
- 160 pages
- French
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eBook - ePub
Ă propos de ce livre
L'Ă©volution est-elle la transformation matĂ©rielle et graduelle des ĂȘtres vivants? Ou bien les espĂšces Ă©voluent-elles en passant par des formes essentielles, presque des archĂ©types ? Pour connaĂźtre une espĂšce, est-ce le type qu'il faut caractĂ©riser ou la transformation qu'il faut expliquer ? L'un des meilleurs spĂ©cialistes au monde des dinosaures se fait ici historien pour nous apporter sa vision de ce problĂšme clĂ© de la thĂ©orie de l'Ă©volution. Ce dĂ©bat fournit Ă Kevin Padian l'occasion de revenir aux rĂ©flexions de Darwin sur la classification des espĂšces, mais aussi de nous faire redĂ©couvrir un jalon important dans l'histoire de la pensĂ©e biologique, Sir Richard Owen, grand rival aujourd'hui oubliĂ© de l'auteur de L'Origine des espĂšces . Kevin Padian est professeur au dĂ©partement de biologie et au MusĂ©um de palĂ©ontologie de l'UniversitĂ© de Californie, Ă Berkeley.
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Informations
Chapitre IV
Typologie et transformisme :
deux perspectives
sur les dinosaures et lâorigine
des oiseaux
deux perspectives
sur les dinosaures et lâorigine
des oiseaux
Lors de lâhistoire de la reconstitution des animaux Ă©teints, il y a une tension ou opposition intellectuelle entre ce que lâon peut appeler la typologie proprement dite et le transformisme. Il faut dâabord souligner Ă nouveau quâil existe une diffĂ©rence considĂ©rable dans le sens du mot « typologie » en anglais et en français â câest vraiment un « faux ami » pour les traducteurs. En français, la notion de typologie recouvre Ă peu prĂšs la description neutre dâune variabilitĂ© observĂ©e ou possible. Par exemple, on parle de la typologie microstructurale des tissus osseux â tels les tissus lamellaires avasculaires ou vasculaires, Ă ostĂ©ones primaires ou pas, ou les tissus fibro-lamellaires, dont les canaux vasculaires ont des orientations soit longitudinales, rĂ©ticulaires, ou circulaires, etc. On emploie le terme pour dĂ©crire, diffĂ©rencier et classer la variation structurale naturelle.
En anglais, et surtout en amĂ©ricain, le terme « typologie » a une connotation tout Ă fait diffĂ©rente et moins neutre. Cherchons un peu dans lâhistoire de la biologie Ă©volutive, spĂ©cialement dans le cadre de la « thĂ©orie synthĂ©tique de lâĂ©volution » Ă partir des annĂ©es 1940. Nous constatons quâune partie trĂšs importante en est le dĂ©veloppement de ce quâil est convenu dâappeler la « nouvelle systĂ©matique », surtout mise en avant par le professeur Ernst Mayr. Comme celui-ci lâa souvent soulignĂ©, lâimportant Ă©tait dâĂ©tablir un concept populationnel de lâespĂšce, par opposition Ă ce quâil appelle le concept typologique de lâespĂšce. Par « populationnel », il voulait dire un concept « biologique » de lâespĂšce qui puisse reflĂ©ter et valoriser les faits de variabilitĂ© naturelle des caractĂšres au sein des populations, câest-Ă -dire la vĂ©ritable matiĂšre premiĂšre de lâĂ©volution. Il voulait donc se dĂ©barrasser dâun concept de lâespĂšce plus fixe, plus essentialiste, marquĂ© par la typologie classique dĂ©veloppĂ©e par Richard Owen, et dĂ©valorisant la variabilitĂ©.
Mais alors que tout biologiste savait bien quâil existe dans chaque espĂšce une variabilitĂ© naturelle, grĂące Ă laquelle lâĂ©volution elle-mĂȘme peut avoir lieu, demeurait toujours le lancinant problĂšme de lâassociation de la systĂ©matique avec des concepts plus ou moins fixes de lâespĂšce, concepts hĂ©ritĂ©s de LinnĂ©, et cela ne serait-ce que pour des raisons pratiques de dĂ©termination et de nomenclature.
