
- 224 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
La Psychanalyse et la Vie
Ă propos de ce livre
Qu'est-ce qui ne va pas quand ça ne va pas ? Et que faire de son malaise ? L'effacer, chercher à s'en débarrasser par tous les moyens ? La psychanalyse ne croit pas cela possible. Elle propose, au contraire, d'en faire une ressource, une force de vie. Dominique Miller nous raconte ici quelques itinéraires d'hommes et de femmes venus consulter avec le sentiment de faire fausse route, de passer à cÎté de leur existence. à travers l'histoire de Martine, Sophie, Michel ou Thomas, elle nous montre comment la psychanalyse peut aider chacun de nous à se construire sur ce qu'il a de plus singulier, c'est-à -dire sur ses manques et ses faiblesses. Et si la psychanalyse, loin de nous entraßner dans un monde imaginaire, nous ramenait à la vie ? Psychologue clinicienne, psychanalyste, directrice du CollÚge freudien, Dominique Miller enseigne à l'université Paris-VIII.
Foire aux questions
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Informations
I
Quand le malaise
devient un handicap
devient un handicap
Dans les quarante derniĂšres annĂ©es, sâest opĂ©rĂ©e une Ă©volution radicale des mĆurs. Ătre fille-mĂšre, ĂȘtre adoptĂ©, ĂȘtre enfant naturel ou de parents divorcĂ©s, avoir avortĂ©, ne reprĂ©sentent plus une faute aux yeux de la sociĂ©tĂ©. La gĂ©nĂ©ration du baby-boom a Ă©tĂ© Ă lâorigine dâune incontestable libĂ©ration de la morale qui lâa Ă©mancipĂ©e. Et pourtant, la discordance intĂ©rieure des ĂȘtres se manifeste toujours autant. Des enfants, des hommes et des femmes tĂ©moignent de leur malaise, dĂ©veloppent des nĂ©vroses et des maladies somatiques, et cherchent Ă se soulager auprĂšs de toutes sortes de thĂ©rapeutiques. Câest donc bien que la discordance intime nâest pas un fait culturel, mais structurel.
La psychanalyse remarque tout de mĂȘme une diffĂ©rence essentielle : ces symptĂŽmes sâinscrivent dans un registre nouveau. ExcĂšs et dĂ©pendance les caractĂ©risent et sâaffirment comme de nouvelles maniĂšres de se sentir mal. Câest de lĂ quâa surgi lâidĂ©e des « nouveaux symptĂŽmes ». Ceux-ci sont venus sâajouter aux autres dĂ©jĂ connus et toujours prĂ©sents : lâinhibition, lâembarras ou lâempĂȘchement. Ces anciens symptĂŽmes se dĂ©clinent sur le mode du moins et du dĂ©ficit ; les nouveaux sur celui du plus et de lâexcĂ©dent. Les « nouveaux malades » cherchent trop le plaisir. Tout se passe comme sâils souffraient du dĂ©passement de leurs limites. Cette souffrance sâaffiche comme une maniĂšre de faire vivre en eux une morale intĂ©rieure, quand la morale des hommes nây suffit plus. Il en rĂ©sulte un dĂ©calage qui leur signale quâils cherchent Ă vivre au-dessus de leurs moyens psychiques et souvent physiques. DâoĂč une disharmonie qui les torture.
Hier, on arrivait Ă lâanalyse en se plaignant de ne pas avoir, de ne pas pouvoir, de ne rien valoir. Aujourdâhui, on y arrive aussi parce quâon ne peut pas sâempĂȘcher de vouloir, de faire, dâĂȘtre⊠trop. Nous relatons ici lâhistoire de quatre personnes qui justement se dĂ©battent avec le moins mais aussi avec le trop.
