Xénobiologie

Vers d'autres vies

Michel Cassé, Marie-Christine Maurel

• Éditeur: Odile Jacob
• Année: 2018
• Imprimer l'ISBN: 9782738141552
• ISBN de l'eBook: 9782738141569
• Sujet: Ciencias físicas
• Sujet: Astronomía y astrofísica

La xénobiologie est l'étude des formes de vie créées par la biologie de synthèse. De ces molécules étranges – ADN artificiels, acides aminés transmutés – émergeront peut-être des créatures inédites, comme cela s'est produit il y a 3 milliards d'années sur notre planète. Les scientifiques rejouent désormais le scénario de l'histoire de la vie, et toutes les variations leur sont permises, à la frontière du naturel et de l'artificiel. Dans ce passionnant livre à quatre mains, l'astrophysicien retrace l'immémoriale histoire de « notre » vie, celle que nous connaissons sur Terre et épions ailleurs dans l'univers (l'exobiologie), tandis que la xénobiologiste expose les premiers résultats d'une recherche qui dévoile des formes de vie radicalement nouvelles, dont l'évolution est absolument imprévisible. Cette rencontre aux origines de la vie remet en question notre conception du vivant : et si nous n'étions qu'une forme de vie parmi beaucoup d'autres ? Voilà qui jetterait les bases d'une surprenante « xénophilosophie »... Marie-Christine Maurel, professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie et au Muséum national d'histoire naturelle, est une spécialiste des origines de la vie et de l'« archéobiologie moléculaire ». Michel Cassé, ex-astrophysicien au CEA et à l'Institut d'astrophysique de Paris, est l'auteur de nombreux ouvrages qui ont rencontré la faveur d'un large public (Du vide et de la création, Les Trous noirs en pleine lumière, etc.). 

LIVRE II

Cosmobiologie
Une vision cosmique de l’avant-vie

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Exégèse de la table d’abondance

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Cosmo-archéologie

Le cosmologue est un archéologue qui fouille le temps jusque dans ses derniers retranchements. C’est un conteur (bleu, sec et froid) qui réécrit la Genèse en termes physico-mathématiques, et déroule l’histoire du ciel en chiffres comme un bilan comptable. C’est un peintre abstrait qui dépouille le Ciel (des anges) du ciel et remplace le Ciel par un univers de papier et d’équations, et les décrets du destin par les lois de la physique, qu’il fait varier par jeu ou par curiosité. C’est un joueur mathématique, froid et métaphysique, qui mécanise les étoiles.

Obscurantisme positiviste vis-à-vis des étoiles

« Nous ne serons jamais capables par quelque moyen que ce soit d’obtenir la moindre information sur les étoiles, parce que l’expérimentation directe n’est pas possible », Auguste Comte (1835). L’esprit céleste n’est jamais tombé plus bas. Admirons, chers astrophiles, jamais privés d’ailes, la philosophie d’Auguste mais pas son astrophysique.

Une génération plus tard, l’analyse spectrale allait révéler la composition de la peau du Soleil et des étoiles ; en effet, nous ne voyons jamais que leur épiderme (atmosphère), jamais leur cœur, si ce n’est par le truchement des neutrinos. L’existence de l’hélium, élément solaire par excellence, fils de l’hydrogène, est attestée par ses raies spectrales. L’astre du jour brille en transformant l’hydrogène en hélium, H en He.

Cette découverte nous a incités à apprendre à décrypter le langage subtil de la lumière et à lire le spectre comme une partition de musique, car chaque atome, ion, et molécule est comme un violon, ou un piano ou un basson, il émet non pas des notes de musique mais des notes de lumière. Ainsi a fleuri l’art de la spectroscopie, qui s’étend largement en deçà et au-delà du visible. Les spectrographes X ont été satellisés pour autopsier les cadavres d’étoiles encore chauds, et les spectrographes gamma pour dresser la carte de la radioactivité de la Galaxie. Les spectrographes de l’infrarouge ont fouillé les nuages pour voir naître les étoiles. L’art n’est plus dans une couleur, mais dans la combinaison de toutes les couleurs visibles et invisibles.

Tels des poètes, les astrophysiciens ont décalqué l’invisible. Tels des notaires, ils ont chiffré l’héritage des étoiles. Tels des généalogistes, ils ont établi les lignées stellaires. Tels des scénaristes, ils ont écrit l’histoire des galaxies. Voici un fragment de leur discours stellaire.

Sociologie des étoiles

Les étoiles de la majorité silencieuse comme le Soleil gardent dans un bas de laine le produit de leur alchimie (carbone et oxygène), mais les étoiles plantureuses (10 fois plus massives que le Soleil), à vocation explosive, dans toutes les couches de leur être façonnent les noyaux d’atomes complexes. Plus un noyau est lourd, plus la température nécessaire à sa confection est élevée, et plus brève est sa fabrication. Ainsi celle du carbone, par fusion de l’hélium dans une étoile de 25 masses solaires, demande 500 000 ans, alors que celle du phosphore et du soufre prend 6 mois. La synthèse du carbone mérite qu’on s’y arrête car elle relève d’un petit miracle, sur lequel nous reviendrons en détail.

Les grandes étoiles s’ouvrent comme des fleurs et inséminent l’espace de légions de noyaux d’atomes ailés. Elles dispersent ainsi le produit de leur travail que récupèrent les nuages voisins. Le terreau galactique s’enrichit en C, N, O, etc. Les étoiles qui y germent sont plus riches que les précédentes. De génération en génération d’étoiles, la Galaxie s’enrichit en éléments lourds. Lorsque leur teneur atteint 1,5 %, la matière se met à penser et à se pencher sur son passé de matière minérale, d’étoile, de nuage et par-delà de lumière et de vide quantique.