Par exemple, dans le cadre de la pratique taxinomique, il faut dĂ©signer un « Ă©chantillon type », pour pouvoir nommer une nouvelle espĂšce. Ce type ou porte-nom doit ĂȘtre conservĂ© dans un musĂ©e public, et doit ĂȘtre accessible pour pouvoir ĂȘtre comparĂ© Ă dâautres Ă©chantillons Ă dĂ©terminer. Câest lĂ une question de pratique, de convenance, dâhistoire, mais surtout de faits. Le problĂšme est que chacun sait que cet Ă©chantillon type ne peut pas reprĂ©senter toute la variation possible de lâespĂšce correspondante ni aujourdâhui, ni dans le passĂ©, ni dans lâavenir. Ainsi, par analogie, lâimage du « type » â qui Ă©tait devenue assez platonicienne dans lâesprit dâOwen â, mais surtout par extension lâidĂ©e de typologie en gĂ©nĂ©ral, est-elle devenue dangereuse, voire maudite, pour la « nouvelle systĂ©matique » et la « synthĂšse moderne » en ce que, du fait de son essentialisme, elle paraissait ignorer ou mĂȘme contredire lâĂ©volution.
De plus, lors de la fondation de la gĂ©nĂ©tique classique, il y a une centaine dâannĂ©es, rĂ©gnait lâidĂ©e, surtout en AmĂ©rique et en Angleterre, quâon ne devrait pas trouver beaucoup de variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique au sein des populations sauvages. Et ce parce que lâon croyait gĂ©nĂ©ralement que la plupart des mutations gĂ©nĂ©tiques avaient des effets dĂ©lĂ©tĂšres ou lĂ©taux. Mayr, parmi dâautres, a insistĂ© sur lâidĂ©e quâil fallait au contraire beaucoup de variabilitĂ© gĂ©nĂ©tique naturelle pour constituer la « matiĂšre premiĂšre » de lâĂ©volution dans les populations. Cette vision a Ă©tĂ© spĂ©cialement revendiquĂ©e pendant les annĂ©es 1960, quand Thomas Jukes et Jack King dĂ©couvrirent ce que lâon appela lâ« Ă©volution non darwinienne », câest-Ă -dire le fait quâil existe une Ă©norme variabilitĂ© dans chaque gĂ©nome spĂ©cifique et que la plupart des mutations correspondantes nâont pas du tout dâeffets graves â elles sont sensiblement neutres face Ă la sĂ©lection. Câest pour cela que lâon a parlĂ© de « neutralisme » ou dâ« Ă©volution molĂ©culaire neutre ». Ce genre de donnĂ©es a fourni, bien quâun peu tardivement, une sĂ©rie dâarguments supplĂ©mentaires Ă lâencontre de la « typologie » proprement dite, arguments fondĂ©s cette fois sur la thĂ©orie gĂ©nĂ©tique.
En résumé, la typologie conserve une connotation assez sulfureuse et négative dans la littérature scientifique en anglais, alors que ce terme peut avoir en français un sens beaucoup plus neutre et descriptif.
Je voudrais exposer ici certains travaux rĂ©cents, aussi bien de ma part que de celle du professeur Jack Horner, de lâUniversitĂ© du Montana. Je vais parler un peu aussi, au passage, de notre travail en commun avec le professeur Armand de RicqlĂšs, qui est lâexpert mondial sur la rĂ©partition et lâĂ©volution de la micro-anatomie des tissus osseux des vertĂ©brĂ©s fossiles. Je nâai malheureusement quâassez peu de temps pour vous expliquer lâensemble de nos recherches communes, qui se poursuivent depuis presque une dĂ©cennie. Toutefois jâespĂšre que vous aurez lâoccasion de suivre les Ćuvres du professeur de RicqlĂšs, qui plus que personne peut dĂ©crire et expliquer tout le sujet.
