
- 352 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Ne demandez pas pourquoi, demandez comment
Ă propos de ce livre
S'interroger sur le pourquoi des choses n'est pas toujours pertinent quand on veut comprendre les grands sujets de l'existence et des relations humaines dans le monde d'aujourd'hui. Pour le sociologue David Lepoutre, mieux vaut, pour obtenir des explications Ă©clairantes, se demander comment se dĂ©roulent les faits dans le temps et examiner, pour cela, les processus qui dĂ©bouchent sur les situations et les problĂšmes du prĂ©sent. Partant d'une vingtaine de grands livres, classiques ou inconnus, en sociologie, en ethnologie ou en histoire, voici un ouvrage qui vous emmĂšne en voyage au pays des sciences sociales pour parler avec vous, comme si vous Ă©tiez sur le terrain, de destin personnel, de pouvoir politique, de famille et d'Ă©ducation, de travail et d'argent, de sexe et de drogue, de santĂ©, d'alimentation, de maladie et de bien d'autres choses encore... Une invitation Ă rĂ©flĂ©chir autrement au monde qui nous entoure et Ă redĂ©couvrir le plaisir de comprendre. David Lepoutre est sociologue. Professeur Ă l'universitĂ© Paris-Nanterre, membre du laboratoire « Institutions et dynamiques historiques de l'Ă©conomie et de la sociĂ©tĂ© » (CNRS/universitĂ© Paris-Nanterre), il est notamment l'auteur de CĆur de banlieue (European Amalfi Prize for Sociology and Social Sciences), qui est devenu un classique en ethnologie et en sociologie.Â
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Informations
QUATRIĂME PARTIE
Le travail et les revenus
CHAPITRE 12
Comment sont fabriqués les produits que nous consommons ?
Le travail Ă la chaĂźne dans une usine automobile et dans un abattoir
Adolescent, jâoccupais mon temps de loisir dans un club dâalpinisme de la banlieue grenobloise, dirigĂ© par un personnage trĂšs peu conforme : maĂźtre de confĂ©rences en mathĂ©matiques, guide de haute montagne, pĂšre de quatre enfants â dont lâun est devenu champion du monde dâescalade, dans les annĂ©es 1990. Autoritaire et charismatique, un peu gourou sur les bords, il Ă©tait peu apprĂ©ciĂ© par les parents des membres du club, qui trouvaient son emprise excessive. Chaque vendredi, nous dĂźnions Ă quinze ou vingt dans son pavillon. Le dimanche, câĂ©taient les sorties dâescalade, dâalpinisme, de ski de randonnĂ©e, dans les massifs environnants, auxquelles sâajoutait un camp dâĂ©tĂ© de quinze jours, dans les Calanques ou Ă Chamonix.
Il avait des idĂ©es originales et des convictions gravĂ©es dans le marbre, comme celle de devoir participer soi-mĂȘme Ă des activitĂ©s de production, dans le but de comprendre le monde qui nous entoure. Pendant un an, une partie de nos week-ends fut consacrĂ©e Ă remettre en Ă©tat un camion tout-terrain, quâil avait achetĂ© dans une casse de lâarmĂ©e. Ce vĂ©hicule nous servit ensuite pour nos sorties. Une autre annĂ©e, les membres du club eurent droit Ă quelques dimanches de corvĂ©es collectives, pour abattre des sapins en Chartreuse, Ă©quarrir et transporter les troncs, scier des madriers en long Ă la tronçonneuse, monter les poutres en charpente, sur une extension de la maison du mathĂ©maticien-guide-prĂ©sident dâassociation.
Ces expĂ©riences ainsi que les diffĂ©rents mĂ©tiers manuels que jâai exercĂ©s par la suite expliquent peut-ĂȘtre le rĂȘve que jâai toujours nourri de voyager en remontant les filiĂšres du travail humain qui prĂ©side Ă la fabrication des objets que nous achetons et utilisons au quotidien.
