L' Œil dévoilé, l’œil guéri
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L' Œil dévoilé, l’œil guéri

  1. 224 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L' Œil dévoilé, l’œil guéri

À propos de ce livre

En moins de cinquante ans, la chirurgie de l'œil a connu une véritable révolution. Plus que toute autre discipline, l'ophtalmologie a recueilli les fruits de ces progrès et a accompli des prouesses. Ce livre, qui représente en quelque sorte ses Mémoires, est un témoignage unique du chirurgien français de renommée mondiale Yves Pouliquen, qui a formé des générations d'ophtalmologues. Il revient ici sur les découvertes scientifiques qui ont bouleversé la chirurgie de l'œil. Pour ce qui était impossible il y a peu, et condamnait les patients à devenir aveugles, aujourd'hui, des solutions totalement innovantes ont été trouvées, et le chirurgien renouvelle constamment sa manière d'opérer. Yves Pouliquen plaide dans ce livre pour une science créative et inventive, faite « d'engagement, de foi et de discipline ». C'est cette conviction qui est ici brillamment défendue. Le professeur Yves Pouliquen est chirurgien, spécialiste internationalement reconnu de la chirurgie oculaire. Il a dirigé le service d'ophtalmologie de l'Hôtel-Dieu de Paris. Il est membre de l'Académie française et de l'Académie de médecine. Il a notamment publié Le Geste et l'Esprit, Lunettes ou laser ? (avec Jean-Jacques Saragoussi), La Transparence de l'œil (prix mondial Cino del Duca), Un oculiste au siècle des Lumières.?Jacques Daviel et Les Yeux de l'autre, qui ont eu beaucoup de succès. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2018
Imprimer l'ISBN
9782738139689

