Lire, écrire et être libre
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Lire, écrire et être libre

De l’alphabétisation à la démocratie

  1. 324 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Lire, écrire et être libre

De l’alphabétisation à la démocratie

À propos de ce livre

Lire et écrire n'est pas une question totalement résolue aujourd'hui. De nombreux adultes, en France et dans le monde, sont encore analphabètes et illettrés. Dans ce nouveau livre, José Morais tente de nous expliquer comment fonder l'alphabétisation sur des bases scientifiques. Pour lui, les parents doivent participer activement à ce projet. Il propose également une école de la pensée libre et critique qui universalise les capacités de lecture et d'écriture. Son projet est, enfin, de favoriser des instruments de développement de la personne et de démocratisation de la société. José Morais, psycholinguiste, est professeur émérite à l'Université libre de Bruxelles (ULB). Ancien combattant pour la démocratie au Portugal, il a participé activement à la lutte contre la dictature de Salazar avant d'obtenir en Belgique le statut de réfugié politique de l'ONU en 1969. Il est actuellement professeur invité au Centre de recherche en cognition et neurosciences de l'ULB. Il a notamment publié L'Art de lire, en 1994. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2015
Imprimer l'ISBN
9782738133250

DEUXIÈME PARTIE

Pour une pensée libre et critique

CHAPITRE 6

Lettré et démocrate

Nous ne disons pas nécessairement de quelqu’un capable d’utiliser l’alphabet pour lire et écrire qu’il est lettré. Est lettré celui qui, au minimum, maîtrise pleinement les habiletés de lire et d’écrire. À un niveau supérieur, c’est celui qui fait de ces habiletés un usage régulier et productif, non seulement en tant que lecteur et scripteur, mais en tant que lisant et écrivant (je fais miens ces termes que Michel Volkovitch proposa dans le sous-titre de son Verbier, conjonction d’« herbier » et de « verbal1 », car ils dénotent l’accroissement de l’esprit et la délectation que ces activités procurent). Enfin, il y a un troisième sens au mot lettré, qui le place sur une autre dimension, à la fois existentielle et sociopolitique. Être lettré, c’est être libre dans l’expression publique de sa pensée par la parole et l’écriture, c’est donner vie et chair à la démocratie. Cette acception que je propose, n’étant pas ordinaire, peut paraître exagérée. Jadis, le lettré était l’érudit ; aujourd’hui, il est celui qui lit vite des dossiers et écrit de longs rapports dans une langue de bois aggloméré. Ce dernier type de lettré convient bien à nos sociétés actuelles, lesquelles n’ont plus de la démocratie que le nom si souvent martelé. La masse de connaissances, collectivement nécessaire, est devenue trop grande pour chacun de nous, et l’exhiber dans des concours télévisés plutôt que dans les salons n’est pas plus réjouissant ; quant aux dossiers et rapports, ils font tourner la machine, mais, même épurés, leur sens est contaminé par le fait que la machine tourne pour une minorité. Tous les êtres humains étant potentiellement capables d’utiliser la lecture et l’écriture comme matières à réflexion et à création et comme instruments du débat démocratique, c’est ce type de lettré qu’il faut former de manière universelle et ensuite laisser se manifester selon la libre disposition de chacun. Une société illettrée pourrait, a priori, être démocratique ; mais une société qui connaît la littératie ne peut être démocratique que si tous ses membres peuvent donner corps à leur liberté dans leurs activités de lettrés.

