
- 354 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Imaginons un instant que vous assistiez pour la première fois à une audience. Nul doute que vous seriez plus frappés par l'étrange spectacle qui se déroulerait sous vos yeux que par la discussion juridique. C'est que, avant d'être une faculté morale, juger est un événement. Avant qu'il y ait des lois, des juges, des palais de justice, il y avait, selon Antoine Garapon, un rituel. Ce livre s'attache donc à en dévoiler toutes les facettes, montrant par exemple comment l'espace de la salle d'audience est agencé pour culpabiliser et inhiber le prévenu, le soumettre à l'ordre judiciaire. Les juges peuvent-ils se passer de cette mise en scène pour bien juger ? C'est à cette question que s'attache ensuite la réflexion d'Antoine Garapon à travers, notamment, la comparaison des systèmes judiciaires français et américain, l'analyse de l'intrusion des médias dans le temps du procès, et le recours à certaines œuvres d'Eschyle, de Freud et de Kafka. Si la philosophie du droit est une recherche du juste in abstracto, à travers l'idéal et la règle, ce livre montre que la quête du « bien juger » oblige à s'immerger in concreto dans l'expérience de l'acte de juger. Il n'existe donc pas de jugement « pur », car, en faisant quotidiennement l'expérience du mal, de la cruauté des hommes, de la résistance des faits, du caractère périssable de la cité politique, de la fragilité des preuves et de la forclusion de la vérité, la justice est aux prises avec la matière humaine brute. Ancien juge des enfants, Antoine Garapon, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, dirige l'Institut des hautes études sur la justice. Il a déjà publié Le Gardien des promesses. Justice et démocratie (1996) aux Éditions Odile Jacob.
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Informations
Première partie
Les rites du procès
Chapitre I
L’espace judiciaire
Avant qu’il y ait des lois, du droit, des juges, des palais de justice, il y avait un rituel. Qu’est-ce donc qu’un procès ? « C’est d’abord un rituel et pendant longtemps — en fait tant que le développement de l’État fut insuffisant pour lui permettre de formuler des corps de normes processuelles et d’en régler l’application —, ce ne fut qu’un rituel. Un répertoire de gestes, de mots, de formules et de paroles, de temps et de lieux consacrés, destinés à exprimer le conflit sans mettre en péril l’ordre et la survie du groupe. La procédure primitive ne suppose nullement l’existence d’un juge, dont la fonction et l’autorité seraient définies antérieurement au procès et également respectées des parties… Mais elle postule toujours l’existence d’un code au sens que les linguistes donnent à ce terme1. »
Le premier geste de justice est de délimiter un lieu, de circonscrire un espace propice à son accomplissement. On ne connaît pas de société qui ne lui ait réservé un endroit spécial. « Tout lieu d’audience, dans les sociétés archaïques, est une aire sacrée, et comme retranchée du monde ordinaire2. » Le lieu de justice peut être approché soit de manière structurale et synchronique, soit de manière herméneutique et historique. À ne l’envisager que sous un angle anthropologique, on risque de prendre pour naturel ce qui est en réalité le fruit d’une construction historique longue et complexe. C’est la raison pour laquelle la généalogie du temple de justice dans la société démocratique paraît constituer la préface indispensable à la description de cet espace qui confine au sacré.
La construction du temple de justice
Robert Jacob et Nadine Marchal distinguent six périodes dans l’histoire de l’architecture des bâtiments de justice en France : l’âge de la justice sans bâtiments, jusqu’à la fin du XIIe siècle environ ; l’architecture judiciaire médiévale, jusqu’à la fin du XVe siècle ; la grande vague de construction d’édifices judiciaires, de Louis XII à Henri IV ; l’affirmation du pouvoir royal, de Louis XIII au début du XVIIe siècle, par des monuments majestueux ; la période allant de 1760 à 1960, qui peut être qualifiée de « classique » parce qu’un style judiciaire se stabilise et s’installe dans tout le pays ; enfin, la phase actuelle, aux contours encore relativement incertains.
