Parenting

Le parent aussi est une personne

Raphaële Miljkovitch, François Poisson

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2018
• Imprimer l'ISBN: 9782738145765
• ISBN de l'eBook: 9782738145772

Nombreux sont les parents qui s'interrogent sur la bonne manière d'élever leur enfant. Il est parfois difficile pour eux de savoir ce qu'il faut faire, qui écouter, ou de comprendre pourquoi ils n'y arrivent pas… Dans ce livre, Raphaële Miljkovitch et François Poisson proposent une approche novatrice qui consiste à analyser les multiples facteurs qui empêchent les parents de se sentir compétents et légitimes dans leur rôle éducatif. À partir de cas concrets, ils décryptent les mécanismes à l'œuvre dans les familles, afin de permettre à tous les parents de reprendre les rênes et de s'épanouir dans leur relation avec leur enfant. Pour une éducation choisie, libérée des pressions plus ou moins conscientes qui pèsent sur le parent et l'entravent dans son parenting ! Raphaële Miljkovitch est psychologue, thérapeute familiale et professeure des universités. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur l'attachement et le couple, ainsi que sur le développement de l'enfant. François Poisson, psychopédagogue et ancien directeur d'établissements scolaires, a une longue expérience des adolescents et de leurs parents. Il est cofondateur du Centre de conseil en éducation et scolarité (CCES) avec Raphaële Miljkovitch. 

DEUXIÈME PARTIE

Le parent et les influences extérieures

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CHAPITRE 4

Le parent parfait

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Les parents font des erreurs qui n’échappent pas à leurs enfants. L’éducation est une tâche ardue, et la difficulté semble parfois aggravée par les parents eux-mêmes. Mais, à leur décharge, ils subissent, sans forcément s’en rendre compte, des pressions sociales qui peuvent les amener à se fourvoyer. Les messages qui leur sont destinés contiennent certains paradoxes, qui accentuent la tendance déjà facile à se contredire dans la manière de se comporter avec son enfant.

Conception moderne de l’enfant et de l’éducation

Dès le début du XX^e siècle apparaissent en Europe de nouvelles théories pédagogiques à travers notamment le mouvement de « l’éducation nouvelle ». Celle-ci vise à amener l’enfant à prendre part activement à sa propre formation plutôt qu’à la simple intériorisation de savoirs et de règles. On trouve dans la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle, Maria Montessori, Alexander Sutherland Neill ou encore Célestin Freinet pour n’en citer que quelques-uns. Maria Montessori va fonder une école dont la pédagogie consiste à s’adapter au rythme de l’enfant et dans laquelle l’éducateur a pour rôle de lui donner l’envie d’apprendre. Dans l’école de Summerhill de Neill, ce sont les enfants, au même titre que les adultes, qui décident des lois de l’école. Cette autogestion est également présente dans la pédagogie Freinet, qui se définit par ailleurs comme étant centrée sur l’enfant. Ces pratiques éducatives qui pourraient s’inscrire dans le prolongement de Rousseau, supposent toutefois une adaptation de l’éducateur à l’enfant, ce qui contraste avec les normes de l’époque où l’enfant devait se plier au cadre scolaire.

Deux décennies plus tard, outre-Atlantique, cette écoute attentive de la personne de l’enfant représente aussi pour le psychologue Carl Rogers une condition essentielle à son bon développement psychologique. Il insiste sur la nécessité de porter sur lui un regard positif inconditionnel pour qu’il s’accepte tel qu’il est et reste en contact avec son vrai « self ».

