Ne demandez pas pourquoi, demandez comment
eBook - ePub

Ne demandez pas pourquoi, demandez comment

  1. 352 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Ne demandez pas pourquoi, demandez comment

À propos de ce livre

S'interroger sur le pourquoi des choses n'est pas toujours pertinent quand on veut comprendre les grands sujets de l'existence et des relations humaines dans le monde d'aujourd'hui. Pour le sociologue David Lepoutre, mieux vaut, pour obtenir des explications Ă©clairantes, se demander comment se dĂ©roulent les faits dans le temps et examiner, pour cela, les processus qui dĂ©bouchent sur les situations et les problĂšmes du prĂ©sent. Partant d'une vingtaine de grands livres, classiques ou inconnus, en sociologie, en ethnologie ou en histoire, voici un ouvrage qui vous emmĂšne en voyage au pays des sciences sociales pour parler avec vous, comme si vous Ă©tiez sur le terrain, de destin personnel, de pouvoir politique, de famille et d'Ă©ducation, de travail et d'argent, de sexe et de drogue, de santĂ©, d'alimentation, de maladie et de bien d'autres choses encore... Une invitation Ă  rĂ©flĂ©chir autrement au monde qui nous entoure et Ă  redĂ©couvrir le plaisir de comprendre. David Lepoutre est sociologue. Professeur Ă  l'universitĂ© Paris-Nanterre, membre du laboratoire « Institutions et dynamiques historiques de l'Ă©conomie et de la sociĂ©tĂ© » (CNRS/universitĂ© Paris-Nanterre), il est notamment l'auteur de CƓur de banlieue (European Amalfi Prize for Sociology and Social Sciences), qui est devenu un classique en ethnologie et en sociologie. 

Foire aux questions

Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramÚtres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l'application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
  • Essentiel est idĂ©al pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large Ă©ventail de sujets. AccĂ©dez Ă  la BibliothĂšque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, dĂ©veloppement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimitĂ© et une voix standard pour la fonction Écouter.
  • IntĂ©gral: Parfait pour les apprenants avancĂ©s et les chercheurs qui ont besoin d’un accĂšs complet et sans restriction. DĂ©bloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres acadĂ©miques et spĂ©cialisĂ©s. Le forfait IntĂ©gral inclut Ă©galement des fonctionnalitĂ©s avancĂ©es comme la fonctionnalitĂ© Écouter Premium et Research Assistant.
Les deux forfaits sont disponibles avec des cycles de facturation mensuelle, de 4 mois ou annuelle.
Nous sommes un service d'abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'Ă©couter. L'outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire Ă  tout moment, n’importe oĂč — mĂȘme hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous ĂȘtes en dĂ©placement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antĂ©rieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Ne demandez pas pourquoi, demandez comment par David Lepoutre en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Sciences sociales et Sociologie. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2020
Imprimer l'ISBN
9782738147370

QUATRIÈME PARTIE

Le travail et les revenus



CHAPITRE 12

Comment sont fabriqués les produits que nous consommons ?