PREMIÈRE PARTIE

Une histoire vieille de plus de cinq mille ans



CHAPITRE 1

Le droit à la santé :
juste mais fragile


La presse ne cesse de critiquer les longs délais qui frappent les demandes de rendez-vous auprès des ophtalmologistes, certains, en plusieurs régions, frôlant l’indécence : dix mois ou plus. Des études fort précises en ont analysé les raisons sur lesquelles nous reviendrons, mais ces difficultés s’inscrivent dans un cycle évolutif de la médecine qui n’intéresse pas seulement la discipline qui fut la mienne mais l’ensemble de celles-ci dans un contexte de progrès qui n’eut dans le passé nul pareil. Il est naturel qu’il en résultât des changements dans les rapports des médecins avec la maladie, mais aussi avec le malade, mais peut-être moins naturel que ceux-ci n’aient guère été prévus comme il eût convenu. Mais ne faut-il pas admettre que les cinquante dernières années ont bouleversé de fond en comble un art de soigner ancestral en des pratiques qui, inimaginables alors, nous offrent des solutions quasi miraculeuses. N’ai-je pas abordé dans les années 1960 une ophtalmologie qui s’inspirait encore largement du XIXe siècle, celle que je quitterai cinquante ans plus tard, à l’aube du XXIe après m’être soumis à la nécessité de revoir et de corriger sans cesse mes manières de penser et d’agir sous la pression d’incessants progrès. J’étais, jeune médecin, à l’image de tous mes confrères, riche de tout ce qui se savait en médecine, doublé du savoir spécifique à notre discipline, tout en étant de surcroît un chirurgien aux actes plutôt rares et limités. Notre maître Jean Bernard se plaisait à dire qu’avant l’arrivée des sulfamides la médecine ne possédait en réalité aucun moyen de vraiment guérir et, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, son assertion avait encore quelque vraisemblance. Notre discipline calquait alors ses moyens thérapeutiques sur ceux qui s’offraient à la médecine où les antibiotiques puis la cortisone allaient ouvrir une ère nouvelle. Les infections et les inflammations oculaires y trouvèrent enfin une belle part de leurs remèdes. La chirurgie suivait son train et assurait l’ophtalmologiste d’une efficacité souvent plus digne de reconnaissance que ses prescriptions médicales. Celle de la cataracte s’appuyait sur des règles ancestrales que les temps modernes avaient sérieusement modifiées, encore que les méthodes que l’on employait alors paraîtraient irrecevables à un chirurgien de nos jours. Comparer les procédures anciennes à celles d’aujourd’hui, la manière dont j’opérais la cataracte en 1960 à celle que je pratiquais encore en 2002, relève tout simplement de l’Histoire avec un grand H, celle que je puis rappeler. Comparer les quelques dizaines de milliers de cataractes opérées annuellement en 1960 aux six cent mille ou davantage de cette année relève non seulement des progrès techniques et de l’accroissement de la population âgée, mais d’une approche toute différente de son indication. Le glaucome, qui ne relevait alors quasiment que de la seule instillation d’un collyre à la pilocarpine, mobilisait l’imagination des chirurgiens en des créations techniques diverses et aux effets incertains. Le décollement de la rétine conduisait dans la moitié des cas à la perte de la vision de l’œil qui en était atteint. Devant les difficultés posées par des diagnostics parfois incertains et des traitements risqués, les réserves pronostiques que nous formulions alors à nos patients étaient constantes. Il est heureux de dire qu’elles étaient facilement admises, dans la mesure où ceux-ci se soumettaient à la fatalité, celle que tout homme ou toute femme acceptait alors, celle que la vie imposait sans que l’on s’en rebellât, tout en s’en remettant souvent à la providence.
L’incomparable transformation de l’ophtalmologie a laissé loin derrière elle les conditions si particulières que notre exercice entretenait alors. Mais les immenses progrès qui la concernent ont aussi notablement modifié les rapports des malades avec elle, faisant des dociles et confiants patients d’antan soumis au verdict que leur proposait un médecin conscient de ses limites, des malades convaincus désormais que tous les moyens de les guérir existent et que manquer d’y recourir serait faillir, mais refusant aussi d’admettre qu’ils puissent se révéler inefficaces. Ne vante-t-on pas sans discernement dans les médias les instruments de ce progrès, ne les oriente-t-on pas sur Internet vers un autodiagnostic trompeur ? Ne confond-on pas à l’envi son cas avec celui d’un proche qui, fort différent, eut une issue très favorable, celle à laquelle on aspirait vainement ? Les conduisant enfin au déni des propres défaillances de leur corps, qu’elles soient inscrites dans leur génome ou dans leurs habitudes et dont ils ne peuvent véritablement guérir. Les conduisant enfin à penser que seul celui auquel ils se confient porte la responsabilité du piètre état dont on ne peut les sortir et donc celle de ne les avoir pas bien soignés, voire de s’être médicalement trompé. Image caricaturale certes mais qui illustre bien la transformation que le progrès a introduite dans le rapport du médecin et de son malade. Non pas que l’immense majorité de ceux-ci ne lui gardent leur confiance, mais que l’extraordinaire accroissement des moyens de guérir médicaux et chirurgicaux porte à penser qu’aucune maladie ne saurait ne pas trouver son remède ; toute défaillance en ce domaine trahissant à leurs yeux ce droit à la santé pour tous si légitime au plan social, mais si aléatoire en vérité et si fragile en chacune des épreuves de chacun d’entre nous.

