Le Consommateur entrepreneur
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Le Consommateur entrepreneur

Les nouveaux modes de vie

  1. 304 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Consommateur entrepreneur

Les nouveaux modes de vie

À propos de ce livre

Ce livre est la suite de La SociĂ©tĂ© des consommateurs qui a rencontrĂ© un vif succĂšs lors de sa publication. Robert Rochefort, " Monsieur Consommation " pour les mĂ©dias, y retraçait l'histoire de la sociĂ©tĂ© de consommation en s'arrĂȘtant plus particuliĂšrement sur la pĂ©riode post-guerre du Golfe qu'il caractĂ©risait par une consommation de rassurance (santĂ©, droits de l'homme, authenticitĂ©, etc.). Et il annonçait qu'une nouvelle Ă©poque allait s'ouvrir, celle du consommateur entrepreneur. C'est la description de cette nouvelle figure du consommateur qui fait l'objet de ce livre. Robert Rochefort montre comment les nouvelles formes d'organisation du travail brouillent la sĂ©paration entre vie privĂ©e et vie professionnelle ; comment, d'une part, le consommateur tend Ă  gĂ©rer sa vie familiale comme s'il s'agissait d'une entreprise (recherche de l'efficacitĂ©, de la rentabilitĂ©, de l'optimum) ; et comment, d'autre part, il utilise de plus en plus d'objets Ă  usage professionnel et privĂ© Ă  la fois (tĂ©lĂ©phone portable, monospace, ordinateur, etc.) ; enfin, comment il consomme de plus en plus de produits semi-finis qu'il termine lui-mĂȘme (meubles en kits, bricolage, vacances actives, etc.). Se profile dans ce livre une sociologie du nĂ©olibĂ©ralisme post-salarial. En un mot, une sociĂ©tĂ© d'entrepreneurs individuels jusque dans la consommation faisant suite Ă  la sociĂ©tĂ© salariale des XIXe et XXe siĂšcles. Robert Rochefort est directeur du Centre de recherche pour l'Ă©tude et l'observation des conditions de vie (CREDOC). Il est l'auteur aux Éditions Odile Jacob de La SociĂ©tĂ© des consommateurs (1995).

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1997
Imprimer l'ISBN
9782738105110
CHAPITRE 1
TOUT S’ACCÉLÈRE

Vouloir ĂȘtre de son temps, c’est dĂ©jĂ  ĂȘtre dĂ©passĂ©.
EugĂšne IONESCO,
Notes et contre-notes, Gallimard.
On consomme vraiment de plus en plus
 Faisons ensemble une expĂ©rience toute simple : dressons la liste de tous les services et biens nouveaux que nous achetons aujourd’hui banalement et que nous ignorions Ă  peu prĂšs totalement il y a tout juste quinze ans : magnĂ©toscope, four Ă  micro-ondes, branchement au cĂąble ou au satellite, abonnement au vidĂ©o-club, billets d’avion ou de TGV frĂ©quents, nettoyeur Ă  haute pression pour moquette, pizzas livrĂ©es Ă  domicile, club de remise en forme, cabines d’UV pour prĂ©parer l’étĂ© ou le prolonger, Disneyland (ou Futuroscope, ou Parc AstĂ©rix ou Parc de la Villette, si vous prĂ©fĂ©rez), foire aux vins dans les hypermarchĂ©s (surtout ne ratez pas le premier jour, c’est celui oĂč l’on fait vraiment des affaires !), chaussures Ă  la mode chez les adolescents (Nike, Reebok, Caterpillar, Doc Martens) et qui ne valent pas moins de 400 F, mensuels en quadrichromie sur notre hobby prĂ©fĂ©rĂ© (sport, musique, informatique, maquettisme, jeux de rĂŽles) et salon annuel pour les passionnĂ©s
 ArrĂȘtons-nous lĂ . Vous voyez, la liste est longue, beaucoup plus longue qu’on ne le croirait, sans faire d’effort pour l’établir, mĂȘme si Ă©videmment chacun d’entre nous ne consomme pas tout cela Ă  la fois.