Prenons deux produits emblĂ©matiques de nos sociĂ©tĂ©s industrielles : lâautomobile et la viande. Certes, nous avons bien Ă lâesprit quelques images tĂ©lĂ©visĂ©es du montage des voitures dans de grandes usines mĂ©canisĂ©es. Il peut aussi nous arriver dâassocier mentalement le troupeau de charolais dans un prĂ©, lâusine dâabattage et la tranche de rosbif au milieu de notre assiette. Mais, au juste, quelle connaissance avons-nous de ces activitĂ©s de production ? Presque tout le travail de production sâeffectue aujourdâhui derriĂšre de hauts murs, dans des sites lointains, souvent Ă lâautre bout du monde. La plupart de nos actes de consommation sont devenus aveugles. Câest un trait majeur de notre civilisation.
Lâethnographie du travail ouvrier
Il se trouve que le steak et la bagnole ont respectivement fait lâobjet de deux ouvrages issus dâenquĂȘtes de terrain menĂ©es respectivement par deux chercheurs ayant eux-mĂȘmes participĂ© Ă la production. Le sociologue SĂ©verin Muller a occupĂ© plusieurs postes successifs dâouvrier, puis un poste de cadre de bureau dans un abattoir de lâOuest français, en vue de prĂ©parer une thĂšse de sociologie, publiĂ©e par la suite en livre : Ă lâabattoir (Muller, 2008). Lâhistorien Nicolas Hatzfeld a cumulĂ© cinq annĂ©es dâexpĂ©rience, Ă deux moments distincts de son existence, comme monteur sur chaĂźne dans lâun des ateliers du grand site de production automobile de Peugeot-Sochaux, expĂ©riences combinĂ©es au dĂ©pouillement dâun important corpus dâarchives de lâusine et dont il a tirĂ© un gros volume, intitulĂ© Les Gens dâusine. Cinquante ans dâhistoire Ă Peugeot-Sochaux (Hatzfeld, 2002).
Les descriptions et les explications fournies et détaillées que ces deux auteurs offrent à la lecture composent un tableau exemplaire du travail industriel.
Ces deux livres contiennent des schĂ©mas descriptifs et interprĂ©tatifs dâun haut niveau de comprĂ©hension et de dĂ©couverte. Les deux auteurs ont non seulement travaillĂ© Ă la production, mais ils ont aussi pu recueillir des donnĂ©es auprĂšs dâinterlocuteurs nombreux et variĂ©s et accĂ©der de maniĂšre approfondie aux points de vue respectifs des travailleurs de base et des cadres de direction, ce qui suppose le maintien dâun Ă©quilibre instable dans la confiance inspirĂ©e aux deux parties. Tous les deux ont pu prendre en compte le passĂ© des entreprises, en dĂ©pouillant des archives et en examinant les processus historiques qui permettent de saisir le prĂ©sent avec beaucoup plus dâacuitĂ©.
La premiĂšre dimension qui transparaĂźt Ă la lecture de ces deux livres est celle de la prĂ©sence ouvriĂšre. Contredisant une idĂ©e qui se diffuse largement parmi les citadins vivant et travaillant dans la sociĂ©tĂ© de services, ils montrent la persistance nombreuse et toujours renouvelĂ©e de la main-dâĆuvre dans notre sociĂ©tĂ©. Lâindustrie change, sâautomatise, gagne en productivitĂ© et se dĂ©place gĂ©ographiquement. Mais elle continue pourtant de se dĂ©velopper et elle emploie toujours, quels que soient les lieux oĂč se situent les productions, des masses immenses de travailleurs manuels. Câest prĂ©cisĂ©ment le cas dans les deux secteurs Ă©tudiĂ©s, qui ont connu toutefois des Ă©volutions divergentes sur ce point. Lâautomobile a fortement rĂ©duit et continue de rĂ©duire ses effectifs, tout en se modernisant, dans un marchĂ© saturĂ© et soumis Ă une trĂšs forte concurrence internationale. Tandis que lâagroalimentaire, qui inclut notamment les usines Ă viande, est en pleine expansion et continue dâembaucher Ă tour de bras.