Bien qu’une remise en question des conventions de l’époque ait germé dès le début du XX^e siècle, c’est surtout en 1946, avec la publication du livre du pédiatre américain Benjamin Spock que ces idées nouvelles se sont largement diffusées. « Comment soigner et éduquer son enfant » (The Common Sense Book of Baby and Child Care) a eu un retentissement mondial encore perceptible aujourd’hui. L’ouvrage en est actuellement à sa neuvième édition et ses ventes sont estimées à 50 millions d’exemplaires en 39 langues. Ce manuel marque l’avènement d’un tournant dans le domaine de l’éducation. Tandis qu’on prône, à l’époque de sa sortie, un mode d’éducation austère et rigoureux (par exemple, prendre un bébé dans les bras lorsqu’il pleure ne fait que l’encourager à pleurer davantage ; le nourrir et le coucher à des horaires réguliers), Spock recommande à l’inverse une plus grande écoute et souplesse vis-à-vis de l’enfant. Sa position est radicalement opposée à celle de son temps en ce qu’il considère qu’un cadre minimal est requis pour élever un enfant qui, naturellement, sera porté à se réguler et à adopter le fonctionnement des adultes par lui-même. Les quelques lignes suivantes illustrent bien son point de vue : « Tout le monde veut que son enfant devienne un être en bonne santé et facile à vivre. Mais chaque enfant veut lui-même manger à des heures raisonnables et plus tard apprendre les bonnes manières. Ses selles (tant que le transit ne devient pas trop difficile) vont se déplacer sainement selon leur propre rythme, qui peut ou non être régulier ; et quand il sera beaucoup plus âgé et sage, vous pourrez lui montrer où s’asseoir pour faire ses besoins. Il va développer son propre rythme de sommeil selon ses propres besoins. Dans toutes ces habitudes, il va tôt ou tard vouloir correspondre aux manières de faire de la famille, avec une guidance seulement minimale de votre part. »

Le modèle Montessori préconise un cadre souple dans lequel l’enfant évolue librement, à son rythme.

À peu près au même moment, au Royaume-Uni, naît la théorie de l’attachement de John Bowlby dont nous avons déjà parlé. Constatant les méfaits de la séparation d’avec la mère pendant la guerre, Bowlby s’oppose, lui aussi, à la théorie béhavioriste concernant le domaine affectif. Alors que Watson considère que de répondre aux pleurs du bébé ne fait que renforcer cette tendance, Bowlby souligne le caractère vital, pour un jeune enfant, de voir ses besoins affectifs satisfaits. Nous l’avons dit, selon lui, pour devenir autonome, l’enfant a d’abord besoin d’être protégé et accompagné dans sa découverte du monde, et cela suppose une réponse de ses parents à ses signaux de détresse. Cette théorie a suscité un engouement phénoménal qui en fait aujourd’hui une orientation majeure en psychologie du développement.

La plus proche collaboratrice de Bowlby, Mary Ainsworth, met en évidence l’effet bénéfique de la « sensibilité maternelle » sur le devenir du bébé. À travers des observations minutieuses des mois durant au domicile de familles, elle a observé que les bébés dont les mères réagissent le plus rapidement et le plus efficacement (semblant ainsi capter la nature du malaise exprimé par leur petit) sont ceux qui, à la fin de leur première année de vie, pleurent le moins et se montrent les plus autonomes. Ainsi se voit confirmer l’idée qu’il faut répondre aux demandes affectives d’un enfant. Depuis, de nombreuses autres recherches ont montré combien des soins attentifs et ajustés sont indispensables au bon développement de l’enfant. Les idées issues de ce courant ont infiltré les milieux des professionnels de l’enfance qui les véhiculent à leur tour auprès des parents.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux enfants étaient privés de leurs parents et gardés dans des nurseries. Les observations de ces enfants de James Robertson ont inspiré John Bowlby dans l’élaboration de sa théorie de l’attachement.

À la fin des années 1960, Françoise Dolto va apporter en France une nouvelle vision de l’enfant et de l’éducation. À travers de nombreux ouvrages et émissions de radio, la psychanalyste vulgarisera ses nouvelles théories concernant la place de l’enfant dans la famille et son éducation. Elle modifiera profondément la façon d’appréhender l’éducation du nouveau-né, qui doit être perçu comme une personne et non pas comme un simple tube digestif ou un petit animal. Pour Fabienne Serina-Karsky1, docteure en sciences de l’éducation, « Françoise Dolto, en plaidant “la cause des enfants”, a contribué à élever l’enfant au rang de sujet dans la société française. En affirmant que l’enfant est sujet de lui-même, dès le premier jour de sa vie, elle lui donne le droit à la parole et le place à égalité avec l’adulte, bouleversant ainsi l’ordre établi. »

Même si ces travaux n’ont pas tous été confirmés scientifiquement et que certains sont encore controversés aujourd’hui, chacun a participé à l’évolution des mentalités sur la manière d’élever un enfant.

