Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres
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Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres

  1. 272 pages
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Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres

À propos de ce livre

La transsexualité et les identités transgenres ne sont ni un vice, ni un caprice cosmétique, ni une maladie : il s'agit d'une authentique contrainte intérieure à la métamorphose de soi. Les sujets transidentitaires – transsexuels, transgenres – bouleversent des certitudes, dérangent ou fascinent. Comment comprendre que le recouvrement entre sexe et genre ne va pas de soi ?Françoise Sironi ouvre à une compréhension nouvelle des vécus transidentitaires, en décrivant comment appréhender et accompagner, sans les discréditer, ces expériences de métamorphose humaine. Elle montre également en quoi les transidentités sont en fin de compte un nouveau paradigme qui nous aide à penser les identités émergentes à l'heure de la mondialité : métis culturels, migrations planétaires, familles recomposées, homoparentalités, adoptions internationales…Françoise Sironi est maître de conférences en psychologie clinique et en psychopathologie à l'université Paris-VIII. Elle est expert près la cour d'appel de Paris et près la Cour pénale internationale à La Haye. Psychologue et psychothérapeute, elle accompagne des personnes transidentitaires dans leur parcours de vie. Elle a publié Bourreaux et victimes et Psychopathologie des violences collectives.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2011
Imprimer l'ISBN
9782738125835
Chapitre 1
Maltraitance théorique
et hypocrisie professionnelle
Surveiller ou punir ? La célèbre question de Michel Foucault valant pour décrire le sort de toutes les minorités actives vaut également pour décrire ce que l’on a fait et continue de faire, dans une moindre mesure cependant, aux personnes transsexuelles et transgenres. Nous n’allons pas reprendre ici tout l’historique de la question transsexuelle, cela a déjà été fait de manière pertinente par d’autres auteurs2. L’histoire de la question transsexuelle, nous l’avons dit, suit la même logique que celle de la communauté homosexuelle. Dans un premier temps, l’inexpliqué et l’étrangeté de la transsexualité ont d’abord suscité le rejet et la condamnation pénale, ce qui fut également le cas, avant, dans les années 1950, concernant les homosexuels3. Cette période a été suivie, historiquement, par une intégration conditionnelle à la société, sur la base du statut de « malade ». De délinquant, de hors-la-loi, ils deviennent des « malades ». Aujourd’hui, dans les pays occidentaux, l’homosexualité n’est plus considérée comme un délit ou comme une maladie de type « perversion sexuelle ». Elle se définit comme une orientation sexuelle, comme un mode relationnel de transmission (couples gays et lesbiens formés d’un(e) aîné(e) et d’un(e) partenaire plus jeune), comme un mode de sociabilité particulier (homosocialité), voire comme une culture (cultures gays et lesbiennes, culture queer).
Bref aperçu historique de la transsexualité
Il semblerait que ce soit en 1838, que le premier cas de transsexualité ait été décrit de manière médicale, par Jean Esquirol. La transsexualité existe probablement depuis la nuit des temps, même si elle n’a pas été décrite moyennant une définition sexuelle ou de genre, telle que nous la lui connaissons depuis cent cinquante ans. Dans son traité des maladies mentales, il la nomme « inversion génitale », et la considère comme une monomanie. Esquirol décrit le cas d’un homme qui se sent être une femme, et pour qui il précise que « hors ce travers d’esprit, M. ne déraisonnait point4 ».