« Accomplir un rite, c’est faire quelque chose avec la puissance », écrit Paul Ricœur3, qui donne là, peut-être, la meilleure définition du rite. Sans puissance, pas de pouvoir ; voilà pourquoi les deux histoires du politique et du symbolique sont inséparables. La puissance se capte, se détourne et se conserve difficilement. Le symbole associe, d’où la nécessité de reconstituer cette chaîne d’associations qui le rend signifiant. Mais c’est un matériau difficile à travailler tant il présente des fausses continuités, des ressemblances trompeuses et une polysémie déroutante4. Cette permanence de façade est pleine de pièges, un même répertoire symbolique n’ayant cessé d’être sollicité dans des sens différents.
Le symbolisme judiciaire a beaucoup emprunté à la mythologie, à la Bible, à l’histoire, entre autres. Ces différents registres — cosmologique, mythologique, religieux, historique — se confondent dans les bâtiments, comme le montre une récente étude sur le palais de justice de Paris5. Chaque registre ne chasse pas le précédent ; au contraire, il s’en inspire en en modifiant subrepticement le sens. Aussi est-il nécessaire de séparer ce que les murs nous présentent confondu, de retrouver ne serait-ce que les grandes têtes de chapitres de ce lexique architectural.
La symbolique judiciaire a tout d’abord tiré sa puissance de la nature à une époque où les religions païennes étaient en concurrence avec le christianisme. Puis il s’est christianisé au fur et à mesure que l’Église affirmait sa puissance. Enfin, il s’est émancipé de l’emprise du religieux pour se poser comme l’expression d’une vertu et d’une institution autonomes.
• Les différents emprunts
Le premier registre est d’ordre cosmologique. Il est centré sur la recherche d’une communication avec les forces de la nature. Ce symbolisme se manifeste d’abord dans le choix des lieux de justice. L’endroit où la justice sera rendue n’est pas choisi par les hommes, mais désigné par les dieux. L’audience se tient à côté d’un puits6 ou sous un arbre. La symbolique de l’arbre est omniprésente dans la justice, comme le souligne Jean Carbonnier : « Si les arbres font fréquemment partie du décor judiciaire, c’est qu’ils attirent le charisme divin et le transmettent aux magistrats qui sont assis à leur ombre. Dans la Chine antique, un recueil de jurisprudence était intitulé “Les cas de dessous le poirier”. En Israël, le Livre des juges (15, 4) évoque la justice rendue sous un palmier ; Isaïe (61, 3) la justice rendue sous un chêne — bon précédent pour saint Louis. Autre indice philologique, l’étymologie qui fait dériver de l’arbre (tree) et du chêne (dru) l’idée de trêve (truce, treegwa), moment de paix et de justice (laquelle est purification). Quand le seigneur tenait audience dans sa maison, il y fallait toujours du bois, cette audience était appelée “sous latte”7. » Ce symbolisme semble universel, depuis Saül qui rendait la justice sous un tamaris8 jusqu’à l’arbre à palabre des villages africains ou l’emplacement du panchayat dans l’Inde du Sud9. Le mythe de saint Louis rendant la justice sous un chêne du bois de Vincennes a frappé l’imagination des écoliers de la IIIe République qui l’ont vu dans tous leurs manuels d’histoire. C’est d’ailleurs à la statue de saint Louis qui se trouve dans la galerie conduisant à la Cour de cassation, dans le palais de justice de Paris, que des terroristes s’en sont pris en la plastiquant il y a quelques années… Et comment Giotto peint-il l’injustice10 ? Comme un juge surplombant la cime des arbres.