Martine voulait ĂȘtre mĂšre, rien dâautre
La hantise de la stérilité
La hantise de la stérilité
Martine voulait ĂȘtre mĂšre. CâĂ©tait un droit. Elle avait 36 ans, et ne sâest adressĂ©e Ă une psychanalyste que pour ça. Elle payait dĂ©jĂ un lourd tribut Ă la mĂ©decine, en temps, en argent, en dĂ©placements, en souffrance physique et morale. Elle venait aprĂšs une troisiĂšme fausse couche et une annĂ©e de traitements contre cette stĂ©rilitĂ© Ă Ă©clipse. On lui avait dit quâelle devait aller Ă la racine de ses conflits, et quâune pratique de la parole comme celle que je lui proposais devait pouvoir accomplir son vĆu, mieux que la mĂ©decine. Elle nâavait pas un ton catĂ©gorique, mais ce fut dans ces termes tranchĂ©s quâelle mâa parlĂ© la premiĂšre fois.
Face Ă une demande aussi pressante, aussi cruciale, il fallait faire preuve dâune certaine invention. Cette femme venait chercher une rĂ©ponse. Et le risque Ă©tait de sâinscrire dans la sĂ©rie des prises en charge quâelle avait additionnĂ©es, depuis la multitude des traitements mĂ©dicaux dĂ©sormais offerts en cas de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, jusquâĂ la consultation Ă deux reprises dâune voyante. Il nây avait pas Ă souscrire Ă la rĂ©ponse mĂ©dicale comme telle. Que, pour la mĂ©decine, la stĂ©rilitĂ© soit un dĂ©sordre physiologique, lâeffet dâun dĂ©rĂšglement, et quâil faille supprimer celui-ci, est dans sa logique soignante. Que, de surcroĂźt, elle propose une action technique pour atteindre cette visĂ©e thĂ©rapeutique, lĂ encore, elle est fidĂšle Ă son optique. Mais, toute autre prise en charge de ce malaise, qui prĂ©tendrait reprendre Ă son compte le mĂȘme objectif : guĂ©rir le corps, avait de fortes chances dâaboutir au mĂȘme Ă©chec.
Il nây avait aucune raison de rĂ©ussir lĂ oĂč la mĂ©decine avait Ă©tĂ© vaincue par cette femme. En sâadressant Ă une psychanalyste, elle venait chercher une rĂ©ponse dâun autre ordre, qui supplĂ©e aux Ă©checs des mĂ©decins. Câest pourquoi une telle pratique de la parole ne pouvait pas poursuivre le mĂȘme but, et avoir le projet dâĂ©liminer la stĂ©rilitĂ©. CâeĂ»t Ă©tĂ© se poser en technicien, au mĂȘme titre quâun mĂ©decin, et Ă faire de la parole un outil pratique, un instrument. Une telle conception de la parole nâaurait pas Ă©tĂ© diffĂ©rente de celle que cette patiente a rencontrĂ©e dans ses tentatives dâinsĂ©mination artificielle. Un mĂ©decin qui pratique une insĂ©mination ne sâintĂ©resse pas Ă la cause profonde de la stĂ©rilitĂ©. La pratique analytique vise, au contraire, la cause affective du mal, en donnant Ă la parole le pouvoir de dĂ©couvrir lâinvisible et lâimpensable.
Face Ă lâimpasse de la mĂ©decine, il y avait Ă prendre la stĂ©rilitĂ© de Martine non plus seulement comme une maladie du corps, mais aussi comme une maladie de lâesprit5.