Lâabattoir, nommĂ© Abagro dans le livre de Muller, rencontre en lâoccurrence de rĂ©elles difficultĂ©s pour recruter des travailleurs. ImplantĂ©e en zone rurale, cette filiale dâun groupe de la grande distribution emploie des jeunes non qualifiĂ©s ou qui ont Ă©tĂ© formĂ©s dans des filiĂšres sans dĂ©bouchĂ©s. Beaucoup sont des fils de petits exploitants ou dâouvriers agricoles, souvent attachĂ©s Ă leur rĂ©gion. Les personnels qui font carriĂšre dans lâusine sont des perles rares pour lâemployeur, qui peine Ă maintenir ou Ă dĂ©velopper ses effectifs : « Ăa fait depuis 84 que je bosse Ă Abagro. Avant, jâĂ©tais Ă lâarmĂ©e. Moi, je suis pas boucher de mĂ©tier. Jâavais commencĂ© une formation de mĂ©cano. Maintenant, je regrette de ne pas lâavoir terminĂ©e. De toute façon, il nây a pas de boulot dans la mĂ©canique. Je regrette, jâai pris le premier boulot qui venait. Je ne pensais pas que jâallais rester. Mais tu vois, ça fait quatorze ans. Faut avoir envie de bosser pour travailler ici » (Muller, 2008, p. 127). Le turnover des ouvriers dâabattage est particuliĂšrement Ă©levĂ© dans toute lâusine : deux tiers des recrues abandonnent leur poste avant la fin de la pĂ©riode dâessai. Lâentreprise tente mĂȘme de sâadresser aujourdâhui aux jeunes des citĂ©s, issus de lâimmigration, malgrĂ© les tensions que cela occasionne dans certaines Ă©quipes. Et elle recrute mĂȘme des femmes. Un comble dans un milieu professionnel rĂ©putĂ© pour son machisme !
MĂȘme si la situation est aujourdâhui trĂšs diffĂ©rente, la construction automobile a connu en son temps des problĂšmes similaires. Au cours des dĂ©cennies dâaprĂšs-guerre, le site Peugeot-Sochaux, comme beaucoup dâentreprises industrielles, fut confrontĂ© Ă dâĂ©normes difficultĂ©s pour embaucher son personnel. La croissance de la production Ă©tait trĂšs Ă©levĂ©e. Les rĂ©serves de main-dâĆuvre rĂ©gionale Ă©taient loin de suffire au fonctionnement de ce qui allait devenir la plus grande usine de France. Des campagnes de recrutement furent menĂ©es dans le quart nord-est du pays, puis Ă lâĂ©chelle du pays entier, et mĂȘme Ă lâĂ©tranger, en Europe et dans les colonies, ce qui permit aux effectifs dâatteindre en 1978 le chiffre de trente-neuf mille salariĂ©s.
Recruter et conserver la main-dâĆuvre, cela supposait une politique de salaires avantageuse, des offres de logements dans des citĂ©s ouvriĂšres ou une aide Ă la construction pavillonnaire, et mĂȘme une politique de prix Ă la consommation, lâentreprise ayant eu, un temps, sa propre chaĂźne de distribution, les supermarchĂ©s RAVI. Ă la fin des annĂ©es 1990, au moment oĂč Hatzfeld mĂšne son enquĂȘte, lâeffectif de personnel a dĂ©jĂ Ă©tĂ© considĂ©rablement rĂ©duit, câest-Ă -dire divisĂ© par trois. Mais, malgrĂ© tout, lâusine doit encore et toujours assurer le renouvellement continu de ses travailleurs. La carte du rĂ©seau privĂ© des transports du personnel, drainant jour et nuit les flux dâouvriers des campagnes environnantes, donne la mesure de cette contrainte premiĂšre qui sâimpose Ă toute entreprise industrielle : il faut nĂ©cessairement toujours disposer des forces de travail suffisantes pour assurer la production.