Le travail Ă  la chaĂźne dans une usine automobile et dans un abattoir

Adolescent, j’occupais mon temps de loisir dans un club d’alpinisme de la banlieue grenobloise, dirigĂ© par un personnage trĂšs peu conforme : maĂźtre de confĂ©rences en mathĂ©matiques, guide de haute montagne, pĂšre de quatre enfants – dont l’un est devenu champion du monde d’escalade, dans les annĂ©es 1990. Autoritaire et charismatique, un peu gourou sur les bords, il Ă©tait peu apprĂ©ciĂ© par les parents des membres du club, qui trouvaient son emprise excessive. Chaque vendredi, nous dĂźnions Ă  quinze ou vingt dans son pavillon. Le dimanche, c’étaient les sorties d’escalade, d’alpinisme, de ski de randonnĂ©e, dans les massifs environnants, auxquelles s’ajoutait un camp d’étĂ© de quinze jours, dans les Calanques ou Ă  Chamonix.
Il avait des idĂ©es originales et des convictions gravĂ©es dans le marbre, comme celle de devoir participer soi-mĂȘme Ă  des activitĂ©s de production, dans le but de comprendre le monde qui nous entoure. Pendant un an, une partie de nos week-ends fut consacrĂ©e Ă  remettre en Ă©tat un camion tout-terrain, qu’il avait achetĂ© dans une casse de l’armĂ©e. Ce vĂ©hicule nous servit ensuite pour nos sorties. Une autre annĂ©e, les membres du club eurent droit Ă  quelques dimanches de corvĂ©es collectives, pour abattre des sapins en Chartreuse, Ă©quarrir et transporter les troncs, scier des madriers en long Ă  la tronçonneuse, monter les poutres en charpente, sur une extension de la maison du mathĂ©maticien-guide-prĂ©sident d’association.
Ces expĂ©riences ainsi que les diffĂ©rents mĂ©tiers manuels que j’ai exercĂ©s par la suite expliquent peut-ĂȘtre le rĂȘve que j’ai toujours nourri de voyager en remontant les filiĂšres du travail humain qui prĂ©side Ă  la fabrication des objets que nous achetons et utilisons au quotidien.
Prenons deux produits emblĂ©matiques de nos sociĂ©tĂ©s industrielles : l’automobile et la viande. Certes, nous avons bien Ă  l’esprit quelques images tĂ©lĂ©visĂ©es du montage des voitures dans de grandes usines mĂ©canisĂ©es. Il peut aussi nous arriver d’associer mentalement le troupeau de charolais dans un prĂ©, l’usine d’abattage et la tranche de rosbif au milieu de notre assiette. Mais, au juste, quelle connaissance avons-nous de ces activitĂ©s de production ? Presque tout le travail de production s’effectue aujourd’hui derriĂšre de hauts murs, dans des sites lointains, souvent Ă  l’autre bout du monde. La plupart de nos actes de consommation sont devenus aveugles. C’est un trait majeur de notre civilisation.

