous examinons ce que sâest passĂ© entre 1648 et 1900, en deux cent cinquante ans, câest Ă lâintĂ©rieur dâun « concert europĂ©en » mis en place par les traitĂ©s de Westphalie que des changements importants mais non bouleversants sâĂ©taient produits. La France, la Grande-Bretagne, lâAutriche figuraient dĂ©jĂ au premier rang Ă MĂŒnster et Ă OsnabrĂŒck. LâEspagne, la Hollande et la SuĂšde ont trĂšs vite perdu leur rang, la Russie et la Prusse se sont substituĂ©es Ă elles. CâĂ©tait chose faite en 1740, et la Prusse sâĂ©tant Ă©tendue Ă la majeure partie de lâAllemagne, ce sont les mĂȘmes grandes puissances qui dominent lâEurope et la plus grande partie du monde au moment oĂč Bismarck en 1890 quitte en tant quâacteur la scĂšne politique. LâaccĂ©lĂ©ration de lâhistoire quâont vĂ©cue les hommes et les femmes de mon Ăąge (je suis nĂ© en 1918) a Ă©tĂ© absolument prodigieuse â il avait fallu trois guerres et plus de cent ans (264-146 av. J.-C.) pour que Rome puisse triompher de Carthage et asseoir sa puissance sur la plus grande partie du bassin mĂ©diterranĂ©en.
La Russie est devenue une puissance europĂ©enne et une grande puissance sous Pierre le Grand et grĂące Ă lui mais elle est restĂ©e un peuple, un Ătat et une puissance Ă part. En dĂ©pit de lâimportance considĂ©rable de lâinfluence allemande â directe et Ă travers la noblesse balte qui joua en Russie un si grand rĂŽle au XVIIIe et au XIXe siĂšcle â, en dĂ©pit de lâimportante influence culturelle française, surtout au XVIIIe siĂšcle et encore pendant la premiĂšre partie du XIXe, son fondement slave et orthodoxe continue Ă faire dâelle une entitĂ© dont lâhistoire aussi bien que la composition sont profondĂ©ment diffĂ©rentes de celles des peuples de lâEurope catholique et protestante (qui a Ă©tĂ© catholique pendant mille ans avant de devenir protestante, ayant conservĂ© le mĂȘme enracinement dans lâhistoire et dans la pensĂ©e des Grecs et des Romains). La Russie a rencontrĂ© Byzance â tardivement dâailleurs â, elle nâa jamais connu Rome, mĂȘme pas comme certains peuples germaniques en la combattant et en accueillant en mĂȘme temps sa rĂ©alitĂ© complexe. Certes le russe est une langue indoeuropĂ©enne et le peuple russe appartient Ă la race blanche, europĂ©enne â mais ce sont lĂ des constats de savants alors que lâhistoire russe a Ă©tĂ© longtemps remplie du bruit des guerres avec la Pologne, et de la lutte de lâorthodoxie contre Rome (la Rome de la PapautĂ©), contre le catholicisme. Et quand la Russie sâabandonna totalement (en apparence tout au moins) Ă une thĂ©orie nĂ©e en Europe occidentale, elle fit rapidement du marxisme le revĂȘtement idĂ©ologique dâune tyrannie typiquement moscoutaire : Staline est plus proche du modĂšle incarnĂ© par Ivan le Terrible que de Louis XIV ou de FrĂ©dĂ©ric le Grand.