Besoin de main-dâĆuvre et rĂ©seau de transport

Cette carte, datant de 1999, prĂ©sente le rĂ©seau de transport privĂ© de lâentreprise, uniquement destinĂ©e au ramassage des personnels, dans la rĂ©gion de lâimmense usine de Peugeot-Sochaux. La carte montre lâenvergure du rĂ©seau et tĂ©moigne des importants moyens dĂ©veloppĂ©s par la compagnie, tout au long de son histoire, pour assurer ses besoins de main-dâĆuvre. Lâheure de dĂ©part varie entre quatre-vingt-dix et quarante minutes avant la « prise de travail ».
La deuxiĂšme dimension marquante est celle du taylorisme, câest-Ă -dire lâorganisation scientifique du travail, dont lâune des applications historiques fut le travail Ă la chaĂźne. Dans ces deux industries pourtant trĂšs diffĂ©rentes, la production sâeffectue selon le mĂȘme principe fordiste, câest-Ă -dire sur des lignes en flux continu, avec des Ă©quipes dâouvriers postĂ©s, qui se relaient en alternance journaliĂšre â ici sur deux tranches de huit heures, avec une interruption nocturne. Le parallĂšle entre les deux activitĂ©s est loin dâĂȘtre fortuit, puisque, selon la lĂ©gende, câest en visitant les cĂ©lĂšbres abattoirs de Chicago et les premiĂšres chaĂźnes de « dĂ©montage » des carcasses animales que Henry Ford aurait eu lâidĂ©e, promise Ă un riche avenir, du montage des voitures en sĂ©rie.
Dans les deux cas, les travailleurs sont donc soumis aux cadences imposĂ©es, aux postures et aux gestes rĂ©pĂ©tĂ©s, qui mettent les corps Ă rude Ă©preuve, comme lâexprime cette employĂ©e de lâatelier de dĂ©coupe dâAbagro : « Ils mâont mis aux rognons, mais je ne tiens pas, jâai mal au poignet. Et ils mâont dit : faut tenir jusquâĂ vendredi quand le mĂ©decin viendra. Eh, regarde ! [Elle montre son poignet enflĂ©]. Et ça fait dĂ©jĂ une semaine que ça dure. Câest normal que dans une taule pareille, il nây a pas de mĂ©decin ? Et puis les rognons, maintenant, il faut les dĂ©calotter, câest nouveau ça, câest la vĂ©to [une technicienne] qui me lâa dit. Mais attends, je ne sais pas faire, pas Ă la vitesse oĂč ils demandent » (Muller, 2008, p. 241).
Les sociologues du travail utilisent une expression profane pour dĂ©signer, dans toutes sortes de contextes professionnels, au sein dâorganisations trĂšs diverses, et mĂȘme au sein dâune sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e dans son ensemble, les tĂąches ingrates ou dĂ©valorisĂ©es que les gens cherchent Ă Ă©viter et Ă faire effectuer par dâautres â souvent les derniers arrivĂ©s, les immigrĂ©s, les jeunes, les femmes, etc. Ils appellent ce phĂ©nomĂšne la « dĂ©lĂ©gation du sale boulot ». AssurĂ©ment, le travail des ouvriers sur les chaĂźnes dâabattoir figure comme un « sale boulot » des sociĂ©tĂ©s contemporaines. Muller, qui a occupĂ© plusieurs postes successifs, au milieu des annĂ©es 2000, sur la ligne dâabattage bovin, dĂ©crit sans aucune sensiblerie lâunivers de travail oppressant, lâengagement physique, le niveau sonore trĂšs Ă©levĂ©, lâhumiditĂ©, la chaleur, la souillure des matiĂšres animales, ainsi que les odeurs difficilement supportables en Ă©tĂ©.