CHAPITRE 2

Les années 1950-1960


Je doute que les Français nés après 1980 aient encore la possibilité d’imaginer ce qu’était l’ophtalmologie que je pratiquais, dix années après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans ses pratiques, elle n’avait guère changé depuis le début du siècle. La plupart des ophtalmologistes (volontiers dénommés oculistes en ce temps-là), sinon tous, exerçaient selon un mode libéral en un cabinet privé et pratiquement toujours seuls rarement en groupe. Les professeurs des universités, les médecins des hôpitaux, s’ils assuraient une consultation ou un programme opératoire en un hôpital le matin, réservaient leurs après-midi à leur clientèle privée. Si les maîtres auprès desquels j’ai alors appris mon métier vouaient une grande énergie à promouvoir l’activité de leur service, il n’en restait pas moins que le temps qu’ils y consacraient ne retenait pas pour prioritaires les problèmes administratifs ou matériels susceptibles de transformer radicalement les structures dans lesquelles ils officiaient. L’hôpital restait en quelque sorte marqué d’une connotation charitable offrant ses services à des patients qui y trouvaient des soins moins onéreux qu’en pratique privée, mais marqués toutefois et heureusement de la bonne réputation des médecins hospitaliers. Il serait faux d’imaginer cependant que l’on n’ait pu y accomplir de grandes œuvres. En 1962, je m’apprêtais à retrouver à l’hôpital Cochin mon maître Guy Offret qui venait d’y être nommé chef de service et titulaire de la chaire. Je ne puis évoquer sa mémoire qu’avec une grande émotion car, ce faisant, j’ignorais qu’il serait mon tuteur en ophtalmologie et qu’il ferait de moi son successeur à l’Hôtel-Dieu où je vécus à ses côtés pendant presque vingt ans avant d’en devenir moi-même le responsable. J’allais effectuer chez lui en cet hôpital un premier stage d’internat au cours duquel il avait déjà tracé ma carrière et souhaité qu’un jour je devienne son agrégé en ophtalmologie, ce qui était à l’époque un grand honneur puisque l’heureux élu appartenait alors à la pépinière étroite d’où sortaient les titulaires de chaire. L’unique chaire d’ophtalmologie se situait alors à l’hôtel-Dieu, celle qu’avec mon maître je retrouverai en 1964. Précaires étaient les moyens, vieux étaient les lieux, et limitées au mi-temps les activités, mais le service y déployait un labeur extrême. Guy Offret avait déjà démontré à l’hôpital Cochin comment sous son autorité, avec sa charité, sa ponctualité, son profond engagement, un service de peu de réputation devenait modèle. J’en avais emprunté les méthodes tout comme celles de ses chefs de clinique, de ses assistants et servi avec enthousiasme un patron vers lequel on dirigeait des malades de toutes parts. Je le retrouvais en son nouveau service nanti de moyens plus importants et d’un nombre de lits considérable, d’internes plus nombreux, de chefs de clinique, d’assistants et de vacataires compétents. Telle qu’était conçue l’activité d’un tel service on la menait en ses possibilités extrêmes mais nous avions conscience qu’elle ne perpétuait qu’une méthode d’agir traditionnelle en des lieux trop figés et que ces conditions ne répondaient plus à celles qu’exigeaient ailleurs, à l’étranger, les grands ensembles hospitalo-universitaires où s’exerçait une activité à plein temps. Lesquels aux États-Unis démontraient qu’ils étaient le lieu indispensable au développement d’un ensemble de disciplines reliant intimement l’enseignement, la pratique médicale et la recherche. Le professeur Robert Debré et quelques confrères en préparaient l’avènement depuis 1956, mais ce fut sans conteste l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle qui en précipita la création. Par le biais des ordonnances qui accompagnèrent sa prise de pouvoir et comportant un décret de loi confirmant cette création dès le 30 décembre 1958. Décision qui fut une véritable révolution dans la conduite des études médicales. L’union étroite de l’université avec l’hôpital allait conduire à un changement radical de la politique hospitalière. Non seulement, dans l’enseignement, la pratique des soins et la recherche médicale exercée désormais à temps plein, mais aussi dans la mise en chantier de vastes ensembles dotés des moyens techniques les plus récents. La création de l’Inserm en 1964 y consacrera définitivement l’insertion de la recherche médicale. Chef de clinique en 1963, je fis partie du premier concours qui, en 1966, désigna les professeurs d’université-médecins des hôpitaux, lesquels furent affublés de l’horrible terme de « praticiens des hôpitaux », pour devenir « professeurs des universités-praticiens des hôpitaux » (PU-PH). Je le devins en ophtalmologie. L’impréparation des services hospitaliers à l’exercice à plein temps de la médecine me confirma cependant dans la pratique privée, que j’exerçais depuis deux ans à Paris, et qui ne me fit rejoindre l’Hôtel-Dieu que quelques années plus tard.