Je voudrais dâabord expliquer un peu le dĂ©bat actuel Ă propos de la typologie â au sens anglais du terme, que je continuerai Ă employer â opposĂ©e au transformisme, tel quâil est connu et discutĂ© dans les pays anglophones. Dâabord, je vous confie que câest un dĂ©bat qui demeure paradoxalement Ă peu prĂšs cachĂ©, y compris des participants eux-mĂȘmes. Et il le demeure, je crois, Ă cause de prĂ©conceptions implicites conditionnĂ©es par la thĂ©orie. Comme je lâai dĂ©jĂ racontĂ©, selon les philosophes et les historiens des sciences, chacun demeure aveugle Ă ses propres prĂ©jugĂ©s thĂ©oriques. Ici nous allons rencontrer Ă ce propos un problĂšme trĂšs intĂ©ressant, pouvant tout Ă©clairer Ă la fois. Que pouvons-nous savoir â et comment â de la biologie dâanimaux complĂštement Ă©teints, sans aucun animal analogue actuel, sortes de chimĂšres entre des types connus aujourdâhui, mais Ă la fois assez diffĂ©rents et originaux pour dĂ©fier toute catĂ©gorisation ?
ConsidĂ©rons dâabord lâidĂ©e que, pour mieux Ă©tudier et reconstituer la biologie des dinosaures, il faut commencer par les traiter comme des reptiles actuels ordinaires, bien quâimmenses : de « bons reptiles », pour ainsi dire. Cela dĂ©coule de lâidĂ©e trĂšs simple que, puisquâon classe les dinosaures parmi les reptiles, ils ont dĂ» possĂ©der la plupart des caractĂ©ristiques typiquement reptiliennes. Donc, on peut commencer par postuler que leurs modes de croissance, leurs stratĂ©gies Ă©cologiques et leurs comportements Ă©taient fondamentalement ceux des reptiles actuels, Ă quelque chose prĂšs. Nos collĂšgues qui souscrivent Ă cette idĂ©e considĂšrent a priori quâil ne faut pas mĂȘme dĂ©fendre ou soutenir ce point de vue par des donnĂ©es particuliĂšres, parce quâil constitue en quelque sorte lâhypothĂšse par dĂ©faut. Toutefois, selon eux, il y a aussi beaucoup de donnĂ©es qui le soutiennent. On peut nommer ce point de vue « typologique » au sens anglais. Il se fonde a priori sur le fait que les dinosaures Ă©tant classĂ©s au sein des reptiles, il en dĂ©coule nĂ©cessairement quâils devaient possĂ©der des caractĂ©ristiques fonctionnelles, Ă©cologiques, ou physiologiques reptiliennes.
ConsidĂ©rons Ă prĂ©sent lâantithĂšse qui pourrait ĂȘtre que les dinosaures Ă©taient biologiquement moins comparables aux reptiles typiques dâaujourdâhui quâaux oiseaux et ceux mammifĂšres. Enfin, nâoublions pas que la diversitĂ© biologique de ce qui nous entoure aujourdâhui nâest quâune ombre pĂąle de lâimmense diversitĂ© du passĂ©. Rappelons-nous que plus de 99,999 % de tous des organismes qui se sont succĂ©dĂ© depuis le commencement du PhanĂ©rozoĂŻque sont Ă©teints aujourdâhui. Pourquoi prĂ©sumer que notre diversitĂ© actuelle en est bien la reprĂ©sentation fidĂšle ? Et, dans ces conditions, comment reconstituer correctement les caractĂ©ristiques biologiques des organismes Ă©teints ? Ăvidemment, si les organismes actuels ne constituent quâune reprĂ©sentation aussi partielle de la biodiversitĂ© passĂ©e, câest que lâextinction a Ă©liminĂ© la plupart des formes de transition, ce que Darwin avait bien compris. Dans ces conditions, pour pouvoir reconstituer la biologie des animaux Ă©teints, il faut dâabord reconstituer leur gĂ©nĂ©alogie, afin de mieux connaĂźtre la rĂ©partition systĂ©matique des caractĂ©ristiques que nous savons liĂ©es aux processus fonctionnels, Ă©cologiques et physiologiques.