L’habileté de lecture

Revenons au sens élémentaire de lettré et au cas spécifique de la lecture. Trois acquisitions cognitives, en cascade, jalonnent le développement de l’habileté de lecture dans le système alphabétique d’écriture.
Le fait que notre système d’écriture est alphabétique conditionne le processus d’apprentissage dès le départ et de manière décisive. Il est utile ici de souligner le manque de précision de l’expression « apprendre à lire ». Comme si lire était un verbe intransitif, sans spécifier l’objet de la lecture. Nous ne parlons pas d’apprendre à jouer, mais d’apprendre à jouer au tennis, aux échecs, etc. Apprendre à lire, c’est toujours apprendre à lire un type particulier d’écriture – dans notre cas, le langage sous forme alphabétique. Nous apprenons à maîtriser un système particulier de représentation du langage qui le symbolise au niveau de sa structure phonémique.
Ainsi, nous avons vu que la première condition de l’apprentissage de la lecture dans ce système est la compréhension du principe alphabétique (PA) : les phonèmes sont représentés graphiquement par des lettres ou groupes de lettres. La prise de conscience des phonèmes et leur association à des lettres exigent des activités sur des syllabes écrites et parlées. Elle doit être acquise en grande section (GS) ou, au plus tard, au tout début du CP. La deuxième condition est l’appropriation progressive du code orthographique de la langue et des mécanismes de décodage et de recodage phonologiques. Les règles du code orthographique peuvent varier en complexité et de par leur origine (certaines, par exemple, peuvent être morphosyntaxiques), et leur utilisation précise et rapide requiert entre trois et neuf mois. Enfin, la troisième condition est la constitution du lexique mental orthographique, à savoir un ensemble de plus en plus riche de représentations des mots en mémoire, lesquelles sont activées automatiquement pendant la lecture. Un petit nombre de ces représentations commence à se former assez tôt et, au bout de deux ou trois ans, ce mécanisme d’activation automatique devient prépondérant. C’est lui qui caractérise le lecteur habile.
Quelle est la nature des représentations impliquées dans cette forme de lecture ? Nous allons voir, par une illustration expérimentale, que chez le lecteur habile les représentations orthographiques et phonologiques contribuent ensemble à l’identification lexicale. Appréciez la sophistication et l’astuce de cette étude, qui témoigne de la capacité des sciences psychologiques à mettre en évidence les processus mentaux lors de la lecture. Je rappelle que la lecture se fait par des fixations oculaires successives le long du texte, d’une durée variant entre 150 et 300 millisecondes chez le lecteur habile, et qu’entre les fixations il y a des saccades, des mouvements soit de progression, soit de retour en arrière, généralement de 25 à 30 millisecondes.
Les participants devaient lire une phrase qui leur était présentée à l’écran, par exemple the birds prefer beech-trees for nesting (« les oiseaux préfèrent les chênes pour nidifier »). Pendant que le lecteur, ayant fixé prefer, faisait une saccade oculaire pour aller fixer le mot suivant (beech-trees), celui-ci était remplacé, suivant les cas, par lui-même, par noise-trees, par bench-trees ou par beach-trees. Ce mot-amorce était présenté trop brièvement (30 millisecondes) pour que le participant puisse l’identifier, et, dans tous les cas, était immédiatement remplacé par la cible (beech-trees).
Examinons les quatre cas. Quand beech-trees succédait à lui-même, le temps de fixation oculaire sur ce mot fut, en moyenne, de 333 millisecondes. Quand, en revanche, le lecteur était d’abord exposé à noise-trees, il ne pouvait éviter de commencer à le traiter, ce qui, provoquant une interférence, rallongea le temps moyen de fixation de la cible (400 millisecondes). Les amorces bench-trees et beach-trees ne devaient pas provoquer autant d’interférence, car elles ne différaient de la cible que par une lettre. Et ce fut le cas : la fixation oculaire fut d’environ 370 millisecondes, aussi bien après bench- qu’après beach-. Donc, la similitude orthographique (une seule lettre différait entre ces amorces et beech-) influence le temps de fixation requis pour reconnaître la cible, alors que la similitude phonologique (beach- se prononce comme la cible, mais pas bench-) n’a pas le même effet.
Néanmoins, cette conclusion n’est valable que pour les amorces d’une durée de 30 millisecondes. Il suffit de rallonger leur présentation de 6 millisecondes pour que beach-, phonologiquement identique à beech-, apporte un bénéfice additionnel en réduisant, plus que bench-, la durée de fixation de la cible2. Autrement dit, l’orthographe de la cible est la première à être traitée, mais à peine son traitement vient-il de commencer que débute aussi le traitement de sa phonologie. La rapidité de ces processus est prodigieuse (il s’agit de lecteurs adultes habiles) et, de plus, ils s’occupent en même temps, avec juste un léger décalage aux starting-blocks, des deux dimensions des mots, de leur orthographe et de leur phonologie. Nous, lecteurs habiles, faisons cela sans en avoir conscience. C’est cela l’automatisme de notre habileté de lecture. Ce type de lecteurs, lettrés au sens premier évoqué ci-dessus, c’est ce que nous tous devrions être, et nous pourrions alors l’être aussi aux deux autres sens. Si nous étions tous ce type de lettrés, notre monde serait probablement très différent, et – je le crois – bien plus démocratique que celui où nous vivons, car nous pourrions discuter à pied d’égalité sur les décisions à prendre par rapport aux biens communs.