L’ethnographie du travail ouvrier

Il se trouve que le steak et la bagnole ont respectivement fait l’objet de deux ouvrages issus d’enquĂȘtes de terrain menĂ©es respectivement par deux chercheurs ayant eux-mĂȘmes participĂ© Ă  la production. Le sociologue SĂ©verin Muller a occupĂ© plusieurs postes successifs d’ouvrier, puis un poste de cadre de bureau dans un abattoir de l’Ouest français, en vue de prĂ©parer une thĂšse de sociologie, publiĂ©e par la suite en livre : À l’abattoir (Muller, 2008). L’historien Nicolas Hatzfeld a cumulĂ© cinq annĂ©es d’expĂ©rience, Ă  deux moments distincts de son existence, comme monteur sur chaĂźne dans l’un des ateliers du grand site de production automobile de Peugeot-Sochaux, expĂ©riences combinĂ©es au dĂ©pouillement d’un important corpus d’archives de l’usine et dont il a tirĂ© un gros volume, intitulĂ© Les Gens d’usine. Cinquante ans d’histoire Ă  Peugeot-Sochaux (Hatzfeld, 2002).
Les descriptions et les explications fournies et détaillées que ces deux auteurs offrent à la lecture composent un tableau exemplaire du travail industriel.
Ces deux livres contiennent des schĂ©mas descriptifs et interprĂ©tatifs d’un haut niveau de comprĂ©hension et de dĂ©couverte. Les deux auteurs ont non seulement travaillĂ© Ă  la production, mais ils ont aussi pu recueillir des donnĂ©es auprĂšs d’interlocuteurs nombreux et variĂ©s et accĂ©der de maniĂšre approfondie aux points de vue respectifs des travailleurs de base et des cadres de direction, ce qui suppose le maintien d’un Ă©quilibre instable dans la confiance inspirĂ©e aux deux parties. Tous les deux ont pu prendre en compte le passĂ© des entreprises, en dĂ©pouillant des archives et en examinant les processus historiques qui permettent de saisir le prĂ©sent avec beaucoup plus d’acuitĂ©.
La premiĂšre dimension qui transparaĂźt Ă  la lecture de ces deux livres est celle de la prĂ©sence ouvriĂšre. Contredisant une idĂ©e qui se diffuse largement parmi les citadins vivant et travaillant dans la sociĂ©tĂ© de services, ils montrent la persistance nombreuse et toujours renouvelĂ©e de la main-d’Ɠuvre dans notre sociĂ©tĂ©. L’industrie change, s’automatise, gagne en productivitĂ© et se dĂ©place gĂ©ographiquement. Mais elle continue pourtant de se dĂ©velopper et elle emploie toujours, quels que soient les lieux oĂč se situent les productions, des masses immenses de travailleurs manuels. C’est prĂ©cisĂ©ment le cas dans les deux secteurs Ă©tudiĂ©s, qui ont connu toutefois des Ă©volutions divergentes sur ce point. L’automobile a fortement rĂ©duit et continue de rĂ©duire ses effectifs, tout en se modernisant, dans un marchĂ© saturĂ© et soumis Ă  une trĂšs forte concurrence internationale. Tandis que l’agroalimentaire, qui inclut notamment les usines Ă  viande, est en pleine expansion et continue d’embaucher Ă  tour de bras.
L’abattoir, nommĂ© Abagro dans le livre de Muller, rencontre en l’occurrence de rĂ©elles difficultĂ©s pour recruter des travailleurs. ImplantĂ©e en zone rurale, cette filiale d’un groupe de la grande distribution emploie des jeunes non qualifiĂ©s ou qui ont Ă©tĂ© formĂ©s dans des filiĂšres sans dĂ©bouchĂ©s. Beaucoup sont des fils de petits exploitants ou d’ouvriers agricoles, souvent attachĂ©s Ă  leur rĂ©gion. Les personnels qui font carriĂšre dans l’usine sont des perles rares pour l’employeur, qui peine Ă  maintenir ou Ă  dĂ©velopper ses effectifs : « Ça fait depuis 84 que je bosse Ă  Abagro. Avant, j’étais Ă  l’armĂ©e. Moi, je suis pas boucher de mĂ©tier. J’avais commencĂ© une formation de mĂ©cano. Maintenant, je regrette de ne pas l’avoir terminĂ©e. De toute façon, il n’y a pas de boulot dans la mĂ©canique. Je regrette, j’ai pris le premier boulot qui venait. Je ne pensais pas que j’allais rester. Mais tu vois, ça fait quatorze ans. Faut avoir envie de bosser pour travailler ici » (Muller, 2008, p. 127). Le turnover des ouvriers d’abattage est particuliĂšrement Ă©levĂ© dans toute l’usine : deux tiers des recrues abandonnent leur poste avant la fin de la pĂ©riode d’essai. L’entreprise tente mĂȘme de s’adresser aujourd’hui aux jeunes des citĂ©s, issus de l’immigration, malgrĂ© les tensions que cela occasionne dans certaines Ă©quipes. Et elle recrute mĂȘme des femmes. Un comble dans un milieu professionnel rĂ©putĂ© pour son machisme !
MĂȘme si la situation est aujourd’hui trĂšs diffĂ©rente, la construction automobile a connu en son temps des problĂšmes similaires. Au cours des dĂ©cennies d’aprĂšs-guerre, le site Peugeot-Sochaux, comme beaucoup d’entreprises industrielles, fut confrontĂ© Ă  d’énormes difficultĂ©s pour embaucher son personnel. La croissance de la production Ă©tait trĂšs Ă©levĂ©e. Les rĂ©serves de main-d’Ɠuvre rĂ©gionale Ă©taient loin de suffire au fonctionnement de ce qui allait devenir la plus grande usine de France. Des campagnes de recrutement furent menĂ©es dans le quart nord-est du pays, puis Ă  l’échelle du pays entier, et mĂȘme Ă  l’étranger, en Europe et dans les colonies, ce qui permit aux effectifs d’atteindre en 1978 le chiffre de trente-neuf mille salariĂ©s.
Recruter et conserver la main-d’Ɠuvre, cela supposait une politique de salaires avantageuse, des offres de logements dans des citĂ©s ouvriĂšres ou une aide Ă  la construction pavillonnaire, et mĂȘme une politique de prix Ă  la consommation, l’entreprise ayant eu, un temps, sa propre chaĂźne de distribution, les supermarchĂ©s RAVI. À la fin des annĂ©es 1990, au moment oĂč Hatzfeld mĂšne son enquĂȘte, l’effectif de personnel a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© considĂ©rablement rĂ©duit, c’est-Ă -dire divisĂ© par trois. Mais, malgrĂ© tout, l’usine doit encore et toujours assurer le renouvellement continu de ses travailleurs. La carte du rĂ©seau privĂ© des transports du personnel, drainant jour et nuit les flux d’ouvriers des campagnes environnantes, donne la mesure de cette contrainte premiĂšre qui s’impose Ă  toute entreprise industrielle : il faut nĂ©cessairement toujours disposer des forces de travail suffisantes pour assurer la production.