Pour Bismarck qui nâa jamais cessĂ© de penser et dâagir en Prussien, la Russie avait toujours Ă©tĂ©, depuis le renversement des alliances opĂ©rĂ© par Pierre III en 1762 (transformĂ© en traitĂ© de paix par Catherine II, mais lâessentiel Ă©tait que la Russie fĂ»t sortie de lâalliance antiprussienne menĂ©e par lâimpĂ©ratrice Marie-ThĂ©rĂšse, la tsarine Ălisabeth et la marquise de Pompadour) garante de lâindĂ©pendance de la Prusse et de son rĂŽle de grande puissance. La Russie sauva la Prusse en ce moment du plus grand pĂ©ril, elle fut son alliĂ©e en 1806-1807, elle aida la Prusse Ă se dĂ©tacher de NapolĂ©on, elle fut lâalliĂ©e indispensable jusquâĂ la prise de Paris. La Prusse en revanche refusa son appui aux soulĂšvements polonais de 1831 et de 1863, elle resta neutre quand les puissances occidentales firent la guerre Ă la Russie en 1856, et la Russie protĂ©gea les arriĂšres de la Prusse en 1866 et en 1870-1871. DâoĂč lâimportance centrale aux yeux de Bismarck, au cĆur de son systĂšme dâalliances directes et indirectes (je pense ici Ă lâentente Angleterre-Italie-Autriche), du fameux traitĂ© de RĂ©assurance (mauvaise traduction de RĂŒckversicherung qui est un terme beaucoup plus fort). Ce traitĂ© permet en effet que lâAllemagne ait son dos (RĂŒcken) libre, mais dĂ©jĂ le fait que le traitĂ© dĂ»t rester secret montre que lâentente prusso-russe ne pouvait plus jouer dĂšs lors son rĂŽle traditionnel, la slavophilie montante en Russie rĂȘvant de plus en plus fort du dĂ©mantĂšlement de la monarchie des Habsbourg, TchĂšques, Slovaques, SlovĂšnes, Croates, Serbes rejoignant une grande unitĂ© slave, et Bismarck perdant ainsi lâalliĂ© indispensable quâĂ©tait devenue (ou redevenue) lâAutriche qui abritait un cinquiĂšme du peuple allemand et qui assurait encore indirectement une sorte de prĂ©pondĂ©rance allemande dans lâEurope du Sud-Est. En refusant de renouveler le TraitĂ© de RĂ©assurance, le jeune empereur superficiel et prĂ©somptueux acceptait en fait la guerre sur les deux fronts â contre la Russie et contre la France â qui avait Ă©tĂ© la hantise de Bismarck. Et si aprĂšs la guerre et la RĂ©volution il y eut Ă nouveau une sorte de rapprochement germano-russe (Rapallo), un peu plus que quinze ans plus tard, Hitler devait lancer lâAllemagne contre Staline. Pour lui lâexistence dâune grande Allemagne exigeait la destruction de la puissance russe et la mise en esclavage du peuple russe.
Le bolchevisme, le marxisme-lĂ©ninisme dominĂ© par Staline, coupa la Russie Ă nouveau de lâEurope, mĂȘme si en termes gĂ©ographiques elle se situait toujours en partie dans ce continent qui va, sur les cartes et sur les globes, « de lâAtlantique Ă lâOural ». « Le socialisme dans un seul pays » isola radicalement ce pays-lĂ de tous les autres. Il est vrai que la « confession » bolchevique sâorganisa aussi Ă lâintĂ©rieur des peuples sur lesquels il ne rĂ©gnait pas (encoreâŠ). Les partis communistes dans les pays qui nâavaient pas Ă©tĂ© conquis ou satellisĂ©s par lâURSS fonctionnaient, en quelque sorte, en analogie avec les liens que les slavophiles et lâorthodoxie avaient créés et dĂ©veloppĂ©s avec les peuples slaves non russes et non catholiques (ou, dans le cas tchĂšque, avec une forte tradition partielle anticatholique, dans la fidĂ©litĂ© Ă lâhĂ©ritage hussite). Lâexistence au sein des Ătats de lâEurope occidentale de « partis de lâennemi » rendait le conflit avec cet adversaire encore plus acharnĂ© et plus redoutable.
Ayant rĂ©sistĂ© et survĂ©cu Ă lâattaque hitlĂ©rienne, la Russie se trouve en 1945 victorieuse, au mĂȘme titre que lâAmĂ©rique, maĂźtresse de la moitiĂ© est de lâEurope non russe, et puissance mondiale â lâAmĂ©rique nâayant ni voulu ni pu, du fait de sa structure politico-morale, utiliser contre lâURSS lâarme atomique pendant le bref moment oĂč elle fut seule Ă la possĂ©der. Quâon imagine seulement la situation contraire : Staline seul maĂźtre de la bombe nuclĂ©aire et se servant de la menace formidable ainsi en sa possession pour faire tomber les Ătats-Unis du haut de leur rang. La maniĂšre dont la Russie stalinienne assura son pouvoir, dâabord sur son propre peuple, par la collectivisation agraire, la famine, le Goulag, la rĂ©duction en servitude des gens de culture, la terreur et la tortureâŠ, et ensuite sur les peuples que le partage de 1945 lui livra, creusa un nouveau fossĂ© presque infranchissable entre la Russie et lâEurope non asservie. Vint ensuite, lentement dâabord, de plus en plus rapide ensuite, la dĂ©composition du rĂ©gime et de lâĂtat terminĂ©e en implosion. La Russie de 1998 nâest plus que la moitiĂ© dâune puissance mondiale, un dĂ©tonant et Ă©tonnant mĂ©lange de dĂ©sordre, de corruption, de dĂ©composition avec â tout de mĂȘme â un formidable reste de puissance. Dâautant plus redoutable quâelle est minĂ©e par dâĂ©normes dĂ©sordres contradictoires. Cela durera dix ans, vingt ans, trente ans mais au bout de la traversĂ©e il est Ă©vident que la Russie sera Ă nouveau une puissance mondiale, exerçant son contrĂŽle sur les pays faussement Ă©mancipĂ©s, de la Russie blanche, la BiĂ©lorussie Ă la Mongolie, et rĂ©glant ses comptes avec les autres puissances : peut-ĂȘtre avant tout avec la Chine qui ne pourra pas ne pas rĂ©clamer un jour le retour des provinces que la Russie des tsars lui arracha vers 1860 en ExtrĂȘme-Orient autour du fleuve Amour. Et peut-ĂȘtre alors face Ă lâimmense puissance chinoise, une alliance AmĂ©rique (Ătats-Unis)-Europe-Russie deviendra-t-elle indispensable et inĂ©vitable. Et lâon se rappellera avec ironie le dessein de Guillaume II, au moment de lâexpĂ©dition contre les Boxers en 1900, suivi du texte : « Völker Europas wahrt eure heiligsten GĂŒter » (Peuples dâEurope, protĂ©gez vos biens les plus sacrĂ©s) !
