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Iô
À propos de ce livre
« Après quinze années d'endoctrinement, il m'est très difficile de penser par moi-même et mes références ne sont plus les vôtres. Si vous me croisiez dans la rue, vous ne m'adresseriez même pas la parole, vous me prendriez pour une fanatique islamique. De fait, je suis vêtue comme elles, tout de noir avec une robe rasant le sol ; mon voile cache le front jusqu'aux sourcils, ainsi que les joues et le menton, ne laissant paraître du visage qu'un triangle étroit : les yeux, le nez, la bouche. En Grèce, je passe inaperçue puisque depuis le Ve siècle, toutes les moniales orthodoxes sont vêtues ainsi. Pourquoi une fille apparemment cultivée, pas plus idiote qu'une autre, douée d'initiative et de raison, a-t-elle été pendant quinze ans incapable de s'échapper ? Cela doit vous paraître invraisemblable. Le drame est que je ne le sais pas moi-même. » C. V. Normalienne, agrégée de lettres classiques, Claire Vajou est traductrice de russe, de grec et d'anglais. Convertie à l'orthodoxie, elle a passé quinze ans, prisonnière volontaire, dans un monastère sur une île grecque. Avant de s'en enfuir.
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Informations
Le fil d’or
Les territoires de beauté
Comme je gênais, on m’envoyait de plus en plus souvent en tournée avec Kallistratie vendre des icônes à Rhodes et dans les îles. Ces voyages m’offraient une diversion bienvenue. Ils me permirent aussi de découvrir la Grèce.
Kallistratie et moi prenions au port de Kastallos le grand paquebot de trois heures du matin, chargées d’une kyrielle de bidons de plastique et de grands cabas noirs emplis d’icônes de très mauvais goût, du style des pieuseries appréciées dans les campagnes. Nous nous rendions dans les villages les plus reculés des îles, où nous frappions à toutes les portes, en psalmodiant d’une voie traînante la formule rituelle :
« À vot’ bon cœur un peu d’huile pour la Sainte Trinité… »
Les ménagères s’exécutaient, allaient chercher dans leur cuisine un huilier de métal au long bec et en versaient une rasade dans notre bidon pour les veilleuses de nos églises. Elles y ajoutaient souvent une aumône : quelques drachmes ou des denrées diverses, sucre, féculents, riz. Ma présence les rendait plus généreuses ; je suppose que c’était aussi la raison pour laquelle le despote me faisait accompagner Kallistratie. Leurs exclamations de compassion face à la pauvre chose que j’étais, en retrait derrière elle comme un petit chien silencieux, finissaient par m’apitoyer sur moi-même. Mes yeux bleus, ma maigreur, mon teint pâle, un air enfantin que j’avais dû garder et qui me faisaient sans doute paraître beaucoup plus jeune que je n’étais, les émouvaient. Les femmes demandaient souvent à Kallistratie si je venais de l’orphelinat de son couvent. J’avais honte : non seulement je m’étais prostituée, mais je mendiais. Sacré palmarès.
Je répugnais à voir ces femmes misérables se priver pour nous, qui étions somme toute moins démunies qu’elles. L’état de pauvreté et d’arriération des villages perdus de ces îles reculées est inimaginable. Les ruelles y sont encore en terre battue. Enfants en guenilles, chèvres, moutons, chiens, chats, volailles, y vont et viennent sous les yeux des vieux assis au seuil des maisons de torchis. Les habitations sont chaulées, sans étage, à toit plat. Comme leur sol se trouve bien au-dessous du niveau de la rue et que leurs fenêtres sont minuscules, il fait très sombre à l’intérieur.
J’ai vu au fond de ces maisons à demi abandonnées des vieilles couchées sur des grabats et attendant la mort dans un dénuement absolu. Elles nous accueillaient avec joie, et leur sollicitude me faisait du bien. Elles comprenaient parfaitement que j’étais étrangère, et leur bonheur surpris à m’entendre parler grec me touchait. D’une année à l’autre, elles m’attendaient, et moi de même. Je me demandais toujours, la fois suivante, si elles seraient encore là. Je peux dire qu’en quinze ans de vie grecque je n’ai pas eu d’autres amies.