Mais quelle ophtalmologie pratiquait-on en 1960 ? Cliniquement fort bonne, en vérité. Notre formation, celle des internes, d’une part, celle des étudiants qui préparaient un certificat d’études spéciales en ophtalmologie, d’autre part, était fort complète. Elle réservait à la sémiologie une part très importante. De cet art de rechercher les symptômes par l’interrogatoire du malade et l’examen de son œil dans un contexte possible de maladie générale dépendait l’assurance d’un diagnostic qui ne trouvait pas alors dans l’imagerie souveraine de notre médecine actuelle les soutiens que ne dispensait alors qu’une variété limitée d’examens complémentaires. Tous, nous en faisions l’apprentissage pratique. On comprendra que cette approche du patient demandait du temps. Il en fallait reconnaître par un interrogatoire précis des symptômes évocateurs, trouver dans l’examen de l’œil et du corps des signes pouvant justifier les symptômes évoqués, et déduire le plus souvent par cette seule confrontation anatomo-clinique un diagnostic vraisemblable qu’une mesure particulière (une radiologie, une sérologie, une étude histologique) allait confirmer ou infirmer – un exercice grave conférant à la rigueur de cette analyse autant de sérieux que d’esprit ludique, celui qui engage à fonder avec passion une vérité. De surcroît, un lien s’établissait entre le malade et le patient, un lien de confiance que le degré d’incertitude relative d’un acte décidé avec lui rendait absolument nécessaire. Une façon de se comporter à l’imitation de celle de nos maîtres. Nous leur étions redevables d’un enseignement alors qualifié de magistral qui, dispensé tout au long de l’année, nous livrait l’essence de leur savoir dans une présentation qui facilitait, au travers de l’attention qu’on leur portait, une structuration bénéfique de nos connaissances. Guy Offret, Paul Brégeat, Pierre-Victor Morax, parmi d’autres, ajoutèrent les attraits de leur personnalité et de leur manière de soigner à notre propre nature. J’eus le bonheur moi-même d’enseigner pendant plusieurs années devant les étudiants en ophtalmologie, et du contact que j’eus avec eux, au travers de centaines de cours qui me furent réservés, persiste ce souvenir précieux qu’ils me disent partager encore avec moi. Après 1968, les cours magistraux disparurent. Je ne sais si ce fut une bonne décision mais ce que je sais, c’est que la rencontre fréquente d’un maître qui sait et d’élèves qui l’écoutent forge une société conviviale, exclusivement dédiée au savoir et riche d’une connivence durable. Je sais les reproches que l’on a pu faire aux cours magistraux dont tous les effets dépendent de celui qui enseigne, du goût qu’il a à le faire et surtout du talent qu’il possède. Je n’ignore pas que l’on voulut, après 1968, délibérément rogner le pouvoir du maître, et que lui supprimer sa tribune marquait le début d’un changement radical de son rapport avec les étudiants. Les effets au sein de l’université française n’en seront véritablement appréciables et critiquables qu’à l’aune du temps.
Revenant à la pratique clinique d’alors, on peut affirmer que presque tous les grands groupes pathologiques étaient déjà répertoriés et leur accès diagnostique intelligemment balisé. Les progrès s’inscrivaient moins dans les techniques diagnostiques que dans les nouveautés thérapeutiques dominées par l’arrivée des antibiotiques, leur multiplication, et celle de la cortisone, par exemple, mais une part des diagnostics posés ne relevait encore que d’une thérapeutique approximative et parfois illusoire, qu’une vaste pharmacopée d’efficacité et de conception douteuses permettait. L’ophtalmologie était alors pleinement une discipline mixte, en ce sens que sa part médicale équivalait à sa part chirurgicale ; toutefois, depuis toujours, elle s’inscrivait essentiellement dans une tradition chirurgicale, et c’est de la pratique chirurgicale générale qu’elle s’était extraite au milieu du XVIIIe siècle, quand la première chaire en fut créée, à Paris, à l’Hôtel-Dieu, avant qu’elle ne soit supprimée par la Révolution et recréée à la fin du XIXe siècle.