De la lettre au mot

Dans la première partie, j’ai beaucoup insisté sur l’idée que, pour comprendre l’alphabet, il faut comprendre ce qu’est le phonème. J’ai été injuste en négligeant la lettre et maintenant que l’on parle du lettré, cela paraît d’autant plus frappant.
La connaissance des lettres inclut celle de leur nom, de leur(s) valeur(s) phonologique(s), mais aussi de leur forme physique, en majuscule ou minuscule (différence de casse) ou en différentes polices. Après la conscience phonémique, la connaissance des noms et/ou des valeurs phonologiques des lettres est l’une des variables qui prédisent le mieux les différences interindividuelles pendant l’alphabétisation3, et la difficulté à acquérir cette connaissance constitue une indication d’anomalies possibles au cours de l’apprentissage4.
Depuis l’enfance, nous sommes exposés à des ensembles de lettres et, séparément, à des ensembles de chiffres formant des mots et des nombres, respectivement. Cette ségrégation est à l’origine de l’effet de catégorie alphanumérique : nous détectons plus vite une lettre parmi des chiffres qu’une lettre parmi des lettres, et vice versa pour la détection d’un chiffre. Quand la cible et les distracteurs appartiennent à des catégories différentes, nous avons l’impression que la cible saute aux yeux, nous évitant de devoir faire une recherche systématique dans la foule des stimuli. Cependant, cela ne se produit pas si nous sommes exposés pendant des années à des combinaisons de lettres et de chiffres. Les employés des postes canadiennes qui font le tri du courrier en provenance de l’étranger (donc exposés à des séquences comme V5A 1S6) ne présentent pas l’effet de catégorie alphanumérique, contrairement aux étudiants et aux employés des postes qui ne sont pas exposés à ces alternances de catégorie symbolique5. Chez les étudiants, confrontés en général à des ensembles soit de lettres, soit de chiffres, ces symboles activent des sites différents dans le cortex occipito-temporal de l’hémisphère gauche, mettant ainsi en évidence une dissociation neurale déterminée par l’expérience culturelle6. Des enregistrements intracrâniens confirmèrent qu’il y a bel et bien une activation spécifique pour les chiffres dans un site antérieur à la scissure temporo-occipitale, distinct de celui qui réagit aux lettres7.
Dans le cas de fonctions apprises comme la littératie, ce qui est acquis à la suite d’une expérience sans cesse répétée peut être supprimé par une autre expérience répétée en sens inverse. C’est ce qui arriva aux postiers exposés aux mélanges de symboles. Par cet effet, la littératie révèle une fois de plus combien elle est différente de la perception de la parole ou des visages, dont la maturation est biologiquement programmée et dont l’émergence n’est possible que dans des limites temporelles de plasticité assez sévères.
La spécificité du traitement des lettres résulte du fait qu’elles acquièrent une identité fonctionnelle. On observe un traitement différentiel des lettres et des pseudo-lettres (PL) même dans des tâches purement visuelles qui n’exigent pas de tenir compte du nom ou de la valeur phonologique de la lettre. Prenons une situation où l’on présente un caractère (lettre ou pseudo-lettre) suivi du même ou d’un autre caractère, mais le second est entouré d’une forme fermée qui est soit congruente avec lui (un triangle autour d’un A), soit non congruente (un rectangle autour d’un A). Pour décider que le caractère est ou non le même dans les deux présentations, il faut ignorer la forme-enveloppe8. Une étude à laquelle j’ai participé utilisa cette situation avec des adultes (lettrés, ex-illettrés et illettrés) et des enfants (des dyslexiques d’environ 10 ans, des normo-lecteurs de même âge chronologique, et des normo-lecteurs plus jeunes, 8 ans, mais du même niveau de lecture que les dyslexiques). Pour les pseudo-lettres, à la fois les adultes et les enfants, sans distinction entre les groupes, ont montré une meilleure performance quand le second stimulus était entouré d’une forme congruente (on appelle cela un effet de congruence). Pour les lettres, tant les trois groupes d’adultes (y compris le groupe d’illettrés) que les deux groupes d’enfants lecteurs normaux ont pu ignorer l’enveloppe. Leur traitement des lettres était devenu spécifique (i.e. affranchi des contraintes de la segmentation par rapport à ce qui l’entoure) au moins dès 8 ans. En revanche, les dyslexiques ont montré pour les lettres un effet de congruence comme ils l’ont fait pour les pseudo-lettres : leurs représentations des lettres ne possédaient donc pas encore des caractéristiques spécifiques pour leur reconnaissance visuelle.
