Le Choc de l'Islam
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Le Choc de l'Islam

XVIIIe-XXIe siĂšcle

  1. 272 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Le Choc de l'Islam

XVIIIe-XXIe siĂšcle

À propos de ce livre

Ce choc, est-ce celui du dĂ©fi que l'islamisme lance Ă  l'Occident ou, plus largement, celui du retour de l'Islam que nous n'avions pas imaginĂ© ? Comment l'expliquer, sinon comme un choc en retour des traumatismes que le monde de l'Islam a connus les siĂšcles prĂ©cĂ©dents ? À l'Ă©coute de ses diffĂ©rentes voix - moderniser l'Islam ou islamiser la modernitĂ© -, Marc Ferro confronte les points de vue et nous invite Ă  un apprentissage sans complaisance. Pour comprendre les Ă©vĂ©nements d'aujourd'hui ; pour anticiper ceux de demain. Marc Ferro est directeur d'Ă©tudes Ă  l'École des hautes Ă©tudes en sciences sociales. Il est notamment l'auteur de Histoire de France, La RĂ©volution de 1917, L'Histoire des colonisations, qui ont Ă©tĂ© de grands succĂšs et ont Ă©tĂ© traduits dans de nombreuses langues. Il a animĂ© Histoire parallĂšle sur Arte.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2002
Imprimer l'ISBN
9782738111463
Les tentations de l’Islam
Réformisme :
retour aux sources ou modernité
L’impĂ©ratif des rĂ©formes
Dans le monde de l’Islam, l’impĂ©ratif des rĂ©formes coĂŻncida avec une lente dĂ©sagrĂ©gation de sa primautĂ© dans la gestion des sociĂ©tĂ©s. Ce qui Ă©tait sensible en Perse sĂ©fĂ©vide le devenait plus encore dans l’Empire ottoman oĂč, sous-jacente Ă  la thĂ©ologie du pouvoir, se trame une pratique politique autonome dont le principe est que le royaume peut survivre Ă  l’incroyance mais non Ă  l’injustice. En quoi les sultans sont-ils encore des califes ?
Surtout et simultanĂ©ment, dĂšs la fin du XVIIIe siĂšcle, l’influence de l’Occident se fait sentir, eu Ă©gard surtout Ă  ses succĂšs militaires et techniques. Mais les idĂ©es passent Ă  leur tour avec le triomphe de la RĂ©volution française. Moins que la revendication de la libertĂ©, perçue en pays d’Islam sous son angle juridique, moins que l’idĂ©e d’une Ă©galitĂ© qui, dans l’Empire ottoman, concerne les groupes sociaux mais guĂšre les individus, c’est la diffusion de l’idĂ©e de nation qui dĂ©stabilise l’Empire. Elle est accompagnĂ©e par l’évolution de sens du Watan, ce terme qui dĂ©signait le foyer et qui, en Égypte d’abord, correspond de plus en plus Ă  l’idĂ©e de patrie.
Cette influence des idĂ©es de la RĂ©volution française concerna en premier lieu les minoritĂ©s chrĂ©tiennes serbes, les Grecs et les ArmĂ©niens de l’Empire ottoman, mĂȘme si l’aspect laĂŻque des changements accomplis en France les troubla quelque peu. Mais elle concerna aussi l’Égypte et la Syrie. Quant au gouvernement ottoman, il vit surtout dans la RĂ©volution française un danger pour l’ordre Ă©tabli. « Puisse Dieu faire que ce soulĂšvement se rĂ©pande comme la syphilis chez nos ennemis », Ă©crit Halet Efendi, secrĂ©taire privĂ© de Selim III. Quand ce sultan fut renversĂ©, le parti de la rĂ©action religieuse prit le pouvoir.
