La Chine
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La Chine

Journal de Pékin (1963-2008)

  1. 864 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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La Chine

Journal de Pékin (1963-2008)

À propos de ce livre

Un témoignage unique et de première main sur la Chine de 1963 à 2008. De la Chine de Mao Zedong qui sembla un moment s'ouvrir au monde pour se refermer très vite avec les soubresauts de la révolution culturelle ; de la Chine rouge jusqu'à la Chine de Deng Xiaoping, ouverte 9et multicolore, débordante de mille initiatives, témoin d'exception, Pierre-Jean Rémy a vu, observé et analysé. Journal d'un homme d'action, d'un observateur impartial mais aussi d'un romancier et d'un poète, ce livre raconte la Chine de tous les jours, mais aussi celle d'hommes et de femmes attachés à la voir devenir l'une des grandes puissances du monde, un pôle dans l'univers des idées et des arts, une Chine d'un modernisme effréné mais aussi une Chine millénaire, la Chine de toujours. Longtemps diplomate à Pékin, Pierre-Jean Rémy, membre de l'Académie française, a déjà publié plusieurs livres sur la Chine, dont Le Sac du palais d'été, prix Renaudot en 1971, Chine, un itinéraire en 1978, Chine en 1990, Chambre noire à Pékin en 2004. Un témoignage unique et de première main sur la Chine de 1963 à 2008.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2008
Imprimer l'ISBN
9782738121950
ISBN de l'eBook
9782738192752
II
Toutes les couleurs
de la Chine
2000
Retours
1
Après un séjour de trois ans à la Villa Médicis, je me retrouve à la Bibliothèque nationale de France depuis 1997. J’écris toujours trop… Ma fille Bérénice vit à Taipei, mon fils Antoine à Chengdu. Pierre Morel, ambassadeur de France en Chine, m’invite à Pékin pour parler de la Bibliothèque nationale et entretenir des contacts avec mes homologues chinois. À la différence des précédentes, rédigées à la main, toutes ces notes ont été dictées, puis retranscrites. Comme dans les années suivantes, j’espère avoir respecté ici la transcription en pinyin des nombreux noms propres, souvent entendus une seule fois.
22 juin 2000
Je dicte ces notes tandis que l’avion manœuvre dans l’aéroport. Nous approchons de notre point de stationnement. Une bonne trentaine de petits Chinois sont presque au garde-à-vous, de part et d’autre de l’avion : l’ordre de toujours…
Une jeune fille en jaune, menue, pas vraiment jolie, Chinoise presque encore d’hier, on devine de petits seins pointus sous un strict corsage jaune, vient me chercher à l’avion. Immédiatement après, je trouve Annick Posselle et Roger Darrobers, qui sont aussi venus m’accueillir. Annick Posselle, connue en Russie, toujours affectueuse, l’air toujours un peu triste. Ce Darrobers, je ne le connaissais pas. C’est un sinologue qui a publié plusieurs livres. Il travaille en ce moment sur les promenades qu’on peut faire à Pékin dans les hutong qui disparaissent à mesure qu’il écrit son livre. Notre chauffeur, large et débonnaire, s’appelle Mao !
Nous suivons un périphérique inconnu, incongru même, et j’ai pourtant l’impression de tout reconnaître. Ou plutôt, de tout retrouver : la forme d’une ville, voire ses contours, qui a été totalement bouleversée. Comme ensuite à Sanlitun, le quartier des ambassades où j’ai passé deux ans. À gauche et à droite, bien sûr, des rangées d’immeubles, nouvelles. Très vite, je retrouve un premier repère : l’ancien observatoire des jésuites, qui jouxtait jadis la muraille. La muraille n’existe plus, la tour carrée de l’observatoire est maintenant perdue au milieu d’immeubles, comme dans un nœud d’autoroutes, mais on distingue parfaitement, se découpant cette fois sur les murs des gigantesques façades voisines – jadis, c’était sur le grand ciel de Pékin… –, les grands instruments astronomiques construits en bronze, aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’étaient des jésuites belges, italiens ou français qui avaient appris aux Fils du Ciel à savoir mieux lire le ciel. Puis, je retrouve l’avenue Chang’an, qui traverse la ville d’est en ouest. Elle a simplement doublé, quadruplé de largeur et paraît occupée de bout en bout par un énorme embouteillage. Les centaines de milliers de cyclistes de jadis ne sont plus que quelques dizaines de milliers. Les centaines de voitures d’alors sont des dizaines, des centaines de milliers.
