Don de soi ou partage de soi ?
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Don de soi ou partage de soi ?

  1. 288 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Don de soi ou partage de soi ?

À propos de ce livre

Comment ĂȘtre avec l'autre ? Faut-il se donner Ă  lui, ou bien, au contraire, partager avec lui cette chose Ă©trange qui s'appelle l'ĂȘtre et le possible, le nĂŽtre et le sien ? Ce livre passe par le drame de LĂ©vinas et son Ă©thique du don de soi. Pourquoi cette Ă©thique a-t-elle ce succĂšs curieux oĂč tout le monde y acquiesce et oĂč nul ne l'applique ? Dans ce drame, il y a des repĂšres : Heidegger, le nazisme, la Shoah, le rapport ambigu Ă  ses origines, d'autres Ă©preuves aussi. Rarement destin de penseur a Ă©tĂ© plus en proie au dĂ©chirement de l'histoire et au thĂšme de l'altĂ©ritĂ©. Mais la question Ă©thique, elle, demeure : comment sortir de soi sans se perdre dans l'autre, ni le rendre captif de ce qu'on lui donne ? Il y va aussi de la question de l'identitĂ© : comment faire avec cet autre qui nous harcĂšle et dont on ne peut se passer ?Psychanalyste, professeur de mathĂ©matiques Ă  l'universitĂ© de Paris-VIII, Daniel Sibony est l'auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels Violence, Les Trois MonothĂ©ismes, Psychopathologie de l'actuel.

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2000
Imprimer l'ISBN
9782738108562
ISBN de l'eBook
9782738184979
Chapitre III
BrĂšves 1
Éthique ou morale ?
1. Quelle diffĂ©rence ? Les prophĂštes dĂ©jĂ  la suggĂšrent sur le mode : Vous dites que vous faites bien, que vous ĂȘtes conformes Ă  la loi
 mais c’est tout le contraire : vous faites ce « bien » pour pavoiser, pour avoir de vous-mĂȘmes une bonne image ; alors que vous ĂȘtes fĂ©roces et idolĂątres. C’est la diffĂ©rence entre conformitĂ© Ă  un principe et mouvement d’ĂȘtre qui met en jeu ce principe, dans sa genĂšse, son dĂ©clin, ses limites ; mouvement qui, Ă  travers ce principe, met en jeu les questions qu’il refoule. Exemple : on peut ĂȘtre conforme Ă  : « Tu ne tueras point » et ĂȘtre « un tueur » (en langue moderne, c’est clair). Bref, la morale est un cadre de principes et l’éthique une Ă©preuve d’ĂȘtre, en amont des cadrages. La morale couvre un bloc de principes qui la portent, l’éthique est leur dĂ©ploiement symbolique. C’est pourquoi l’éthique de l’ĂȘtre semble un plĂ©onasme, n’était que l’ĂȘtre dont elle parle n’est pas seulement le mouvement d’ĂȘtre de chacun, mais l’ĂȘtre qui le dĂ©borde et oĂč il prĂ©lĂšve de quoi
 ĂȘtre.
Ou encore : l’éthique est un rapport Ă  l’ĂȘtre et la morale est ce qui prĂ©tend encadrer l’ĂȘtre – lequel ne se laisse pas faire puisqu’il excĂšde tout ce-qui-est, donc tout cadrage. D’oĂč le caractĂšre toujours forcĂ© d’une morale, pour ne pas dire vaguement pervers, lĂ  oĂč l’éthique n’exige que de prendre en compte
 l’ĂȘtre.
Il est naĂŻf de ramener l’éthique Ă  la pratique sociale, car les questions d’« Ă©thique » que se pose tel corps d’experts (mĂ©decins, avocats, Ă©ducateurs
) se posent Ă  tous. Simplement, ces agents y invoquent une certaine loi, fermĂ©e sans doute mais rappelant l’idĂ©e de loi, laquelle est un processus infini, puisque dans ces cas critiques que les experts agitent, nulle loi digne de ce nom ne dit d’avance « ce qu’il faut faire ». Il y a problĂšme Ă©thique toutes les fois qu’il y a faille dans la loi, passage Ă  vide dans son procĂšs d’émergence, dans le frayage de son Ă©criture, en principe infinie. Cette cassure inĂ©vitable est le signe que ce processus de loi suit le mouvement de la vie.