Chaque poste de travail, occupĂ© par un ou deux ouvriers selon les cas, comporte son lot de difficultĂ©s, liĂ©es Ă la spĂ©cificitĂ© des tĂąches et Ă la contrainte de lâavancĂ©e inexorable du convoyeur, au rythme dâune bĂȘte par minute : triage et identification de lâanimal, conduite au piĂšge, Ă©tourdissement avec le matador (pistolet pneumatique), accrochage et treuillage par la patte arriĂšre, saignĂ©e sur la carotide, accrochage de la deuxiĂšme patte, dĂ©peçage, arrachage des mamelles ou de la verge, Ă©viscĂ©ration, ablation de la tĂȘte, Ă©moussage (Ă©limination) des couches de graisse, dĂ©coupe en demi-carcasse, nettoyage et parage manuel (opĂ©rations de finition), avant le stockage final en chambre froide oĂč la viande doit se mortifier pendant plusieurs jours. Les appareils de levage, les machines dâassistance Ă la dĂ©coupe et les lames de couteau affĂ»tĂ©es comme des rasoirs rendent les opĂ©rations particuliĂšrement dangereuses. Les rĂ©actions des animaux en dĂ©but de ligne sont loin dâĂȘtre toujours prĂ©visibles : il arrive frĂ©quemment quâune bĂȘte se relĂšve aprĂšs lâĂ©tourdissement et tente de sâĂ©chapper. Les taux dâaccidents dans les abattoirs sont parmi les plus Ă©levĂ©s de lâindustrie, comparables Ă ceux du BTP.
Une industrie de main-dâĆuvre

Un ouvrier effectue la « fente vertĂ©brale », câest-Ă -dire la dĂ©coupe de la carcasse en deux moitiĂ©s, avec la tronçonneuse autoportante et la plateforme Ă mobilitĂ© verticale, qui est actionnĂ©e avec le pied. Il sâagit dâun travail mĂ©canisĂ©, avec des machines lourdes, sophistiquĂ©es, dangereuses. Mais câest aussi un travail qui nĂ©cessite de la main-dâĆuvre, car il associe des opĂ©rations physiques prĂ©cises avec un ajustement des gestes par le regard, en fonction de la forme variable de la carcasse. Celle-ci provient du vivant et ne peut donc pas ĂȘtre calibrĂ©e ni standardisĂ©e. Ici, comme dans beaucoup dâautres contextes de production, il y aura encore longtemps besoin de main-dâĆuvre ouvriĂšre. Le vieux rĂȘve capitaliste de produire sans main-dâĆuvre a toujours Ă©tĂ© reportĂ© dans un futur hypothĂ©tique, depuis que lâindustrie existe.
Dans la construction automobile, le niveau dâeffort, les nuisances et les risques sont assurĂ©ment bien moindres. Le travail est aussi plus prestigieux, plus valorisĂ© socialement et financiĂšrement. Pour autant, les efforts Ă©normes de productivitĂ© des derniĂšres dĂ©cennies se sont traduits par une densification progressive des tĂąches directement productives et des resserrements dâeffectifs. Le temps des postes doubles ou triples, qui permettaient, la nuit, quand les chefs Ă©taient absents, Ă deux ou trois ouvriers spĂ©cialement habiles et rapides de sâentendre entre eux pour sâoctroyer, Ă tour de rĂŽle, des temps de pause non rĂ©glementaires, est rĂ©volu depuis longtemps⊠Cela nâempĂȘche pas que de jeunes ouvriers ambitieux et rapides cherchent encore Ă relever le dĂ©fi de la virtuositĂ© individuelle et sâamusent parfois Ă accĂ©lĂ©rer leur vitesse de travail, en remontant le long de la chaĂźne, pour montrer aux collĂšgues de quoi ils sont capables, ou pour impressionner leur chef et augmenter Ă©ven...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Prologue
- PremiÚre partie - L'individu et la société
- DeuxiÚme partie - Le couple et la famille
- TroisiÚme partie - L'école et l'éducation
- QuatriÚme partie - Le travail et les revenus
- CinquiÚme partie - Le sexe et la drogue
- SixiÚme partie - L'alimentation, la maladie et la mort
- Ăpilogue
- Bibliographie
- Crédits textes et illustrations
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- Sommaire