
- 240 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Un nouveau régime politique pour la France
À propos de ce livre
Divorce entre le pouvoir politique et le peuple, dévaluation de la chose publique : autant de symptômes d'un malaise civique grandissant. Les causes de ce malaise ne sont-elles pas à rechercher dans l'inadaptation de nos institutions ? La France ne souffre-t-elle pas d'une crise de la représentation, de l'abaissement de son Parlement, bref du carcan d'un régime largement dépassé ? La Ve République n'a-t-elle pas fait son temps ? Le moment n'est-il pas venu de repenser et de reconstruire, dans ses fondements, tout notre système politique ?C'est en sa double qualité d'homme politique mais aussi de professeur agrégé de droit que Jack Lang appelle, dans ce livre, à l'urgence d'une nouvelle donne constitutionnelle pour la France.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Non, les livres ne peuvent pas être téléchargés sous forme de fichiers externes, tels que des PDF, pour être utilisés en dehors de Perlego. Cependant, vous pouvez télécharger des livres dans l'application Perlego pour les lire hors ligne sur votre téléphone portable ou votre tablette. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux abonnements : Essentiel et Complet
- Essentiel est idéal pour les étudiants et les professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la bibliothèque Essentiel comprenant plus de 800 000 titres de référence et best-sellers dans les domaines du commerce, du développement personnel et des sciences humaines. Il comprend un temps de lecture illimité et la voix standard de la fonction Écouter.
- Complet est parfait pour les étudiants avancés et les chercheurs qui ont besoin d'un accès complet et illimité. Accédez à plus de 1,4 million de livres sur des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. L'abonnement Complet comprend également des fonctionnalités avancées telles que la fonction Écouter Premium et l'Assistant de recherche.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l'application Perlego sur les appareils iOS ou Android pour lire à tout moment, n'importe où, même hors ligne. Parfait pour les trajets quotidiens ou lorsque vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sur iOS 13 et Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l'utilisation de l'application.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sur iOS 13 et Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l'utilisation de l'application.
Oui, vous pouvez accéder à Un nouveau régime politique pour la France par Jack Lang en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Politique et relations internationales et Processus politique. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
Seconde partie
Une nouvelle donne
institutionnelle
institutionnelle
Chapitre I
La séparation des pouvoirs :
une révolution en france
une révolution en france
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »
Article 16 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen
L’article 16 de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen devrait constituer le socle de notre démocratie. Telle devrait être la règle inscrite en lettres d’or au fronton de tous les bâtiments publics. Sans elle, la France n’a pas de Constitution au sens de la Déclaration de 1789, le seul texte de notre histoire constitutionnelle qui n’a pas pris une ride en deux cents ans !
La séparation des pouvoirs privée de droit de cité au pays de Montesquieu
La question, tellement lancinante pour nous Français, ne cesse d’être posée dans notre histoire sans jamais trouver de réponse concrète satisfaisante. Comment construire le régime dans lequel, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », selon le principe magistralement exprimé par Montesquieu ? « Lorsque dans la même personne ou le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté », écrit-il en 1748 dans De l’esprit des lois (Livre XI, chapitre VI). Avant lui, John Locke en avait déjà fait le constat : « Ce serait provoquer une tentation trop forte pour la fragilité humaine, sujette à l’ambition, que de confier à ceux-là mêmes qui ont déjà le pouvoir de faire les lois, celui de les faire exécuter » (Second Traité sur le gouvernement civil, 1690). Ces illustres pères de la démocratie inventent la séparation des pouvoirs, sans laquelle la liberté n’est pas garantie.
Écoutons également George Washington énoncer les enseignements qu’il tire de sa riche vie politique : « Il importe que ceux qui, dans un pays libre, participent à l’action du gouvernement se contiennent dans les limites que la Constitution a posées et qu’ils n’empiètent pas sur les attributions les uns des autres. Cet esprit d’empiètement tend à concentrer tous les pouvoirs en un seul et, par conséquent, à établir le despotisme sous quelque gouvernement que ce soit. Il suffit de savoir combien l’amour du pouvoir et le penchant à en abuser sont naturels au cœur de l’homme pour sentir ces vérités : de là vient la nécessité d’équilibrer les pouvoirs publics par leur division et leur partage entre plusieurs dépositaires qui défendent cette propriété publique des invasions les uns des autres » (dans le Daily American Advertiser, Philadelphie, le 19 septembre 1796).