Plus la consommation nous envahit, plus elle nous crĂ©e des dĂ©pendances qui nous rĂ©pugnent et qui pourtant accroissent nos potentialitĂ©s. Cette consommation tout Ă  la fois nous asservit et nous libĂšre. La tentation rĂ©gressive d’une sociĂ©tĂ© de nature, sans artifice, nous guette sans cesse. Nous voulons alors nous convaincre que nous ne sommes pas dĂ©pendants Ă  ce point. Nous cherchons Ă  retrouver la part d’autonomie qu’il y a en chacun d’entre nous. Cela peut prendre diffĂ©rentes formes : traverser Ă  pied le dĂ©sert tunisien, se convertir Ă  l’alimentation biologique, bouder pendant une semaine son tĂ©lĂ©viseur, rĂ©parer courageusement un robinet qui fuit au lieu d’appeler un plombier qui l’aurait immanquablement remplacĂ© par un neuf, suivre une session de relaxation et de redĂ©couverte de soi-mĂȘme, ou passer huit jours dans un ermitage
 Autant de petites victoires de plus en plus frĂ©quentes et qu’il ne faut pas mĂ©priser. Mais elles sont plus ambiguĂ«s qu’on ne le croit. Ce que l’on pense ĂȘtre le refus d’un systĂšme Ă©conomique envahissant est en rĂ©alitĂ© l’activation sous une autre forme de la logique marchande : on a tout de mĂȘme donnĂ© du travail Ă  un organisateur de voyages, on a augmentĂ© le chiffre d’affaires d’un commerce d’alimentation naturelle ou d’une grande surface de bricolage, on a fourni aux salles de cinĂ©ma quelques entrĂ©es de plus
 Loin d’avoir fait la grĂšve de la sociĂ©tĂ© de consommation, on a tout simplement consommĂ© autrement. En cherchant Ă  ĂȘtre davantage acteur de sa consommation, on en est devenu partiellement l’entrepreneur, en quelque sorte le coproducteur.
Si la consommation est toujours plus prĂ©sente dans nos vies, elle n’est plus ce processus final de destruction symĂ©trique de la production, seule crĂ©atrice de richesse comme nous l’enseignaient les manuels d’économie. Elle est un mode de rĂ©gulation, d’appropriation, de socialisation et donc de coproduction de la sociĂ©tĂ©. Elle est une immense circulation d’argent et de signes qui se fait Ă  la fois en masse et dans la diversitĂ© par capillaritĂ©, selon une nouvelle logique de rĂ©seaux. La consommation n’est plus le long fleuve tranquille des dĂ©cennies passĂ©es. Elle est le reflet de nos modes de vie, de nos façons de penser, de nos envies collectives, qui ont bien changĂ©.
Or, en ces domaines, tout s’accĂ©lĂšre et se fragmente. La SociĂ©tĂ© des consommateurs1 rendait compte du basculement au dĂ©but des annĂ©es 1990, qui nous a fait passer du consommateur hyperindividualiste des annĂ©es 1970-1980 au consommateur en quĂȘte de rassurance des temps d’inquiĂ©tude de la dĂ©cennie 1990. Mais dĂ©jĂ , au tournant du millĂ©naire, une nouvelle figure se dessine, avant de s’imposer vraisemblablement bientĂŽt pour devenir dominante, celle du consommateur entrepreneur qu’on pourrait appeler Ă©galement le consommateur professionnel ou bien mĂȘme le consommateur producteur. De quoi s’agit-il ? Principalement, des consĂ©quences sur les modes de vie et la consommation du changement radical de notre rapport Ă  l’emploi ; secondairement, d’une bien plus grande qualification gĂ©nĂ©rale des façons de se comporter en tant que consommateur : aptitude Ă  choisir, Ă  attendre, Ă  nĂ©gocier
 bref, Ă  ĂȘtre de moins en moins passif et bien plus souvent acteur et mĂȘme coproducteur de sa propre consommation.