Cela tire Ă  consĂ©quences. Les religieux ont une morale, les laĂŻcs aussi, mais aucun d’eux, en gĂ©nĂ©ral, n’a une Ă©thique « meilleure » que l’autre ; puisque chacun, prĂ©cisĂ©ment, veut d’abord ĂȘtre meilleur que l’autre.
Les textes de la Bible s’en prennent aux uns autant qu’aux autres. Et les textes religieux ne sont pas utiles pour l’éthique, non parce qu’ils sont religieux au sens de superstitieux, mais parce qu’ils sont moraux, c’est-Ă -dire pris dans l’éthique de l’ĂȘtre conforme. ConformitĂ© dont nous savons qu’elle fait obstacle Ă  l’épreuve d’ĂȘtre, qui implique de n’ĂȘtre pas conforme Ă  soi-mĂȘme.
Les textes bibliques, une fois « Ă©clatĂ©s » sous le poids de l’interprĂ©tation, laissent voir leur ancrage dans l’ĂȘtre, et sont utiles pour Ă©clairer le rapport Ă  l’ĂȘtre. Ils tirent leur force de se mesurer Ă  une pensĂ©e plus forte qu’eux. C’est sous cet angle que leur approche Ă©claire l’éthique. Ils recouvrent une pensĂ©e de l’ĂȘtre ; il faut aller l’y chercher ; quand on la trouve, c’est Ă©vident1.
Mais l’éthique de LĂ©vinas d’enfermer le rapport Ă  l’ĂȘtre dans le rapport Ă  l’autre (avec comme principe : prioritĂ© Ă  celui-ci) est plutĂŽt une morale. C’est conforme Ă  sa logique : oĂč pour donner Ă  l’autre le pouvoir sur soi il faut dĂ©jĂ  le contrĂŽler ; logique qui rĂ©git les montages pervers.
2. Grandeur et misĂšre de la victime. Souvent la victime rĂ©siste Ă  parler, Ă  demander justice (voir le long silence des RescapĂ©s), car elle a peur de rĂ©veiller chez l’autre une culpabilitĂ© trop forte, qui peut devenir inintĂ©grable donc violente. Elle se doute qu’aprĂšs un temps d’apitoiement – oĂč « les autres » tolĂšrent les rĂ©cits affreux de la violence et mĂȘme en redemandent, ça les Ă©meut – ce sera le retour de bĂąton : « Bon, ça suffit ! Assez de vos histoires ! »
En mĂȘme temps, l’état de victime est un arrĂȘt du processus identitaire. À ce titre, il est narcissique. Il y a un narcissisme de la victime, assumĂ© ou pas ; dangereux pour elle, pour son avenir. Les nazis continuent de faire des ravages parmi les Juifs vivants en les fixant Ă  cette place de victimes, ce qui les empĂȘche d’approfondir leur mouvement d’ĂȘtre, leur processus identitaire.
Quand ce sont les tenants mĂȘmes de la loi qui cautionnent la violence, la victime se sent coupable, puis angoissĂ©e, terrorisĂ©e. C’est qu’elle partage certaines valeurs avec ceux qui la violentent : la loi justement, comme rempart face au chaos. De sorte que, violentĂ©e par des gens qui se rĂ©clament de la loi, la victime se sent condamnĂ©e par cette loi. Du reste, les auteurs de la violence arbitraire attendent que la victime se mette en faute pour une raison tout autre, anodine mais palpable, bien distincte de la raison – inavouable – pour laquelle ils l’excluent. (Par exemple, ils attendent qu’elle proteste de façon intempestive, pas-dans-les-formes.) Alors ils peuvent l’exclure, violemment, rĂ©pĂ©ter sur elle leur violence initiale, mais en Ă©tant couverts par cette raison nouvelle. Ils sont justifiĂ©s de leur violence et la victime, qui le sait d’avance, se tient tranquille. Pour ne pas ĂȘtre encore en faute, preuve qu’elle l’était dĂ©jà

Les spectateurs, eux, sont parfois indignĂ©s par l’attitude de la victime : « Quoi ! elle ne se rĂ©volte mĂȘme pas ? C’est du masochisme ! Elle ne veut pas accuser ? raconter ? transmettre ? » C’est leur peur d’ĂȘtre victimes qui parle ainsi : eux n’agiraient pas de cette façon ; ils se rĂ©volteraient, oui. C’est le risque d’identification qu’ils combattent, sans plus. (Aujourd’hui, on parle beaucoup des camps, et cela tire peu Ă  consĂ©quence, mais gare au retour de bĂąton.)