Séparation des pouvoirs ! La simplicité apparente de la fin occulte souvent toute la complexité des moyens pour y parvenir, et sans lesquels elle est réduite à une incantation stérile. Que de fois avons-nous tenté d’inventer une Constitution qui répondrait à l’injonction de la Déclaration de 1789 ! Que de fois sommes-nous retombés dans les travers de la confusion des pouvoirs, qu’elle profite à l’exécutif ou à l’assemblée des représentants de la nation. Chaque fois, de nouvelles solutions ont été recherchées, chaque fois nous avons été rattrapés par les vieux démons de notre histoire.
Séparation des pouvoirs ! Ce vieux principe né avant la Révolution pour contrecarrer l’absolutisme royal et les despotismes de toutes sortes est riche de tous les possibles lorsqu’on réfléchit à l’organisation politique de l’État. Notre histoire constitutionnelle n’est pourtant que l’histoire sans fin de la confusion des pouvoirs, par crainte d’une division jugée inefficace ou dangereuse.
Le XIXe siècle est ponctué par la « guerre des deux France » décrite par Maurice Duverger (1982) : « Deux légitimités irréductibles s’opposent. Une grande partie du pays demeure fidèle au principe monarchique de l’Ancien Régime : elle veut un roi qui renoue avec la dynastie chassée du trône en 1792. Une autre partie s’enflamme pour le nouveau principe de la souveraineté nationale : elle réclame un pouvoir appuyé sur le suffrage universel et les libertés publiques. On se massacre pour les régimes politiques autant que pour les intérêts de classe. » Cette « guerre des deux France » interdit l’avènement d’un régime équilibré. L’invocation de la séparation des pouvoirs sert bien plus souvent la victoire d’une logique de l’un ou de l’autre des pouvoirs. Jamais elle ne permet de fonder des pouvoirs égaux, indépendants et capables de collaborer efficacement.
La tentative d’établissement de la monarchie limitée, en 1791, se réclame pourtant de la séparation des pouvoirs. Mais il s’agit en réalité d’une séparation inégale des pouvoirs. Le roi est à lui seul le gouvernement. Il n’assume, pas plus que ses ministres, aucune responsabilité politique devant le parlement. Le pouvoir de faire la loi est conféré au corps législatif, mais le roi dispose du droit de veto et s’oppose le plus souvent à la volonté nationale.
La Constitution de l’an I de la République (1793) fonde un nouveau modèle d’organisation des pouvoirs publics : la royauté a été abolie, le suffrage est élargi. Souvenir immortel de cette Constitution où l’assemblée est le centre unique du pouvoir, émanation du suffrage universel, sauvant la patrie grâce à l’enthousiasme du peuple contre tous les ennemis du progrès. Souvenir à jamais dramatique, cependant, terni par la dictature de la Montagne (M. Prélot). La Terreur imprime sur les ruines de la Constitution de 1793, morte au moment de naître, l’image de l’excessive subordination du pouvoir exécutif au pouvoir législatif. Convention et Terreur sont désormais indissociablement liées.
Le balancier implacable de la Révolution conduit inéluctablement à la réaction thermidorienne. Contre la suprématie d’un corps législatif, elle invente une séparation caricaturale des autorités publiques. Avec une Constitution riche de trois cent soixante-dix-sept articles, dessinant une organisation minutieuse, pointilleuse même, des pouvoirs publics, les thermidoriens élaborent un système qui prétend écarter tout à la fois le risque de la dictature, les excès de la démocratie et tout empiètement d’un pouvoir sur l’autre.