Les enfants d’abord

Avec « l’éducation nouvelle », l’effort d’adaptation ne doit plus venir de l’enfant, mais de l’adulte. Par exemple, Maria Montessori écrit en 1935 que le fœtus est isolé du reste du monde et qu’il est nécessaire d’adapter ce monde lors de la naissance, afin de le rapprocher le plus possible des conditions du ventre de la mère. De même, quand l’enfant grandit, l’adulte doit « renoncer à ses propres besoins et répondre à ceux de l’être en voie de formation, telle est la ligne de conduite qui devrait être celle de l’adulte2 » et qu’il « se persuade qu’il ne doit n’occuper qu’une place secondaire3 ». Pour Rogers aussi, il est capital pour l’enfant d’être entendu et compris. Spock préconise d’assouplir le cadre et de laisser une plus grande liberté à l’enfant qui s’autorégulera par lui-même. Bowlby et Ainsworth, quant à eux, alertent sur la nécessité pour les parents de répondre promptement et sensiblement aux appels de leur bébé. Enfin, Dolto, dans la lignée de l’école de Summerhill, place l’enfant sur le même plan que l’adulte, brisant ainsi les frontières générationnelles.

Nous ne citons ici que quelques-uns des mouvements qui ont contribué à former la conception actuelle de l’éducation et notre objet n’est pas ici de retracer un historique exhaustif de cette évolution. Il s’agit simplement d’expliciter le contexte dans lequel on devient parent aujourd’hui.

Plus de liberté aujourd’hui ?

Malgré cette volonté de se libérer des carcans éducatifs existant jusqu’à la première moitié du XX^e siècle, on assiste aujourd’hui à une « crise de l’autorité ». En effet, ce phénomène fait les grands titres de la presse et des médias. Des émissions telles que Super Nannie, SOS, ma famille a besoin d’aide, Pascal, le grand frère mettent en scène des parents complètement dépassés par le comportement de leurs enfants, qui semblent avoir pris le contrôle de la famille. On parle de la nouvelle génération comme d’une génération d’enfants rois. Des enfants gâtés, à qui on cède tout et qui sont par conséquent autocentrés et incapables de tolérer la moindre frustration.

En 1965, dans ce contexte de montée de la contestation de l’autorité, le général de Gaulle réagissait face à la remise en cause des règles : « Il y a, pour ce qui est de la France, ce qui se passe dans une maison. La maîtresse de maison, la ménagère, elle veut avoir un aspirateur, elle veut avoir un frigidaire, elle veut avoir une machine à laver, et même, si c’est possible, qu’on ait une auto. Ça, c’est le mouvement. Et en même temps, elle ne veut pas que son mari s’en aille bambocher de toutes parts, que les garçons mettent les pieds sur la table et que les filles ne rentrent pas la nuit. Ça, c’est l’ordre. Et la ménagère veut le progrès mais elle ne veut pas la pagaille. Et ça, c’est vrai aussi pour la France. Il faut le progrès, il ne faut pas la pagaille4. »

La question qui se pose alors est de savoir si les préconisations issues de ces mouvements modernistes sont en cause dans la survenue de ces problèmes de discipline. Même le Dr Spock, qui est la figure de proue de cette mouvance, s’est quelque peu rétracté par rapport à sa position initiale. Ainsi, dans une réédition de son livre dans les années 19605, il écrit : « Si vous êtes un ancien lecteur de ce livre, vous verrez que beaucoup de choses ont été ajoutées ou changées, en particulier concernant la discipline, le fait de gâter un enfant et la part des parent...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• Dédicace
• Introduction
• PREMIÈRE PARTIE - Le parent face à son enfant
• DEUXIÈME PARTIE - Le parent et les influences extérieures
• TROISIÈME PARTIE - L'enfant sans le parent
• CONCLUSION - Au-delà des actes
• Notes
• Crédits des illustrations
• Remerciements
• Table