La chirurgie oculaire est vieille d’au moins cinq millénaires. Née dans l’Antiquité, son principal objet fut de rendre la vue à des patients atteints de cataracte, affection déjà reconnue comme une cause majeure et fréquente de cécité. Les médecins d’alors trouvèrent un moyen simple de la traiter, en libérant la pupille de l’obstacle blanchâtre qui l’obturait. Ainsi naquit le procédé de l’abaissement du cristallin, consistant à introduire une épine durcie au feu ou une aiguille métallique dans le blanc de l’œil, afin de pénétrer la masse blanche obturant la pupille – dont on ignorera longtemps qu’elle n’est qu’un cristallin opacifié – et par des mouvements de haut en bas, à la faire tomber dans l’œil. L’abaissement est encore pratiqué de nos jours en certains pays, quoique avec des améliorations, et le fut jusqu’au milieu du XIXe siècle en Europe, quand bien même l’extraction du cristallin préconisée par Jacques Daviel, dès 1756, lui ait été jugée préférable eu égard aux nombreuses complications que cette antique méthode entraînait. Nous en reprendrons l’histoire. Depuis l’Antiquité, on savait aussi pratiquer quelques gestes chirurgicaux, tels que l’incision des abcès lacrymaux ou des phlegmons de l’orbite, mais l’indication majeure de la chirurgie oculaire resta très longtemps la cataracte, dont le traitement sommaire fut essentiellement pratiqué par des empiriques (dénomination de ceux qui, non-médecins ou apothicaires, s’attribuaient une vocation de médecin), voire des charlatans, avant d’être repris par les chirurgiens au cours du XVIIe siècle. Dans les années 1960, la chirurgie oculaire avait déjà largement bénéficié des progrès intervenus dans la première moitié du siècle. Des sous-spécialités avaient pris corps, telles la chirurgie du strabisme, de la rétine, de l’orbite et des paupières, des voies lacrymales, des tumeurs, de la cornée, du cristallin, mais la plupart des chirurgiens pratiquaient encore indifféremment toutes ces sortes d’interventions, et ce n’est que dans les années 1970 que se différencieraient ces spécialités chirurgicales, alors même que s’imposerait une nouvelle manière d’opérer, portée par un essor technologique impressionnant.
Revenir à l’état d’une salle d’opération et aux manières d’opérer des années 1960, c’est nous reporter dans un autre monde, dont il est difficile d’imaginer qu’on ait pu s’en satisfaire, l’aimer et en tirer de grands effets. Imaginons alors, dans un service d’ophtalmologie, une seule salle d’opération de petite taille, directement accessible par un couloir adjacent et ouverte à tout vent ; elle comportait en son centre une table d’opération rudimentaire et, vis-à-vis de celle-ci, suspendu au plafond, un petit scialytique blafard ; alentour, un lavabo à deux places, du savon de Marseille, un robinet commandé au pied. Un lieu de rangement permettant à la panseuse d’y placer les quelques boîtes d’instruments dont elle avait la charge d’en nettoyer les composants – pique, bistouris, porte-aiguilles, crochet, etc. –, rarement neufs, et de les stériliser. Se souvenir enfin que lui revenait la préparation des champs opératoires, des compresses, le difficile enfilage des fils de soie dans le chas des aiguilles, lesquelles étaient récupérées, quoique émoussées, après chaque usage. Aucun des éléments dont on avait besoin n’était jetable, en dehors des compresses qui avaient épongé le sang pendant l’opération. Il y avait peu de temps que le chirurgien en ophtalmologie s’était rompu au port de la traditionnelle casaque, et il se contentait encore souvent du seul long lavage réglementaire des mains pour aborder le champ opératoire à mains nues, l’usage des gants ne s’imposant vraiment qu’avec ma génération. Il opérait souvent à l’œil nu ou avec une simple correction de presbyte les paupières, les strabismes ou l’orbite, les loupes grossissantes étant réservées à la chirurgie de l’œil. L’anesthésie locale de cet œil était pratiquée par l’assistant, avant que le patron n’officie. ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. PREMIÈRE PARTIE - Une histoire vieille de plus de cinq mille ans
  6. DEUXIÈME PARTIE - Mes maîtres
  7. Table
  8. Du même auteur chez Odile Jacob