Au-dessus de nous, le ciel est gris, lourd, plombé. Les immeubles neufs succèdent aux immeubles en construction. Tous énormes, colossaux, gigantesques. Avec des formes absurdes, incurvées, concaves ou convexes. Ils s’élèvent tout droits, parfois surmontés d’un petit toit en forme de pagode chinoise traditionnelle en tuiles vernissées, absurdes, rigolotes. Les couleurs aussi. Autour d’un rose dominant, rose bonbon, ce sont des rose saumon et des rouge brique, des jaune citron, des bleus pâles, bleu salle de bains. Et puis des façades entières de verre, verre noir, sombre, ou verre au contraire parfaitement transparent. Les hôtels succèdent aux immeubles de bureaux, d’autres hôtels, d’autres buildings encore dont on m’explique que ce sont des immeubles d’habitation en construction. Il y a des arches, des pyramides, des cubes, de larges esplanades ouvertes en demi-cercle sur l’avenue. On dirait que tout Chang’an, sur ses deux rives, a été conçu par un urbaniste à qui l’on aurait donné pour s’amuser un jeu de construction pour enfant. Qu’il en fasse ce qu’il voudrait…
À l’ambassade, je reconnais tout, jusqu’au petit bureau qui était le mien jadis, avec sa salle de bains transformée en classeur ! Un jeune homme l’occupe aujourd’hui. Beaucoup de monde dans cette ambassade. On a construit comme on a pu quelques bureaux de plus, en rognant sur une cour. Quant au grand salon où nous faisions nos séances de cinéma, il a été transformé en bureaux, en archives en même temps qu’en « chambre sourde », cette pièce où l’on s’enferme pour parler tranquillement à l’abri des micros. Je rencontre quelques diplomates, je mélange un peu. Pierre Morel, l’ambassadeur : il vient de la résidence pour me dire bonjour très rapidement. Nous nous verrons plus tard. Curieux comme Morel et moi nous ne nous connaissons pas vraiment et, l’un comme l’autre, avons le sentiment de nous connaître depuis toujours.
De grands embouteillages ensuite pour rejoindre le centre de Pékin. Le troisième périphérique ! Chang’an, la transversale est-ouest de la ville, est bordée d’immenses hôtels : tout cela très neuf. On me montre un grand bâtiment pour me dire qu’il est à peu près achevé, qu’il y a quelques semaines des milliers de travailleurs s’affairaient là, jour et nuit. Se souvenir de ce canal que nous avions vu creuser, Odile et moi, voilà si longtemps, par des milliers d’ouvriers volontaires qui s’activaient comme des fourmis, à la pelle, les mains nues, sur un trajet de combien de kilomètres et large de combien de mètres ? Un ruban bleu grouillant de milliers d’hommes au milieu des champs…
Après la place Tiananmen, nous avons obliqué à gauche. Le temps de voir, immuable, la grande porte rouge, le portrait géant de Mao revenu à sa place – Mao et sa chère petite verrue, comme un clin d’œil au menton –, et nous avons pris une artère droite, qui descend vers le sud. Puis à droite, encore, dans une ruelle étroite, tout encombrée de marchands ambulants, de vélos, de livreurs aux plates-formes carrées tirées ou poussées par des bicyclettes. Et je respire. Je retrouve mon Pékin d’autrefois. Au-dessus de nous, un réseau étroitement serré de fils télégraphiques et de poteaux électriques emmêlés. Parfois, un envol de pigeons. Ici, les maisons sont encore de petites boutiques traditionnelles mais, çà et là, l’énorme chancre d’un bâtiment moderne a tout écrasé autour de lui. Deux cents mètres encore, et nous sommes arrivés : à droite, la porte chinoise à l’ancienne de ce qui était autrefois le restaurant du Sichuan. Jadis, c’était la résidence du prince Yu, m’explique Darrobers. L’avais-je jamais su ? Restaurant du Sichuan, j’y étais parfois invité par un diplomate russe avec qui je travaillais. Nous déjeunions entre collègues à lui, hongrois, tchèques. Et mes copains britanniques ; c’était la réunion mensuelle des secrétaires d’ambassade. C’est devenu le China Club.