L’échec du Directoire est à la fois celui d’un modèle d’étanchéité parfaite des pouvoirs et celui d’un assemblage institutionnel baroque. La construction théorique ne résiste pas à l’épreuve de la pratique. Dans un climat de lassitude créé par les excès de la Révolution, une petite oligarchie politique se livre aux luttes, à la falsification des élections par les coups d’État successifs. La Constitution de 1795 vole en éclats.
La France renoue alors avec le pouvoir autoritaire, la confusion des pouvoirs, et Bonaparte se fait nouveau monarque.
Aucun régime ne parvient à arrêter un équilibre réellement satisfaisant des pouvoirs. La monarchie qui succède à l’Empire, de la Restauration (1815-1830) à la monarchie de Juillet (1830-1848), permet certes l’inscription timide du parlementarisme dans la tradition constitutionnelle française. Mais l’idéologie de l’exécutif, du pouvoir puissant, n’est pas absente des règnes des rois Bourbons, Louis XVIII, Charles X et du roi bourgeois, Louis-Philippe. Le principe monarchique continue de prévaloir dans la société française. Comme Charles X en 1830, Louis-Philippe refuse en 1848 le suffrage universel. Encore une fois, le principe monarchique tente de s’opposer à la légitimité du peuple, de limiter la représentation nationale et suscite l’opposition populaire. Se lève alors contre lui, dans les journées de février et juin 1848, l’espoir d’une seconde République.
Mais, pour son malheur, elle naît d’un compromis hasardeux entre le rejet de la monarchie, l’affirmation de la République et la nostalgie du césarisme napoléonien. L’époque est à la recherche du sauveur, de l’homme providentiel qui parviendrait à incarner l’État. La République n’a pas encore suffisamment pris corps. L’incarnation de l’État dans un roi ou un empereur fut trop longtemps de règle pour que la République tienne d’elle-même. La consécration du suffrage universel devient ainsi le plus sûr moyen d’offrir à la France un monarque républicain, la réconciliation des deux aspirations qui se sont heurtées depuis 1789. L’aspiration démocratique et sociale de la foule parisienne des journées de février, la ferveur des insurgés des ateliers nationaux en juin, sont transformées par l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, le 10 décembre, qui ouvrira la voie à la monocratie plébiscitaire.
La IIIe République donne à la France un pouvoir qui repose enfin sur le suffrage populaire, et entérine le rejet des derniers relents autoritaristes. Le triomphe républicain est tout entier résumé dans la célèbre réponse de Léon Gambetta à la dissolution prononcée par Mac-Mahon : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre ! » Le président de la République, ce monarque transitoire créé en 1875, se soumet à la « grande loi du régime parlementaire » avec Jules Grévy. Victoire de la République comme du régime parlementaire, la IIIe République peut constituer le socle solide de notre démocratie
La France qui se construit avec la IIIe République n’est pourtant pas à l’abri du retour de balancier. En se protégeant des excès de l’exécutif, le régime s’expose à ceux du pouvoir législatif. La loi, enfin devenue l’« expression de la volonté générale », peut devenir l’instrument d’un parlement qu’aucun pouvoir ne vient arrêter.
L’appel à une séparation des pouvoirs décidément insaisissable est renouvelé lorsque la IVe République est fondée en 1946. À l’image d’autres nations européennes (Allemagne, Italie, Autriche), la France d’après guerre cherche à trouver dans un régime parlementaire rénové le moyen d’instaurer une République apte à répondre au terrible défi lancé à l’humanité par les saccages de la guerre. Elle sera l’une des plus éphémères ! Le déséquilibre chronique entre l’Assemblée nationale et le gouvernement reproduit en les aggravant les errements de la IIIe République. L’éclatement du tripartisme (MRP, SFIO, PCF) qui avait permis l’adoption de la Constitution en octobre 1946 installe les gouvernements de la France dans l’instabilité. Les majorités à l’Assemblée nationale, rendues disparates par le scrutin proportionnel, ne sont que des alliances de circonstance et privent les gouvernements de toute autorité durable.