Soutenir une victime, c’est l’aider Ă  sortir du statut de victime ; Ă  trouver la passe, la faille dans le cadre identitaire oĂč elle risque d’ĂȘtre enfermĂ©e et parfois de se complaire. Seuls peuvent l’aider Ă  s’en sortir ceux qui n’ont pas besoin de victimes Ă  dĂ©fendre. Ils peuvent l’aider Ă  comprendre que ceux qui l’ont violentĂ©e ne sont pas la loi, n’incarnent pas la loi, qu’ils en sont les sangsues, les parasites ; qu’ils se cachent derriĂšre la loi pour ne pas ĂȘtre pris – et y a-t-il meilleure cachette ?
Savoir comment sortir du statut de victime relĂšve d’une question bien plus vaste : comment sortir d’un Ă©tat identitaire, d’un cadre oĂč le processus identitaire semble arrĂȘtĂ©, oĂč l’on devient identique Ă  soi-mĂȘme, en proie Ă  une mort invisible ? Comment se remettre en mouvement quand on est arrĂȘtĂ© ? (Dans son ProcĂšs, Kafka explore cette question chez le nĂ©vrosĂ© qui, en guise de rĂ©ponse, de mouvement, s’agite et s’enfonce dans son ratage, faute d’une idĂ©e plus juste de la loi.)
L’identitĂ© de victime – c’est le danger de sa force – permet d’accuser l’autre et de se dĂ©finir ainsi : par cette accusation. Cet « avantage » Ă©crasant Ă©crase aussi la victime, l’empĂȘche de se confronter Ă  elle-mĂȘme. Pour qu’elle sorte de son cadre – aussi fermĂ© que celui de ses oppresseurs – il faut que l’acte qui l’y a mis soit reconnu et autrement reprĂ©sentĂ©.
Du Dieu biblique, symbole de l’ĂȘtre, il est dit qu’il entend les victimes ; il « est » donc prĂȘt Ă  les aider Ă  ĂȘtre autre chose que des victimes. Mais il n’est pas dit qu’il les « aime ».
3. Devenir Dieu ? LĂ©vinas se retrouve tenant de l’Être suprĂȘme au moment oĂč, aprĂšs Heidegger, cela semble une rĂ©gression « philosophique » ; surtout quand on a, en tant qu’HĂ©breu, accĂšs Ă  des textes (bibliques) qui dĂ©passent Heidegger dĂšs qu’on les lit du point de vue de l’ĂȘtre, de l’ĂȘtre comme fonction. Du coup, pour ĂȘtre radicale son Ă©thique fait de la surenchĂšre. Cette surenchĂšre a pour symbole : aimer ses ennemis. Comme s’il fallait arracher au langage ce mot ennemi dont on ne veut plus. L’idĂ©e, depuis JĂ©sus, est que c’est banal d’aimer ses amis ; aimer ses ennemis, voilĂ  le dĂ©fi. (En somme, tout le monde peut voir, avec un peu de lumiĂšre, mais voir dans le noir, voilĂ  le dĂ©fi
). LĂ©vinas a sa surenchĂšre Ă  lui : la saintetĂ© – « la seule valeur absolue ; c’est la possibilitĂ© humaine de donner sur soi une prioritĂ© Ă  l’autre ». Mais le saint masochiste « possĂšde » l’autre Ă  qui il donne prioritĂ©, du fait mĂȘme qu’il la lui donne. Alors Ă  quel saint se vouer ? Et s’agit-il de se vouer, ou de soutenir un lien Ă  l’ĂȘtre ? La logique du tout-pour-l’autre oblige Ă  ĂȘtre un Dieu. C’est donc une idolĂątrie. S’il faut cela pour secouer l’égoĂŻsme, oĂč est le gain ?
LĂ©vinas dit que la dette s’accroĂźt dans la mesure oĂč elle s’acquitte. C’est dire qu’elle est compulsive, nĂ©vrotique, qu’elle prend sa source dans un trauma qui force Ă  presque dĂ©ifier l’autre tout en rĂ©pondant pour lui ; car en principe, les fidĂšles rĂ©pondent devant Dieu mais pas de lui, sauf s’ils l’ont fabriquĂ©. On peut rĂ©pondre de l’ĂȘtre, c’est-Ă -dire de sa part d’ĂȘtre, de ce qu’il vous est donnĂ© Ă  ĂȘtre, mais rĂ©pondre de cet autre, c’est le surmonter, le surplomber. Chez LĂ©vinas, le sujet devient Dieu parce qu’il surmonte le Dieu qu’il s’est fabriquĂ© et qui est l’autre dont il rĂ©pond.