Pour le dire en peu de mots, et en guise d’entrĂ©e en matiĂšre, l’économie des biens et des services de consommation sera en court-circuit : il n’y aura plus, d’un cĂŽtĂ©, des producteurs et, de l’autre, des consommateurs aux rĂŽles bien diffĂ©rents, mais des acteurs qui rempliront, au moins en partie, les deux rĂŽles Ă  la fois. D’oĂč le risque qu’ils soient Ă©cartelĂ©s entre ces deux fonctions, mais aussi l’espoir qu’ils dĂ©veloppent la capacitĂ© de les rĂ©concilier. Dans le meilleur des cas : des personnes capables d’un peu mieux maĂźtriser leur destin.
Nous sortons du monde salarial qui a dominĂ© la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle. C’est l’une des causes majeures des changements prĂ©sents et Ă  venir dans la consommation. ÉlĂ©ment fondateur de la croissance Ă©conomique, le salariat Ă©tait aussi trĂšs satisfaisant car sĂ©curisant et intĂ©grateur. Outre la protection du contrat de travail, la sĂ©curitĂ© de l’emploi et mĂȘme le droit Ă  la carriĂšre, la sociĂ©tĂ© salariale Ă©tait dotĂ©e de nombreuses caractĂ©ristiques annexes dont, au fil du temps, presque tout le monde avait fini par bĂ©nĂ©ficier : SĂ©curitĂ© sociale gĂ©nĂ©reuse, protection sociale complĂ©mentaire (mutuelle, caisses de retraite), subvention de l’accĂšs Ă  la propriĂ©tĂ©, sociĂ©tĂ© des loisirs financĂ©e par les comitĂ©s d’entreprise
 Dans le cas de la France, il faut y ajouter un État omniprĂ©sent, pourvoyeur d’emplois publics et de marchĂ©s protĂ©gĂ©s, redistributeur de revenu, mais insouciant des effets rĂ©els. Bien sĂ»r, beaucoup de ces bĂ©nĂ©fices Ă©taient de portĂ©e plus limitĂ©e que les intentions (la dĂ©mocratisation du systĂšme scolaire ou l’aspect redistributif de la fiscalitĂ©, par exemple), mais ils formaient ensemble une politique cohĂ©rente et rassurante. Sans se donner trop de peine, on pouvait imaginer un avenir balisĂ© et favorable Ă  tous.
Au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, la crise a Ă©branlĂ© ce systĂšme, mettant Ă  bas des pans entiers, les uns aprĂšs les autres. Seule la robustesse de la construction peut expliquer qu’elle ne se soit pas encore effondrĂ©e. Mais rien n’est Ă©pargnĂ©, tout se fragilise, car tout est liĂ©. Nous le ressentons et cela nous fait peur. Lorsqu’on craint de perdre son emploi, l’existence d’un puissant systĂšme de compensation sociale ne peut nous rassurer, car le nombre croissant de ceux qui perdent leur emploi l’affaiblit en retour. Initialement prĂ©vu pour compenser les accidents d’un systĂšme salarial robuste, il n’est pas en mesure de s’y substituer lorsque ce sont ses fondements mĂȘmes qui sont en crise. On ne peut se consoler de voir sa carriĂšre stagner en espĂ©rant que ses enfants feront mieux, comme il y a encore une gĂ©nĂ©ration, car on sait aujourd’hui qu’ils auront une vie professionnelle plus vagabonde et chaotique.
Telle une minuterie infernale parfaitement programmĂ©e, chaque annĂ©e voit s’ébranler un peu plus l’un ou l’autre des piliers de l’ancien contrat social. C’est le taux croissant du ticket modĂ©rateur pour les soins de ville qui rompt de plus en plus profondĂ©ment avec les principes fondateurs du systĂšme d’assurance maladie, car il faut dĂ©sormais une mutuelle pour ĂȘtre correctement remboursĂ©. L’annĂ©e suivante, c’est la rĂ©duction massive des emplois dans le secteur public, autrefois jalousĂ© par le secteur exposĂ©, qui confirme l’affaiblissement du secteur protĂ©gĂ©. Puis ce sont les fonds de pension qui font cruellement ressortir l’insuffisance congĂ©nitale des systĂšmes traditionnels de retraite.