En 1886, le médecin allemand Richard von Krafft-Ebing a décrit, pour la première fois, et d’une manière très complète, les troubles de la vie sexuelle, dans son ouvrage intitulé Psychopathia sexualis. En 1923, le psychiatre berlinois Albert Moll entreprit de publier une nouvelle édition de l’ouvrage initial, alors épuisé, de Krafft-Ebing, augmentée de ses nombreuses observations personnelles5. Cet ouvrage est d’une exceptionnelle richesse, car il est constitué de quatre cent quarante-sept observations cliniques. On y trouve également des observations sur un trouble (sic) qui intéressa particulièrement Albert Moll, à savoir « la façon de sentir sexuelle contraire », selon les termes de Pierre Janet, dans la préface qu’il rédigea à l’ouvrage. Albert Moll y distinguait déjà ce « trouble », par rapport à l’homosexualité. Voilà comment Pierre Janet en parle, en 1931 : « Plusieurs observations sont tout à fait remarquables [dans l’ouvrage de Krafft-Ebing]. Elles nous montrent chez des hommes le développement extraordinaire du désir d’être des femmes, qui transforme non seulement les idées, le sentiment de défendre non l’honneur d’un homme mais l’honneur d’une femme, mais qui transforme encore les sensations corporelles et qui amène périodiquement des impressions analogues à celles de la menstruation6. » Richard von Krafft-Ebing décrit un authentique cas de transsexualité7, qu’il considérait comme « spécial » et qu’il plaça, dans sa classification des troubles, entre ce qu’il appelait l’homosexualité acquise et la métamorphose sexuelle paranoïaque. Dans ses observations 354 et 355, Krafft-Ebing décrit deux cas de transsexualité, bien qu’il n’employât pas cette expression, à l’époque où le mot n’était pas encore inventé. Il faudra attendre pour cela Magnus Hirschfeld, en 1912, et Moll ne modifiera pas les observations pour les dénommer ainsi, à supposer qu’il eût connaissance des travaux de Hirschfeld.
Le premier cas est constitué d’une autobiographie d’un homme qui se sent être une femme, et le deuxième cas concerne une femme qui se sent être un homme. Ce qui est étonnant dans ces cas cliniques, c’est l’apparition d’une sorte de crise métamorphosique. Les sujets tombent malades et, à cette occasion, se manifeste toute une série de sensations corporelles et de caractéristiques physiques dans le second cas, appartenant au genre qui n’est pas celui de leur naissance. Tels qu’ils sont décrits, ces deux cas ressemblent étrangement à des cas de possession. Tous les symptômes, qui pourraient être considérés comme psychotiques pour l’un et comme un délire de changement d’organes pour l’autre, signent l’effraction psychique et la présence d’un autre en soi, au moment de la crise. Mais possédés par qui ? Le médecin qu’est Krafft-Ebing ne se hasarde pas à explorer l’étiologie de la possession et à investiguer sur qui est cet autre, femme chez l’homme, et homme chez la femme, qui se manifeste de façon impressionnante, lors des crises de métamorphose.
Quelle est la fonction, le statut de ces crises de métamorphose ? Était-ce une manière « culturellement conforme » pour l’époque, de se présenter en tant que transsexuel femme ou homme, sans risquer d’être catégorisé comme « fou » ? Il ne s’agit évidemment pas d’un choix conscient du symptôme, chez ces deux personnes. Mais elles mettent inconsciemment leur problématique en scène, de manière à ce qu’elle ait une chance d’être entendue per se, à cette époque-là. L’inconscient est aussi social, culturel, et le symptôme est toujours intelligent. Il est un texte sans contexte, comme l’a dit Tobie Nathan. Ces deux personnes comprenaient, inconsciemment, que le discours seul – « je suis une femme dans un corps d’homme » ou « je suis un homme dans un corps de femme » – était absolument irrecevable pour la morale de l’époque, y compris pour un médecin. Mais ces deux personnes ont trouvé le médecin qui pouvait entendre sans condamner. Elles ont trouvé l’homme de la situation, celui qui fera de ces étranges crises de métamorphose des cas cliniques publiés, et qui fera émerger, au stade embryonnaire, la question transsexuelle. En un sens, nous pouvons considérer que c’est au couple « cas clinique-médecin » que nous devons l’avènement de la transsexualité moderne, dans sa phase « médicalisée ».