Nous commencerons par la prĂ©misse selon laquelle la mĂ©thode de construction de la classification nommĂ©e « phylogĂ©nĂ©tique » ou « cladistique » demeure le meilleur guide pour Ă©tablir la parentĂ© entre les ĂȘtres vivants. Jâai expliquĂ© dans le premier chapitre que cette approche se fonde seulement sur la gĂ©nĂ©alogie. On peut reconstituer celle-ci par lâanalyse des caractĂ©ristiques Ă©volutives nouvelles, ou synapomorphies, partagĂ©es par les codescendants Ă©troitement apparentĂ©s dâun ancĂȘtre commun exclusif. On peut retrouver ainsi lâordre de descendance, indĂ©pendamment du degrĂ© de ressemblance global qui est beaucoup moins informatif. Comment se servir de la phylogĂ©nie pour mieux reconstituer les modes de vie des organismes Ă©teints ?
Les hypothĂšses qui concernent les conditions physiologiques ou les comportements chez les organismes Ă©teints ne peuvent ĂȘtre contrĂŽlĂ©es ou testĂ©es directement que par deux moyens. Tout dâabord, il faudrait montrer que la prĂ©sence dâune certaine structure (ou dâautres caractĂ©ristiques que lâon puisse examiner chez les fossiles) est Ă la fois nĂ©cessaire et suffisante pour que la condition physiologique correspondante soit rĂ©alisĂ©e. DeuxiĂšmement, la prĂ©sence de la structure susdite doit ĂȘtre aussi nĂ©cessaire et suffisante, et la fonction correspondante avĂ©rĂ©e chez un animal actuellement vivant â câest ce que lâon nomme lâ« hypothĂšse actualiste ». JusquâĂ prĂ©sent, nous ne disposons dâaucun indicateur de ce type dans la documentation palĂ©ontologique pour dĂ©cider de la physiologie chez un fossile. Tous les indicateurs disponibles sont indirects, et donc seulement plus ou moins indirectement liĂ©s avec un certain type de physiologie thermo-mĂ©tabolique. En dĂ©pit de plusieurs affirmations publiĂ©es, aucun caractĂšre anatomique particulier nâest jamais « corrĂ©lĂ© causalement » ou ne constitue pas une « pierre de Rosette » pour indiquer directement et sans ambiguĂŻtĂ© le mĂ©tabolisme chez les vertĂ©brĂ©s Ă©teints. Ainsi, la prĂ©sence ou lâabsence dâun seul trait ou caractĂšre lui-mĂȘme plus ou moins liĂ© Ă la physiologie a moins de poids quâun faisceau de plusieurs traits indĂ©pendants mais concordants, surtout sâils sont bien situĂ©s relativement les uns par rapport aux autres au sein dâun canevas phylogĂ©nĂ©tique Ă©tabli indĂ©pendamment.
Les hypothĂšses concernant la maniĂšre par laquelle une condition donnĂ©e a Ă©voluĂ© au long dâune lignĂ©e phylogĂ©nĂ©tique sont des hypothĂšses de processus. Habituellement, elles sont guidĂ©es et dĂ©limitĂ©es par ce que lâon croit savoir de la biologie des organismes vivants. On admet parfois que lâĂ©volution peut Ă©tendre les limites des caractĂ©ristiques biologiques chez certaines formes Ă©teintes si celles-ci paraissent, par certains caractĂšres, situĂ©es au-delĂ de la distribution morphologique connue chez les animaux vivants, bien sĂ»r. On peut construire des hypothĂšses sur lâĂ©volution des telles conditions extrĂȘmes, mais comment savoir si lâune est plus vraisemblable que dâautres ? Un contrĂŽle efficace est dâexaminer le patron Ă©volutif de la lignĂ©e impliquĂ©e, Ă partir dâune phylogĂ©nie fondĂ©e sur des caractĂ©ristiques indĂ©pendantes. Les patrons phylogĂ©nĂ©tiques, strictement conçus, ne se basent pas sur des hypothĂšses concernant des processus Ă©volutifs, ni sur lâapprĂ©ciation de la plus ou moins grande plausibilitĂ© ou probabilitĂ© de certains dâentre eux. Ainsi la phylogĂ©nie elle-mĂȘme devient un moyen de contrĂŽle indĂ©pendant des hypothĂšses fondĂ©es sur les processus, bien quâelle ne puisse jamais en devenir le juge ultime.