Une défense à la hauteur de la souffrance
En dĂ©cidant de tourner le dos Ă la technicitĂ© mĂ©dicale, elle dĂ©signait elle-mĂȘme une autre origine Ă sa maladie, qui mettait en cause ce dĂ©sir affirmĂ© dâĂȘtre mĂšre. LĂ Ă©tait la difficultĂ© : comment admettrait-elle ne serait-ce que dâinterroger ce dĂ©sir-lĂ , dont elle avait la conviction profonde ? FidĂšle Ă son penchant pour la maĂźtrise, elle aurait bien voulu mettre sa nouvelle interlocutrice au pas de sa propre rĂ©sistance, pour ne pas sâaffronter Ă ce savoir cachĂ©. Elle nâenvisageait sa stĂ©rilitĂ© et ses traitements que comme des accidents de parcours sur le chemin de la maternitĂ©, ayant de grandes difficultĂ©s Ă se poser la question de la raison de sa dĂ©tresse. Aussi, Ă©tait-elle rebelle Ă toute expression de lâinconnu. Et, comme la parole a la facultĂ© de donner une rĂ©alitĂ© aux choses, quâelles soient plaisantes ou insupportables, conscientes ou ignorĂ©es, elle se sentait traquĂ©e dans cette expĂ©rience. Venir Ă sa sĂ©ance, raconter un rĂȘve, traduire une Ă©motion, faire part dâun Ă©vĂ©nement inhabituel ou de pensĂ©es incongrues, elle y consentait Ă condition que cela nâouvrĂźt aucune brĂšche, ne laissĂąt aucune incertitude, aucun soupçon mĂȘme, et, au contraire, vĂźnt complĂ©ter et boucher les trous. Chez elle, la confrontation avec un dĂ©faut de savoir Ă©tait toujours accompagnĂ©e dâune angoisse qui provoquait lâurgence dâune explication nouvelle. Elle voulait rĂ©duire tout le savoir obtenu Ă du savoir-faire de lâanalyste. Elle entendait se servir de sa psychanalyste pour trouver le mot qui manquait, afin de regagner la bonne voie.
La dĂ©fense de cette femme tirait sa force du dĂ©sespoir que recouvrait cette demande dâĂȘtre mĂšre. Brusquer la dĂ©fense risquait de heurter cette souffrance et de provoquer lâinsupportable. Et elle nâa jamais manquĂ© lâoccasion de signaler la frontiĂšre Ă ne pas dĂ©passer. La marge Ă©tait Ă©troite, lâessentiel Ă©tant de favoriser un savoir qui puisse porter Ă consĂ©quence.
Le savoir sur elle-mĂȘme auquel elle a consenti sâest ainsi formĂ© par petites touches, progressivement, au rythme de sa rĂ©sistance, le rythme nĂ©cessaire Ă son consentement. Tout en prenant appui sur sa quĂȘte dâune identitĂ© maternelle, elle a fini par mettre au jour ce que celle-ci recouvrait. Elle sâĂ©vertuait Ă extirper de son monde intĂ©rieur le manque maternel, non pas en lâeffaçant, mais au contraire en lâoccultant, et elle le perpĂ©tuait.
Sans famille
Martine nâa pas eu de mĂšre, au sens oĂč sa propre mĂšre nâa pas tenu sa place auprĂšs dâelle. Par incapacitĂ© psychique, celle-ci a Ă©tĂ© dâune carence considĂ©rable, laissant sa fille assumer trĂšs jeune ce rĂŽle de « petite mĂšre », dont elle la gratifiait. Enfant sĂ©rieuse, raisonnable et protectrice, elle prit sur elle de pallier la dĂ©sinvolture et lâirresponsabilitĂ© dont sa mĂšre fit preuve tout au long de son enfance et de son adolescence. Elle affirmait, Ă ce propos, quâelle nâavait pas eu dâenfance et quâelle sâĂ©tait retrouvĂ©e plus souvent quâĂ son tour lâalter ego de sa gĂ©nitrice, sâefforçant dâexister aux yeux de celle qui Ă©tait trop occupĂ©e Ă vivre, vaille que vaille, sa vie de femme, au dĂ©triment de ses responsabilitĂ©s maternelles. Ayant renoncĂ© Ă compter sur celles-ci, Martine faisait le plus souvent office de confidente et de conseillĂšre en matiĂšre de stratĂ©gie amoureuse pour sa mĂšre. Son pĂšre avait fui trĂšs loin, vers un autre continent, les dĂ©rĂšglements de sa femme, laissant sa fille aux prises avec le ravage maternel. IrresponsabilitĂ©, individualisme, dĂ©mission, sont autant de qualificatifs quâelle attribuait Ă lâun comme Ă lâautre. Des qualificatifs qui tous indiquaient la dĂ©fection de ses deux parents. Cette carence agissait en elle, prenant la forme du manque auquel ils la soumettaient, un manque irrĂ©ductible. Puisque telle Ă©tait leur seule transmission, elle sâen saisit. Elle la positiva, en palliant les manques que les autres ressentaient.