DĂ©tail piquant : Heidegger fait beaucoup d’étymologies, et LĂ©vinas n’en voit pas la portĂ©e, il dit que c’est lĂ  une « maniĂšre de penser qui [lui] paraĂźt beaucoup moins contrĂŽlable que Sein und zeit ». Moins contrĂŽlable, moins conceptuelle, moins grecque
 donc choquant la tradition philosophique Ă  laquelle il s’identifie. (De fait, ces Ă©tymologies sont de type biblo-talmudique. LĂ©vinas lui-mĂȘme s’y est livrĂ© plus tard, dans le sillage du Talmud plus que de la Bible.) Or la langue du Livre est un vĂ©ritable opĂ©rateur d’entre-deux-langues. C’est plus que de l’étymologie : chaque mot porte activement ses jeux possibles ; c’est un travail radical qui met les lettres Ă  l’épreuve, via le moteur de l’ĂȘtre, puisque l’ĂȘtre « fait » le monde avec du verbe, Ă  coups de lettres, dans un travail oĂč le dit et le dire se confrontent, travail que toute pensĂ©e crĂ©ative peut reprendre et poursuivre. Heidegger, lui, a repris ces jeux de langage, que LĂ©vinas dĂ©nonça, bien plus tard, comme pas assez « rigoureux » 
4. Dette ou amour ? Abandonner Ă  Heidegger le privilĂšge d’articuler l’ĂȘtre et le divin, renoncer Ă  entendre l’enjeu Ă©norme du nom ou du symbole que donne le Livre (l’ĂȘtre-temps, l’ĂȘtre-Ă©tant-Ă©tĂ©-Ă  ĂȘtre), c’est payer cher le rejet de l’ĂȘtre. Dans cette optique, Dieu aussi est coupĂ© de l’ĂȘtre, il est identifiĂ© Ă  l’infini ; avec l’idĂ©e curieuse que l’infini « fait Ă©clater » la pensĂ©e car il n’est pas
 identique Ă  son concept. Et l’on retombe en douceur sur l’idĂ©e que l’amour du prochain correspond Ă  l’amour qu’a Dieu pour l’homme. De fait, le Livre ne dit pas « Aime ton prochain » mais : aime pour ton prochain comme pour toi. Autrement dit : ne lui souhaite pas ce que tu ne veux pas pour toi ; donc : partage l’amour de l’ĂȘtre avec les autres ; ne sois pas seul Ă  aimer l’ĂȘtre, tu te prendrais pour l’ĂȘtre. Le Livre conjure la scĂšne Ă  deux par une scĂšne oĂč tous deux sont confrontĂ©s Ă  l’amour de l’ĂȘtre-temps dont ils se donnent comme ils peuvent des parts fĂ©condes ou arides.
C’est seulement de l’ĂȘtre-temps, comme recharge des appels d’ĂȘtre, que le Livre dit : Tu l’aimeras de tout ton cƓur. Et cet amour est rĂ©ciproque : si l’on aime l’ĂȘtre, on est aimĂ© par l’ĂȘtre. Cela ne veut pas dire qu’on est heureux continĂ»ment ; on est reliĂ© Ă  l’ĂȘtre vivant par un lien d’amour. Il est vrai qu’il faut de l’esprit, du dĂ©sir, du travail pour inscrire cet amour et accĂ©der Ă  l’ĂȘtre aimant, parlant, crĂ©ant
 S’il y a une autre Ă©thique que l’éthique de l’autre, c’est celle de l’amour de l’ĂȘtre.