Aujourd’hui, à ma connaissance, aucune crise de métamorphose telle que celle observée par Krafft-Ebing n’a été décrite par des cliniciens s’occupant de personnes transsexuelles. Ces crises ne sont pas réductibles à une forme de paranoïa. Elles ne relèvent pas du syndrome de Cotard (délire de négation ou de transformation d’organes), car les crises sont ponctuelles, survenant chez des personnes par ailleurs tout à fait adaptées à la réalité et chez qui la problématique transgenre est tout à fait centrale, irrépressible, terriblement culpabilisante, et soumise à une tentative réitérée et extrêmement drastique de refoulement. Le modèle de la crise de métamorphose, décrite par Krafft-Ebing, vient tout à fait étayer mes propres thèses, établies à partir de mon travail clinique et psychothérapique mené avec des personnes transsexuelles. Ce qui me semble caractéristique de la transsexualité, c’est la contrainte à la métamorphose. Nous y reviendrons plus loin. Aujourd’hui la contrainte à la métamorphose se dit, se parle et exige même que la médecine, qui en a les moyens, y procède. Mais à l’époque des deux observations rapportées par Krafft-Ebing, soit à la fin du XIXe siècle, la métamorphose n’était pas pensable, de manière réaliste, car il n’existait encore aucune réassignation hormono-chirurgicale. L’endocrinologie et la chirurgie réparatrice n’avaient pas encore vu le jour à l’époque où Krafft-Ebing rédigea ses observations. Et le roman de Kafka n’était pas encore écrit !
L’invention du terme de « transsexualité » date de 1912. Nous le devons au médecin et sexologue berlinois Magnus Hirschfeld. C’est grâce à son action que la transsexualité a commencé à être considérée avec sérieux. Elle passa alors du statut de délit à celui de « maladie ».
En 1949, le psychiatre D.O. Cauldwell reprit la dénomination de Magnus Hirschfeld, « transsexualité », pour décrire le cas d’une jeune fille qui « manifestait le désir obsessionnel d’être un garçon » (sic). Il donne à cette obsession le nom de « Psychopathia transsexualis ». Ce sera désormais une pathologie rattachée à la catégorie des perversions sexuelles8. Le 18 décembre 1953, lors d’une conférence devant la New York Academy of Medicine, Harry Benjamin proposa à ses confrères de définir la transsexualité comme un syndrome, et non plus comme une perversion ou comme une psychose. Ce réajustement nosographique avait pour avantage d’atténuer la « gravité » de la transsexualité, en la faisant passer de l’état de « perversion » et de « psychose », à celui de « trouble de l’identité9 ».
En 1955, John Money crée le concept de « genre », qu’il distingue du concept de « sexe ». Le genre renvoie au social et au culturel, selon lui, tandis que le sexe renvoie à l’anatomie et à la biologie. Le psychiatre et psychanalyste américain Robert Stoller reprendra cette distinction dichotomique : pour lui, le sexe est mâle ou femelle, et le genre est masculin ou féminin10.
C’est en 1951 qu’a eu lieu, au Danemark, la première opération de changement de sexe ou « réassignation » globale. En réalité, la première opération concernant une personne transsexuelle et qui consistait en une mastectomie bilatérale11 avait déjà eu lieu à Berlin, en 1912. Au Danemark donc, une équipe pluridisciplinaire composée de médecins danois et dirigée par le docteur Hamburger publie, avec l’accord de la patiente, Christine (ex-George) Jorgensen, les résultats de l’opération de réassignation qu’elle vient de subir. Cette opération fut très médiatisée à l’époque. Ce qui est intéressant, c’est que Christine Jorgensen complète la publication de l’équipe médicale par un autre type d’écrit : son autobiographie, publiée en 196712.