Ainsi, elle choisit de combler le manque des autres pour oublier le sien. Cela a donnĂ© naissance Ă sa tĂ©nacitĂ© et Ă sa gĂ©nĂ©rositĂ© plutĂŽt suspectes. La tĂ©nacitĂ© dont elle faisait preuve Ă lâĂ©gard de sa stĂ©rilitĂ©, elle pouvait tout autant la mettre au service de quiconque manquait de quelque chose ; il nâĂ©tait pas rare quâelle sâoccupe des dĂ©marches administratives de sa gardienne, de sa femme de mĂ©nage ou dâune amie, quand celles-ci se confrontaient Ă des labyrinthes dans lesquels elles se noyaient ; de mĂȘme, sa gĂ©nĂ©rositĂ© prenait des formes excessives, hors des conduites habituelles ; elle Ă©tait toujours prĂȘte Ă garder les enfants de lâune â la nuit sâil le fallait, Ă prendre sa voiture pour faire une course Ă cent kilomĂštres ; pour rendre service Ă une autre Ă prĂ©parer le dĂźner pour une vingtaine de personnes quâelle apportait chez son ami cĂ©libataire qui avait lancĂ© lâinvitation pour fĂȘter son anniversaire. Elle se plaignait de cette pente oblative, tout en en revendiquant la valeur humanitaire. Cette humanitĂ© sâavĂ©rera inscrite en droite ligne de son malaise fondamental.
Par contre, elle ne supportait pas que, de lâautre cĂŽtĂ©, un homme sâoffre Ă combler son manque. Ainsi, elle nourrissait une profonde dĂ©fiance Ă lâĂ©gard de ceux qui prĂ©tendaient assumer un rĂŽle de pĂšre pour lâenfant quâelle dĂ©sirait avoir. Il Ă©tait, Ă ce propos, remarquable de constater que ses partenaires amoureux se rĂ©partissaient en deux catĂ©gories qui, toutes deux, satisfaisaient cette dĂ©fiance. Elle se liait plutĂŽt avec des hommes mariĂ©s qui Ă©taient dans lâimpossibilitĂ© dâassumer un rĂŽle de pĂšre, Ă©tant pris ailleurs. Et elle consentait Ă avoir une relation avec des hommes cĂ©libataires, jusquâĂ ce que lâun ou lâautre lui offre le mariage. Alors elle refusait. Il nâĂ©tait pas question pour elle de se laisser prendre en main. Pas question de laisser un homme devenir le pĂšre potentiel de son enfant. Un homme ne pouvait pas conjuguer les rĂŽles dâamant et de pĂšre.
La disjonction femme/mĂšre Ă©tait ainsi redoublĂ©e de celle dâamant/pĂšre.
Comme elle rĂ©clamait à « corps » et Ă cri une identitĂ© de mĂšre, on aurait pu sâattendre Ă ce quâelle dĂ©passe ces disjonctions et rĂ©unisse son rĂŽle de femme et de mĂšre afin de sâunir Ă un partenaire qui aurait Ă©tĂ© aussi un pĂšre. Ce happy end hollywoodien aurait pu attirer une Ăąme thĂ©rapeute en mal de success story.