De sorte qu’à Istanbul le besoin de rĂ©formes prit deux directions opposĂ©es : modernisation par l’adoption des pratiques occidentales d’un cĂŽtĂ©, retour Ă  la tradition islamique de l’autre. Le mĂȘme problĂšme se retrouvait en Perse et en Inde car les coups portĂ©s par l’Europe aux grands empires atteignaient Ă©galement l’Islam. Fallait-il donc pour rĂ©sister Ă  l’Occident assimiler sa science en apprenant l’anglais ou le français ici, le russe ailleurs, en jugeant que l’élĂ©ment fondamental Ă  maĂźtriser Ă©tait la connaissance, que la religion et la science sont compatibles comme l’affirmait l’imam MarganĂź ? Ou, au contraire, tel le TchĂ©tchĂšne Uzun Hadj, dire son hostilitĂ© absolue Ă  toute imprĂ©gnation occidentale : « Je tresse une corde pour pendre les ingĂ©nieurs, les Ă©tudiants, les intellectuels et en gĂ©nĂ©ral tous ceux qui Ă©crivent de gauche Ă  droite. » À une autre frontiĂšre de l’Islam, Ă  Peshawar, la purification et son retour aux sources, la lutte contre l’étranger, les Sikhs notamment, animent le combat de Sayyid Ahmad Barelwi, proclamĂ© calife en 1830, qui juge en outre que la connaissance est bien l’élĂ©ment fondamental du changement qui s’impose Ă  l’Islam. À Delhi, Chah Waliullah s’inquiĂ©tait aussi de la sclĂ©rose de l’Islam, de l’enseignement figĂ© des ulĂ©mas, des dangers que reprĂ©sentaient l’hindouisme et les Sikhs.
On retrouve les mĂȘmes exigences et les mĂȘmes interrogations dans le mouvement wahhabite apparu durant la seconde moitiĂ© du XVIIIe siĂšcle en Arabie centrale, plus ou moins hĂ©ritier de la pensĂ©e d’Ibn Taymiyya (XIIIe siĂšcle) qui juge qu’un État n’est lĂ©gitime que s’il contribue Ă  faire pratiquer la charia. Abd al-WahĂąb prend appui sur un Ă©mirat qui attaque Kerbala, centre de pĂšlerinage des chiites. Surtout, il met en cause l’autoritĂ© du sultan comme calife de l’Islam en lui fermant carrĂ©ment l’accĂšs des lieux saints : MĂ©dine et La Mecque. Mettant en cause la hiĂ©rarchie des ulĂ©mas, leur patronage des ordres soufi, trop tournĂ©s vers la vie intĂ©rieure, vers l’individu, pas assez vers l’application de la charia, cet ensemble de prĂ©ceptes qui doit guider la vie des musulmans.
DĂ©sormais, au XIXe siĂšcle, le plus influent des thĂ©oriciens de la rĂ©novation de l’Islam est sans doute le Persan al-Afghani Jamal al-Din (1839-1897) qui pose pour la premiĂšre fois de façon explicite l’opposition nĂ©cessaire et inĂ©luctable entre l’Islam et le monde occidental. Il observe l’évolution inverse du christianisme et de l’Islam. Le christianisme est trĂšs tĂŽt une religion de prĂȘtres qui contrĂŽlent une sociĂ©tĂ© au service de l’Église : d’oĂč la sacralisation de la royautĂ©, l’Inquisition, etc. Mais, successivement, la rĂ©forme de Luther puis les LumiĂšres minent les fondements de ce systĂšme. Enfin, le socialisme appelle au partage des richesses et scelle la fin du magistĂšre de l’Église. L’Islam, au contraire, se veut au dĂ©part la critique de toute religion institutionnalisĂ©e. Mais, peu Ă  peu, il dĂ©gĂ©nĂšre d’une religion pure en institution oĂč un groupe de pseudo-savants (ulĂ©mas) et faux maĂźtres mĂšnent Ă  leur guise une masse illettrĂ©e. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©forme Ă  la Luther.