Je me souviens en particulier de l’une d’elles. Elle n’était pas couchée, elle, mais assise, immobile dans sa cuisine délabrée, à contempler la photo d’un fils. Elle avait dû être d’une grande beauté, et cette beauté stupéfiante, miraculeuse, qui avait fleuri, inutile comme une étoile, en ce lieu misérable, flottait encore sur elle. On se trouvait dans ce taudis face à la beauté pure. Une beauté de soixante-quinze ans, sans lifting, édentée, ravagée, mais ravageante tout de même. Contrairement aux autres vieilles, elle ne s’épandait pas en effusions et, un peu distante, jouait encore un peu du pouvoir de ses yeux pâles, avare d’un sourire dont elle savait toujours faire désirer la grâce. L’année suivante elle n’était plus là.
Il y en avait aussi de démentes, qui arpentaient les rues en vociférant ; d’autres qui vivaient au milieu de leurs excréments. Il y en avait de simplement bizarres, comme cette Antonina qui nous hébergeait chaque année dans sa maison obscure, composée de trois étroites pièces en enfilade et sans fenêtres. Forte comme un homme, elle travaillait seule aux champs, houspillait son mari malade, parlait avec la Vierge et se nourrissait de harengs saurs et d’oignons crus. Un hiver où il neigeait, car il neige parfois à Rhodes en hiver, d’une neige qui ne tient pas, mais tombe longuement et transforme, par le contraste de sa blancheur, les villages immaculés de l’été en hameaux de sombre grisaille, elle m’emmena au four à pain.
La fournée du soir est en hiver le seul événement des villages. La porte ouverte du four, dont les briques rougeoient encore, luit au fond d’une ruelle. De toutes parts accourent des formes sombres, tandis que le boulanger retire en pleine rue avec une spatule de bois au long manche les énormes pains chauds aussitôt distribués. On dirait un Charon infernal nourrissant les ombres de l’Hadès. Elles s’enfuient aussitôt comme elles sont venues, glissant et rasant les murs, serrant dans leur giron, à la façon d’un enfant monstrueux qui leur tient chaud, le pain qu’elles vont dévorer.
De retour à la maison, Antonina avala son pain de trois livres dont elle me donna un bon morceau, plus exquis dans sa tiédeur mousseuse qu’un gâteau de grand pâtissier. J’avais ce jour-là, en raison du froid, obtenu de Kallistratie qu’elle m’achetât, luxe suprême et en principe interdit sauf bénédiction spéciale, un de ces sachets de thé qui se vendent au détail dans les épiceries misérables des villages.
Il y avait sur la table d’Antonina un pot de poudre blanche dont je mis une cuillerée dans mon thé. Le sachet, vu son air racorni dû à sa longue exposition à la lumière dans l’épicerie, devait être éventé, mais le breuvage sombre n’en fumait pas moins avec un parfum attirant. Je dus hélas recracher avec un haut-le-cœur épouvanté la gorgée tant désirée. La poudre blanche n’était pas du sucre, mais du sel. J’y vis une punition divine : j’avais osé vouloir boire du thé sans m’être munie de la bénédiction du despote.
*
La Grèce, toujours elle, m’offrait cependant ses consolations. Nos déambulations de colporteuses, qui correspondaient peut-être à ma seule vocation, l’errance, m’offraient des paysages d’une incroyable beauté, comme la petite île de Symi, avec son quai immobile, les frontons d’attente de ses demeures désertes, la buée lumineuse de son détroit.
Le soir, j’osai rédiger en secret de courts poèmes répondant à la requête silencieuse que ces lieux semblaient m’adresser. La beauté, peu à peu, me dessillait les yeux et décrispait ma main. Déchiffrant son message, Iôanna se souvint-elle alors confusément que Iôn est aussi le titre du dialogue de Platon consacré à la poésie ? Y lut-elle le sceau à demi effacé d’une ancienne appartenance ? Peut-être. Mais à travers ces si purs paysages, colportant en elle la noirceur de l’antre dans ces bleus de lumière et d’eau, « infernale et céleste et vouée à l’errance », elle était toujours Iô.
La persévérance des signes
Au retour d’un de ces voyages, j’appris par un coup de fil de ma mère la mort de mon grand-père. J’en eus un immense chagrin. Je demandai s’il s’était souvenu de ma prière et s’il m’avait laissé, comme il me l’avait promis, le tableau de Maurice Denis représentant Tobie et l’ange. Non, me dit-elle, il l’avait mis en vente l’année précédente, comme toutes les pièces de sa collection. Elle n’était même pas au courant de cette histoire de tableau. Je tombais dans un gouffre de déception qui redoublait mon chagrin. Décidément, tout me faisait faux bond, tout me lâchait, même l’ange…
Mais, ajoutait déjà ma mère, contrairement à toute attente, le tableau, malgré sa signature, n’avait pas atteint aux enchères le prix espéré, et mon grand-père l’avait retiré de la vente. Elle venait de le récupérer chez lui et l’avait accroché… dans mon ancienne chambre.