La première cour est encombrée de lourdes voitures, un banquet donné dans le pavillon principal. Des jeunes filles en robes collantes fendues jusqu’en haut des cuisses, s’affairent autour des premiers invités. Après la jupette ras-les-fesses à ma descente d’avion, ces jambes longues infiniment, nues jusqu’au sommet des hanches. On ne s’occupe pas de moi, je ne suis qu’un hôte comme les autres. Mais j’ai le droit de regarder, non ? Morel a tenu à me loger là pour mon arrivée. Question de couleur locale. Il devinait que je n’aurais pas aimé les chambres d’invités, surchauffées, de sa résidence. Le China Club, m’a-t-on expliqué, est une branche d’un nouveau groupe hôtelier, dont le cœur est à Hong Kong, dans l’ancienne Banque de Chine. Tout un programme. On restaure parfaitement des immeubles, voire, comme ici, des palais anciens, on les décore, on les meuble ensuite à la chinoise. Mais à la chinoise telle que les Occidentaux ont pu rêver la Chine des années trente, c’est-à-dire telle que le cinéma et des clichés glanés un peu partout ont pu nous la faire imaginer. Fauteuils de cuir anglais et cloisons de bois, boiseries à la chinoise, peluche rouge, broderie mécanique. Ma chambre : deux pièces. Un salon minuscule, très sombre, qui donne sur un petit balcon. Le balcon sur la cour. Dans la cour, les grosses voitures et les chauffeurs qui s’affairent, les petites jeunes femmes en rouge. Une chambre avec un lit en alcôve, un grand lit plat, des dragons de bois découpé. Salle de bains, eau froide, l’eau chaude coule froide. Couleur locale… Mais une multitude de petits ustensiles de toilette, les savons, les eaux de Cologne, les sels de bain, les peignes, brosses à dents, dentifrice, rasoir, mousse à raser, tout cela enveloppé dans des étuis rouges, très chinois, très design. « J’espère que vous serez bien ici. » Roger D. était resté dans la cour. Je me suis installé rapidement, dix minutes pour prendre une douche, l’eau chaude a fini par couler tiède. Puis, nous nous retrouvons au bar. C’est une longue pièce, dans la deuxième cour carrée. Des fauteuils club type anglais ; aux murs, des journaux, un aspect bibliothèque de bon ton. Un grand bar qui court tout le long de la pièce. Serveuses aux mêmes robes fendues, qui se penchent vers vous. Des odeurs… Se souvenir des long bars de Shanghai, que je n’ai jamais vus. Références… Marlene accoudée devant un gin-fizz. On imagine naturellement de belles aventurières, intrigantes… Shanghai Express ou Shanghai Gesture… Le rôle était encore prévu pour Marlene Dietrich, nous n’avons eu là que sa doublure…
Ici, les doublures des doublures vous ont déjà une sacrée allure : j’avais oublié que d’autres, bien avant mon temps à moi, avaient pourtant connu cette Chine-là. Longues putes énigmatiques – naturellement ! Ou douces petites fiancées, dont on rêvera toute une vie : la Chine de tous les clichés retrouvés… Mais le café qu’on nous a servi sous le nom d’espresso était si infect que Roger a préféré boire, lui, un demi-litre de café dit américain. Il y en a pour tous les goûts. Il vide son bidon d’eau chaude en me parlant de ce Pékin qu’il aime et qui disparaît.
De la ruelle ouest du Fil-de-Soie, le Xirongxian hutong, où nous nous engageons, viennent des odeurs de friture et le cri d’un enfant, qui doit chanter, peut-être… Lors de mon premier séjour, on appelait aussi le restaurant du Sichuan installé dans les lieux la « Maison de Yuan Shikai ». Pourquoi ?
Première promenade dans les rues de ce Pékin retrouvé. D’abord tout droit au lac des Dix Monastères, le Shichahai. Patrick Bonneville, qui a travaillé avec moi à la Direction générale des relations culturelles, sait que j’aimais m’y promener. Autrefois. Le petit pont où je m’arrêtais pour regarder l’animation autour du restaurant mongol. Il existe toujours : Bonneville m’y conduit tout de suite. C’était presque une cahute, un premier étage, les bancs qui boitaient, la « marmite mongole » qui réchauffait en hiver la pièce aux vitres givrées. Il est devenu gigantesque, ripoliné, élargi, immense. Tout rouge et jaune. On se croirait dans un restaurant de Hong Kong. Des tablées entières d’hommes. Des tables rondes, face au lac. Nous déjeunons rapidement, des petits pains au sésame farcis de viande de mouton. Puis la première promenade. Le bord du lac. Là, des petites maisons grises, semblables à ce qu’elles ont toujours été. On m’apprendra que beaucoup ont été détruites, puis reconstruites pour être revendues très cher – et pas seulement à des étrangers. C’est un quartier de Pékin que l’on veut conserver, c’est-à-dire détruire, mais pour le reconstruire à l’identique. Des groupes de vieillards, sept ou huit, dix hommes d’un côté, des femmes de l’autre, qui jouent au mah-jong. Jadis, là, des amoureux… Ils étaient timides, les amoureux du Pékin d’alors. Nous quittons le bord du lac par d’autres hutong, plus animés. D’abord une petite rue, tortueuse. Nous sommes souvent croisés, dépassés par des bicyclettes. Des femmes qui se veulent élégantes, avec de grandes capelines blanches, de longues chemises ou des chemisiers blancs qui leur couvrent les bras. Et des gants, s’il vous plaît, pour ne pas prendre de coups de soleil. Elles roulent seules, ou par deux. À gauche et à droite, des échoppes. Comme autrefois. Référence à l’autrefois : il y a même encore un marchand de brocante, de n’importe quoi, même s’il ne vend rien du tout : on ne vient pas là pour acheter des antiquités, vraies ou fausses. Un établissement de bains, minuscule boutique qui ouvre sur un entrelacs de cours. Une femme devant la porte, enveloppée d’une sorte de peignoir blanc.