Dans ce rapide tour d’horizon historique (nous y reviendrons plus loin, dans la partie consacrée aux études étiologiques sur la transsexualité), mentionnons l’action, en France du pasteur, psychologue et sexologue Joseph Doucé, assassiné en 199013. Fils de paysans belges, il a étudié à l’Université libre d’Amsterdam, avant de s’installer en France où il créa, en 1976, le Centre du Christ libérateur (CCL). Ce centre s’occupait de minorités sexuelles (sic), dont les personnes transsexuelles. Après sa disparition mystérieuse, brutale, et jamais élucidée14, la nécessité d’une association spécifique, concernant les personnes transsexuelles, s’était fait cruellement ressentir. Tom Reucher et Armand Hotimsky, qui ont tous deux fait un parcours transsexuel « FTM », participaient aux réunions qu’organisait le pasteur Doucé le dimanche matin. Après sa mort, Tom Reucher fonda l’Association du syndrome de Benjamin (ASB) et Armand Hotimsky15 fonda le Caritig (Centre d’aide, de recherche et d’information sur la transsexualité et l’identité de genre), dans les années 1990.
Aujourd’hui, les personnes transsexuelles sont sorties de leur isolement. Transsexuels et transgenres se regroupent en communautés et associations, à l’échelle nationale, européenne et internationale. Celles-ci réclament des droits, entre autres celui, pour les personnes transsexuelles, d’avoir accès à la gratuité des opérations de réassignation de genre, et celui de ne pas être considérées comme des malades psychiatriques, mais comme des sujets ; des sujets qui sont des usagers de la chirurgie, lors d’un parcours de construction de soi, qui s’impose à eux non comme une « lubie », mais comme une nécessité intérieure, impérieuse et inaltérable. Cette trajectoire de vie est, certes, singulière dans une société où les genres sont strictement codifiés. Mais elle est assurément non pathologique, non délirante. Bon nombre de personnes transsexuelles occupent aujourd’hui des fonctions importantes dans la haute administration, dans des grandes sociétés, en médecine et dans beaucoup d’autres domaines professionnels, sans que leurs compétences intellectuelles ou managériales soient remises en question.
Psychothérapie coercitive
En France, le parcours de réassignation hormono-chirurgicale est encore largement codifié. J’emploie à dessein le terme de « réassignation », car c’est celui par lequel la majorité des personnes transsexuelles définissent le passage, la métamorphose intentionnelle et réelle qu’elles entreprennent, dans leur chair, pour que celle-ci soit conforme au genre auquel elles disent appartenir. Au sens littéral du terme, « réassigner » signifie « attribuer de nouveau » un genre, celui qui leur correspond. « Réassigner », c’est également créer à nouveau, et cette recréation est l’œuvre de la médecine. Les médecins sont donc les partenaires obligés des personnes transsexuelles qui souhaitent entreprendre une réassignation hormono-chirurgicale. Les personnes transsexuelles doivent passer par un vrai « parcours du combattant ». Avant de pouvoir bénéficier d’hormones sexuelles et avant d’avoir accès aux opérations de changement de sexe, à l’épilation et à la rééducation phoniatrique (pour les sujets transsexuels « MTF16 »), elles doivent passer par une psychothérapie obligatoire.