Pour dĂ©cider si des Ătats membres de lâUnion europĂ©enne vont, en 1998, envoyer des troupes au Kossovo pour sĂ©parer Serbes et Albanais, beaucoup de pays et de partis exigent un vote prĂ©alable du Conseil de SĂ©curitĂ© oĂč, les non-EuropĂ©ens, et en premier lieu la Chine, tiennent une place importante. Câest le Fonds monĂ©taire international qui intervient en Asie pour lutter contre la crise du bath, du yen et de la devise indonĂ©sienne. Câest devant lâOrganisation internationale du Commerce que se plaide la plainte amĂ©ricaine contre le rĂšglement europĂ©en sur lâimportation des bananes imposĂ© par la France. En apparence, un long chemin a Ă©tĂ© parcouru depuis 1945 vers un gouvernement mondial, avec cependant â et surtout depuis que lâURSS a cessĂ© de jouer son rĂŽle dâadversaire-partenaire â Ă lâarriĂšre-plan la puissance certes pas absolue mais largement solitaire des Ătats-Unis. Dans le monde de la fin du XXe siĂšcle, et dans une importante mesure, il nâexiste donc quâune seule puissance de dimensions rĂ©ellement planĂ©taires. Mais cette situation peut changer vite et changera inĂ©vitablement. Quâon imagine, perspective plausible sinon probable, une alliance entre la Chine et une AlgĂ©rie tombĂ©e entre les mains des islamistes avec installation de fusĂ©es atomiques chinoises braquĂ©es sur les pays riverains du nord de la MĂ©diterranĂ©e â comme Khrouchtchev avait en 1962 installĂ© des fusĂ©es Ă Cuba. Comment EuropĂ©ens et AmĂ©ricains, toujours unis dans lâOTAN, Ă©chapperaient-ils alors Ă cette menace, comment y feraient-ils face, avec quelles contre-menaces ? Dans lâaffrontement atomique entre les Ătats-Unis et lâURSS, les deux « partenaires », quels que fussent leurs diffĂ©rences et leurs diffĂ©rends, obĂ©issaient chacun Ă une fondamentale rationalitĂ© qui excluait le suicide. On ne saurait affirmer que ce constat vaudra pour toutes les puissances grandes, moyennes, voire petites qui au XXIe siĂšcle possĂ©deront des arsenaux nuclĂ©aires. Ă quelles poussĂ©es, Ă quelles stimulations ne pourront pas obĂ©ir ou succomber les maĂźtres des nouveaux arsenaux, de lâInde au Pakistan, dont lâAmĂ©rique nâa pu empĂȘcher la montĂ©e. Le gouvernement mondial, en 1998, nâa pas pu, nâa mĂȘme pas tentĂ©, de sâopposer Ă ce que la seule grande puissance mondiale encore dĂ©pourvue dâarmes totalement mortelles, et sa rivale qui nâest quâun grand Ătat de second rang, se dotent de ces terribles engins sans que les puissances atomiques existantes aient la moindre assurance concernant les mentalitĂ©s et les convictions de ceux qui en Inde et au Pakistan en possĂ©deraient le contrĂŽle.