Par exemple, une hypothĂšse non enracinĂ©e dans la phylogĂ©nie pourrait proposer que les dinosaures auraient Ă©tĂ© ectothermes â câest-Ă -dire plus ou moins Ă sang froid â simplement parce quâils Ă©taient des reptiles et non pas des mammifĂšres. En revanche, on peut construire un diagramme phylogĂ©nĂ©tique, ou cladogramme, autrement dit une sorte de plan, ou patron, de lâĂ©volution de ce groupe, oĂč lâon peut replacer diverses caractĂ©ristiques liĂ©es Ă la physiologie et au comportement, et tirer de cette structure logique les points successifs Ă partir desquels ces caractĂ©ristiques en question trouveraient leur origine. Pour se servir de cette approche, il faut que chaque trait soit partagĂ© uniquement, et quâil soit liĂ© causalement et sans ambiguĂŻtĂ© Ă des consĂ©quences mĂ©taboliques. Ainsi on ne considĂšre pas des caractĂ©ristiques isolĂ©es, mais la rĂ©partition phylogĂ©nĂ©tique globale de tout un Ă©cheveau de caractĂ©ristiques qui doivent se disposer de façon logique et additive sur le cladogramme entier.
Discutons un peu quelques approches plus ou moins typologiques de la question, Ă©tant entendu quâil restera impossible de trouver une unanimitĂ© dâavis sur les questions qui regardent la biologie dâorganismes fossiles, car lâobservation directe en est impossible. Soyons conscients aussi que les observations elles-mĂȘmes ne sont pas exemptes de prĂ©jugĂ©s du fait des convictions thĂ©oriques a priori, comme nous lâavons dĂ©jĂ vu. Dâhabitude, les discussions sur diverses questions de biologie des dinosaures en tant quâorganismes vivants commencent par des explications concernant lâapproche philosophique des auteurs, ce qui nous intĂ©resse ici presque autant que les donnĂ©es fournies et les conclusions elles-mĂȘmes.
Paladino, Spotila et Dodson, des physiologistes et palĂ©ontologues, nous ont proposĂ© une perspective raisonnĂ©e selon laquelle les dinosaures nâauraient Ă©tĂ© physiologiquement que des versions gigantesques des grands reptiles vivants tels le varan de Komodo et les tortues marines. Leur approche est dâĂ©tudier les processus mĂ©taboliques chez les reptiles actuels et dâen extrapoler les taux et valeurs jusquâaux tailles des dinosaures. Câest tout Ă fait dĂ©fendable, bien sĂ»r ; câest vĂ©ritablement une voie pour la reconstitution biologique des formes Ă©teintes â Ă condition quâil sâagisse bien de formes exactement comparables aux organismes actuellement vivants. Mais comment le savoir ?
Pour commencer, Paladino et ses collĂšgues suggĂšrent que quelques palĂ©ontologues se sont beaucoup trop appuyĂ©s sur lâapproche phylogĂ©nĂ©tique dans leurs recherches palĂ©ophysiologiques. Puisque les dinosaures Ă©teints sont phylogĂ©nĂ©tiquement plus proches des oiseaux que des crocodiles, ces palĂ©ontologues peuvent-ils Ă bon droit se laisser aller au prĂ©jugĂ©, ou Ă la conclusion, que les oiseaux sont de meilleurs modĂšles physiologiques que ne le sont les crocodiles pour reconstituer les dinosaures ? Probablement Ă tort, disent-ils, parce que les reprĂ©sentants primitifs dâune lignĂ©e sont probablement plus semblables entre eux quâils ne le sont des formes plus avancĂ©es et spĂ©cialisĂ©es. (Nous serions dâaccord, mais seulement si de telles ressemblances Ă©taient fonctionnellement associĂ©es aux traits mĂ©taboliques spĂ©cialisĂ©s ou Ă©voluĂ©s, et non pas gĂ©nĂ©raux ou primitifs de la lignĂ©e.) Remarquons que ces auteurs rejettent toute lâidĂ©e que lâanalyse phylogĂ©netique, qui exprime pourtant lâordre gĂ©nĂ©alogique des transitions de forme en forme au sein dâune lignĂ©e, puisse avoir une pertinence quelconque dans la rĂ©solution du problĂšme.