Le carbone et l’oxygène sont synthétisés dans la couche où brûle l’hélium, le phosphore et le soufre dans la couche où brûle l’oxygène. Les longs et délicats calculs de production nucléaire des étoiles de différentes masses et compositions originelles sont indispensables pour interpréter les compositions chimiques des étoiles et des régions gazeuses des galaxies, déterminées au moyen de l’analyse spectrale.

Vie en étoile

Vous, les étoiles, les galaxies, et moi, et tous les atomes du monde1, ne constituons que moins de 5 % de la masse de l’univers, et la matière vivante n’est que l’écume de la matière atomique, et celle qui pense l’écume de l’écume. Mais notre matière, céleste, précieuse et expressive, est celle qui parle et donne sens à tout le reste.

Celle que l’on dit noire, en vérité transparente, qui écrase par son abondance la matière atomique, photophile, la vôtre, la mienne, et celle des étoiles, ne sera jamais grise car, totalement insensible à l’électricité, elle ne saurait constituer de molécules ni transmettre le moindre influx nerveux. Elle restera pour toujours dans l’errance, à l’instar des neutrinos2.

L’évolution de la matière ordinaire/atomique (mais extraordinaire étant donné sa faculté de penser) commence avec la synthèse des éléments plus complexes que l’hélium dans les étoiles, à laquelle nous avons consacré quelques lignes3.

Les étoiles ne sont rien ou presque, 0,5 % de la masse de l’univers, un peu plus que les légers et espiègles neutrinos ; tout le sel est dans ce presque : ce sont les mères de nos atomes ; quant aux planètes, elles ne sont que cailloux, mais parlants (du moins l’une d’entre elles, assurément). Parmi les étoiles, les rouges écrasent numériquement les jaunes comme l’astre du jour. Les soleils ne sont rien ou presque, et tout le sel est dans ce presque : c’est près d’un soleil qu’est née la vie et la conscience nôtres, qui scrutent le ciel et les cellules. La matière qui pense sur son passé de matière inerte stellaire et nuageuse. Et elle compte les atomes des différentes espèces et les classe par ordre de richesse structurelle, de complexité numérique, depuis l’hydrogène (1 proton) jusqu’à l’uranium (92 protons).

FIGURE 8 – Composition du Système solaire (Soleil + planètes + météorites).

Parmi les traits saillants de la distribution relative des éléments, notons la cime de l’hydrogène (H) et le sommet de l’hélium (He), la gorge profonde qui sépare l’hélium du carbone (C), la pente descendante du carbone-oxygène (C et O) jusqu’au calcium et la vallée du scandium (Sc), suivie du pic du fer (Fe), auquel succède un paysage qui descend en pente douce jusqu’aux petites collines du platine (Pt) et du plomb (Pb), qui surplombe le plat pays du thorium (Th) et de l’uranium (U).

De cette table d’abondance des éléments, pierre de Rosette de l’astrophysique nucléaire, on peut faire l’exégèse nucléaire en se fiant à un principe simple, quasi darwinien : une espèce nucléaire est d’autant plus abondante que son noyau est solide, et non pas qu’il est simple (léger), car si lithium, béryllium et bore sont simples et rares, cela tient à la fragilité de leur noyau.

FIGURE 9 – Cohésion des noyaux d’atome.

Le fer est l’élément clé, le roi de la création nucléaire : au-dessus de lui, la fusion thermonucléaire ne dégage plus d’énergie et doit procéder par capture de neutrons. Ceux-ci, dépourvus de charge électrique, s’immiscent facilement dans les noyaux d’atomes. Cependant, le fer ne régnera pas, faute d’étoiles pour le produire.

Mais restons pour l’instant dans l’objectivité de l’observation pure.

D’une part, nous lisons le spectre comme le musicien la partition et y décelons la griffe des atomes. Tels des violons, ils émettent des notes de lumière ou filtrent les entrées comme la police, imprimant des stigmates ou des glyphes repérables et identifiables dans la lumière. D’autre part, nous avons analysé en laboratoire la composition des poussières d’astres et des pierres qui tombent des nues. Le spectrographe-lumière et le spectrographe- matière (de masse) sont devenus des instruments indispensables pour l’astronomie. Uranie la vieille muse fait flèche de tout bois.

Par ailleurs, nous avons dépouillé l’atome et égrainé les composants de son noyau. La physique nucléaire est devenue une science de la nature, et le Phébus aux crins dorés a cédé la place dans l’esprit du physicien à une centrale nucléaire à confinement gravitationnel fonctionnant sur le mode de la fusion thermonucléaire. Pour adoucir le propos et faire plaisir aux petits enfants, disons que dans le Soleil se célèbrent des milliards de micro-mariages et que le cri de joie, c’est la lumière.

Et nous savons désormais de quelle loi se chauffe le Soleil. E = mc² le Soleil brille ! Et il brillera4 longtemps. Il ...

Table des matières

• Couverture
• Titre
• Copyright
• LIVRE I - Prolégomènes biologiques
• LIVRE II - Cosmobiologie Une vision cosmique de l’avant-vie
• LIVRE III - Xénobiologie, prolégomènes à une biologie future
• Épilogue. Considérations xénologiques
• Pour aller plus loin
• Remerciements
• Table
• Des mêmes auteurs
• Herbier
• Cahier photos