FascinĂ© par les leçons et les progrĂšs de l’Occident, il n’en rappelle pas moins que l’Islam inclut la science qu’il a d’ailleurs enseignĂ©e Ă  l’Occident. Il fait triompher cette idĂ©e que, de la Perse Ă  l’Égypte, l’Islam doit s’unifier, Ă  la maniĂšre de l’Italie ou de l’Allemagne, en adaptant les idĂ©es europĂ©ennes d’État-nation aux rĂ©alitĂ©s d’un monde islamique divisĂ© et soumis qu’incarne seul un Empire ottoman minĂ© par ses minoritĂ©s chrĂ©tiennes et que ne rĂ©gĂ©nĂšrent pas les rĂ©formes de l’époque dite du « Tanzimat ». Tout comme les performances de l’artillerie europĂ©enne avaient convaincu Selim III qu’il fallait moderniser l’État, la philosophie politique et l’idĂ©ologie occidentales doivent contribuer Ă  la renaissance de l’Islam. L’Europe apparaĂźt ainsi Ă  la fois comme un ennemi et comme un modĂšle. Par ailleurs, al-Afghani Jamal al-Din aide au retour Ă  la tradition dans l’enseignement diffusĂ© Ă  l’universitĂ© al-Azhar du Caire et, simultanĂ©ment, il collabore Ă  l’assassinat de Nasir Din, ce souverain persan qui s’apprĂȘtait Ă  ouvrir aux Ă©trangers le commerce du tabac (1896). Indirectement aussi Ă©tait condamnĂ© le principe monarchique, jugĂ© responsable de la dĂ©cadence de l’Islam, Ă©tant admis implicitement que le tyrannicide pourrait hĂąter la victoire du panislamisme entendu comme la rĂ©unification de l’umma, la communautĂ© musulmane.
Notons que tous ces projets ne portaient pas encore sur ce que pourrait ĂȘtre un État islamique pour autant que ces deux termes ne sont pas jugĂ©s antinomiques.
Le dĂ©nominateur commun de la plupart des foyers de rĂ©novation de l’Islam, qui devaient rĂ©pondre au dĂ©fi du colonialisme et dont les chantres avaient l’occasion de se reconnaĂźtre Ă  l’occasion du pĂšlerinage de La Mecque, Ă©tait la nĂ©cessitĂ© de rompre avec l’enseignement sclĂ©rosĂ© des ulĂ©mas pour purifier ses connaissances, revenir aux pieux ancĂȘtres, soit pour donner Ă  l’enseignement du Coran une force nouvelle, soit pour Ă©largir le savoir de la sociĂ©tĂ© musulmane, soit pour combiner ces deux objectifs.
De toute façon, l’élĂ©ment fondamental du changement nĂ©cessaire Ă©tait le recours Ă  la connaissance. Au Maroc, cela prit la forme d’une lutte contre le maraboutisme, ailleurs d’autres figures, mais la renaissance scolaire se trouva toujours Ă  l’avant-garde de la plupart de ces projets.
Mieux que d’autres, le ministre russe Il’minski l’a perçu : « Pour nous, rien n’est plus dangereux qu’un musulman cultivĂ©. » Les dirigeants français en AlgĂ©rie pensaient de mĂȘme.
De fait, c’est dans le monde tatar de l’Empire des tsars, de la CrimĂ©e Ă  Boukhara, que l’instruction se dĂ©veloppa avec le plus de vigueur grĂące, notamment, Ă  l’action de Abd Ul-Kahjjum Nasyri (1825-1902), le « Lomonossov tatar » qui crĂ©a une langue littĂ©raire tatare, et de Gasprinski, en CrimĂ©e (1842-1914), un des pĂšres de la presse tatare, chantre de la renaissance nationale. Le rĂ©sultat ? En 1897, plus de 5 000 Ă©coles avaient Ă©tĂ© rĂ©formĂ©es, et 20 % des Tatars de Kazan savaient lire et Ă©crire, contre 18,3 % des Russes. Ainsi, c’est grĂące Ă  l’instruction qu’au sein de l’Empire russe les musulmans conservateurs perdirent la partie face aux modernistes.
Les conséquences furent considérables.
Des Ottomans aux Turcs : l’Islam domestiquĂ©
Alors que, dans l’Empire des tsars, l’hostilitĂ© entre l’Islam et la chrĂ©tientĂ© Ă©tait l’hĂ©ritage d’un conflit ancestral entre les États russe et tatar que la politique de russification menĂ©e par Alexandre III et Nicolas II devait revivifier, dans l’Empire ottoman, ce fut l’occidentalisation des institutions et des mƓurs qui fit passer Ă  l’intĂ©rieur de la sociĂ©tĂ© un conflit qui s’était limitĂ© jusqu’alors au dĂ©fi que les puissances impĂ©rialistes (Grande-Bretagne, France, Russie) avaient lancĂ© Ă  ce qu’ils appelaient l’« homme malade ». Les guerres qui en furent l’aboutissement (1912-1918) s’achevĂšrent par la disparition de l’Empire ottoman, l’abolition du sultanat et du califat, et en Turquie par la domestication de l’Islam.