Notons que, au sein du groupe de dyslexiques, ceux qui étaient meilleurs en conscience phonémique et en lecture de pseudo-mots (PM) présentaient un plus petit effet de congruence pour les lettres. Pourquoi comparer des lettres exige-t-il des capacités phonologiques ? Parce que la lettre n’est pas qu’un objet visuel comme les idéologues de la méthode idéo-visuelle le pensent. Elle est, sous forme visuelle, un objet phonologique. Ce qui, dans ces résultats, paraît surprenant, c’est que les adultes illettrés, en moyenne, aient pu traiter la lettre-cible en ignorant la forme de l’enveloppe. Pourquoi n’ont-ils pas eu pour les lettres le même effet de congruence que les dyslexiques ? Pour le comprendre, il faut savoir que, bien que tous aient été incapables de lire des mots, leur connaissance des lettres variait entre 0 et 20 et il y avait une corrélation négative entre le nombre de lettres connues et l’effet de congruence. Plus ils connaissaient de lettres (que ce soit par leur nom ou par attribution à un segment phonétique), plus l’effet de congruence devenait faible9. Il semble ainsi que l’association à un patron phonologique (ici, le nom de la lettre) permet de faire émerger la spécificité de la lettre, chez un certain nombre d’adultes illettrés, mais non chez les dyslexiques, peut-être parce que ceux-ci réalisent la tâche de comparaison même/différent utilisant des représentations exclusivement visuelles.
La lettre ne devient lettre pour l’apprenti lecteur que lorsqu’il saisit et comprend son rôle fonctionnel, celui d’être le signe matériel d’une valeur phonologique. L’intégration de la valeur phonologique et du signe implique de spécifier à la fois la forme et l’orientation de celui-ci, ce qui requiert de l’attention visuelle, d’autant plus que dans certains cas il n’y a pas de correspondance non ambiguë si l’orientation n’est pas prise en compte (c’est le cas de p-q et de b-d). D’autres indices sont associables à l’orientation, car l’orientation de la forme visuelle n’est pas indépendante de l’orientation du mouvement qui le produit. Il est maintenant démontré que la mémorisation du mouvement pendant l’écriture manuelle d’une lettre facilite la reconnaissance visuelle ultérieure de la même lettre. Une étude a entraîné pendant trois semaines des enfants âgés de 2 ans 9 mois à 4 ans 9 mois à copier des lettres, soit manuellement, soit en utilisant un clavier, les testant ensuite (immédiatement ou une semaine plus tard) par un test de reconnaissance visuelle de lettres. Les enfants les plus jeunes n’ont pas ou peu bénéficié de l’entraînement. En revanche, pour les plus âgés (qui avaient en moyenne 4 ans 5 mois), seul l’entraînement à l’écriture manuelle a produit un effet : il a fait doubler le nombre de réponses correctes au test de reconnaissance visuelle, et cet effet s’est maintenu lors du test effectué une semaine après la fin de l’entraînement10. Notons que ces enfants ne devaient même pas apprendre les formes des lettres ou leurs noms. Ce qui est critique est donc la nature du mouvement effectué pour copier la lettre : ce n’est que si le mouvement est manuel et épouse la forme visuelle que ces enfants associent le mouvement à la forme visuelle de la lettre et deviennent capables de mieux la reconnaître. Il y a aujourd’hui une grande pression pour abandonner l’écriture manuelle et passer très précocement à l’écriture sur clavier. Ce sont des intérêts financiers, non ceux de l’éducation et de l’alphabétisation, qui se trouvent derrière cette tentative d’éviction de l’écriture manuelle.
Le milieu naturel de la lettre, ce sont les autres lettres. Elle est, comme nous, un animal grégaire, prenant son sens dans sa relation avec les autres. Elle peut se voir attribuer ainsi un nouveau rôle et en même temps contribuer à la vie de l’ensemble. Une question importante est celle de savoir si le lecteur habile traite les lettres pour identifier les mots ou s’il peut se fonder de manière unique ou prépondérante sur d’éventuels traits des mots – par exemple posséder ou non une hampe au début (halte vs autre) ou à la fin (étreint vs attente). Il est cependant difficile d’imaginer des traits des mots qui auraient une puissance permettant d’identifier, par exemple, une suite de lettres compatible avec une configuration du type tx1x2t, comme dans tout toit tait tant tint tort trot, sans recourir à l’identification d’au moins une partie des lettres. Un tel mécanisme n’aurait ni la précision ni la rapidité qui caractérisent la lecture des mots. En ce qui concerne l’évidence empirique, on a constaté que la distorsion provoquée par l’alternance de la taille des lettres aussi bien que le désavantage de lire un mot en capitales plutôt qu’en minuscules affectent plus les mots de basse fréquence que ceux de haute fréquence, ce...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Copyright
  4. Exergue
  5. Introduction
  6. Première partie. Pour un monde lettré
  7. Deuxième partie. Pour une pensée libre et critique
  8. Conclusion
  9. Notes
  10. Remerciements
  11. 4e de couverture