Face Ă  cela, ou plus exactement Ă  travers cela, le monde postsalarial se dessine peu Ă  peu. Son type organisationnel est celui de l’entrepreneur. Non pas que tous soient appelĂ©s Ă  exercer des professions libĂ©rales ou Ă  devenir des chefs de petites entreprises, mĂȘme s’il doit y en avoir davantage demain. Cela signifie plutĂŽt que, pour s’adapter au monde nouveau, il nous faut fonctionner de la mĂȘme maniĂšre qu’eux. C’est la figure qui est transposable : autonomie et responsabilitĂ© sont les deux maĂźtres mots peu Ă  peu dĂ©clinĂ©s dans toutes les situations professionnelles et, simultanĂ©ment, dans l’organisation de ses affaires personnelles et familiales.
L’individu est pris au mot de son aspiration Ă  davantage de reconnaissance. Il voulait se voir flattĂ© dans sa spĂ©cificitĂ© ; depuis les annĂ©es 1970, son obsession Ă©tait de ne pas ĂȘtre confondu avec les autres. Le voici comblĂ©, mais au-delĂ  de ses espĂ©rances. En effet, il aspirait Ă  la reconnaissance individuelle dans sa vie privĂ©e, son mode de vie, sa consommation, et voilĂ  qu’on lui reconnaĂźt sa singularitĂ© jusque dans sa vie professionnelle, ce qui, bien entendu, est beaucoup plus difficile. MĂȘme lorsqu’il demeure un salariĂ©, l’individu au travail est jugĂ© sur ses rĂ©sultats et non plus sur sa docilitĂ© ou son obĂ©issance au rĂšglement intĂ©rieur. On lui demande de savoir s’adapter Ă  des situations changeantes, Ă  des rythmes de plus en plus rapides. Il doit apprendre Ă  se recycler, souvent par lui-mĂȘme, car, s’il attend que ce soit l’entreprise qui s’en charge comme on avait pu le lui promettre il y a encore dix ans, cela risque fort d’ĂȘtre bien trop tard. Le changement est considĂ©rable, et seule sa progressivitĂ© en attĂ©nue quelque peu la violence. Mais il ne faut pas se tromper, aucun secteur n’est Ă  l’abri de cette Ă©volution. Qu’il soit dans la sphĂšre industrielle ou des services, que ce soit dans une PME ou une trĂšs grosse entreprise (forcĂ©ment appelĂ©e Ă  se dĂ©concentrer), que son employeur soit privĂ© ou public, chacun devra Ă  terme prendre sur lui au moins une partie de ces changements.
Il en dĂ©coulera des nouveaux modes de vie, des nouveaux profils de consommation, que l’on esquissera ici, en les subsumant sous le terme gĂ©nĂ©rique de consommateur entrepreneur.
La principale diffĂ©rence, voire opposition, entre le consommateur entrepreneur et les modĂšles antĂ©rieurs, traditionnels, des rapports Ă  la consommation est le dĂ©cloisonnement des diffĂ©rents temps et des diffĂ©rents lieux de vie. Fini le temps de travail sĂ©parĂ© de celui consacrĂ© Ă  la vie familiale et aux loisirs, ceux-ci s’interpĂ©nĂ©treront indissolublement ! Fini le lieu du travail Ă©tanche Ă  celui de la vie privĂ©e, les deux coexisteront toujours, mais de façon moins tranchĂ©e, ils seront moins sĂ©parĂ©s que par le passĂ© et davantage dans le prolongement l’un de l’autre. Finie la jouissance de l’instant prĂ©sent comme caractĂ©ristique Ă©vidente de la consommation sans souci du lendemain, et place Ă  la recherche de l’équilibre sur le long terme, Ă  la prise en charge responsable de son capital humain en termes de santĂ© et de formation.
