
- 224 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Comment le monde gréco-romain est-il passé au christianisme ? Guy G. Stroumsa propose un nouveau regard sur cette révolution religieuse et anthropologique. Il n'est plus possible aujourd'hui de raconter cette histoire simplement comme une victoire du « monothéisme » sur le « polythéisme ». Les mutations culturelles et religieuses de l'Antiquité tardive ont en réalité affecté toutes les religions. Cet ouvrage met notamment en évidence le rôle du judaïsme qui, après la destruction du Second Temple (70 ap. J.-C.), a dû faire face à la fin du sacrifice et inventer des formes nouvelles de vie religieuse. C'est la nature même de la religion qui s'est trouvée radicalement transformée. Et pour longtemps. Guy G. Stroumsa est professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, où il est titulaire de la chaire Martin Buber d'histoire des religions et où il dirige le Centre pour l'étude du christianisme. Il a notamment publié Savoir et salut : traditions juives et tentations dualistes dans le christianisme ancien et Les Juifs présentés aux chrétiens.
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Informations
Chapitre III
Transformations du rituel
Les transformations psychologiques et culturelles dont nous avons traité jusqu’à présent permirent et imposèrent tout à la fois une série de restructurations profondes de l’idée même du rituel dans les différents contextes religieux. Le chapitre précédent a montré comment l’essor des religions du Livre transforma l’attitude face aux récits religieux, aux mythes, si l’on veut. Il semblerait à première vue étrange qu’on ne puisse discerner une transformation corollaire de l’idée même de rituel. Comme le fait en effet remarquer Philippe Borgeaud, la fonction fabulatrice et la fonction ritualiste, quelles que puissent être les ruptures de civilisation ou d’époque, ne cessent à travers l’histoire de recomposer leur relation fondamentale, redéfinissant la religion dans son mode de fonctionnement identitaire1. De nouvelles perceptions de la pureté individuelle, corporelle et morale, une nouvelle forme d’historia sacra à la place des mythes, imposèrent dans les premiers siècles de notre ère, dans le monde méditerranéen et proche-oriental, de nouvelles approches de l’action religieuse.
J’ai déjà noté la faible utilité heuristique de la taxinomie traditionnelle, qui insiste sur la division entre systèmes polythéistes et monothéistes. Les sacrifices, surtout les sacrifices sanglants, soulignent ce point. Dans le monde ancien, ils sont en effet au cœur même de l’action religieuse, en tout cas de l’action religieuse publique, officielle, à la fois chez les Juifs et chez les païens. Ainsi, l’empereur Julien, dit l’Apostat, peut écrire dans la seconde moitié du IVe siècle :
Les Juifs se conduisent comme les Gentils (tois ethnesin), sauf qu’ils ne reconnaissent qu’un Dieu. Il s’agit là de quelque chose qui leur est particulier, et qui nous est étranger. Pour tout le reste, cependant, nous partageons le même terrain – temples, sanctuaires, autels, rituels de purification, certaines injonctions où nous ne divergeons pas les uns des autres, ou bien seulement de façon insignifiante2.
Point n’est besoin d’accepter la théorie mimétique, si totale, de René Girard pour lui accorder le caractère primordial de l’institution du sacrifice dans les cultures anciennes3. Or notre époque se distingue par un bouleversement de l’équilibre entre le mythe et le rite maintenu par les sacrifices dans les sociétés anciennes.
Sacrificiorum aboleatur insania : « Que la folie des sacrifices soit abolie », dit une loi de Constance II, reprise dans le Code théodosien4. On peut caractériser la révolution commencée par Constantin, et poursuivie par ses successeurs, par l’une des plus radicales de ses conséquences : la fin des sacrifices publics. Avec toutefois une précision : même le fiat impérial ne peut éradiquer une institution aussi profondément ancrée que le sacrifice. Comme le fait remarquer Walter Burkert, « même la révolution religieuse du Proche-Orient représentée par l’islam ne réussit pas à éliminer le sacrifice animal » : l’islam consacre au sacrifice une fête, lui donnant son nom, « ‘Id al-aḍḥ5 ». Dans une certaine mesure, donc, le sacrifice restera présent même après sa mort officielle. Mais la remarque de Burkert est trompeuse dans son caractère abrupt : les sacrifices animaux dans l’islam, et les survivances qu’on peut déceler dans les sociétés christianisées, ont en effet un statut tout autre que celui qu’ils avaient dans la religion impériale romaine. Ainsi, Frank Trombley a offert une analyse précise de la Ritenchristianisierung (la christianisation des rites) dans l’Anatolie et la Grèce de l’Antiquité tardive6. De son côté, traitant de prétendues survivances du sacrifice animal dans certains rituels de sociétés christianisées du haut Moyen Âge occidental, Cristiano Grottanelli a pu montrer récemment à quel point elles sont différentes, dans leur structure et leur fonction, des sacrifices animaux païens qu’elles sont censées continuer7. D’autre part, les mesures prises par Constantin, dès 317-321, en faveur de l’Église et des clercs n’empiètent pas sur la religion publique. N’oublions pas que Constantin reste pontifex maximus. Ainsi, le culte public financé par l’État continue normalement, même sous Constance II, pourtant l’auteur de lois célèbres8.