La pĂ©nĂ©tration des idĂ©es de l’Occident Ă  partir du XIXe siĂšcle fut renforcĂ©e par l’action des missions chrĂ©tiennes, des ordres religieux Ă©galement, qui instillĂšrent chez les chrĂ©tiens l’idĂ©e qu’ils constituaient des minoritĂ©s.
La Russie fut la premiĂšre Ă  intervenir pour la dĂ©fense du droit des orthodoxes sur les Lieux saints, cause et prĂ©texte de la guerre de CrimĂ©e. Mais, auparavant, les Serbes et les Grecs, bientĂŽt les Roumains et les Bulgares, communautĂ©s majoritaires, s’étaient soulevĂ©s, au nom de leur religion et de leur libertĂ©. Au milieu du siĂšcle, l’Empire, jusqu’alors Ă  moitiĂ© chrĂ©tien, Ă©tait dĂ©jĂ  devenu aux deux tiers un État musulman.
Plus que toute autre crise, la sĂ©cession de l’Égypte, aux temps de Mehmet-Ali et ensuite, avait convaincu le sultan de la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former l’État ottoman.
L’ùre des rĂ©formes qui s’ouvre en 1839, dite « Ă©poque des Tanzimat », s’achĂšve quarante ans aprĂšs ; associĂ© Ă  la modernitĂ©, son bilan politique est jugĂ© dĂ©sastreux pour le pouvoir. D’un cĂŽtĂ©, certes, au plan technique et Ă©conomique, l’irruption des chemins de fer, de navires Ă  vapeur, de constructions nouvelles, etc., traduit un changement tout comme dans les mƓurs ou dans l’administration qui s’ouvre aux mĂ©thodes de l’Occident — crĂ©ation d’un cadastre, occidentalisation du droit —, voire d’un processus de sĂ©cularisation plus gĂ©nĂ©ral associĂ© Ă  une libertĂ© d’expression plus grande. D’un autre cĂŽtĂ©, l’objectif prĂ©vu — la consolidation de l’Empire — n’est en rien atteint ; au contraire, il perd de nouveaux pans de son espace (Kars, Ardahan, Chypre, Montenegro, bientĂŽt Thessalie, Tunisie, CrĂšte) ; et mĂȘme son immunitĂ© est atteinte puisque, si aprĂšs la guerre de CrimĂ©e, au traitĂ© de Paris de 1856, il faisait encore partie du concert europĂ©en, aprĂšs le traitĂ© de Berlin en 1878, suite Ă  ses dĂ©faites contre la Russie, les puissances disposent d’un droit d’ingĂ©rence pour venir en aide aux ArmĂ©niens si nĂ©cessaire.
MinoritĂ©s chrĂ©tiennes, nation chrĂ©tienne, constituaient ainsi les ferments qui dĂ©truisaient de l’intĂ©rieur l’Empire ottoman, Ă  la faveur de ces rĂ©formes qui leur avaient permis de se constituer en forces hostiles en rendant possible la conjonction des chrĂ©tiens de l’intĂ©rieur avec les puissances chrĂ©tiennes de l’extĂ©rieur.
Cela ne pouvait que susciter ce mouvement de ressac qu’effectue le nouveau sultan Abdul Hamid II, qui demeure pourtant favorable Ă  la modernisation Ă©conomique et technique du pays, au point mĂȘme d’accepter la constitution d’une dette publique contrĂŽlĂ©e par les puissances. Il pense en effet que cette ingĂ©rence-lĂ  le protĂšge du dĂ©peçage pour autant que les intĂ©rĂȘts financiers de l’Angleterre, de la France ou de l’Allemagne peuvent dĂ©nouer leur solidaritĂ© avec les minoritĂ©s chrĂ©tiennes. Effectivement, lorsque les ArmĂ©niens appellent la France au secours, aprĂšs une crise suivie de rĂ©pression, Paris fait la sourde oreille. Il est vrai que ce sont les Ă©coles amĂ©ricaines qui supplantent les françaises dans le monde armĂ©nien ; alors que celles-ci sont hĂ©gĂ©moniques dans le Proche-Orient arabe, s’adressant essentiellement aux Arabes chrĂ©tiens ; en 1914, il n’y a que 8,7 % de musulmans dans les Ă©coles françaises du Levant. Paris est moins sourd aux appels des chrĂ©tiens du Liban.