Nous sommes arrivés à la tour du Tambour, dégagée des anciennes maisons qui semblaient monter jusqu’à elle. Comme à Paris, sur le parvis de Notre-Dame, la tour se dresse maintenant seule, à l’extrémité d’une grande place pavée. Une jeune femme, l’air débraillé, qui vend des pastèques, des melons d’eau. Quand elle se penche en avant, on devine l’ouverture d’un corsage. Elle se rend compte que je la dévisage, se redresse brusquement. Le regard sombre. Pas belle. La boutique à côté, un boucher. La viande pend, noirâtre avec des filaments blancs, des écorchés vifs fatigués. Autour de l’esplanade, trop neuve mais au ciment déjà maculé de taches claires, des cyclo-pousse flambant neufs attendent le chaland. On m’explique qu’on se promène beaucoup en cyclo-pousse dans ce quartier, parfaitement restauré. Les Américains, les Australiens adorent ça ! Je préfère ne pas y penser. Pékin se ferait touristique à n’importe quel prix ? Ici, c’est le vieux Pékin que la Chine officielle aime montrer : un Pékin parfaitement salubre. Les deux tours, le Tambour et la Cloche, poursuivent la longue voie sacrée qui, longeant au sud le temple du Ciel, passe par la porte de Qianmen, traverse en son cœur la Cité interdite, bute contre la colline de Charbon érigée là pour protéger à la fois des vents et des mauvais génies venant du nord puis, Tambour et Cloche, aboutit au nord et après un décrochement à Andingmen, à la porte de la Constance, je crois. La tour du Tambour, grise jadis, surgissait d’entre les toits. Dégagée, elle paraît presque neuve. Dans son socle massif, on a aménagé des salles où l’on vend de la fausse brocante, des objets bariolés, des livres, des images. Des livres d’images aux couleurs vives, que j’aimerais feuilleter. Je les trouve chers. Il faut payer quelques yuans pour monter au premier étage.
La tour de la Cloche a mieux gardé sa beauté. On en a également dégagé les alentours, une grande esplanade à la place d’un ancien marché. Je retrouve le vieux gris de Pékin. Nous déambulons autour des deux tours et finissons, une rue sur la droite, par entrer dans un marché. C’est un ancien temple taoïste dont il ne reste plus que l’entrée. On monte trois marches, à l’intérieur, une sorte de bazar, les objets de toujours de la Chine que j’ai connue, bouteilles thermos, plats de terre et pots de fer, baguettes, couteaux… Une autre partie est un marché aux poissons, à la viande. Des odeurs. En ressortant, une très jolie fille en bicyclette. Je voudrais la photographier, je n’ai pas le temps. Je sais qu’elle était belle, j’ai déjà oublié son visage. Nous déambulons encore un moment. Puis, nous voilà de retour au petit pont qui sépare les deux parties du lac. De là, j’observe à nouveau le va-et-vient des passants. Ces jeunes femmes à vélo d’une étonnante élégance, voilette pour se protéger du soleil : images improbables, très lentes dans ce Pékin d’été. Je photographie à tour de bras. Au téléobjectif. Des visages, des cyclistes, des jeunes femmes encore, un vieillard. Des ballons rouges, un petit garçon, d’autres cyclistes. Sur la gauche, en face de l’ancien restaurant mongol devenu cette façade trop rouge et jaune, un marchand de légumes. Des piles d’oranges, des piles de mandarines, d’autres fruits que je ne connais pas. Des jeunes filles passent, deux par deux : essayer de garder un visage… Les milliers de photos prises jadis : qu’en reste-t-il vraiment ?