Besoin de main-d’Ɠuvre et rĂ©seau de transport

image
Cette carte, datant de 1999, prĂ©sente le rĂ©seau de transport privĂ© de l’entreprise, uniquement destinĂ©e au ramassage des personnels, dans la rĂ©gion de l’immense usine de Peugeot-Sochaux. La carte montre l’envergure du rĂ©seau et tĂ©moigne des importants moyens dĂ©veloppĂ©s par la compagnie, tout au long de son histoire, pour assurer ses besoins de main-d’Ɠuvre. L’heure de dĂ©part varie entre quatre-vingt-dix et quarante minutes avant la « prise de travail ».
La deuxiĂšme dimension marquante est celle du taylorisme, c’est-Ă -dire l’organisation scientifique du travail, dont l’une des applications historiques fut le travail Ă  la chaĂźne. Dans ces deux industries pourtant trĂšs diffĂ©rentes, la production s’effectue selon le mĂȘme principe fordiste, c’est-Ă -dire sur des lignes en flux continu, avec des Ă©quipes d’ouvriers postĂ©s, qui se relaient en alternance journaliĂšre – ici sur deux tranches de huit heures, avec une interruption nocturne. Le parallĂšle entre les deux activitĂ©s est loin d’ĂȘtre fortuit, puisque, selon la lĂ©gende, c’est en visitant les cĂ©lĂšbres abattoirs de Chicago et les premiĂšres chaĂźnes de « dĂ©montage » des carcasses animales que Henry Ford aurait eu l’idĂ©e, promise Ă  un riche avenir, du montage des voitures en sĂ©rie.
Dans les deux cas, les travailleurs sont donc soumis aux cadences imposĂ©es, aux postures et aux gestes rĂ©pĂ©tĂ©s, qui mettent les corps Ă  rude Ă©preuve, comme l’exprime cette employĂ©e de l’atelier de dĂ©coupe d’Abagro : « Ils m’ont mis aux rognons, mais je ne tiens pas, j’ai mal au poignet. Et ils m’ont dit : faut tenir jusqu’à vendredi quand le mĂ©decin viendra. Eh, regarde ! [Elle montre son poignet enflĂ©]. Et ça fait dĂ©jĂ  une semaine que ça dure. C’est normal que dans une taule pareille, il n’y a pas de mĂ©decin ? Et puis les rognons, maintenant, il faut les dĂ©calotter, c’est nouveau ça, c’est la vĂ©to [une technicienne] qui me l’a dit. Mais attends, je ne sais pas faire, pas Ă  la vitesse oĂč ils demandent » (Muller, 2008, p. 241).
Les sociologues du travail utilisent une expression profane pour dĂ©signer, dans toutes sortes de contextes professionnels, au sein d’organisations trĂšs diverses, et mĂȘme au sein d’une sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e dans son ensemble, les tĂąches ingrates ou dĂ©valorisĂ©es que les gens cherchent Ă  Ă©viter et Ă  faire effectuer par d’autres – souvent les derniers arrivĂ©s, les immigrĂ©s, les jeunes, les femmes, etc. Ils appellent ce phĂ©nomĂšne la « dĂ©lĂ©gation du sale boulot ». AssurĂ©ment, le travail des ouvriers sur les chaĂźnes d’abattoir figure comme un « sale boulot » des sociĂ©tĂ©s contemporaines. Muller, qui a occupĂ© plusieurs postes successifs, au milieu des annĂ©es 2000, sur la ligne d’abattage bovin, dĂ©crit sans aucune sensiblerie l’univers de travail oppressant, l’engagement physique, le niveau sonore trĂšs Ă©levĂ©, l’humiditĂ©, la chaleur, la souillure des matiĂšres animales, ainsi que les odeurs difficilement supportables en Ă©tĂ©.
Chaque poste de travail, occupĂ© par un ou deux ouvriers selon les cas, comporte son lot de difficultĂ©s, liĂ©es Ă  la spĂ©cificitĂ© des tĂąches et Ă  la contrainte de l’avancĂ©e inexorable du convoyeur, au rythme d’une bĂȘte par minute : triage et identification de l’animal, conduite au piĂšge, Ă©tourdissement avec le matador (pistolet pneumatique), accrochage et treuillage par la patte arriĂšre, saignĂ©e sur la carotide, accrochage de la deuxiĂšme patte, dĂ©peçage, arrachage des mamelles ou de la verge, Ă©viscĂ©ration, ablation de la tĂȘte, Ă©moussage (Ă©limination) des couches de graisse, dĂ©coupe en demi-carcasse, nettoyage et parage manuel (opĂ©rations de finition), avant le stockage final en chambre froide oĂč la viande doit se mortifier pendant plusieurs jours. Les appareils de levage, les machines d’assistance Ă  la dĂ©coupe et les lames de couteau affĂ»tĂ©es comme des rasoirs rendent les opĂ©rations particuliĂšrement dangereuses. Les rĂ©actions des animaux en dĂ©but de ligne sont loin d’ĂȘtre toujours prĂ©visibles : il arrive frĂ©quemment qu’une bĂȘte se relĂšve aprĂšs l’étourdissement et tente de s’échapper. Les taux d’accidents dans les abattoirs sont parmi les plus Ă©levĂ©s de l’industrie, comparables Ă  ceux du BTP.