Par mimĂ©tisme social ou parce que le fait de vivre en sociĂ©tĂ© oblige Ă  partager des reprĂ©sentations communes, toutes les catĂ©gories sociodĂ©mographiques seront concernĂ©es par cette Ă©volution, y compris celle des inactifs, sachant que ce terme sera de moins en moins appropriĂ©. Étudiants et retraitĂ©s, par exemple, vivront comme des consommateurs entrepreneurs. Les premiers parce qu’ils anticiperont leur vie professionnelle Ă  venir, les seconds parce que ce sera adaptĂ© Ă  une tranche de vie plus longue que pour les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes, et au cours de laquelle il faudra s’organiser pour maĂźtriser son temps et gĂ©rer son budget, s’engager dans des activitĂ©s bĂ©nĂ©voles et associatives ou venir en aide aux membres de sa famille, ou bien encore reprendre une activitĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  temps partiel2.
On peut dĂ©finir le consommateur entrepreneur par trois caractĂ©ristiques : l’obligation d’assurer dans sa vie privĂ©e une partie croissante de son engagement professionnel, l’utilisation Ă  des fins privĂ©es d’une panoplie d’outils rĂ©servĂ©s jusqu’à prĂ©sent au champ professionnel, la capacitĂ© Ă  gĂ©rer son univers domestique de façon professionnelle. En voici trois exemples : ramener du travail Ă  la maison pour le faire sans aller au bureau pendant un ou deux jours, utiliser son tĂ©lĂ©phone portable mis Ă  disposition par son employeur pour prendre des nouvelles de ses enfants ou, Ă  l’inverse, celui qu’on s’est offert pour appeler un collĂšgue de travail, mettre en concurrence plusieurs agents gĂ©nĂ©raux pour prendre en charge l’ensemble des contrats d’assurance du mĂ©nage.
Le programme est ambitieux, il demande un effort constant, et il n’est pas sĂ»r qu’on arrive aisĂ©ment Ă  le remplir. C’est pourquoi tous ne mettront pas la barre au mĂȘme niveau. Il serait erronĂ© de penser que ces nouveaux modes de vie sont rĂ©servĂ©s Ă  l’élite masculine ou fĂ©minine de l’avenir. Certains le vivront d’une façon moins systĂ©matique que d’autres. Le maĂźtre mot de la rĂ©ussite sera l’harmonie entre des temps et des lieux beaucoup moins diffĂ©renciĂ©s qu’auparavant, le bonheur rĂ©sultera des Ă©quilibres construits par chacun. Ce qui ne veut Ă©videmment pas dire qu’il sera aisĂ© d’y parvenir.
Nous serons nĂ©anmoins confrontĂ©s Ă  un dĂ©fi majeur : la sociĂ©tĂ© salariale Ă©tait intĂ©gratrice, sa logique Ă©tait centripĂšte. Prix de l’autonomie accordĂ©e Ă  chacun, le postsalariat sera d’abord centrifuge. Il diversifiera les situations individuelles, il les fragilisera en rendant plus temporaires les avantages acquis par chacun. Pour contrecarrer cette tendance, il faudra cultiver sa capacitĂ© Ă  ĂȘtre reliĂ© avec d’autres, Ă  Ă©viter le piĂšge de l’isolement et de la diabolisation de l’autre toujours susceptible d’ĂȘtre un concurrent alors qu’il faut, au contraire, en faire un alliĂ©. C’est la raison fondamentale qui explique le besoin des nouveaux biens et services de communication.