Beaucoup de gamines portent des shorts si courts…
Nous reprenons la voiture pour aller dans le nord-ouest de Pékin. Là se trouvent les résidences de quelques étrangers qui ont trouvé moyen de s’établir dans un ancien temple. C’était celui du père de Pu Yi, le dernier empereur. Les premières cours sont assez entretenues, le reste en l’état, émouvant. L’un de nous prend des photos, on le rattrape pour lui expliquer qu’on n’en a pas le droit : c’est en effet là que se trouve le Bureau des affaires tibétaines. Pourtant, un temple simple, avec de vieux caractères qui datent de la révolution culturelle, énormes sur les murs. Le correspondant du Figaro, le représentant de Fiat vivent là. Dans la dernière cour, un Français d’une quarantaine d’années, D. C’est absolument Maurice Roy, le professeur de Segalen. Celui qui devient René Leys dans le roman éponyme. Petit monsieur, jeune, tiré à quatre épingles, qui se passionne pour l’opéra. Il parle beaucoup, beaucoup de lui. Son bureau, un pavillon carré, au début de cette cour. Très air conditionné. Il explique qu’il y a un désordre fou, des disques, des ordinateurs. Dans le pavillon suivant, cinq pièces, un peu surdécorées. Chinoiseries, mais assez belles. Des photographies traînent complaisamment, on le voit en compagnie de Gérard Depardieu, d’Alain Peyrefitte. Ce gentil monsieur n’écoute pas un mot de ce qu’on peut lui dire, il nous raconte que lui-même organise des concerts, des opéras. Il y a quelque chose d’émouvant dans sa manière d’être, pourtant. Il sourit beaucoup, il est charmant de profession. À l’extérieur, une chaise à porteur transformée en cage. Des cages, avec des pies, des merles blancs. La conversation ne dure pas trop longtemps. Nous avons été rejoints par Blaize, le conseiller culturel.
Brève promenade ensuite dans Liulichang. Ce fut le merveilleux quartier des antiquaires de ma jeunesse, une douzaine de petites boutiques où l’on trouvait pour deux fois rien des centaines de choses qui faisaient envie. Le quartier a été complètement refait, rasé, reconstruit à l’identique. Aseptisé. Les transformations de Pékin : on rase dans la plupart des cas. On ouvre des avenues larges comme des boulevards périphériques – avec leurs embouteillages. Ou, parfois, on rase pour reconstruire, donc, à l’identique. À Liulichang, il y a maintenant une quarantaine de boutiques. On y trouve partout les mêmes choses, beaucoup plus chères. Deux ou trois antiquaires sont un peu mieux, c’est-à-dire qu’il n’y a presque rien, quelques objets tout à fait lamentables, mais ceux-là sont d’époque. Et ceux-là sont cent fois plus chers. Je m’explique avec l’un des marchands de l’une de ces boutiques, sourires entendus : il sait bien que je n’achèterai rien chez lui. Nous avançons un moment, il y a au moins une trentaine de limousines pour des touristes, des cars. Beaucoup de monde. Je suis étranger dans ce Liulichang-là !
Nous remontons ensuite vers un centre de commerce international au croisement de Chang’an et du troisième périphérique. C’est là qu’a lieu un défilé de mode organisé par Loewe. Se retrouver à Pékin pour un défilé de mode ! Je ne sais pas trop pourquoi on m’y conduit, sinon pour voir de très jolies filles. Et c’est vrai que ces longues jeunes femmes, grandes gamines que l’on verra un peu plus tard en jeans, venues de Hong Kong ou de Singapour, sont très belles. Le corps très droit, presque pas de poitrine. Deux garçons perdus au milieu d’elles.
Les gens autour d’ici me parlent de Chine, ce gros livre que j’ai écrit jadis, une sorte de suite du Sac du palais d’Été. Je n’en ai aucun souvenir, sinon celui d’un livre particulièrement ambitieux et, plus particulièrement encore, raté. Du coup, on m’en prêtera un gros volume, fatigué, cassé, gris, gras, maculé. Voilà que ce livre est trop gros, mais je crois que je devrais le relire.
On évoque la conférence que je dois faire. On m’explique qu’il faudrait que je parle non seulement de la Bibliothèque nationale, comme je l’ai prévu, mais également de l’influence de la Chine sur mon écriture, ce qui m’ennuie un peu. Mais on le fera.
Nous traînons dans les grandes surfaces de luxe de ce centre commercial – World Trade Center. Tout cela fait penser à n’importe quoi, le Carrousel du Louvre, mais totalement désert. Il para...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. 2008 : Quelques réflexions qui n’engagent pas vraiment l’auteur de ce qui suit
  6. Quarante-cinq ans de Chine
  7. I - Une Chine bien rouge
  8. II - Toutes les couleurs de la Chine
  9. Du même auteur