De fait, elle ne dĂ©sirait pas ce quâelle affirmait vouloir. Elle le prouvait en refusant la main de celui qui lui offrait depuis plusieurs annĂ©es de fonder une famille. Et en Ă©cartant cet autre homme dont elle avait perdu lâenfant dans une fausse couche et qui espĂ©rait toujours.
Une telle position de refus rĂ©alisait des aspirations autant impĂ©rieuses quâinconnues pour elle, mais quâelle semblait prĂ©fĂ©rer Ă tout. Plus elle avançait dans la connaissance de ses conflits intĂ©rieurs, plus on Ă©tait tentĂ© de croire quâelle tenait Ă sa stĂ©rilitĂ©. Elle faisait preuve dâune division profonde : une partie visible, consciente et revendicatrice6 qui se voulait le porte-parole de son idĂ©al de maternitĂ©, et lâautre, invisible, inconsciente et silencieuse bien que tout autant exigeante7, tourmentĂ©e par des aspirations morbides. Ce clivage Ă©tait Ă lâorigine de son mal-ĂȘtre que la stĂ©rilitĂ© exposait8. Câest pourquoi il y avait Ă Ă©couter au-delĂ de ce qui Ă©tait dit. Aller savoir de quoi Ă©taient faites ces aspirations dĂ©rangeantes.
Une stratĂ©gie dâingĂ©rence
MalgrĂ© ses airs abrupts, cette femme ne laissait pas indiffĂ©rent. Affective dans toutes ses relations, aussi bien professionnelles quâamicales et, bien sĂ»r, amoureuses, on lâa dit : Martine se faisait incontournable et donnait beaucoup de sa personne. Mais, par cette « humanitĂ© » elle se satisfaisait plus encore que ceux quâelle semblait aider. Elle sâimposait auprĂšs dâeux. Nous avons vu comment : en donnant des conseils ou en rendant des services quâon ne lui demandait pas ; en faisant dâun engagement un impĂ©ratif absolu â comme une leçon de conduite ou un rendez-vous avec un technicien. Ou encore en prenant fait et cause pour une situation qui a priori ne la concernait pas, un homme yougoslave sans papiers â pour ne prendre que cet exemple. De mĂȘme, le choix de son mĂ©tier sâinscrivait dans cette logique oĂč elle sâimmisçait dans la vie des gens, toujours avec des consĂ©quences cruciales pour eux. Elle Ă©tait inspecteur des impĂŽts.
Sa vie amoureuse assumait, en fait, le mĂȘme penchant. CâĂ©tait une femme qui ne manquait pas de sĂ©duction et provoquait lâattachement de ses partenaires. Dans ses relations avec des hommes mariĂ©s, elle sâincrustait dans la vie dâun couple, et cherchait Ă ĂȘtre la maĂźtresse aimĂ©e, la « plus importante ». Et, quand elle repoussait un homme disponible, alors quâil voulait lui faire une place dans sa vie, lĂ aussi il lui fallait ĂȘtre lĂ oĂč elle nâavait pas sa place.
Cette tendance Ă©tait le fait dâune stratĂ©gie sous-jacente qui dĂ©terminait sa maniĂšre dâĂȘtre. « StratĂ©gie dâingĂ©rence » Ă©tait Ă proprement parler le nom que lâon peut donner Ă ce qui, au-delĂ de la stĂ©rilitĂ©, reprĂ©sentait un handicap majeur, mais lĂ non plus au sens mĂ©dical mais affectif.
Ăvidemment, dans sa relation avec lâanalyste9, lâingĂ©rence Ă©tait en jeu, mais cette fois, câest lâanalyste qui lâendossait comme un alter ego : une autre femme qui, comme elle, sâimmisçait dans la vie des autres pour transformer leur existence. Cela avec une diffĂ©rence majeure pour Martine qui, tacitement, admettait que lâingĂ©rence de lâanalyste Ă©tait lĂ©gitime, requise et dĂ©sirĂ©e.