Il y a un historique à cela. Rappelons tout d’abord que la question transidentitaire, qui concerne donc les sujets transsexuels, travestis et transgenres, est aujourd’hui répertoriée sous une appellation unique, dans le chapitre intitulé « troubles de l’identité sexuelle » dans le DSM-IV, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, édité par l’Association américaine de psychiatrie17. Le psychiatre et psychanalyste américain Robert Stoller (1924-1991) a beaucoup travaillé sur la transsexualité18. Au cours de sa carrière, il a progressivement infléchi sa réserve initiale quant au traitement de la transsexualité, du fait des avancées de l’endocrinologie et de la chirurgie en matière de réassignation hormono-chirurgicale. Il a également changé d’avis et il a accepté le terme de « genre » à la place de celui de « sexe ». Stoller distinguait deux types de transsexualité : primaire et secondaire. Les « vrais » transsexuels étaient ceux qui manifestaient une dysphorie de genre dès le plus jeune âge ; les autres, pour qui la transsexualité se révèle de manière plus tardive dans leur vie, relevaient de la transsexualité secondaire. Pour Stoller, tenter de faire changer de fonctionnement psychique des vrais transsexuels était une entreprise vouée à l’échec. D’où la nécessité de recourir aux opérations pour soulager la souffrance de ces patients. Par contre, concernant les transsexuels secondaires, ceux-ci devaient relever d’un traitement psychothérapique, afin d’infléchir chez eux, le désir de changement de sexe (sic). À la suite de Stoller, la plupart des psychiatres, psychologues et psychanalystes qui s’occupaient de personnes transsexuelles ont considéré, comme lui, qu’il était impossible et dangereux de laisser les « candidats transsexuels », selon l’expression de Jean-Luc Swertvaegher, aux seules mains des endocrinologues et des chirurgiens19. Seuls des « experts du psychisme », toujours selon l’expression de Jean-Luc Swertvaegher, pouvaient détecter les « vrais » transsexuels et les distinguer des transsexuels secondaires. Il fallait ainsi protéger d’eux-mêmes un grand nombre d’individus du danger que représentait leur propre désir conscient de « changer de sexe » et retrouver, dans l’inconscient, les fondements de leur soi-disant conviction délirante ou inappropriée, d’appartenir à l’autre genre. Or en quoi une transsexualité primaire est-elle plus vraie qu’une transsexualité secondaire ? Stoller pense comme on pensait à l’époque, c’est-à-dire de manière dichotomique. Pendant la guerre froide, la logique des deux blocs imprima une forme de pensée généralisée : le binarisme. Celui-ci était très présent, et constituait, de manière caricaturale, un organisateur de pensée pour toute une époque. Aujourd’hui, la clinique de la transsexualité et des transidentités en général nous montre que le distinguo entre primaire et secondaire, en ce qui concerne la vie psychique du genre, n’est plus fonctionnel. L’une n’est pas plus vraie ou fausse que l’autre. Mais l’une et l’autre ont une histoire clinique, comme nous le verrons dans le prochain chapitre.
Du principe méthodologique énoncé par Stoller quant au suivi des personnes « candidates à la réassignation », principe déjà discutable en soi, à sa réalisation concrète, aujourd’hui, il y eut encore un glissement. La plupart des psychiatres, suivis en cela par les psychologues qui travaillent dans les équipes officielles s’occupant de la transsexualité et par les psychanalystes, se sont faits les gardiens d’un ordre établi, celui de la dichotomie des genres, et de l’assignation à résidence forcée, dans un genre unique, donné à la naissance20. Le reste n’est que dysfonctionnement psychique et psychopathologie.
Mais à qui donc appartient le genre ? À la médecine ? Au sujet lui-même ? À l’État ? Cette question, nous l’avons dit, demeure encore tout à fait d’actualité.
De nos jours, en France, il existe, nous l’avons mentionné plus haut, des équipes officielles destinées à la prise en charge des personnes transsexuelles qui souhaitent effectuer une réassignation hormono-chirurgicale. Ces équipes sont composées de psychiatres, de psychologues, d’endocrinologues et de chirurgiens. Elles font l’objet de critiques sévères et réitérées par un grand nombre de personnes transsexuelles et par les associations transsexuelles. Ces critiques et réserves portent tout particulièrement sur le r...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction - L’hypermodernité de la question transidentitaire
  6. Chapitre 1 - Maltraitance théorique et hypocrisie professionnelle
  7. Chapitre 2 - Pour une approche clinique non discréditante de la transsexualité
  8. Chapitre 3 - La vie psychique du genre
  9. Chapitre 4 - Psychothérapie transgenre
  10. Chapitre 5 - Passeurs de mondes un nouveau paradigme identitaire
  11. Conclusion
  12. Notes
  13. Bibliographie
  14. Du même auteur chez Odile Jacob