La première délimitation d’un espace de justice en Occident fut une haie de branchages que l’on dressait à l’extérieur des villes. Sur la colline, autour de l’arbre ou de la pierre, on dressait au commencement de chaque procès une palissade de branches : « La session doit se tenir, prescrit la Loi des Francs ripuaires, dans le cercle et la haie de coudrier, c’est-à-dire dans le feuillage. Cette enceinte végétale remplissait une fonction juridique : elle démarquait nettement du monde extérieur, où les conflits pouvaient éclore et se développer, le lieu privilégié de leur résorption. À l’intérieur de la clôture régnait un ordre spécial et contraignant où toute violence était inhibée, les déplacements, les prises de parole, tous les comportements soumis à la police de l’audience11. » De là vient l’origine du parquet qui ne désigne pas « l’erreur du menuisier », à savoir le plancher par opposition à l’estrade sur laquelle siègent les juges, mais le petit parc, l’enclos délimité par des barrières et des barreaux, au sein duquel se tenaient aussi bien les gens du roi que les huissiers ou les avocats. Dans les locaux judiciaires, il y avait différentes sortes d’enceintes nommées « parquets ». Par exemple, le parquet de la grande chambre au Châtelet, à Paris, était l’enceinte renfermée entre les sièges couverts de fleurs de lys.
Les premières maisons de justice au Moyen Âge s’inspireront de ce symbolisme cosmique dans l’organisation de l’espace qui était divisé en deux parties : le bas étage, abritant les geôles, et le bel étage, où se tenait l’auditoire. Ces premiers bâtiments ont « conservé de la justice primitive une dominante nettement tellurique. Le jeu d’alternance de la pierre et du bois, du parc et du carreau, du froid et du chaud, la permanence de la ceinture végétale des vieux rituels de fécondité12 ». De ce premier registre symbolique, nos palais de justice contemporains gardent plusieurs éléments, à commencer par la barrière et le parc initial toujours en bois jusqu’à une période récente. D’ailleurs, le thème de la fécondité perdurera, sous la forme de cornes d’abondance, de grappes de fruits ou de gerbes d’épis toujours présents dans nos prétoires.
Le second grand registre dans lequel puisa la justice fut le symbolisme religieux. Contrairement à une idée reçue, le symbolisme chrétien n’est pas premier. D’ailleurs, il n’a eu de cesse de récupérer le symbolisme antérieur à son profit et de s’en démarquer. Contrairement à une autre idée répandue, il avait moins pour objet de consacrer in globo un ordre juridique nouveau que d’en montrer les limites, moins de diviniser la justice humaine que de rappeler l’humanité d’une fonction qui restait d’essence divine. Le religieux n’accrédite pas directement l’idée que la justice est divine, mais plutôt que les juges sont des hommes auxquels incombe une tâche surhumaine pour laquelle ils doivent se rendre dignes. Ce symbolisme est en même temps onction et sanction. Certes, il autorisait, mais il menaçait également. Il signalait aux juges le risque qu’ils couraient à prendre le relais sur terre d’une fonction divine jusque-là uniquement dévolue à Dieu.
Que ce symbolisme fût d’abord destiné aux juges mérite d’être relevé. Les premiers destinataires de cette force symbolique étaient, en effet, moins le public que les professionnels eux-mêmes. Aussi étaient disposés devant les yeux du juge des symboles religieux — crucifix ou reliquaires — pour lui rappeler l’éthique de sa fonction. L’image du Christ émigra ensuite derrière son siège et créa un axe de symétrie avec la personne du juge qui orienta progressivement l’espace judiciaire. Mais l’idée demeurait : rappeler à tous — à commencer par le juge — que les fondements de la justice sont extérieurs au monde terrestre et que Dieu, en se réservant le jugement ultime des choses et des gens, en garantit le bon fonctionnement. Le monde du débat judiciaire, comme le remarque Robert Jacob, restait profondément humain et terrestre13. « Le théâtre de l’audience est construit en fonction d’une représentation de la délégation divine que manifeste la superposition du corps du juge et de l’image du Christ. La distribution de l’espace, des rôles, des fonctions, les gestes du débat judiciaire, prennent sens par rapport à cet axe majeur14. »
Mais, en même temps qu’il fondait le pouvoir de juger et la responsabilité du juge, cette délégation divine établissait leur indépendance à l’égard de l’autorité politique. La possible damnation du mauvais juge installait aussi l’autonomie de l’idée même de justice. Le juge peut être bon ou mauvais, mais la justice elle-même est ailleurs : elle ne peut être contenue dans des lois ou confiée totalement à des personnes. La justice n’est ni bonne ni mauvaise, car elle est principe de séparation du bien et du mal. Le mauvais juge, s’il est damné, ne souille pas la justice : « La damnation du juge est l’ultime victoire de la justice. C’est parce que les juges se soumettent eux-mêmes à la justice qu’ils rendent, que leur ministère les transcende. Et qu’il se pose comme la forme la plus haute et la plus pure de l’autorité que certains hommes puissent exercer sur d’autres15. » On voit comment, dans cette participation du ciel, c’est autant l’assise d’un pouvoir politique qui se dessine que celle d’une fonction symbolique, d’une référence, d’un tiers pouvoir.