Quelle sera la proportion de ceux qui ne rentreront pas dans les nouveaux modes de vie ? Quel destin la sociĂ©tĂ© leur rĂ©servera-t-elle ? On craint la rĂ©ponse anglo-saxonne dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre qui a une fĂącheuse tendance Ă  se rĂ©pandre, celle de la prĂ©caritĂ© pour tous ceux qui seront cantonnĂ©s dans des tĂąches de pure exĂ©cution : des engagements sur des durĂ©es le plus courtes possible et avec un salaire ne permettant pas d’échapper Ă  la pauvretĂ©. Trouver une autre rĂ©ponse est un dĂ©fi majeur.
Nos hésitations face au modÚle libéral
Dans l’économie de marchĂ© de demain, qui sera tirĂ©e par cette Ă©mergence du consommateur entrepreneur dans les pays riches et par l’accession Ă  la consommation de masse de nombreux peuples des autres rĂ©gions du monde, l’Europe a un rĂŽle essentiel Ă  jouer : amender le modĂšle ultra-libĂ©ral, le forcer Ă  prendre une dimension sociale, c’est-Ă -dire collective. Des pistes existent : favoriser, par des interventions publiques, la crĂ©ation d’activitĂ©s gĂ©nĂ©ratrices d’emploi pour tous, ce qui ne veut pas dire forcĂ©ment subventionner les entrepreneurs, mais par exemple moduler la fiscalitĂ© ou bien financer le conseil et la formation pour faciliter leur dĂ©veloppement ; maintenir une fiscalitĂ© directe aux vertus redistributives, car il est aussi dans l’intĂ©rĂȘt de l’entrepreneur d’avoir des clients solvables, Ă©laborer un droit social communautaire qui prĂ©serve le dĂ©veloppement de l’entrepreneuriat et la solidaritĂ© collective.
Il n’est pas du tout sĂ»r que l’Europe y parvienne, car tous les pays membres ne sont pas convaincus au mĂȘme degrĂ© ; or l’urgence dans ce domaine ne s’accommode pas des inerties nationales, tant bureaucratiques que politiques. Il est frappant de voir Ă  quel point tous les grands partis politiques, y compris les plus europĂ©ens dans leur programme, sont Ă©troitement cloisonnĂ©s dans leurs frontiĂšres nationales. Mais, au-delĂ  de l’union monĂ©taire, la rĂ©gulation de nos sociĂ©tĂ©s par une politique humaniste et sociale est vraisemblablement la mission historique nouvelle de l’Europe, et un Ă©chec en ce domaine la banaliserait. Tout en promouvant l’esprit d’entreprendre et en favorisant son Ă©panouissement chez le plus grand nombre de citoyens, il s’agit de rester persuadĂ© que le bien-ĂȘtre de chacun dĂ©pend aussi, jusqu’à un certain point, du bien-ĂȘtre de tous, et rĂ©ciproquement. Il s’agit d’affirmer par lĂ  que la rĂ©alisation de l’autonomie individuelle exige simultanĂ©ment l’acceptation par chacun de sa responsabilitĂ© Ă  ĂȘtre dans un rapport de communication et de solidaritĂ© avec les autres. C’est ce que l’on dĂ©nomme aujourd’hui sous le terme de « reliance ». Nous y reviendrons.
Jusqu’oĂč ne pas aller trop loin dans le libĂ©ralisme ? Aujourd’hui, le dĂ©...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du mĂȘme auteur aux Ă©ditions Odile Jacob
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Sommaire
  7. Introduction
  8. Remerciements
  9. Chapitre 1 - TOUT S’ACCÉLÈRE
  10. Chapitre 2 - LA SOCIÉTÉ POSTSALARIALE
  11. Chapitre 3 - LIEUX FIXES ET OBJETS NOMADES
  12. Chapitre 4 - LE MARCHÉ DU TEMPS
  13. Chapitre 5 - DE L’INDIVIDU À LA PERSONNE
  14. Chapitre 6 - LA REVENDICATION DE QUALITÉ
  15. Chapitre 7 - LE RETOUR DES INÉGALITÉS
  16. Chapitre 8 - LE BEL AVENIR DU COMMERCE
  17. Conclusion
  18. Bibliographie