Bien avant l’interdiction des sacrifices vers la fin du IVe siècle, cependant, on avait pu suivre un grand débat, intérieur à la pensée hellénique, sur la nécessité ou la valeur des sacrifices. À ce sujet, on a pu noter le profond changement du rituel sacrificiel, pièce maîtresse du système païen, qui se transforme d’une alliance entre la communauté et ses dieux en la préparation d’une expérience mystique. La prohibition des sacrifices animaux intervint donc alors qu’ils étaient « moins en faveur auprès des païens9 ». L’évolution des idées sur le sacrifice chez les intellectuels païens est bien connue et n’a pas besoin d’être rappelée ici dans le détail. Je voudrais toutefois noter certains points forts de cette évolution. Lucien de Samosate, ce Voltaire du IIe siècle, est l’auteur d’un essai, proche dans son genre de la diatribe cynique, sur les sacrifices (Peri thusiōn). Lucien commence par remarquer que quiconque observe les pratiques religieuses (sacrifices, fêtes, processions, prières, croyances) ne pourra que rire en voyant la stupidité (tēn abelterian) de toutes ces actions. Plus loin, il note que le pauvre, qui ne peut se payer le luxe d’un animal, ou même d’un gâteau, à offrir au dieu, se contente de lui rendre hommage en baisant sa propre main. Décrivant le prêtre tout taché du sang de l’animal qui gémit alors qu’on l’égorge en musique, il ajoute : « Qui ne supposerait que les dieux aiment voir tout cela ? » Les Scythes, quant à eux, estimant les animaux trop vils, préfèrent offrir des hommes à Artémis10 !
Écrivant dans le troisième tiers du IIIe siècle, Porphyre, lui, fonde sa critique des sacrifices sur toute une tradition, en provenance du Peri eusebeias de Théophraste, pour laquelle les sacrifices animaux représentent une perversion de la véritable tradition religieuse grecque11. Pour Porphyre, c’est le philosophe qui est le véritable prêtre du dieu suprême. Il le sert, avant tout, par sa tempérance, sa sophrosun4, qui lui permet de l’approcher avec un corps et une âme purs. Le véritable temple, c’est la pensée du sage (tēn dianoian malista tou sophou monēn). Ainsi, le sage transforme son cœur en un autel où siège la véritable statue de Dieu, l’intellect du sage12. Dans son traité De l’abstinence, l’un des livres philosophiques les plus intéressants de l’époque, il développe ses vues sur les relations entre philosophie et ascèse. L’abstinence, c’est avant tout celle de la viande. Le philosophe se doit d’être végétarien, s’isolant ainsi de la communauté civique, « dont la cohésion s’affirme autour des autels où fument les victimes offertes par la polis à ses dieux13 », comme l’écrit Jean Bouffartigue. Pour la tradition théophrastienne de critique des sacrifices, donc, la religion des cités repose sur une infraction à la loi divine, ou sur une mauvaise interprétation de celle-ci. Notons ici la place particulière faite par Théophraste, et reprise par Porphyre, aux sacrifices animaux chez les Juifs. Ces sacrifices sont fort différents de ceux des Grecs, car les Juifs ne consomment pas la viande offerte à leur Dieu, mais brûlent entièrement les victimes. Les Grecs, eux, se garderaient bien de les imiter sur ce point ! Car les Juifs sont une « race » de philosophes : leurs sacrifices sont autant d’occasions de s’entretenir des choses divines, « et la nuit, ils se consacrent à la contemplation des astres en les observant et en s’adressant à Dieu par leurs prières14 ». Si les Juifs se sont mis à offrir des sacrifices sanglants, ce n’est pas sous la pression de leurs appétits qu’ils l’ont fait, comme les autres peuples, mais plutôt parce qu’ils y furent poussés par la nécessité. Cette nécessité, écrit Porphyre à la suite de Théophraste, c’est la famine, qui poussa jadis les hommes au cannibalisme, transformé ensuite en sacrifices humains, alors que la toute première pratique sacrificielle de l’humanité avait été purement végétale. Les sacrifices animaux, eux, représentent un stade postérieur aux sacrifices humains15.