Aussi la rĂ©action hamidienne se situe-t-elle essentiellement sur le terrain de l’Islam, sensible Ă  l’humeur de plus en plus antichrĂ©tienne des populations majoritairement musulmanes de l’Empire depuis que la GrĂšce, la Serbie et la Bulgarie avaient conquis leur indĂ©pendance. AprĂšs les massacres de Sassoun (1894-1896) et l’exil de milliers d’ArmĂ©niens vers la Transcaucasie ou l’AmĂ©rique, un des cheikhs kurdes responsables de la rĂ©pression est accueilli en hĂ©ros Ă  Diyarbakir alors qu’il se rendait en pĂšlerinage Ă  La Mecque (F. Georgeon).
Peu Ă  peu, Abdul-Hamid glisse du personnage du sultan vers celui du calife en Ă©vitant de se montrer tout en rĂ©pandant son image, ce que les libĂ©raux dĂ©noncent comme de la couardise. Un sultan cachĂ© en quelque sorte comme un imam qui juge que l’Islam doit devenir le principe de rĂ©gĂ©nĂ©ration de l’Empire. Veut-il faire du califat une institution calquĂ©e sur la papautĂ© qui le sacraliserait en sa double personne ? Au moins cet abandon de l’ottomanisme, qui tendait au nivellement des statuts, convient-il aux Kurdes et aux Albanais. Quant aux Arabes, pour prĂ©venir la naissance de leur nationalisme, Abdul-Hamid se les associe, en en plaçant quelques-uns Ă  des postes clĂ©s de l’État, notamment dans l’armĂ©e oĂč il introduit des notables Ă  la tĂȘte du sĂ©rail, choisissant aussi bien des chrĂ©tiens maronites que des chefs de tribu

Il reste que ces principes visaient Ă  prĂ©venir la montĂ©e des nationalitĂ©s autant qu’à rĂ©gĂ©nĂ©rer la religion musulmane. HĂ©ritage de l’époque des rĂ©formes ou tanzimats, les ulĂ©mas demeurĂšrent sous le contrĂŽle du pouvoir, les confrĂ©ries restĂšrent Ă  l’abandon, de mĂȘme que les Ă©coles, les « mĂ©dersas* ». En bref, la dĂ©cadence des institutions et de la parole islamiques se manifestĂšrent de toutes les façons : François Georgeon a calculĂ© que les livres de religion reprĂ©sentaient 38 % des livres imprimĂ©s sous Abdul Medjid (1839-1861) et 14 % sous Abdul-Hamid (1876-1909).
Les rĂ©formes n’émanaient pas d’une pression de la population mais des dirigeants qui avaient entrepris d’occidentaliser quelques-unes des institutions politiques et financiĂšres tout en maintenant Ă  la base de la sociĂ©tĂ© ses traditions les plus enracinĂ©es. Étant donnĂ© qu’en 1868 il n’y avait encore que 2 % de personnes instruites, ces rĂ©formes n’étaient apprĂ©ciĂ©es que d’une petite minoritĂ© qui peu Ă  peu s’émancipa et contesta le caractĂšre arbitraire et autoritaire du rĂ©gime. Se constituant en « Jeune SociĂ©tĂ© ottomane », ces intellectuels joints au...

Table des matiĂšres

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Du mĂȘme auteur chez Odile Jacob
  4. Copyright
  5. Avant-propos
  6. Ouverture
  7. Les tentations de l’Islam
  8. L’occident dĂ©sorientĂ©, l’orient Ă©cartelĂ©
  9. Glossaire
  10. Bibliographie
  11. Remerciements
  12. Cahiers photos
  13. Crédits photographiques
  14. Index