Comme exemple de ce quâils considĂšrent comme les piĂšges de la mĂ©thode phylogĂ©netique, Paladino et ses collĂšgues discutent le cĂ©lĂšbre et classique aphorisme cladistique selon lequel un dipneuste est plus voisin gĂ©nĂ©alogiquement de la vache que de la truite (voir figure 3). Cette conclusion nous Ă©carte de la physiologie, disent-ils, parce que le dipneuste et la truite partagent beaucoup plus de traits primitifs, ce qui confirme lâancien systĂšme linnĂ©en, qui les regarde tous deux comme des poissons, contrairement Ă la vache. Mais peut-ĂȘtre nâest-ce pas un bon exemple. Tout dâabord, il ne nous faut pas un cladogramme pour montrer que les vaches diffĂšrent assez par leur physiologie Ă la fois du dipneuste et de la truite ; cela ne nous avance pas beaucoup. DeuxiĂšmement, câest un fait que les dipneustes partagent quelques caractĂ©ristiques physiologiquement importantes avec tous les tĂ©trapodes â et pas seulement les vaches (qui constituent un exemple trĂšs dĂ©rivĂ© de tĂ©trapodes, soulignons-le). Par exemple, les dipneustes et tous les tĂ©trapodes partagent des choanes internes, des poumons fonctionnels, des membres charnus avec un seul os Ă la base, et la capacitĂ© de survivre Ă lâassĂšchement saisonnier de leur milieu. Nous ne savons pas si la physiologie des premiers tĂ©trapodes ressemblait davantage Ă celle des dipneustes actuels quâĂ celles des tĂ©trapodes actuels, mais ils pouvaient rĂ©aliser des fonctions physiologiques que ne peuvent jamais rĂ©aliser les truites, ni anciennes ni actuelles. Et par ces traits nouveaux, insolites, hĂ©ritĂ©s de leur ancĂȘtre commun, les sarcoptĂ©rygiens ont pu rĂ©aliser puis perfectionner les mĂ©canismes physiologiques permettant la survie hors de lâeau et la locomotion terrestre. Câest pour cela quâon propose de se servir de la phylogĂ©nie, et non de lâignorer.
Paladino et ses collĂšgues remarquent que les oiseaux actuels nâont pas de dents et ont perdu la longue queue osseuse des reptiles (bien quâils admettent que « certains oiseaux mĂ©sozoĂŻques » les avaient encore), et donc ces caractĂšres constituent « deux autres traits par lesquels les dinosaures ressemblent plus aux crocodiliens quâaux oiseaux modernes ». Ainsi, on devrait en conclure que les dinosaures Ă©taient fonctionnellement plus proches des crocodiles que des oiseaux. Mais, si les oiseaux primitifs retenaient une longue queue osseuse et des dents, pourquoi nâĂ©taient-ils pas eux-mĂȘmes plus comparables aux crocodiles quâaux oiseaux actuels â mĂȘme sâils possĂ©daient des plumes (et nous savons maintenant que les dinosaures les plus proches des oiseaux en possĂ©daient aussi) ? Ce manque de logique souligne le danger dâabandonner la perspective phylogĂ©nĂ©tique en cherchant Ă rĂ©soudre des questions Ă©volutives.

Figure 3
MalgrĂ© ces limitations, Paladino et ses collĂšgues produisent une abondance dâinformations comparatives sur la physiologie des animaux actuels, et ils les extrapolent pour les dinosaures Ă©teints, en se fondant sur les principes Ă©lĂ©mentaires de lâuniformitarisme et sur les donnĂ©es concernant les formes Ă©teintes. Ils conclurent que les dinosaures pouvaient trĂšs bien fonctionner simplement comme des versions gigantesques des reptiles ectothermes connus aujourdâ...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Avertissement
- Préface - par Armand de RicqlÚs
- Chapitre I - Darwin et la systématique : aux origines de la pensée phylogénétique
- Chapitre II - Richard Owen : ambiguïté et richesse des transformismes prédarwiniens
- Chapitre III - Typologie ou phylogĂ©nie : de lâinvention du concept de dinosaure Ă son Ă©volution actuelle
- Chapitre IV - Typologie et transformisme : deux perspectives sur les dinosaures et lâorigine des oiseaux
- Références bibliographiques
- Dans la mĂȘme collection