La prodigieuse accĂ©lĂ©ration de lâhistoire humaine apparaĂźt nettement quand on examine lâĂ©tat du monde Ă la fin du XIXe siĂšcle pour passer ensuite Ă la fin du XXe. Lâimmense Inde Ă©tait alors dominĂ©e par lâAngleterre minuscule et surpuissante, maĂźtresse des ocĂ©ans, et le Pakistan nâexistait pas. Il y a un demi-siĂšcle, lorsquâon constitua le Conseil de SĂ©curitĂ© des Nations unies, les membres permanents : Ătats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France, Chine, reprĂ©sentaient dĂ©jĂ un Ă©tat du monde dĂ©passĂ© : lâAngleterre et surtout la France y siĂ©geaient davantage au titre de leur passĂ© quâen considĂ©ration de leur puissance actuelle, et surtout pour permettre aux Ătats-Unis dâisoler lâURSS Ă qui on nâavait pu interdire lâaccĂšs de cette instance suprĂȘme. Aujourdâhui, on sâĂ©tonne de nây trouver ni lâInde, ni le Pakistan, ni lâAllemagne, ni le Japon, et point non plus des puissances montantes comme le Nigeria et surtout le BrĂ©sil. Si lâhumanitĂ© et la Terre durent jusquâĂ lâan 2100, des pays comme les deux derniers nommĂ©s y tiendront probablement un rĂŽle important. LâAllemagne siĂ©gerait sans doute depuis longtemps parmi les membres permanents, si son acceptation â comme tout autre changement dâailleurs â ne devait pas rendre inĂ©vitable le grand remue-mĂ©nage avec lâentrĂ©e de lâInde et du Japon. Trois siĂšges permanents pour lâEurope occidentale paraĂźtraient alors exorbitants. Pour Ă©viter des bouleversements en sĂ©rie, on laisse les choses dans lâĂ©tat de 1945 en acceptant de limiter ainsi le prestige et surtout lâefficacitĂ© de lâinstitution qui, par exemple, nâa pu ces temps-ci faire respecter lâinterdiction de nouvelles expĂ©rimentations dâarmes nuclĂ©aires. Ces dĂ©veloppements en plein mouvement rendent indispensable la formation dâune puissance europĂ©enne, possĂ©dant les caractĂ©ristiques, propriĂ©tĂ©s et fonctions dâun Ătat fĂ©dĂ©ral et regroupant un potentiel dĂ©mographique aussi bien quâĂ©conomique et par consĂ©quent militaire qui nous donnerait dans le monde une place analogue Ă celle des vrais grands dâaujourdâhui, Ătats-Unis, Chine, Inde et â entre parenthĂšses historiques provisoires â Russie. Le Conseil de SĂ©curitĂ© du XXIe siĂšcle retrouverait ainsi cinq membres permanents et lâEurope y siĂ©gerait en raison de son poids propre, actuel â et non pas par la grĂące et la faveur des Ătats-Unis. Pour lâInde, la possession de lâarme nuclĂ©aire est en quelque sorte le piĂ©destal de sa future place de membre dâun Conseil de SĂ©curitĂ© remodelĂ©, ce qui ne vaut pas pour les possesseurs dâimportance plus modeste. Le pouvoir de dĂ©clencher une guerre atomique avec une forte probabilitĂ© dâautodestruction de lâhumanitĂ© tout entiĂšre nâest pas Ă lui seul un brevet de puissance mondiale. Les « petits » possesseurs restent exposĂ©s aux pressions et chantages des « grands », le pĂ©ril Ă©tant plus Ă©vident pour eux de subir une Ă©limination totale sâils entreprenaient de jouer au soldat atomique. Mais lâexistence de ces « petits possesseurs » dâarmes de destruction totale peut devenir un argument dĂ©cisif â ou co-dĂ©cisif â en faveur de la constitution dâun pouvoir fĂ©dĂ©ral europĂ©en dâabord et dâun pouvoir mondial ensuite. Dâun tel pouvoir les EuropĂ©ens seraient absents et exclus sâils ne se dotaient pas avant sa formation dâun pouvoir dĂ©mocratique europĂ©en. Quand on voit le Kossovo, le Soudan, le Congo, on constate Ă la fois lâurgence dâun pouvoir mondial dotĂ© de possibilitĂ©s dâintervention â et les incommensurables difficultĂ©s quâil faudra vaincre pour aboutir Ă cette nouveautĂ© absolue, sans exemple dans lâhistoire (mais lâarme nuclĂ©aire est, elle aussi, une nouveautĂ© absolue dans lâhistoire).
Ă lâĂ©poque de Bismarck, la politique Ă©conomique de lâĂtat se concentrait sur trois domaines essentiels : la fiscalitĂ©, les droits de douane et les emprunts. LâĂtat prussien possĂ©dait quelques manufactures et quelques mines creusĂ©es sur des terrains lui appartenant ; sây Ă©taient ajoutĂ©s quelques lignes de chemin de fer Ă objectif principalement militaire et donc insuffisamment rentables. LâĂtat possĂ©dait aussi des domaines ruraux mais câĂ©taient plut...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Du mĂȘme auteur
- Copyright
- Introduction
- I - Lire Bismarck en 1998 ?
- II - Cent ans aprÚs
- III - De la grande Allemagne à  la grande Europe
- Conclusion - 2098Â ?
- Table