Le philosophe, qui est donc aussi un historien des religions, comprend ainsi qu’« il faut nous unir à Dieu, nous rendre semblables à lui et lui offrir notre propre élévation comme un sacrifice sacré, car elle est à la fois notre hymne et notre salut. Or ce sacrifice s’accomplit dans l’impassibilité de l’âme et la contemplation de Dieu16 ».
Le courant auquel Porphyre prête sa voix si puissante n’est bien sûr pas le seul chez les intellectuels helléniques. Pour les traditionalistes, qui s’opposent, comme l’empereur Julien, à toute innovation (kainotomia), en particulier en matière des lois religieuses données par les dieux à nos ancêtres et que nous avons reçues en héritage, les sacrifices sanglants sont à préserver sans hésitation17. Mais même chez ces derniers apologètes des sacrifices, on peut discerner une nette évolution des idées et une interrogation sur leur valeur ontologique. Pour Jamblique, par exemple, qui traite des sacrifices, peu avant Julien, au livre V de ses Mystères d’Égypte, en s’opposant au végétarisme de Porphyre, les êtres supérieurs n’ont pas besoin de sacrifices. Ce n’est qu’aux dieux matériels qu’ils conviennent particulièrement. Les sacrifices sanglants représentent donc l’aspect matériel du culte, car le culte rendu aux dieux se doit aussi d’être spirituel. C’est la condition double de l’homme, matériel autant que spirituel, qui impose cette dualité cultuelle. Il y a donc, à côté des sacrifices sanglants, une autre sorte de sacrifices, spirituels18. Ces sacrifices spirituels sont ceux qu’offrent les philosophes, qui s’élèvent vers l’Un au-delà de la foule des divinités : une petite élite, au-dessus de toute loi. Les sacrifices sanglants sont donc ceux qui sont imposés aux hoi polloi, tous ceux qui ont besoin d’un législateur (chapitre 22). Vers la fin du livre V, Jamblique traite de la prière dans le sacrifice (chapitre XXVI). Dans ses trois degrés, la prière a pour but de nous rapprocher des dieux, d’introduire le contact avec le divin. Sacrifice et prière se renforcent ainsi mutuellement.
L’union avec les dieux est aussi au centre de ce catéchisme du paganisme tardif que constitue le petit livre Sur les dieux et l’univers rédigé par Saloustios, le maître de Julien. Pour Saloustios, même si les temples sont autant de véritables copies des cieux et les lettres mêmes des indescriptibles pouvoirs célestes, les dieux n’ont rien à gagner de ces temples (que peuvent en effet gagner les dieux ?), mais nous, nous pouvons y trouver l’union (sunaphē) avec eux19.
Quant aux sacrifices sanglants, ils représentent notre vie même, que nous offrons symboliquement. Et les prières, détachées des sacrifices, ne valent rien, parce qu’elles ne sont ainsi que des mots, alors que prononcées pendant les sacrifices, elles deviennent des mots animés, empsuchoi logoi. L’âme qui sort des animaux sacrifiés, en quelque sorte, monte au ciel avec les mots des prières, dans lesquelles nous demandons l’union avec les dieux (chapitre XVI). On voit ainsi que, même chez les défenseurs les plus acharnés des sacrifices, ceux-ci ont une nouvelle fonction, orientée moins vers la conservation de l’identité collective que vers la transformation de l’identité individuelle20.
Dès avant la fin du Ier siècle de notre ère, les Juifs, bien contre leur gré, offrirent l’exemple d’une société ayant réussi à conserver son identité ethnique et religieuse même après la destruction du seul temple où les sacrifices journaliers pouvaient être offerts. Pour l’historien des religions, la disparition soudaine des sacrifices dans une communauté représente une transformation profonde des structures mêmes de sa vie religieuse. Et pourtant, les Juifs, dans les premiers siècles de notre ère, à la fois dans l’Empire romain et en Babylonie (sous le pouvoir sassanide à partir du IIIe siècle), réussirent cette gageure : transformer leur religion de façon radicale, la « moderniser », si l’on veut, sans en avoir l’air, en prétendant (et parfois en croyant) ne rien y changer d’essentiel. Car il s’agit bien là d’une modernisation de la religion, avec le nouvel accent mis sur l’intériorisation et la privatisation du culte21. Chez les Juifs, comme dans les autres communautés, c’est par la prière, avant tout, que le sacrifice est remplacé. Le nouveau statut religieux de...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Préface
- Avant-propos
- Chapitre I - Un nouveau souci de soi
- Chapitre II - L’essor des religions du livre
- Chapitre III - Transformations du rituel
- Chapitre IV - De la religion civique à la religion communautaire
- Appendice
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