Dans la crise d’Alger, en mai 1958, la France cherche une fois encore à exorciser les maux qui sont attribués, parfois à l’excès, aux régimes précédents. Derrière la caution parlementaire donnée par Michel Debré, la République gaullienne parvient à juguler le parlement. Forts de l’échec proclamé de la IVe République, les constituants de l’été 1958 placent tous leurs espoirs dans un chef de l’État puissant. Ce renversement, un de plus, de notre histoire ouvre le passage vers de nouveaux déséquilibres. Le parlement, cet empêcheur de décider en rond, est réduit à un rôle de figuration, sinon à celui de simple décoration institutionnelle. L’exécutif est la colonne vertébrale du régime. Le vieux fonds bonapartiste de l’héritage reçu par le général de Gaulle trouve sa traduction dans la Ve République. De séparation des pouvoirs, il n’est point question en 1958, sinon pour défendre la toute-puissance de l’exécutif.
L’impossible choix du régime parlementaire
Par quelle puissante malédiction la France n’est-elle toujours pas parvenue à cet équilibre du pouvoir, à cette organisation du pouvoir « où, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » ? Ces tentatives si nombreuses que recèle notre histoire constitutionnelle doivent-elles nous contraindre à la résignation ? Faut-il attendre passivement le régime qui voudra bien surgir de la prochaine crise ? Ou ne faut-il pas, bien au contraire, scruter attentivement cette riche histoire, y rechercher les raisons de croire en des réformes, départager ce qui relève du possible et ce qui a été définitivement condamné ?
Deux chemins clairs et différents s’offrent à ceux qui ont pour ambition de garantir effectivement la séparation des pouvoirs : le régime parlementaire, le régime présidentiel.
Les voix sont nombreuses qui s’élèvent en faveur du retour à un strict régime parlementaire. Hommes politiques ou universitaires, ils appellent de leurs vœux une VIe République qui mettrait fin à l’absurde division du pouvoir exécutif en le plaçant entièrement dans les mains du Premier ministre, qui redonnerait au parlement toute sa place, qui écarterait surtout l’hyperdomination du président sur nos institutions. Arnaud Montebourg et Olivier Duhamel, notamment, défendent brillamment l’idée d’une VIe République.
La représentation nationale retrouverait l’intégralité de ses pouvoirs, tandis que l’élection populaire du président de la République serait supprimée. Retour à nos IIIe et IVe Républiques, avec un président de la République cantonné à un rôle de représentation, sans autre pouvoir qu’honorifique.
Longtemps j’ai espéré que nous pourrions opter en faveur d’une telle évolution. Le régime parlementaire a donné en Europe toutes les preuves de son efficacité. Les démocraties parlementaires que se sont données nombre de nos voisins connaissent une collaboration équilibrée des pouvoirs.
Je le dis non sans tristesse : imaginer que nous pourrions rentrer dans le rang des démocraties parlementaires qui composent si largement l’Europe, si séduisant que cela paraisse, nous condamne à rester dans les hauteurs des constructions intellectuelles ou des promesses illusoires. Malheureusement, le choix d’un système parlementaire en France s’avère politiquement impossible, et voici pourquoi.
Qu’il faille s’en réjouir ou le déplorer, la Ve République, en ranimant les souvenirs enfouis de notre histoire, nous a un peu plus confortés dans le culte de l’exécutif fort. Plaider sa suppression semble relever de la méthode qui consiste à trancher une tête de l’hydre, en espérant qu’une autre ne vienne pas à pousser. Notre système présidentialiste ne peut pas être rayé d’un trait de plume. Nous ne pouvons pas ignorer que l’imaginaire collectif a été forgé par plus de quarante ans de Ve République.
En premier lieu, il est aujourd’hui politiquement impossible de mettre fin à l’élection directe du président par l’ensemble de la nation. Auprès de Pierre Mendès France, nous avions combattu la réforme de 1962. Mais aujourd’hui celle-ci est ressentie comme une conquête républicaine et démocratique, au demeurant ratifiée et consolidée par la participation de la gauche à ce scrutin, dès 1965, et la victoire de François Mitterrand par deux fois en 1981 et 1988. Pour être séduisante, l’idée naguère proposée par Arnaud Montebourg de faire élire le président par le parlement ou un collège élargi me paraît irréaliste. Jamais les Français n’accepteront d’être privés du droit de choisir directement leur président.