Je me signai, mes larmes étaient de joie et de chagrin mêlés.
Je me mis à prier avec encore plus d’ardeur, car je savais désormais où adresser ma prière. Le tableau (j’allais écrire l’icône), que je voyais clairement par les yeux de la mémoire, se trouvait maintenant dans ma chambre. Il devenait plus facile de diriger vers lui le flux de ma concentration. Je transposais sur un simple tableau une conception librement inspirée de la théologie orthodoxe, qui enseigne que l’icône n’est pas seulement une représentation de la divinité ou d’un saint, mais recèle dans sa matérialité même la puissance effective de l’Esprit. C’est en ce sens qu’elle est, en tant qu’objet, sacrée et… miraculeuse. Il me semblait que l’ange allait d’autant mieux m’aider que sa sphère d’influence coïncidait maintenant avec ma sphère d’expérience familière. L’interférence entre les deux mondes m’en paraissait facilitée.
Je suppose que cette conception paraîtrait bien fantaisiste à un théologien orthodoxe, mais je n’étais plus en état de faire la différence entre la saine doctrine et l’hérésie, la superstition ou la magie. Il me fallait simplement pouvoir espérer une issue. Comme mon esprit malade était incapable de me la fournir, elle devait venir d’ailleurs.
Une aide extérieure devenait en effet de plus en plus urgente. Plus le temps passait, moins je pourrais me libérer, car ma prison mentale se renforçait encore d’un nouveau paramètre : la hantise de l’Antéchrist. Or la présence de menaces extérieures constitue pour toute communauté le plus puissant ciment qui soit. J’étais déjà depuis longtemps sous l’emprise de la psychose eschatologique ; bientôt elle me paralyserait totalement.
La fin du millénaire approchant, la menace millénariste obsède en effet les orthodoxes, dont l’interprétation de la tradition et des prophéties annonce la venue de l’Antéchrist pour le tournant du siècle. Notre communauté, pratiquement coupée du monde, est exposée sans défense à cette paranoïa qui a atteint chez nous sa forme la plus aiguë. Nombreux sont en effet les signes qui annoncent la venue prochaine de l’Antéchrist…
L’œcuménisme galopant, rassemblant toutes les Églises déchues sous la bannière papiste, est la démonstration la plus évidente de l’apostasie générale. Seul le petit noyau de la vraie orthodoxie résistante constitue l’arche du salut.
Les signes (astrologiques entre autres) sont innombrables, et leur énumération serait fastidieuse. Celui dont l’évidence est la plus massive est le signe de la Bête, mentionné au chapitre treize de l’Apocalypse de saint Jean : le 666. Pour les orthodoxes, le Monstre de Bruxelles, l’ordinateur géant de la Communauté européenne, qui se trouve sous influence juive et maçonnique, est cette Bête. Le code-barres, qui, à l’instigation de la CEE, marque tous les produits commercialisés, ne comporte-t-il pas, au début, au milieu et à la fin, trois lignes verticales qui correspondent dans le langage de l’ordinateur de Bruxelles au chiffre 6 ? Ainsi tous les produits marqués de ces trois 6 portent-ils le sceau de la Bête, accomplissant la prophétie : « Et nul ne pourra rien ni acheter ni vendre s’il n’est marqué au nom de la Bête ou au chiffre de son nom » (Apocalypse XIII, 18). Les revues orthodoxes abondent en photos de voitures officielles européennes ou israéliennes arborant ce nombre fatidique sur leur plaque d’immatriculation, signe de leur allégeance à la Bête. Ainsi la pyramide du Louvre serait-elle composée de 666 panneaux de verre…
Aussi la vraie Église grecque a-t-elle promulgué un canon stipulant qu’il est préférable de s’abstenir totalement de la consommation de ces produits. Mais, mondialisation oblige, presque tous les biens de consommation portent désormais, même en Grèce, un code-barres. Il serait donc pratiquement impossible de survivre dans ces conditions. Aussi le canon stipule-t-il, par une clause indulgente, que tout produit marqué du code-barres doit être aspergé d’eau bénite avant d’être utilisé ou consommé. Sur la table du réfectoire se trouvent donc désormais, au lieu d’huile ou de vinaigre, de petites bouteilles d’eau bénite. Lorsque nous sortons, en ville, à Rhodes ou sur les îles, nous avons toujours sur nous une de ces petites fioles de plastique, dont nous versons à la dérobée quelques gouttes sur tout ce qu’on nous offre.