Un destin dâintruse
Pourquoi cette nĂ©cessitĂ© de lâingĂ©rence qui la mettait plutĂŽt dans une position dĂ©licate ? Lâanalyse allait permettre de rĂ©pondre en partie Ă cette question. Bien sĂ»r, son histoire avait entretenu une telle disposition, et tout spĂ©cialement le fait quâil lui avait fallu, enfant, ĂȘtre sa propre mĂšre. Ensuite, elle a repris cette destinĂ©e Ă son propre compte, et a choisi de vivre son histoire comme une intruse ; il lui fallait sâinscrire lĂ oĂč elle nâavait pas sa place.
De la sorte, la maternitĂ© qui a priori est pour une femme un acte naturel, une donnĂ©e acquise, Ă©tait devenue pour elle une chose contre nature. La quĂȘte de la maternitĂ© lui offrait lâoccasion de satisfaire sa position dâintruse. Disons que, dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, elle vouait Ă cette condition son existence tout entiĂšre. JusquâĂ sa prise en charge mĂ©dicale, pour laquelle elle ne suivait pas les rĂ©seaux habituels, français, reconnus comme trĂšs perfectionnĂ©s. Elle avait prĂ©fĂ©rĂ© suivre un traitement Ă lâĂ©tranger, ce qui lui compliquait Ă©normĂ©ment les choses.
Sa relation Ă lâanalyste nâĂ©chappait pas non plus Ă cette rĂšgle. Sa façon de faire avec ses rendez-vous, les horaires, la durĂ©e des sĂ©ances, le mode de paiement, ses appels tĂ©lĂ©phoniques en dehors des sĂ©ances, ses retards et ses absences â le plus souvent pour suivre ses traitements Ă lâĂ©tranger â faisaient partie de cette stratĂ©gie par laquelle elle recherchait un statut Ă part. Elle demandait Ă lâanalyste que lui soit rĂ©servĂ© un rĂ©gime de faveur. Car, disait-elle, elle nây Ă©tait pour rien ; seule la lourdeur de son traitement, la disponibilitĂ© et lâĂ©loignement quâil impliquait mais aussi les contraintes de son mĂ©tier nĂ©cessitaient un tel privilĂšge. Elle demandait Ă lâanalyste, comme elle le demandait Ă ses amants, ce quâon ne lui a jamais donnĂ©. Cela nĂ©cessitait un ajustement de la part de lâanalyste pour faire face au caractĂšre impĂ©rieux de cette plainte.
Câest ainsi que celle-ci fut tout Ă fait surprise le jour oĂč sa patiente fondit en larmes alors que, pour la premiĂšre fois, elle lui demandait le rĂšglement dâune nouvelle sĂ©ance manquĂ©e. Martine, qui Ă©tait habituĂ©e par son mĂ©tier Ă mettre au pas nombre de personnes en infraction, nâavait pas supportĂ© quâon la soumette Ă la rĂšgle analytique. Lâintruse nâĂ©tait pas loin⊠Elle espĂ©rait que lâanalyste ferait une exception pour elle⊠quâelle ferait dâelle une exception. Cet Ă©pisode avait le mĂ©rite de mettre en lumiĂšre un double aspect de sa place dâexception : celle du rejet et celle du privilĂšge.