Une industrie de main-d’Ɠuvre

image
Un ouvrier effectue la « fente vertĂ©brale », c’est-Ă -dire la dĂ©coupe de la carcasse en deux moitiĂ©s, avec la tronçonneuse autoportante et la plateforme Ă  mobilitĂ© verticale, qui est actionnĂ©e avec le pied. Il s’agit d’un travail mĂ©canisĂ©, avec des machines lourdes, sophistiquĂ©es, dangereuses. Mais c’est aussi un travail qui nĂ©cessite de la main-d’Ɠuvre, car il associe des opĂ©rations physiques prĂ©cises avec un ajustement des gestes par le regard, en fonction de la forme variable de la carcasse. Celle-ci provient du vivant et ne peut donc pas ĂȘtre calibrĂ©e ni standardisĂ©e. Ici, comme dans beaucoup d’autres contextes de production, il y aura encore longtemps besoin de main-d’Ɠuvre ouvriĂšre. Le vieux rĂȘve capitaliste de produire sans main-d’Ɠuvre a toujours Ă©tĂ© reportĂ© dans un futur hypothĂ©tique, depuis que l’industrie existe.
Dans la construction automobile, le niveau d’effort, les nuisances et les risques sont assurĂ©ment bien moindres. Le travail est aussi plus prestigieux, plus valorisĂ© socialement et financiĂšrement. Pour autant, les efforts Ă©normes de productivitĂ© des derniĂšres dĂ©cennies se sont traduits par une densification progressive des tĂąches directement productives et des resserrements d’effectifs. Le temps des postes doubles ou triples, qui permettaient, la nuit, quand les chefs Ă©taient absents, Ă  deux ou trois ouvriers spĂ©cialement habiles et rapides de s’entendre entre eux pour s’octroyer, Ă  tour de rĂŽle, des temps de pause non rĂ©glementaires, est rĂ©volu depuis longtemps
 Cela n’empĂȘche pas que de jeunes ouvriers ambitieux et rapides cherchent encore Ă  relever le dĂ©fi de la virtuositĂ© individuelle et s’amusent parfois Ă  accĂ©lĂ©rer leur vitesse de travail, en remontant le long de la chaĂźne, pour montrer aux collĂšgues de quoi ils sont capables, ou pour impressionner leur chef et augmenter Ă©ven...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Prologue
  6. PremiÚre partie - L'individu et la société
  7. DeuxiÚme partie - Le couple et la famille
  8. TroisiÚme partie - L'école et l'éducation
  9. QuatriÚme partie - Le travail et les revenus
  10. CinquiÚme partie - Le sexe et la drogue
  11. SixiÚme partie - L'alimentation, la maladie et la mort
  12. Épilogue
  13. Bibliographie
  14. Crédits textes et illustrations
  15. Comment écrire une page de remerciements ?
  16. Sommaire