Les partisans d’une évolution de nos institutions vers un véritable régime parlementaire peuvent cependant faire valoir, en s’appuyant sur l’exemple de plusieurs pays, que l’élection au suffrage universel du chef de l’État n’est pas incompatible avec celui-ci. Que l’on songe à l’Autriche, au Portugal, à l’Irlande, aux pays d’Europe centrale comme la Roumanie, la Pologne ou la Bulgarie : tous ces pays se sont dotés d’un président, chef de l’État élu au suffrage universel, et d’un parlement dont est issu le gouvernement. Mais, dans ces pays, les présidents sont dépouillés de toute véritable prérogative exécutive forte. Ils remplissent une fonction emblématique, une magistrature morale. Les « destins du présidentialisme » (Philippe Lauvaux, PUF, 2002) ne connaissent en Europe qu’une exception, la France. Partout où se pratique l’élection directe du président de la République, celui-ci n’a qu’un rôle réduit. Partout où les Constitutions présentent quelques traits communs avec celle de la Ve République, voire s’en sont inspirées comme celle du Portugal, la pratique présidentialiste à la française ne s’est pas transposée.
La Constitution portugaise de 1976 allait jusqu’à autoriser la révocation du Premier ministre par le chef de l’État. Le premier président portugais fit usage de cette prérogative en 1978. Mais, depuis la révision de 1982, un tel droit ne lui est plus reconnu, et la compétition politique se concentre sur les élections législatives. La présidence de Mario Soares, en raison de la stature politique de celui-ci, n’a pas été exempte d’une intervention du chef de l’État dans la vie politique intérieure et dans la politique gouvernementale. Elle a pourtant confirmé le repli présidentiel qui n’exerce plus aucune prérogative pour le choix et la révocation d’un gouvernement qui dépend uniquement de la majorité parlementaire.
Certains pays d’Europe centrale et orientale se sont dotés de Constitutions en s’inspirant du « modèle » de la Ve République (Philippe Lauvaux). Le contexte de transition démocratique, la nécessité parfois ressentie de donner au chef de l’opposition au communisme une réelle stature constitutionnelle sont autant d’éléments qui ont suscité l’instauration de l’élection du président au suffrage universel direct, comme en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie, en Lituanie, en Croatie et en Slovénie. La pratique contrastée à laquelle donnent lieu les nouvelles institutions issues de l’effondrement du bloc soviétique, tout en n’excluant pas un présidentialisme à la française, semble s’orienter vers la prédominance du parlementarisme. S’il est souvent difficile de forcer les comparaisons entre des pays qui ont chacun leur propre histoire constitutionnelle, l’exception française qu’offre la Ve République ne parvient que difficilement, semble-t-il, à s’exporter, sauf en Afrique où elle a donné naissance à des régimes autoritaires.
Évoquer l’« exception finlandaise », qui résulte surtout, lors de sa création en 1919, de la conjoncture internationale et de la menace que fait planer à l’époque le puissant voisin soviétique, n’est par ailleurs d’aucun secours pour justifier l’exception française. Si le président finlandais, élu seulement au suffrage universel indirect jusqu’en 1994, a longtemps exercé effectivement ses prérogatives constitutionnelles dans le domaine de la politique étrangère, son rôle dans la vie politique intérieure, pour réel qu’il fût à certains moments, a été considérablement réduit, à défaut d’être totalement effacé. La pratique a donc fortement nuancé les pouvoirs juridiques donnés au chef de l’État. Et ce n’est qu’à l’issue d’une longue maturation, rendue possible par cette pratique, que la nouvelle Constitution (1er mars 2000) a mis fin à l’exception, en renforçant le rôle du gouvernement au détriment du président, en transférant, par exemple, le droit de dissolution au Premier ministre.
Rien de tel en France où la pratique a toujours ...
Table des matières
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Avant-Propos
- Introduction
- Première partie - Un néobonapartisme d’un autre âge
- Seconde partie - Une nouvelle donne institutionnelle
- Conclusion
- Remerciements