• Un capital symbolique propre
Avec le temple et l’apparition de la justice comme une allégorie dont l’exemple le plus populaire est sa représentation sous les traits d’une femme aux yeux bandés portant dans une main un glaive et dans l’autre une balance, la symbolique judiciaire non seulement se laïcise, mais s’émancipe de ses tuteurs successifs. Ses yeux cachés par un bandeau le manifestent assez clairement : en faisant obstacle à tout jeu de miroir, elle ne puise sa vertu qu’en elle-même ; désormais, sa légitimité est tout intérieure. « Alors que le Moyen Âge s’attachait aux fondements de la justice, qu’il les liait à la responsabilité du juge, la décoration à l’Âge classique s’en détourne pour présenter une justice déjà fondée, sinon au-dessus de tout fondement […] Le besoin de donner à voir ses propres justifications s’efface16. » C’est l’apparition d’un sacré proprement judiciaire qui prend ses distances à l’égard de Dieu et de la religion. Ni religieux ni à proprement parler royal, quoique les deux à la fois, on vit tardivement le symbolisme insister sur la sacralisation de la vertu de justice. La justice ne peut plus rechercher la complicité du surnaturel, ni demander crédit au religieux : elle ne doit compter que sur sa propre majesté qui s’impose par la crainte.
La figure du palais de justice comme Temple, qui fait son apparition au début du XVIIe siècle, consacre cette émancipation : il est lui-même son propre fondement. On passe d’une hétéronomie à une autonomie symbolique. Le langage sacré ne renvoie plus à une autre source que lui-même. Le tremendum du sacré ne s’adresse d’ailleurs plus aux juges, mais au public. Il ne met plus en garde contre l’erreur judiciaire, il prétend décourager la chicane, intimider les éventuels plaignants : il se veut pédagogique.
Cette architecture s’organise autour de la distance qui se manifeste dans la hauteur des bâtiments, dans la rupture avec l’ordonnancement de la rue. La maison de justice était une maison intégrée dans une rue et voici que le temple se présente comme séparé du reste de la cité, mais placé toutefois en son centre. Il est une distance centrale qu’exprime sa monumentalité. D’ailleurs, aujourd’hui que les symboles ont pratiquement tous disparu, il ne subsiste plus que cette monumentalité.
La monumentalité va de pair avec une neutralisation des formes. Apparaissent à cette époque, en effet, « des formes neutres, qui s’interdisent toute fantaisie, tout élan vers le ciel, qui cultivent la rigueur au risque de la monotonie. Elles font sens précisément parce qu’elles refusent le sens. Elles absorbent ou repoussent, mais ne montrent rien17 ». Cette architecture ne doit plus montrer parce que chaque représentation suscite des polémiques. « Les chapelles, les crucifixions, les Jugem...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Du même auteur chez Odile Jacob
- Copyright
- Remerciements
- Préface
- Introduction - L’événement de juger
- Première partie - Les rites du procès
- Deuxième partie - La justice peut-elle se passer de mise en scène ?
- Conclusion - Construire la démocratie
- Bibliographie
- Index