Alors des phrases subtiles de LĂ©vinas vacillent : « [Dieu] ne me comble pas de bien mais m’astreint Ă  la bontĂ©, meilleure que les biens Ă  recevoir ». Car qu’est-ce qui vous « astreint » Ă  la bontĂ© sinon l’appel Ă  ne pas faire le mal devant l’ĂȘtre, l’appel Ă  ne pas « ĂȘtre » mal et Ă  choisir d’ĂȘtre bien face Ă  l’ĂȘtre en tant que charge de mĂ©moire et recharge de possibles ? Qu’est-ce qui astreint – sinon les appels d’ĂȘtre – Ă  faire des choix de vie, puisque l’ĂȘtre-temps produit sans cesse et du bien et du mal ? Le dire de LĂ©vinas sur Dieu ne tranche pas sur le discours religieux convenu. Parfois s’y ajoute une thĂ©ologie nĂ©gative (Dieu comme absentement de tout sens, absolument ambigu, transcendant jusqu’à l’absence
) qui rĂ©gresse par rapport au « je suis
 que je suis » du Dieu biblique : oĂč le divin se rĂ©vĂšle pliure de l’ĂȘtre sur lui-mĂȘme, rature de l’ĂȘtre par le feu de la lettre et le feu de sa transmission, brĂ»lure contagieuse de l’ĂȘtre, qui n’appelle les hommes Ă  s’entendre que dans la mesure oĂč chacun d’eux peut entendre ou sentir les appels de l’ĂȘtre-temps.
Son discours sur Dieu est en retrait quoique excessif. Il lui suffit que le mot Dieu « signifie pour la pensĂ©e », dit-il. Et s’il signifie cela mĂȘme au nom de quoi on opprime et on tue ? (« On » : tous ceux qui le trouvent bon, le Dieu, de leur permettre cette possession, cette main basse qu’ils font, ces dĂ©chaĂźnements de leur loi.) Il peut mĂȘme signifier le pĂšre idĂ©al, l’ultime recours, l’Être suprĂȘme
 cela Ă©vite Ă  beaucoup de questionner leur lien Ă  l’ĂȘtre et leur mode d’ĂȘtre. Quant Ă  l’idĂ©e de « Dieu en moi », n’est-ce pas un clichĂ© ? Le divin hors de moi m’intĂ©resse beaucoup plus : c’est en pleine rĂ©alitĂ© qu’on s’émerveille des mouvements subtils et chaotiques de la justice « divine » (symbolique, surhumaine, la justice du « lĂ -bas/lĂ -bas »), quand on la voit rĂ©tablir en passant, distraitement, ce que les humains retordent dans leurs efforts pour faire justice. On s’étonne de la richesse des appels d’ĂȘtre au cƓur des Ă©vĂ©nements les plus aigus.
Le Livre, lui, ne pose pas la justice comme correctif aux « exigences » extrĂȘmes de l’éthique. Il pose l’éthique comme justice et justesse au regard de l’ĂȘtre, dans l’espace des relations entre les hommes face Ă  l’ĂȘtre ; sachant que par cette justice les hommes s’ajustent Ă  la loi symbolique de rigueur et de grĂące, loi qui leur Ă©chappe et fait retour sur eux en forme d’appels et de destin.
5. L’empire du mĂȘme. D’oĂč lui vient cette conviction que l’ĂȘtre, c’est l’« empire totalisant du mĂȘme » ? Pourtant, l’apparition mĂȘme du visage de l’autre est un Ă©vĂ©nement d’ĂȘtre. Certes, si l’on aime l’ĂȘtre comme potentiel de possibles, cela n’implique pas d’aimer chaque ĂȘtre, bien qu’on puisse voir en cha-cun les mĂȘmes dĂ©mĂȘlĂ©s que nous avec l’ĂȘtre (mais les tensions narcissiques nous font rejeter ce qui nous ressemble). En tout cas, chaque tentation d’ĂȘtre qui rejoint le possible rencontre l’élan des autres, donc le dĂ©fi de les respecter. Ce respect, connexion majeure entre les uns et les autres, est nĂ©cessaire, mais dans les faits c’est l’issue idolĂątre – narcissique – qui s’impose bien souvent ; l’impuissance Ă  aimer, donc Ă  penser.
Parfois LĂ©vinas congĂ©die l’ĂȘtre par un poignant jeu de mots : ça relĂšve de l’inter-esse, de l’inter-essement ; sous-entendu : c’est sordide, et grĂące au dĂ©sintĂ©ressement on « sort » de l’ĂȘtre. C’est comme de dire : avec l...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Introduction
  5. Conte moderne
  6. Chapitre premier - Questions d’ĂȘtre
  7. Chapitre II - Questions d’éthique
  8. Chapitre III - BrÚves 1
  9. IntermĂšde
  10. Chapitre IV - Comment aider ?
  11. Chapitre V - Partage du répondant
  12. Chapitre VI - BrÚves 2
  13. Chapitre VII - Solution de l’énigme
  14. Conclusion
  15. Annexes
  16. Du mĂȘme auteur