Comme environ un huitième de la population grecque est rallié à l’ancien calendrier, il existe en Grèce, et à plus forte raison à Kastallos, particulièrement hostile au monde contemporain, un embargo de fait sur les produits européens, surtout hollandais ou belges, considérés comme les plus proches de Bruxelles. Des bruits circulent sur l’île, colportés par des Kastalliens de retour d’Europe, selon lesquels les bières belges seraient produites à partir d’eaux usées recyclées (je pense que le sigle coquin de Manneken-Pis est à l’origine de cette rumeur). Nous n’avons donc plus droit au lait concentré de la Petite Hollandaise, au cacao Van Houten ou à la bière, qui venaient de temps en temps améliorer notre ordinaire. Heureusement, il reste pour l’instant le chocolat suisse, ce pays conservant toute la faveur du despote.
Nous vivons donc presque en état de siège. Nous commençons à faire des provisions d’épicerie en prévision du conflit apocalyptique qui ne saurait tarder.
Ces thèses vous apparaîtront sans doute comme un millénarisme de bas étage, bon pour les amateurs paranoïaques de scénarios populaires d’épouvante. Vous vous demandez comment je peux croire de pareilles inepties.
Je ne sais pas, je ne sais plus, au fond, si ce sont des inepties. Je remarque simplement que les prophéties d’autres religions concordent pour assigner à notre époque une phase terminale tragique. Je me souviens du beau livre d’Ossendowsky, Bêtes, hommes et dieux. Les textes sacrés des grands lamas tibétains concordent absolument avec les révélations de l’Apocalypse, les prophéties de saint Cosmas d’Étolie ou de saint Séraphin de Sarov. Il y est stipulé qu’après le cataclysme final les survivants seront si rares qu’on devra parcourir des kilomètres avant de rencontrer un être humain. Je ne sais pas si ces prédictions se réaliseront au sens littéral. Je ne sais pas si elles signifient qu’un nombre infime d’hommes auront conservé leur âme, tous les autres ayant choisi de descendre de l’amibe. Je sais seulement que les conditions requises pour la fin, c’est-à-dire l’avènement du dernier homme, sont déjà là : toute vérité et toute gratuité semblent déjà bannies des sociétés dites évoluées qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, reposent sur le mensonge, revendiqué et assumé comme tel.
Les prophéties stipulent qu’aux derniers jours l’Église officielle sera totalement corrompue, que seules de petites communautés ayant conservé la vraie foi et vivant en autarcie traverseront la tourmente et seront sauvées. Malgré mes réticences de plus en plus fortes, je suis bien persuadée d’appartenir à une telle communauté. Il ne m’est pas possible de me désolidariser de la psychose collective. Bien que je l’identifie consciemment comme une psychose, cela ne veut pas dire que j’en sois indemne. Ce dédoublement est si insupportable qu’il va bien falloir qu’il se résolve.
Soit je vais renoncer totalement à tout esprit critique et me fondre dans la mentalité ambiante, ce qui est le plus probable, car le poids accumulé des années passées m’y porte. C’est aussi la solution la plus facile, parce que résister perpétuellement est épuisant.
Soit je vais parvenir à me désolidariser de cette folie. Mais qui m’aidera dans cet effort surhumain ?
*
L’été était revenu. Nous venions de presser nos raisins pour le vin liturgique. La fête du despote, la Saint-Kallistratos, approchait. Chaque année, une sœur différente est chargée de composer en l’honneur de notre père spirituel un discours destiné à être lu devant les nombreux invités, ecclésiastiques et laïques, qui envahissent notre monastère à cette occasion. On parle de Diapythion jusqu’à Athènes, et les gens sont curieux de venir constater par eux-mêmes ce qu’il en est de ce fameux monastère sur lequel courent toutes sortes de bruits.
L’an dernier, mon tour vint donc de m’adonner à la rédaction d’un panégyrique. Vu l’ambivalence de mon rapport au despote, la tâche n’était pas facile. Je m’y attelai donc plus d’un mois à l’avance.
L’été allait aussi ramener mes parents, chargés comme toujour...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Avertissement
- Prélude - La chouette aveugle
- Premier labyrinthe
- Interlude - Devenir normale
- Second labyrinthe
- Le minotaure
- Le fil d’or
- Fugue - Pour la main droite
- Postface - Une évasion