On voit par lĂ comment le problĂšme de la stĂ©rilitĂ© nouait deux aspirations contraires : dâun cĂŽtĂ©, lâidĂ©al « ĂȘtre mĂšre » qui aurait fait dâelle une femme comme les autres, et, de lâautre, une sorte dâidentitĂ© instinctive et ignorĂ©e dâelle, « ĂȘtre un intrus », qui semblait constituer le blason de son destin singulier. Ă travers sa demande dâĂȘtre mĂšre, elle tentait dâignorer sa position en porte-Ă -faux. Traiter de front sa stĂ©rilitĂ© aurait colmatĂ© (et alimentĂ©) secrĂštement cette blessure. La psychanalyse, en laissant de cĂŽtĂ© la question de sa guĂ©rison, a rĂ©vĂ©lĂ© ce que la maladie perpĂ©tuait. Une visĂ©e thĂ©rapeutique aurait voulu rĂ©parer cette identification blessĂ©e, par un souci dâhumanitĂ©, ou par la tentation de lâefficacitĂ©. Laisser ouverte lâissue de nos rencontres, en mettant lâaccent sur le savoir en souffrance dans ce handicap a fait apparaĂźtre le bĂ©nĂ©fice nĂ©faste quâelle en tirait. Cette construction Ă laquelle la patiente est parvenue a opĂ©rĂ© un changement non nĂ©gligeable pour son existence, bien que certainement fragile. Elle en Ă©tait consciente, nâignorant pas que le parcours dans son univers Ă©nigmatique nâĂ©tait pas terminĂ©.
Martine, qui tenait tant Ă son autonomie, jusquâĂ fantasmer de sâengendrer elle-mĂȘme⊠et rĂȘver de faire un bĂ©bĂ© toute seule, a consenti Ă sâen remettre Ă dâautres, imprĂ©visibles, incalculables, Ă en dĂ©pendre et Ă sây confronter. Ă commencer par lâanalyste. La culture de son narcissisme et le goĂ»t pour le sacrifice, que son vase clos nourrissait, en furent Ă©branlĂ©s. Elle admit quâĂȘtre mĂšre ne signifiait pas nĂ©cessairement procrĂ©er lâenfant quâelle nâavait pas Ă©tĂ©, ni se donner en sacrifice aux mĂ©decins, pour en payer le prix. Elle renonça Ă subir de nouveaux traitements hormonaux et de nouvelles insĂ©minations, pour leur prĂ©fĂ©rer lâadoption. Elle a arrĂȘtĂ© lâanalyse sur cette rĂ©solution.
Elle est allĂ©e au bout de la procĂ©dure dâadoption, supportant dâĂȘtre une parmi les autres, un dossier dans une pile. Cette procĂ©dure impliquait de renoncer Ă ce qui Ă©tait pour elle un mode de vie : ĂȘtre une intruse.
Elle lâa fait et a rĂ©ussi. En effet, un an aprĂšs, elle a tenu Ă mâinformer par tĂ©lĂ©phone de lâarrivĂ©e de lâenfant, marquant ainsi clairement nos rencontres comme Ă©tant lâorigine de cet aboutissement. Attribuant Ă notre travail comme une paternitĂ© de cette mise au monde. Et peut-ĂȘtre cherchant aussi Ă sâassurer quâelle avait toujours sa place.
Sur les lĂšvres de Hanna
Mutisme et boulimie
Mutisme et boulimie
Pour son premier rendez-vous, sa mĂšre avait appelĂ©. Il lui Ă©tait impossible de le faire elle-mĂȘme, de parler au tĂ©lĂ©phone. Puis, Hanna est venue seule. Je nâentendis pratiquement pas le son de sa voix ce jour-lĂ . Un faible « oui » accompagnĂ© dâun sourire de dĂ©sarroi, quand je lui dis aprĂšs quelques minutes : « Câest difficile de parler. » Pendant plusieurs mois, elle se manifesta trĂšs peu, seulement quelques mots murmurĂ©s ou lisibles sur ses lĂšvres, quelques sourires dâapprobation ou de connivence, le plus souvent une expression dâimpuissance et, p...
Table des matiĂšres
- Couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Introduction
- I - Quand le malaise devient un handicap
- II - Au-delà du malaise : un problÚme et une solution
- III - Lâarrangement social
- Conclusion - Chacun veut se faire un nom
- Notes et références bibliographiques
- Remerciements